PrésentationMettre en livre. Pour une approche de la littérature médiévale[Notice]

  • Anne Salamon

Pendant plus de cinq siècles, l’objet qu’est le livre imprimé a conditionné notre manière de recevoir les textes et de penser la littérature. Les concepts de texte, d’oeuvre et de livre constituent une série qui pouvait dans la « galaxie Gutenberg » souvent être lue comme une suite de parfaits synonymes. Toutefois, force est de constater qu’à l’ère du numérique, ils ne sont plus des équivalents exacts, à moins de décider, au mépris de la réalité actuelle, que tout texte est nécessairement fixé et fermé en une oeuvre et que livre a pris comme sens premier son emploi par métonymie, qui lui permet de glisser de son sens concret à un sens intellectuel et abstrait. Plusieurs décennies d’études médiatiques depuis Marshall McLuhan nous ont familiarisés avec l’idée que « le medium est le message ». Le support manuscrit de la littérature médiévale est, dès les fondements de la discipline, ressenti comme un élément saillant du champ d’études qui s’est d’abord construit méthodologiquement avec l’histoire littéraire mais, plus particulièrement, grâce à la philologie. Peut-être les pratiques numériques et les mutations des habitudes de lecture qu’elles entraînent nous ont-elles rendus plus sensibles à la spécificité du livre imprimé et à l’historicité de ce format : il est en tout cas incontestable que les dernières décennies de la recherche médiéviste ont été caractérisées par un regain d’intérêt pour la matérialité du codex médiéval et les spécificités de la textualité qui en découlent. Puisque les notions de texte, d’oeuvre et de livre sont particulièrement sensibles pour les études médiévales, mais qu’elles sont également au coeur des préoccupations des spécialistes de littérature, quel que soit leur corpus d’expertise, il a semblé qu’il s’agissait d’un angle d’étude riche et fédérateur pour aborder la littérature médiévale. Parce que le livre est non seulement un concept plus simple, dans son sens premier, que celui de texte ou d’oeuvre, mais qu’il invoque aussi de manière inévitable la nécessaire matérialité du codex manuscrit, c’est de lui que part ce numéro : penser le livre médiéval implique en effet de réfléchir au texte, à l’oeuvre, mais permet également d’examiner les mécanismes médiévaux de création littéraire, d’interroger la lecture et la réception ancienne des textes, comme de revenir sur nos pratiques méthodologiques. C’est pour cette raison que la formulation « mettre en livre » a été choisie : elle met en valeur un processus actif, caractérisant bien une certaine conception de l’écriture, du savoir et de la littérature, et des choix, ceux de l’auteur médiéval, du copiste, du libraire, de l’imprimeur ou même de l’éditeur moderne. Deux livres feront donc ici l’objet des analyses des différentes contributions : le livre que nous avons conservé, l’objet observable et étudiable, résultat d’un acte de lecture et d’une copie, mais aussi le livre source, réel ou imaginaire, la copie qu’on suit ou détourne, ou encore le livre dont la mémoire, précise ou lointaine, rend possible et vient nourrir la création d’un livre nouveau. Trois avenues auraient pu s’offrir aux travaux du présent volume : une approche sociohistorique ou d’études culturelles réfléchissant aux commanditaires et à la place de l’objet livre dans les pratiques sociales, économiques ou culturelles de l’époque ; une approche aux frontières de l’histoire de l’art interrogeant les rapports entre texte et image ; et enfin une approche restreignant le propos à un objet emblématique, celui de la mise en recueil. Sans évacuer ces problématiques, largement traitées par ailleurs dans les recherches actuelles, nous avons voulu délibérément centrer la réflexion sur des questions liées à la dimension textuelle, mais sans limiter nécessairement nos objets à des recueils. Malgré son titre, l’ambition de …

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