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La variété des lieux où se produisent les Abdigradationnistes, actifs sur la scène musicale montréalaise depuis 1995, donne d’emblée un aperçu de l’aspect inhabituel de leur proposition artistique : le Festival international de Poésie de Trois-Rivières, le Festival Juste pour Rire, une soirée hommage au parti Rhinocéros, de même que le Festival de Musique émergente de Rouyn-Noranda, pour ne nommer que quelques-uns de ces endroits. Comme ils le racontent eux-mêmes dans leur « Biographie officielle », les deux membres fondateurs du groupe présentent leurs spectacles « armés de costumes chatoyants et de musiques préfabriquées soutenant des textes dadaïstes[1] », et des rythmes programmés au synthétiseur accompagnent des chansons misant sur l’humour absurde autant que sur les connotations sexuelles outrancières. Cette posture s’est transposée dans le domaine littéraire : le chanteur des Abdigradationnistes, Pascal-Angelo Fioramore, est devenu l’un des principaux artisans des soirées-cabaret de l’Empire Rodrigol. Ces soirées de performances poétiques ont elles-mêmes mené à la fondation des Éditions Rodrigol en 2003 par Pascal Fioramore, Claudine Vachon et André Racette. Depuis, la maison d’édition publie deux ou trois titres par année, en accordant toujours une place de choix à la poésie[2].

Quelque chose, de prime abord, ne fait pas très sérieux dans la démarche de la maison d’édition Rodrigol, de son site Internet qui mise sur des dessins rudimentaires et des couleurs vives[3], aux sujets de ses nombreux collectifs – les chats, les sports, la campagne, les Monster Trucks. En cela, elle reste fidèle à l’esprit des Abdigradationnistes. Dans un entretien accordé à la revue Spirale en 2007, André Racette a insisté sur cette dimension en affirmant que sans s’opposer à un mouvement précis,

on se méfie de la prétention et du snobisme. Dans les premières soirées de poésie auxquelles on a assisté, ce qui nous frappait, c’est qu’il y avait tellement de mauvais lecteurs qui prenaient au sérieux leurs mauvais textes. C’est un peu de là que provient notre ironie : d’une volonté de ne pas trop se prendre au sérieux, de ne pas être prétentieux et, finalement, ennuyants. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne fait pas ce qu’on fait sérieusement et qu’on ne veut pas être pertinents[4].

En plus de souligner la place de l’humour au sein de la maison, les déclarations de Racette mettent à l’avant-plan l’importance de la performance aux yeux des éditeurs de Rodrigol. Divers exemples confirment que cet aspect n’a pas été abandonné avec les années. Fioramore et Vachon lancent en 2014 « Projet domiciliaire », duo de faux agents immobiliers qui se livrent à des pastiches d’analyses en multipliant les contorsions physiques. De même, Sébastien Dulude, avec Chambres (2014), poursuit une réflexion sur la transposition de la poésie-performance en livre. Le grand nombre de collectifs publiés par la maison, souvent sur des thèmes à connotations humoristiques[5], trouve aussi une explication dans les liens amicaux qui se développent au fil des performances poétiques, généralement présentées devant une communauté restreinte d’auteurs, de critiques et d’admirateurs qui se connaissent et se reconnaissent d’un événement à l’autre[6].

Racette annonçait en conclusion de son intervention le désir qu’ont les éditeurs de travailler avec sérieux et d’« être pertinents » malgré le caractère loufoque ou parodique de certains volets de leur production. Cette volonté est perceptible dans un entretien réalisé en 2015 par Marie-Paule Grimaldi, auteure de Lames Crépuscules (Rodrigol, 2014), avec Claudine Vachon, également publié dans Spirale. La perspective de l’éditrice sur la maison est davantage axée sur la démarche créatrice de ceux qui s’y inscrivent, présentée sans que la dérision ou la volonté de réagir aux oeuvres des autres acteurs du milieu littéraire ne soient évoqués. Tout en reprenant les propos d’André Racette, ceux de Vachon montrent qu’un changement est survenu. L’affirmation de la liberté de la maison domine le discours. La littérature qui s’y écrit est d’abord présentée comme « underground […], constituée d’un essaim de singularités, d’émancipations distinctes et diversifiées[7] ». Le terme d’« émancipation » employé par Grimaldi, terme aux connotations fortement politiques, est renforcé par celui de « samizdat[8] », utilisé par Vachon pour décrire le mode idéal de distribution et de circulation des textes. L’éloignement des structures de pouvoir, incarnées par les subventions (qu’ils ne sollicitent pas) et les chaînes de distribution traditionnelles, est vu comme une nécessité, tandis que les réseaux de proximité et les rencontres avec lecteurs, éditeurs et auteurs dans les foires du livre sont valorisés.

