Résumés
Résumé
Le nom de Guy Debord reste aujourd’hui associé au souvenir de Mai 68, à la fois comme événement et comme aventure collective. Mai vit en effet l’Internationale situationniste (IS), dont Debord avait été l’un des principaux animateurs, atteindre au sommet de son influence et de son action historiques. Depuis plusieurs années déjà, l’IS, ayant proclamé la mort de l’art et de la littérature, avait en effet déplacé son action du terrain de la culture à celui de la politique, promouvant la lutte contre la société du spectacle et la révolution de la vie quotidienne. Or le nom de Debord évoque aussi une trajectoire inverse, celle d’un homme qui, après avoir été l’une des principales figures de la sédition politique, se retire dans la littérature à partir de la fin des années 1970, et se transforme peu à peu en un mémorialiste au style si fascinant qu’il finira par être considéré comme l’un des écrivains majeurs de la seconde moitié du xxe siècle. Afin d’éclairer les raisons de cet étonnant contraste, dans lequel on a voulu voir un revirement, cet article portera la réflexion en amont et en aval de l’événement 68. En amont, pour observer comment la conviction d’une péremption historique des formes littéraires a pu amener l’IS à refuser de faire oeuvre et de s’inscrire dans le monde des lettres, formulant au contraire le projet d’une énonciation anonyme et collective mêlée à la praxis sociale ; en aval, pour voir comment Debord, ayant précisément abandonné la philosophie de l’histoire sous-jacente à ces conceptions, en est venu à voir dans le retour au littéraire non pas une régression, mais un dernier recours face à ce qu’il appelait « le malheur des temps ».
Abstract
Guy Debord’s name remains today associated with memories of May 68, both the event and as collective adventure. May 68 witnessed the Internationale Situationiste (IS) – the Situational International (SI) – with Debord a leader at the peak of his activity and influence. For many years the SI had been proclaiming the death of art and literature, shifting its activity from the realm of culture to that of politics, opposing “The Society of the Spectacle” and promoting grassroots revolt. But the name Debord also evokes an opposite path, that of a man who having once been a foremost figure of political sedition then withdrew into literature in the late 1970s, little by little transitioning into a memorialist so fascinating in style that he is ultimately seen as one of the major writers of the second half of the 20th century. To elucidate the reasons for this astonishing reversal, this article reflects on the before and after of the May 68 events. Upstream, to see how the conviction of an historic preemption of literary forms induced IS to refuse or subscribe to the world of letters, instead formulating an anonymous and collective utterance mixed with social praxis; downstream, to see how Debord, having specifically abandoned the philosophy of history that underpinned these conceptions, came to perceive in the return to the literary not a regression but a final recourse to confront what he termed “the misfortune of the times.”