J’ai suivi des cours avec Gilles Marcotte, nous avons travaillé à des projets communs, son bureau était voisin du mien, il nous arrivait de manger ensemble, je l’ai beaucoup lu. Cela finit par constituer un réservoir de souvenirs. « Mauvais sang » est le titre d’un poème de Rimbaud. Gilles Marcotte en faisait, pour ses étudiants de première ou de deuxième année du Département d’études françaises de l’Université de Montréal, une lecture détaillée, imaginative, étonnante. Ils ne s’imaginaient pas alors qu’il était possible de faire dire tant de choses à ces deux petits mots. Certains s’en souviennent encore. On enjoint à quelqu’un de faire quelque chose. Gilles Marcotte m’a corrigé au moins deux fois là-dessus, par écrit. Quand aujourd’hui j’utilise l’expression, cela me revient toujours à l’esprit, même si je dois encore vérifier son usage dans un ouvrage de référence. Quiconque a jamais discuté avec Gilles Marcotte sait qu’il affectionnait la formule « Oui, mais ». Même quand il était d’accord avec vous, il ne l’était jamais complètement. Les discussions avec lui n’étaient jamais simples. Elles pouvaient être dures, voire orageuses, notamment sur des sujets qui le fâchaient (la politique canadienne / québécoise, l’« entropie nationaliste » en littérature, le hockey). Il fallait être prêt et tenir son bout. Une fois fini, c’était fini. Il aimait répéter que Jean Le Moyne, dans ses textes, était rabelaisien. Il ne m’a jamais convaincu. Du temps où il était scout, Gilles Marcotte a été le chef de troupe de Pierre Bourgault. Ils se sont ensuite retrouvés au quotidien La Presse, où le premier avait hérité du sobriquet « Le chanoine ». Il est pourtant difficile d’imaginer deux personnalités plus contrastées : le fédéraliste posé ; le flamboyant tribun indépendantiste qui affirmait vouloir écrire « vite et raide ». En 1990, pour le magazine culturel Spirale, j’ai rendu compte de l’ouvrage Maintenant ou jamais ! de Bourgault. Une amie anti-indépendantiste de Marcotte, journaliste politique de son état, avait été outrée par ma lecture, me raconta-t-il : je n’aurais pas suffisamment dénoncé les positions de Bourgault au sujet du contrôle des médias advenant l’indépendance du Québec, même si je parlais explicitement de « dérapages ». (Je paraphrase ; cela était dit bien plus violemment.) Nous en avions discuté, lui et moi, fort calmement, sans qu’il se range derrière une amie mauvaise lectrice – il en aurait été incapable – contre un adversaire politique – dont il ne partageait pas du tout les positions. Son esprit de contradiction allait jusque-là. Autres temps, autres moeurs. André Belleau a été l’ami de Gilles Marcotte, son étudiant, un collègue (à l’Office national du film, dans le monde universitaire). Pour la revue Europe, en 1969, il signe un article sur « Le cinéma québécois ». Il y louange des films réalisés par des camarades et auxquels il a participé à divers titres… sans le dire. Marcotte n’hésitait jamais à écrire sur des livres de ses amis ou de ses collègues proches, « au mépris de toutes les règles qui gouvernent l’objectivité journalistique » (Le Devoir, 19 mai 2001, p. D1). Il n’y voyait pas plus de problème éthique que Belleau. Trois fois, il a parlé d’un de mes livres. Je le reconnais : j’ai alors eu du mal à y voir un problème éthique. « Je sais que je suis un imbécile. Je n’aime pas qu’on me le dise. » « Un machin inépuisable, c’est ça la littérature. » On parlait sport avec lui. Il a écrit sur les Expos de Montréal – c’est du baseball. Quand, en 1983, la revue Liberté a publié un …
Envois
Instantanés[Notice]
- Benoît Melançon
Diffusion numérique : 19 avril 2017
Un document de la revue Études françaises
Volume 53, numéro 1, 2017, p. 147–152
Présences de Gilles Marcotte
Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2017