L’esprit punk est revendiqué par Vachon, qui explique que la position de la maison s’inspire « des démarches anarchistes qui trouvent les moyens matériels, financiers et humains de créer du sens dans la société actuelle[9] ». Malgré l’absence d’une même maquette pour générer une unité visuelle entre les ouvrages, ceux-ci possèdent un air de parenté qui révèle une conception relativement précise de l’objet-livre chez les éditeurs, non loin du do it yourself. En effet, l’esthétique générale de Rodrigol est proche de celle du fanzine, les dessins au crayon qui les caractérisent rappelant la bande dessinée. Plutôt que de viser l’harmonie et l’uniformité entre les différentes publications de leur catalogue, les éditeurs cherchent surtout à créer une cohérence entre le propos d’un livre et son apparence. Certains ouvrages ont d’ailleurs des formats inusités : le livre de Sébastien B. Gagnon, Disgust and Revolt Poems Mostly Written in English by an indépendantiste (2012), a la forme et l’apparence d’un passeport canadien, et le livre Monstres spectaculaires (2011) est rempli de publicités vintage d’automobiles. De surcroît, le tirage de plusieurs de ces ouvrages (Préado de Catherine Simard, Métaphores conflictuelles de Katakanbian, les Monstres spectaculaires) ne dépasse pas les deux cents exemplaires, ce qui participe de cette conception artisanale du livre, circulant de personne à personne à la façon des samizdats évoqués par Vachon. Leurs oeuvres sont offertes dans relativement peu de librairies, en raison de leur distribution indépendante[10], et sont de surcroît généralement ignorées des lieux de réception critique traditionnels[11]. Les fondateurs de Rodrigol évoluent en marge du champ littéraire et insistent dans leurs discours sur l’adéquation entre libération des contraintes et liberté de création[12].

Les propos de Racette et de Vachon mettent en lumière deux aspects différents, quoique complémentaires, de Rodrigol. Le récit caustique de Racette sur la fondation de la maison insiste sur la nécessité de bousculer une vie littéraire plombée par la prétention et la complaisance. La place que prennent les thèmes banals ou la culture populaire au sein de Rodrigol se donne à lire comme une manière de jouer des frontières entre des sujets jugés « littéraires » et d’autres qui ne le sont pas. Vachon, de son côté, reprend le vocabulaire de l’avant-garde et du politique en présentant la maison comme un réseau de résistance où sont élaborés de nouveaux rapports au langage et aux formes. Nous chercherons à déterminer comment ces deux propositions s’incarnent dans les textes, au-delà des énoncés d’intention, tout en observant comment se situent ces pratiques par rapport à d’autres maisons d’édition (Le Quartanier, Ta Mère, Héliotrope, Moult Éditions), avec lesquelles Rodrigol partage souvent des affinités, en plus de publier parfois les mêmes auteurs. En cela, Rodrigol constitue le coeur de notre analyse, mais aussi le point de départ d’une réflexion sur une conception de la littérature à la fois formaliste et populaire dans ses références et ses thèmes. Dans un premier temps, nous nous arrêterons sur trois oeuvres aux tons et aux partis pris esthétiques très diversifiés parmi les publications que compte le catalogue Rodrigol : Je suis Sébastien Chevalier[13] de Patrice Lessard, À l’oral ou à l’oreille[14] de Claudine Vachon et Chaos = zéro mort, encore, 1,2,3[15] de Franz Schürch. Nous verrons ensuite comment les prises de position esthétiques dégagées s’inscrivent dans le champ littéraire québécois, par rapport à des « moments antérieurs » de cette littérature (ti-pop, contre-culture, formalisme), et par rapport à des oeuvres et des auteurs contemporains d’autres maisons d’édition qui ont des affinités avec ces positions.

