La seconde moitié du XXe siècle et le début du XXIe ont été marqués par l’émergence et la prise en considération des perspectives inuit sur la nature et le futur de leurs propres sociétés. Pendant longtemps, en effet, les perspectives des Qallunaat (littéralement les «grands sourcils,» soit les non-Inuit) ont dominé les discours académiques. Aujourd’hui les chercheurs réalisent de plus en plus l’énorme potentiel d’une meilleure coopération entre les Inuit et les Qallunaat, ainsi que la pertinence d’une interaction entre ces différentes perspectives, afin de mieux comprendre la culture et la société inuit. Les efforts pour faire reconnaître l’importance des perspectives inuit n’ont pas tous abouti, mais le succès politique des Inuit dans l’acquisition de plus de contrôle sur leurs sociétés a grandement contribué à ce processus. La lutte qu’ont menée les Inuit pour acquérir un meilleur pouvoir décisionnel et choisir eux-mêmes les orientations politiques concernant leurs territoires et leurs traditions a été un trait dominant de leur vie politique durant les cinquante dernières années. Les revendications pour l’autodétermination sont à l’origine de la création d’une forme avancée de gouvernement autonome au Groenland et, plus récemment, de la formation d’un nouveau territoire dans l’Arctique canadien, le Nunavut, inauguré le 1er avril 1999. Dans le domaine de l’économie, les Inuit ont développé des approches qui tiennent compte des conditions écologiques et sociologiques spécifiques à l’Arctique. Un bon exemple est le succès du concept de «savoirs autochtones,» «savoirs traditionnels» ou «savoir écologique traditionnel» (mieux connu sous l’acronyme TEK en anglais). Ces questions sont liées à des débats de fond concernant l’articulation des perspectives locales et globales, la question de l’éthique et de la propriété intellectuelle, les problèmes sur l’identité et la nature ontologique du savoir, ainsi que l’intégration des savoirs indigènes dans les processus de décision. Dans le domaine de la culture, les Inuit ont insisté sur des points essentiels comme le maintien de la diversité culturelle, la conservation du savoir des aînés, ainsi que celle des langues et dialectes inuit. Au Nunavut, le succès actuel de la notion de Inuit qaujimajatuqangit («savoirs de longue date conservant une pertinence sociale») peut être considéré comme un bon exemple de toutes ces tendances qui fusionnent et influencent les politiques dans bien des domaines, de la langue au droit. Les efforts des Inuit pour mettre en valeur leurs propres perspectives et approches concernant leur culture et leur société affectent profondément les habitudes académiques. Au cours des trente dernières années, de nombreux chercheurs ont développé un intérêt certain pour une meilleure compréhension des perspectives et des traditions inuit. Plusieurs livres et articles publiés du Groenland à l’Alaska contribuent ainsi à mieux faire connaître la diversité des traditions et des perspectives inuit. Les Inuit ne sont plus représentés comme les sujets passifs d’un processus de modernisation à sens unique. Les chercheurs les décrivent plutôt comme des agents actifs qui ont initié bien des transformations socioculturelles et ont répondu avec créativité aux changements rapides causés par leurs contacts fréquents avec les Qallunaat. L’anthropologie elle-même prend de plus en plus la forme d’un dialogue. La confiance dans l’objectivité des théories et des méthodes anthropologiques s’est dégradée. En accordant plus d’attention aux perspectives inuit, les anthropologues se rendent compte des limites de leurs propres perspectives. Une réorientation s’est opérée, si bien que l’accent ne porte plus sur la description «objective» des réalités mais sur les questions de traduction, d’herméneutique et d’interprétation. L’intégration de la technologie moderne, de la religion chrétienne et de l’économie globale conduisent à de nouvelles synthèses qui associent des traditions occidentales et inuit. Ann Fienup-Riordan (2000: 49) a noté cette évolution: «Plutôt que d’essayer de représenter les …
Parties annexes
Référence
- Fienup-Riordan, Ann, 2000 Hunting Tradition in a Changing World. Yup’ik Lives in Alaska Today, New Brunswick, Rutgers University Press.