Volume 53, numéro 1, 2017 Présences de Gilles Marcotte Sous la direction de Micheline Cambron et Pierre Popovic
Sommaire (17 articles)
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Présentation. Présences de Gilles Marcotte
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L’essayiste discret
Isabelle Daunais
p. 11–22
RésuméFR :
Si l’oeuvre de Gilles Marcotte est reconnue comme celle d’un critique majeur de la littérature québécoise, elle est beaucoup moins souvent lue comme celle d’un essayiste. Il est vrai que cette oeuvre ne correspond pas tout à fait aux critères par lesquels l’essai est généralement identifié, et qui tiennent à la position de distinction ou de distance de l’essayiste face au monde. Gilles Marcotte écrit au contraire depuis la conscience forte d’une communauté – une communauté qui inclut les vivants et les morts, les lecteurs ordinaires –, sans laquelle il ne saurait y avoir pour lui ni art ni littérature. Par cette position au sein du monde, il pratique une forme plus discrète d’essai, mais aussi, à bien des égards, plus singulière.
EN :
Although much praised as literary criticism, Gilles Marcotte’s writings are seldom read as literary essays. It is true that they do not quite correspond to the criteria generally used to define the essay as a form, i.e., the distanced position from which the essayist looks at the world. Instead Gilles Marcotte writes from a strong sense of community—a community of the living and the dead, of common readers—without which for him art and literature could not exist. This position from within makes for a more discreet form of essay, but also, in many respects, for a more singular one.
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L’étrangeté de la poésie
François Dumont
p. 23–41
RésuméFR :
Dans son oeuvre critique, Gilles Marcotte revient constamment sur la question de l’étrangeté de la poésie. À la suite d’un débat sur l’identité canadienne-française, au début des années 1950, il fait l’éloge de l’hermétisme en poésie pour promouvoir une nécessaire ouverture à ce qui dépasse les définitions. Dans Une littérature qui se fait, son premier livre de critique, paru en 1962, l’étrangeté prend la forme d’une aliénation et le motif de « l’exil » permet d’esquisser une histoire en cours de la littérature canadienne-française. Cette description est développée, en 1969, dans Le temps des poètes, qui porte surtout sur la poésie publiée par les Éditions de l’Hexagone, maison dont Marcotte suit de près l’évolution à partir de sa fondation en 1953. L’« aventure » de l’Hexagone témoigne selon Marcotte d’un affranchissement de l’aliénation par la parole. Sous cet angle, l’étrangeté de la poésie paraît désigner ce qui doit être combattu. Or Marcotte retrouve rapidement sa perspective de départ en valorisant ce qui échappe aux réponses : il fait valoir la part négative de la modernité poétique, qu’il étudie plus particulièrement, d’un point de vue sociocritique, chez Rimbaud, et à laquelle il rattache notamment l’oeuvre romanesque de Réjean Ducharme. Marcotte revient souvent sur la figure de Saint-Denys Garneau, d’Une littérature qui se fait jusqu’à son dernier livre, La littérature est inutile, paru en 2009. L’une des questions que soulève la poésie de Garneau est celle de la distinction entre l’étrangeté poétique et le mystère religieux. Se penchant sur l’oeuvre de plusieurs autres poètes, Marcotte refuse de quitter le terrain littéraire et fait du principe de contradiction le lieu d’une étrangeté essentielle qu’il s’agirait de préserver.
EN :
In his critical work, Gilles Marcotte constantly returns to the question of the strangeness of poetry. Following a debate on the French-Canadian identity in the early 1950s, he lauded obscureness in poetry as sparking the necessary openness that goes beyond definitions. In Une littérature qui se fait, his first book of criticism published in 1962, strangeness takes the form of alienation and the “exile” motif makes it possible to sketch out a history through French-Canadian literature. This approach was developed in 1969 in Le temps des poètes, focusing mainly on poetry published by Éditions de l’Hexagone, the publishing house whose evolution Marcotte followed closely from the time of its founding in 1953. Marcotte saw the Hexagone adventure as a freeing from alienation through words. From this perspective, the strangeness of poetry seems to signal what must be confronted. Marcotte quickly found his point of departure in acknowledging that which eludes answers: recognizing the negative aspect of poetic modernity presented from his socio-critical point of view, with Rimbaud, and particularly exemplified in the novels of Réjean Ducharme. Marcotte returned often to the figure of Saint-Denys Garneau, to Une littérature qui se fait up to his last book, La littérature est inutile, published in 2009. One of the questions raised by Garneau’s poetry is the distinction between poetic strangeness and the religious mystery. In examining the work of several other poets, Marcotte refused to leave the literary terrain and the contradiction principle would assert an essential strangeness worth preserving.