De Nabokov à David LaHaye

Le roman est un genre presque complètement délaissé par les Éditions Rodrigol, exception faite de Chéris (2009) d’Alexandre Laferrière. Si la poésie occupe une place de choix dans leurs publications, elle n’a toutefois pas le monopole, puisque les recueils de nouvelles, signés par une ou plusieurs plumes, sont nombreux dans le catalogue de la maison. Ces recueils, comme les Contes du travail alimentaire (2011) de Guillaume van Roberge ou les collectifs thématiques portant sur le sport, les chats ou les voitures modifiées, explorent le plus souvent les possibilités de contraintes prédéfinies ou d’un sujet précis. Je suis Sébastien Chevalier de Patrice Lessard, paru en 2009, s’inscrit dans cette lignée. Il s’agit d’un recueil de courtes fictions portant sur les thèmes de l’identité et de l’art, qui sont hantées par un certain nombre de figures récurrentes : l’acteur David Lahaye, Nadia, dessinatrice et peintre dont les images traversent le livre, un scientifique polonais qui se consacre à l’étude de la formation rocheuse des Beskides de Haute-Silésie, ainsi que Patrice Lessard lui-même.

Le rôle et l’importance de la métafiction américaine dans la construction du recueil sont révélés par le titre, rappel et hommage à La vraie vie de Sébastian Knight de Vladimir Nabokov, un des textes canoniques de ce mouvement. Tout se produit au deuxième degré dans le monde de Je suis Sébastien Chevalier. La diégèse est constamment mise à distance par la narration, qui fait affleurer partout l’ironie et le soupçon. Parenthèses et guillemets pullulent : les précisions fournies au lecteur dans des didascalies ou des apartés, de même que l’égrènement de ouï-dire ou de citations frappent par leur fréquence, tantôt pour montrer comment les clichés s’infiltrent dans la vie des personnages, tantôt pour créer l’impression que leur vie quotidienne se déroule devant public. Ainsi, dans la première nouvelle, « Je suis Patrice Lessard », le narrateur – parfois Patrice Lessard, parfois un narrateur omniscient – raconte sur un ton survolté sa lecture d’un article consacré au réalisateur André Turpin :

Lire son article de la revue Séquences lui prenait beaucoup plus de temps que d’habitude, André Turpin commençait même à l’ennuyer un peu, alors que, pourtant, il aimait André Turpin (« J’aime André Turpin ! »), il n’y avait pas à discuter. Et tout à coup je me rends compte, plus de café ! J’ai presque fait le saut !

Rires (faibles). JS, 8

Ce passage, où la faiblesse des rires est précisée dans une didascalie et où le monologue intérieur ne fait que réitérer sans plus-value ce que le lecteur vient d’apprendre, n’est pas unique. L’écriture de Lessard exhibe de manière constante les codes narratifs dont elle se joue et qu’elle met à distance.

De même, la nouvelle « Origine du monde » se présente comme un « extrait d’un roman intitulé Le cul de la serveuse à la lumière du jour, dans lequel on suit un jeune intellectuel du Plateau Mont-Royal dans ses angoisses professionnelles et amoureuses » (JS, 141), thèmes par ailleurs très proches de ceux des nouvelles précédentes. Or cet extrait est composé de lambeaux de phrases, interrompues par un commentaire entre crochets et en italique qui explique les ellipses et les éléments manquants, non seulement en référant au reste du roman (auquel le lecteur n’a pas accès), mais en découpant aussi dans le texte les passages jugés moins réussis ou ennuyeux. Comme dans Pale Fire de Nabokov, le commentaire prend presque autant d’ampleur que l’extrait qu’il est appelé à clarifier :

Cette fois, cependant, il ne pouvait fuir. [Précisons que la veille, il s’était enfui de façon mystérieuse ; la suite du roman ne donne malheureusement aucune explication quant à cet incident.]… ils arrivèrent au bar le Menteur où la suffisance du portier lui donna du courage… choisirent une table isolée, dans un coin. [Cette phrase était vraiment très longue].

