Résumés
Résumé
L’examen de la tradition manuscrite de ce que l’on appelle souvent la « trilogie arthurienne » de Robert de Boron (Joseph d’Arimathie, Merlin et Didot-Perceval) permet de voir comment la critique moderne construit, à partir du donné médiéval, des ensembles signifiants qui courent le risque d’être anachroniques et de ne pas refléter la réalité de la réception médiévale. Dans ses manuscrits, la prétendue trilogie est présentée bien plus souvent comme un binôme Joseph-Merlin, le Perceval n’apparaissant que dans deux témoins fort excentrés ; de plus, ce troisième texte, présenté comme un roman autonome par la critique moderne, ressemble bien plus à une suite du Merlin, annonciatrice peut-être des autres suites que ce roman a reçues dans les années 1230-1250. La différence entre la description trilogique qui est habituellement donnée de cet ensemble romanesque et ses réalisations manuscrites n’est pas qu’une question de chiffrage : elle a un impact important sur la vision que nous avons de l’émergence de la prose autour de 1200, sur le développement de la forme cyclique et sur la postérité littéraire de ces oeuvres. Le but de cet article n’est pas tant de « corriger » la représentation traditionnelle de ces trois textes au profit d’une autre qui serait nécessairement plus correcte, que de mettre en lumière les aléas de la pattern recognition, l’identification de structures, qui est le moyen par lequel le philologue construit son objet, en tamisant des données souvent foisonnantes : le lecteur moderne face à un objet ancien est sans cesse dans un processus de reconstruction et de négociation.
Abstract
An examination of the manuscript tradition of what is often called Robert de Boron’s “Arthurian trilogy” (Joseph d’Arimathie, Merlin and Didot-Perceval) helps us see how modern criticism constructs, from medieval data, meaningful structures that run the risk of being anachronistic and not reflecting the reality of medieval reception. In its manuscripts, the so-called trilogy is presented much more often as a binomial Joseph-Merlin, with Perceval appearing in only two very unusual witnessings. Moreover, this third text, presented as an autonomous romance by modern criticism, functions much more like a suite of Merlin, perhaps a forerunner of the other suites this romance received between 1230 and 1250. The difference between the tripartite description usually given and its manuscript realizations is not just a matter of quantification: it has an important impact on our interpretation of the emergence of prose around 1200, of the development of the cyclical form and of the literary posterity of these works. The aim of this article is not so much to “rectify” the traditional representation of these three texts in favour of a more “correct” version, but to highlight the vagaries of pattern recognition, which is the means by which the philologist constructs his object, sifting through a surfeit of data: the modern reader, faced with an ancient object, is in a constant process of reconstruction and negotiation.