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Gilles Marcotte, lecteur du xixe siècle québécois
Marie-Andrée Beaudet
p. 43–57
RésuméFR :
Gilles Marcotte fut l’un des plus fidèles et des plus exigeants compagnons de route de la littérature québécoise de la seconde moitié du xxe siècle, mais il s’intéressa également et très tôt à l’histoire de cette jeune littérature et se pencha à maintes reprises, non cependant sans d’importantes réserves, sur la production littéraire du siècle précédent, réserves que le temps et de nombreuses relectures vont contribuer non pas à lever entièrement mais à fortement atténuer. C’est un dix-neuvième siècle fait de pauvreté et d’ambitions littéraires que nous nous proposons d’évoquer, celui de Gilles Marcotte, celui qu’il donne à lire, compose et recompose à partir de quelques figures-phares, notamment celles d’Octave Crémazie et de François-Xavier Garneau.
EN :
Gilles Marcotte was one of the most loyal and demanding travel companions of Québec literature of the second half of the 20th century, but he also, and very early on, focused his interest on the history of this young literature. He frequently explored the literary production of the previous century, though not without considerable reservations, reservations that eased significantly upon numerous re-readings and the passage of time. Gilles Marcotte’s 19th century was one of poverty and literary ambitions offered up to be read, to write or rewrite, based on several notable figures such as Octave Crémazie and François-Xavier Garneau.
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Gilles Marcotte, Montréaliste
Micheline Cambron
p. 59–73
RésuméFR :
Cet article s’attache aux divers sens et usages liés dans oeuvre de Gilles Marcotte à Montréal comme lieu polymorphe, à la fois thème et structure, temps et espace. Proche en cela de la notion d’« espace habité » de Michel de Certeau, l’idée selon laquelle on écrit et lit différemment selon les lieux est déjà présente dans La littérature et le reste et réunit les essais du volume Écrire à Montréal. Dans l’oeuvre de Marcotte, ville et écriture se rejoignent dans une commune ouverture aux possibles, dans la pluralité et le mélange, et la radicalité du partage du sens qu’ils induisent. En témoigne le rôle heuristique de Montréal qui apparaît dans Le roman à l’imparfait tandis que d’autres textes de Marcotte, notamment sa contribution à Montréal imaginaire, montrent que le désordre montréalais trouve plutôt à loger dans les oeuvres faiblement légitimées de la littérature populaire ; mystères urbains, récits journalistiques, romans obscurs. Les villes, dans l’oeuvre essayistique, critique et fictionnelle de Gilles Marcotte, n’ont pas la fermeté ontologique qu’une conception réaliste tendrait à leur attribuer, elles relèvent plutôt du mouvement de l’esprit qui les fait advenir dans l’ordre du discours et sont indissociables du projet intellectuel qu’elles manifestent. Ce faisant Gilles Marcotte rend la ville habitable.
EN :
This article looks at the various related meanings and usages in Gilles Marcotte’s writings about Montréal as a many faceted place, at once theme and structure, time and space. Much like Michel de Certeau’s notion of “espace habité” (“inhabited space”), the idea that we write and read differently depending on the place is already present in La littérature et le reste and brings together the essays of the volume Écrire à Montréal. In Marcotte’s work, city and writing join in a common openness to what’s possible, in the multiplicity and the mix, and the radicality of sharing the meaning they induce. Montreal exemplifies the heuristic role that appears in Le roman à l’imparfait while other Marcotte texts, notably his contributions to Montréal imaginaire, show that Montreal’s disorder appears in some scantly legitimate popular literature: urban mysteries, journalistic accounts, obscure novels. Cities, in Marcotte’s essayistic, critical and fictional work, do not have the ontological assurance that a realist conception would tend to accord them. They flow instead from the movement of the mind that places them in the discourse, undifferentiated from the intellectual aspect they manifest. Thus does Gilles Marcotte make the city “habitable.”