JS, 141

Le commentaire et l’extrait sont placés sur le même plan, l’un et l’autre occupant un espace similaire, et leur pertinence respective est minée par ce procédé. En effet, l’extrait est si souvent interrompu par l’autorité éditoriale qui s’insère entre ses phrases qu’il en devient pratiquement illisible. À ce titre, les précisions fournies, parcellaires et embrouillées, ne peuvent qu’être insuffisantes ou inutiles pour le lecteur déterminé à comprendre les enjeux du roman. Les commentaires exposent de surcroît les failles stylistiques, comme pour dissuader le lecteur de s’aventurer dans le roman, pourtant écrit sur un ton exclamatif proche de celui que Lessard adopte lui-même dans des nouvelles précédentes.

De plus, l’importance des jeux de focalisation et des retournements narratifs contribue à dissoudre les identités pour le moins précaires des personnages. Dans la nouvelle « Je suis Patrice Lessard », Patrice Lessard est convaincu d’apercevoir David Lahaye attablé au café et décide d’entamer la conversation avec lui – or non seulement il ne s’agit pas de David Lahaye, mais Patrice Lessard réalise aussi que son interlocuteur n’a aucune ressemblance physique avec le comédien. La nouvelle se termine sur une révélation plus spectaculaire encore : Patrice Lessard comprend qu’il n’est pas Patrice Lessard. Toutefois, ces jeux formels, plutôt que d’ouvrir des abîmes métaphysiques comme chez Nabokov, se situent du côté d’une inquiétante étrangeté aussi ridicule que déstabilisante. Ce ridicule est causé en grande partie par la tension entre art et culture populaire qui traverse le recueil et tue dans l’oeuf toute grandiloquence. Cette tension se perçoit d’abord dans la langue, alors qu’au détour d’une phrase, le passé simple employé par la narration est cassé par l’inclusion soudaine, et non justifiée, d’un syntagme en langue familière : « Qu’est-ce qu’elle câlisse là ? me dis-je, abasourdi » (JS, 18). Par ailleurs, de nombreux autres comédiens, dont la fonction est presque toujours comique, apparaissent aussi au fil des textes. Tandis que David Lahaye est décrit comme un être intrusif et ennuyeux qui embête une jeune artiste pour lui parler de la production cinématographique dans laquelle on peut le voir à l’affiche – le film Nouvelle-France, dont il est dit par le Lahaye fictif de Lessard que « le scénario n’est pas terrible » (JS, 73) – un homme attablé au restaurant avec une ancienne flamme ne peut s’empêcher de spéculer sur l’orientation sexuelle du comédien Stéphane Crête, au détriment de ses propres amours. Ce traitement parodique des vedettes québécoises et de leurs admirateurs ne signifie pas que les représentants de la haute culture soient épargnés. Diverses figures d’artistes liés à la culture classique défilent tout au long des nouvelles, eux aussi cyniques et futiles. Ainsi, le journal d’un certain « P. », qui s’est isolé du monde pour se consacrer à la rédaction d’une monographie sur le compositeur Purcell, déraille de plus en plus, comme en témoigne la présence croissante de jeux de mots douteux – Didon et Énée devenant par exemple « Dindon et et Nez » (JS, 53) – et de réflexions sur la diffusion d’Astérix et Cléopâtre à Ciné-Cadeau.

