Entretien

Michèle Lesbre, femme de (vraies) lettres[Notice]

  • Karin Schwerdtner

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  • Propos recueillis par
    Karin Schwerdtner

Nous avons eu l’immense plaisir de rencontrer Michèle Lesbre chez elle, à Paris, le 20 septembre 2018, soit quelques mois seulement avant la publication en février 2019 de Rendez-vous à Parme – roman comportant, selon l’auteure, de « vraies lettres » – et un an environ après la parution, en 2017, de Chère brigande.Lettre à Marion du Faouët. Dans cette lettre, l’auteure s’adresse « réellement » à la « “Robin des bois” bretonne qui, dans les premières années du xviiie siècle, prenait aux riches pour redistribuer aux pauvres ». L’auteure dialogue avec sa destinataire, lui dit son désenchantement dans un monde où sévissent les inégalités, tout en puisant dans son histoire de rebelle la force de « croire encore aux utopies, malgré le plomb de l’actualité ». C’est en effet par sentiment d’impuissance mais aussi par admiration ou par amitié qu’elle « adresse cette lettre à sa “chère brigande”, qui l’accompagne depuis tant d’années ». Cette dimension d’adresse se trouvait déjà dans des textes antérieurs de Lesbre, notamment dans Victor Dojlida (2001), livre adressé à l’ancien résistant, déporté à Dachau puis emprisonné quarante ans pour « deux braquages chez les collabos ». Quand « Victor » est mort, l’auteure a eu « envie », nous dit-elle ici, non seulement de rendre hommage à sa colère et à son engagement, mais aussi, dit-elle encore, de lui écrire, sur un ton personnel, des « choses intimes ». De même, quand est mort le « monsieur de la station Gambetta » à qui est dédié Le canapé rouge (finaliste du prix Goncourt 2007), elle lui adresse en quelque sorte, avec Écoute la pluie (2013), « une longue confidence pleine de pudeur et de fracas ». Enfin, dans la mesure où Chemins (2014) représente, pour Lesbre, une réponse, tardive, à l’unique lettre reçue de son père, il se rapproche de La petite trotteuse (2004), roman né de la découverte par l’auteure de la montre de son père disparu. Ainsi, l’auteure de Chère brigande, qui a d’abord publié des polars – elle a entrepris sa carrière avec des romans noirs qui privilégient « la déambulation mentale » –, est passée, depuis au moins Victor Dojlida, à « d’autres registres ». Elle favorise désormais une autre forme d’écriture, plus « personnelle », dit-elle, susceptible de laisser deviner, voire de faire entendre ses préoccupations à la fois intimes et sociales. Inspirées chez Lesbre par sa récente « envie » (telle qu’elle la désigne) d’écrire une Lettre à Marion du Faouët, par son geste a priori politique de s’adresser intimement, pour publication, à une femme rebelle d’une autre époque, mais aussi par sa pratique d’écrire « à ou pour ses morts » telle qu’elle se développe dans certains livres antérieurs à cette Lettre, nos questions pour l’auteure s’organisent autour de trois pôles : la lettre ou la forme adressée de l’écriture ; l’écrit « pour autrui » comme « trace de l’intime » et comme possible substitut de la parole privée ; et les usages publics de la lettre. Notre conversation avec l’auteure a porté sur l’évolution de son écriture vers une forme, dit-elle, plus personnelle, permettant de laisser jouer davantage son intimité et son émotivité. Dans le cadre de cette discussion sur son écriture depuis surtout Victor Dojlida, l’auteure s’est expliquée, de prime abord, sur son « besoin » de s’adresser à une brigande du xviiie siècle et, ensuite, sur le don qu’elle considère avoir reçu de son destinataire, « Victor ». Comme elle nous l’explique, l’ancien résistant lui aurait, sans le savoir, « ouvert le vrai champ d’action …

Parties annexes