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La passion du banal
Michel Biron
p. 75–89
RésuméFR :
Les fictions de Gilles Marcotte n’ont pas la notoriété de ses essais, mais elles constituent une part essentielle de son oeuvre. Leur originalité est double : d’un côté, elles ont en commun de mettre en scène des personnages de peu d’ambition portés par « la passion du banal ». D’un autre côté, ces romans et ces nouvelles prennent toutes sortes de liberté à l’égard des conventions réalistes, rejoignant par là le goût de l’inachevé, du discontinu et de l’indéterminé que Gilles Marcotte a associé, dans ses essais, au « roman à l’imparfait ». L’élégance et la précision qui caractérisent l’écriture de l’essayiste se manifestent tout autant à travers les ruses du romancier, qui ne cesse de casser l’image trop commode, trop simple que nous aimons avoir des autres ou de nous-mêmes. Il casse ainsi sa propre image, et c’est possiblement cette liberté de mêler les genres, de ne pas être là où on l’attend, de s’étonner soi-même, qui donne à ses fictions une forme de nécessité.
EN :
Gilles Marcotte’s fictional works are less known than his essays but they make up an essential part of his works. Their originality is twofold: on the one hand, they have in common the presentation of characters with little ambition who are supported by “a passion for the commonplace.” On the other hand, the novels and short stories take all sorts of liberties with respect to realistic conventions and they display a penchant for the unfinished, the discontinuous and the indefinite that Gilles Marcotte in his essays associated with the “roman à l’imparfait.” The elegance and precision that characterize the essayist’s writing appear quite as much through the tricks of the novelist who constantly shatters the too conveniently simplistic image we like to have about ourselves and others. He thus breaks up his own image, and it is this freedom to mix styles, to confound expectations, and to surprise oneself that gives a form of necessity to his fictional works.
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M. Marcotte, Gilles, la sociocritique, l’École de Montréal, le CRIST, et pour suivre…
Pierre Popovic
p. 91–105
RésuméFR :
Unissant le théorique et le souvenir, cet article relie la pensée de Gilles Marcotte à des traits de sa personnalité. Il met en évidence les qualités d’un professeur qui va directement aux mots et enseigne à « lire vraiment un texte » ; l’originalité d’un critique pour qui l’écrivain voit le monde sous l’angle dynamique de la lecture ; l’acuité d’un homme de culture qui inscrit toujours la création littéraire, celle des autres autant que la sienne, dans une durée de laquelle elle est traversée mais à laquelle elle donne sens ; la passion d’un lecteur boulimique pour des oeuvres qu’il aime avec une empathie mêlée d’exigence ; la rigueur bienveillante du directeur de thèse ; l’art d’une conversation qui ne néglige jamais l’humour. Il souligne ensuite son apport décisif à la sociocritique, son aval à la reconnaissance de « L’École de Montréal » et son appui à la fondation du CRIST (Centre de recherche interuniversitaire de sociocritique des textes).
EN :
Uniting theory and memory, this article links Gilles Marcotte’s thinking to his personality traits. It shows the qualities of a professor who goes directly to words and teaches to “truly read a text.” The originality of a critic whereby the writer sees the world from the dynamic perspective of reading; the acuity of a man of culture who always puts the literary creation, both his own and others, into the passage of time but wherein it gathers meaning; the passion of a bulimic reader for works he appreciates with empathy and demand; the benevolent demand of the thesis director; the art of conversation that never neglects humour. His decisive contribution to the socio-critical is emphasized, his striving for recognition of the “École de Montréal” and his support to the CRIST foundation (Centre de recherche interuniversitaire de sociocritique des textes).