Seule une figure échappe à ce traitement parodique des artistes et écrivains, celle de la dessinatrice Nadia, présente dans plusieurs nouvelles. Celle-ci semble épargnée parce qu’elle n’appartient pas au champ artistique ; elle dessine pour elle-même, vendant tout au plus quelques oeuvres sur un pont de Paris dans une des nouvelles (« Je suis [peut-être] Natasha »), mais ne cherchant aucune reconnaissance de ses pairs. Surtout, quand elle le peut, Nadia détruit ses oeuvres au fur et à mesure de leur création : « son oeuvre n’avait pour elle aucune valeur si elle ne passait pas par la destruction » (JS, 137). La pureté de l’acte créateur de Nadia et son absence d’ego la préservent de la tentation de se mettre en scène, risque associé à la fréquentation du monde artistique, qui ne peut mener qu’à l’inauthenticité et à la médiocrité. Au final, dans l’univers de Lessard, le refus de participer aux luttes de champ prévient mieux que tout autre moyen la réduction de l’art en une industrie culturelle, tout comme il permet de se prémunir contre un isolement amer et stérile dans la culture élitiste. Pour Lessard, qui ne va pas jusqu’à brûler son oeuvre comme le fait son héroïne, l’exhibition des poncifs du monde culturel constitue la meilleure façon de montrer qu’il ne saurait y adhérer pleinement.

Relectures d’une performance

Malgré des différences considérables dans les choix esthétiques des deux auteurs, un rapport à l’art semblable est perceptible dans le recueil de poésie de Claudine Vachon, À l’oral ou à l’oreille, publié en 2007. La volonté de faire du texte un laboratoire formel s’allie à une mise à distance de la culture élitiste. Le livre est constitué de textes lus lors de différentes soirées de poésie. Le recueil offre une version annotée d’un texte présenté lors d’une de ces soirées, version qui répertorie, en italique, toutes les impressions de l’auteure au fil de la lecture des différents vers, dans le but de faire vivre au lecteur « un brin de l’expérience de la performance, c’est-à-dire le moment présent de la lecture d’un texte » (AL, 8). Les ratages, réussites et doutes de l’auteure sont exposés, de même que des indications sur le ton ou la posture à adopter pour livrer certains passages, comme le montre cet exemple tiré du poème « Delirium » :

Un jour nous avons parié 20 $ sur celui qui se calerait un litre de vinaigre de cornichon… ça rit-tu ? Ça a fini avec un gagnant qui n’a pas bien filé le reste de la soirée. ça rit On a bien rigolé de sa mine de vinaigre. Il s’est bourré dans le pain j’me r’pogne le ventre pour faire passer le liquide et il n’a pas été malade. j’m’arrête là pis j’m’d’mande si ç’a pogné.

AL, 15

Les indications sont rédigées dans le même registre vernaculaire que le texte et s’intègrent au corps du poème, en le teintant toutefois de leur propre rythme. Ce parti pris pour la langue orale, mis en évidence par le titre du recueil et présent dans les poèmes comme dans les didascalies, participe de la logique de convivialité et de proximité installée dès la préface. L’auteure insiste en effet d’entrée de jeu sur l’accessibilité de ses écrits, précaution qui peut être interprétée autant comme une remarque quelque peu ironique sur la marginalité de la poésie, réputée d’accès difficile, que comme une manière d’inviter le lecteur à partager la conception qu’en a Vachon. Celle-ci mise sur l’humour, le prosaïsme et les jeux de langage plutôt que sur le lyrisme ou sur la recherche d’images poétiques : « Inutile de se le cacher, ce recueil est facile. […] Autrement dit, il ne s’y trouve ni lourdeur ni longueur, que de la légèreté. Ça s’dit, ça s’comprend, ça parle » (AL, 7). Ainsi la place accordée à l’humour dans le poème « Les joies de la maternité » déconstruit les évocations mièvres de la procréation et de ses répercussions sur le corps pour mettre de l’avant les malheurs ordinaires de la grossesse : « Hormones de la splendeur/ Le teint rose-rayonnant/ L’acné de grossesse » (AL, 22). Ce poème, composé de cinq tercets, en vers irréguliers mais tous relativement brefs, est l’un des rares qui se distancie d’une poésie narrative et prosaïque pour épouser une forme plus classique, organisant les vers en strophes bien délimitées. Toutefois, l’adoption d’une formule poétique traditionnelle paraît surtout utilisée pour accentuer l’effet des chutes des tercets, insistant chaque fois sur une dégradation du corps différente, souvent sur un ton familier qui rompt avec la langue soutenue des deux vers précédents.

