« Mademoiselle ! Je serai mort ! ! » On était en décembre 1987. Assis à son bureau du Pavillon Lionel-Groulx, rue Jean-Brillant, Gilles Marcotte avait un formulaire à remplir. Il était mon directeur de thèse, j’étais son treizième doctorant et le comité venait d’approuver mon sujet. À sa question, « Qu’est-ce que je mets comme date de fin ? », j’avais répondu, « Je pense qu’on a droit à huit ans, non ? » Son exclamation m’a inspiré un calcul rapide. Une année pour chacun des trois chapitres, une autre pour la conclusion et l’introduction… Dans quatre ans ! — D’accord. Je mets 1991. Une année, un chapitre, car l’automne suivant, j’allais retourner dans le Far Ouest reprendre un poste exigeant où j’enseignais six cours de French pendant vingt-huit ou vingt-neuf semaines, une éternité quoi, à des étudiants majoritairement anglophones. Dans le Far Ouest, on vit en anglais. Pour les francophiles qui sont professeurs, il y a toujours l’espoir qu’à force de tant enseigner en français, on maintienne sa maîtrise de la langue. En 1984, c’était ce que je croyais. Depuis huit ans, je passais chaque été au Québec ou en France. Lorsque j’ai décidé de retourner aux études faire mon doctorat, je n’ai pas hésité à faire une demande au Département d’études françaises à l’Université de Montréal. Le Secteur de l’admission de la Faculté des études supérieures de l’Université de Montréal m’a envoyé une lettre confirmant mon admission et je croyais qu’il ne me restait plus qu’à m’installer à Montréal, suivre des séminaires, écrire une thèse. Mais le jour où j’ai annoncé au chef de mon département que j’allais prendre un congé sabbatique en 1985-1986, j’ai reçu une autre lettre : le Département d’études françaises refusait ma candidature. A-t-on justifié la décision ? Je ne sais plus, car je constate que si j’ai tendance à tout garder, mes dossiers ne portent aucune trace de la seconde lettre. Sans doute parce qu’elle m’a déchirée pour de bon et que sa conservation matérielle n’était nullement nécessaire. Mon dossier ayant été accepté aux autres universités québécoises où j’avais fait une demande, j’en étais à décider entre l’UQAM et McGill University lorsqu’une petite voix me dit de téléphoner au Département d’études françaises de l’Université de Montréal. Le prof qui a pris mon appel a accepté de dialoguer avec moi. — Votre dossier est un peu embêtant pour nous… — […] — Voilà, c’est que vous proposez un projet de recherche en littérature québécoise et l’un des profs spécialistes du domaine a conclu après avoir lu votre dossier que vous ne sauriez écrire une thèse. — ? ! ? — C’est un professeur très respecté, alors voyez-vous… — … Monsieur, j’aimerais pouvoir au moins essayer… Si, au bout d’un an, je n’ai pas amélioré mon écriture ni acquis les connaissances requises, je me retirerai du programme. Si vous, vous acceptiez d’être mon directeur de recherche ?… Uniquement sur papier, je veux dire… je promets de ne pas vous demander de me diriger si jamais je reste dans le programme… Avant de raccrocher, mon interlocuteur a acquiescé en me conseillant de ne pas suivre de cours avec ledit très-respecté professeur. Il s’appelait Gilles Marcotte. À la mi-avril, j’habitais Montréal et jusqu’à la fin de décembre 1985, je me suis inscrite à des cours d’écriture, à un séminaire de littérature et, à titre d’auditrice libre, à deux, sinon trois cours de littérature. Parmi les séminaires éligibles au programme et offerts pendant la session d’hiver, l’un en particulier me paraissait indispensable à mon parcours : le FRA 6600, qui portait sur le roman québécois des années …