Les différents textes commentés sont aussi reproduits sans les indications qui les interrompaient et en devenaient partie intégrante. Ils apparaissent donc deux fois dans le recueil, commentés et non commentés. Plusieurs de ces poèmes sont centrés sur les répétitions d’un syntagme ou sur des variations autour de sonorités voisines, jeux d’assonance et d’allitération comme « ÇA ça m’énerve/ Ceux qui rient pis qui catchent pas/ Catches-tu que tu catches pas c’que j’te dis ? Capitch ?/ Ça m’énerve ceux qui s’énervent pas/ Ceux qui m’écoutent pas » (AL, 36). La simplicité des mots employés, voire leur pauvreté, de même que le défilement redondant des expressions figées construisent une posture énonciative proche de l’idiotie, alors que la parole tourne autour de monomanies linguistiques semblables au babil d’un enfant qui prendrait plaisir à s’étourdir des mêmes sons. L’auteure creuse un petit pan de la langue qu’elle épuise à force de le travailler, ce que les répétitions viennent expliciter.

Le recueil est divisé en plusieurs « soirées », qui forment des sections distinctes. Chaque fois, l’auteure énumère les lieux réels de ces lectures ; on trouve ainsi mentionnés, aux côtés du Café Solovox ou du Festival Voix d’Amérique, lieux habituels des lectures de poésie à Montréal, d’autres endroits où la présence de la poésie est inattendue comme le Salon de l’Auto ou le Stade olympique. Ces indications ont certes une portée humoristique, mais elles rappellent aussi la conception qu’a Vachon de la poésie comme un spectacle ou une performance, qui a été centrale aux cabarets de l’Empire Rodrigol. En effet, la mention du Stade olympique, lieu de performances sportives et de spectacles à grand déploiement, de même que celle du Salon de l’Auto, où l’on admire et compare les capacités de différents véhicules, transforment l’acte de lecture, dont Vachon exhibe les difficultés, de même que les ajustements et précautions qui sont requis pour qu’un vers atteigne sa cible, en une sorte de prouesse technique. Le choix du Stade olympique, aussi démesuré qu’il soit, ne rompt que partiellement avec la modestie revendiquée par Vachon ; le Stade olympique et le Salon de l’Auto sont deux espaces voués à la culture populaire, où circule le plus grand nombre, et c’est là que Vachon entend introduire la lecture poétique.

Construire le sens, malgré la banalité

Les oeuvres de Claudine Vachon et celles de Franz Schürch donnent un aperçu de l’écart important entre certaines portions du catalogue poétique de Rodrigol, éloignées tant par la langue employée que par la posture énonciative adoptée. Aucune trace d’oralité n’est présente dans l’écriture de Schürch, pas plus que l’humour ou les références à la culture populaire. Le travail de Franz Schürch se construit à partir d’un système de règles rigoureux et la méthode développée est à la base de quatre recueils, publiés dans quatre maisons d’édition différentes, autour du projet « Essaims » : Rien d’autre (L’Oie de Cravan, 2006), Chaos = zéro mort, encore, 1,2,3 (Rodrigol, 2007), Et si j’en suis tout retourné (La Pleine Lune, 2008) et Ce qui s’embrasse est confus (Le Quartanier, 2009). Chaque recueil est divisé en quatre parties, chacune étant inspirée par un thème dominant. Dans Chaos = zéro mort, encore, 1,2,3, « toujours », « je », « regarde » et « feu » ne sont finalement que les quatre parties du vers introductif, « toujours je regarde le feu ». Le même principe est au coeur de tous les recueils, seul le vers central diffère d’un livre à l’autre. Ce vers, ainsi qu’il est indiqué d’emblée dans le recueil, doit « essaim[er] à travers chaque développement des quatre thèmes tour à tour dominants » (CZ, 7) et servir de moteur à chacune des parties, point de départ à une exploration du sens structurée autour de répétitions et de variations.

Les vers sont disséminés sur la page, peu nombreux et en apparence indépendants les uns des autres. Ils forment quatre suites poétiques, dans lesquelles les liens entre les différents fragments n’apparaissent souvent qu’en référence aux thèmes à venir ou déjà traités, les mêmes préoccupations traversant les suites pour former un ensemble cohérent. Beaucoup de ces fragments sont écrits sur un mode affirmatif et se présentent comme des aphorismes légèrement décalés, fausses perles de sagesse réduites à l’absurde ou au banal : « Il y a beaucoup de choses carrées » (CZ, 14), ou encore « Il faudrait tous avoir un canapé » (CZ, 14). D’autres vers sont constitués d’énumérations d’objets (« arbre, plastique bleu, sol » ; CZ, 9) ou posent une question dont l’intérêt comme le sens demeurent opaques pour le lecteur, interrogations philosophiques dont la logique semble étrangère au sens commun (« Les choses dont on parle seraient-elles brûlantes ? » ; CZ, 13). Le caractère épars et dispersé de vers qui, pris un à un, renvoient à la mise à plat la plus littérale et ne présentent pas de difficultés interprétatives, accentue pourtant l’aspect énigmatique de ces propositions laconiques.

Parmi ces affirmations, plusieurs attirent l’attention sur les possibilités de l’expression et sur ses difficultés. Dans la première suite poétique, la voix énonciative est ensevelie sous les objets et les phrases toutes faites et, au bord de la disparition, n’apparaît le plus souvent que pour réitérer ses propres doutes sur sa capacité à communiquer et à s’assurer d’une identité solide : « On mange des canapés et des canapés nous mangent/ Et de mots insignifiants en mots retournés l’on s’étouffe » (CZ, 14), « N’est-il pas inutile de nommer des choses lorsque l’on n’a rien à en dire » (CZ, 15), « Lorsqu’on s’entend répéter ses innombrables inepties » (CZ, 19). Cette mise en cause de l’expression est davantage pessimiste que ludique, alors que la précarité du sens, dans des échanges traversés par la banalité, est cause d’angoisse et de malheur. Au fil des suites poétiques, la subjectivité, initialement contenue, fait des irruptions de plus en plus violentes, vacillant entre une résignation morbide à l’absurdité du réel et un sentiment de fragilité identitaire : « Il y a un je dans la tête de beaucoup d’autres dans le monde/ Et c’est finalement moins étonnant/ Que le fait qu’il y en ait un dans la mienne » (CZ, 33). Le « je » qui forme un des quatre thèmes est proche de l’évanouissement, ce que montrait dans un premier temps sa passivité : « Fermé les yeux je resterai assis par terre/ Au milieu de la rue/ En attendant que quelque chose me frappe » (CZ, 28). La télévision, vecteur de visions passivement assimilées, renforce le sentiment de ventriloquie, comme si un écran médiatisait toujours l’accès au réel de la voix énonciatrice : « Oui, oui, oui, il y a des télévisions partout autour de ma tête/ Pleine d’images et de gens et de choses » (CZ, 41).

La tentation de l’incendie, annoncée dès le titre, devient de plus en plus forte au fil des textes, relativement à l’émiettement identitaire et à l’insignifiance langagière qui guettent la voix énonciatrice. Un récit s’installe au fil des vers, qui perdent alors leur aspect fragmenté, décousu, et où le « je » va jusqu’à nommer des voies à emprunter pour sortir de l’impasse. Il réitère à maintes reprises les possibilités de renouvellement qu’offre le feu, au prix d’une destruction salutaire : « Il faut brûler tous ceux qui ne comprennent pas qu’il faut toujours/ Dévorer les moulins/ Et le monde enflammé/ Consumé et fertile » (CZ, 73). La conclusion, qui survient peu après des descriptions de corps partiellement brûlés par les flammes, proclame néanmoins la nécessité de ne pas fuir ce péril : « Et j’allumerai des feux partout/ Pour y voir clair encore/ Oui » (CZ, 75). La clarté affirmative de ces derniers vers permet de mesurer la distance parcourue depuis la première suite poétique, faite de syntagmes décousus, comme si la langue était parvenue, au moins pour un temps, à repousser l’insignifiance qui la menaçait.

La possibilité du formalisme

Les règles précises qui encadrent la création des vers, de même que l’intérêt porté à la construction du sens, toujours fragile, rapprochent la démarche de Frank Schürch du formalisme des années 1970 : la prépondérance du travail plutôt que de l’inspiration, la matérialité du langage travaillé plutôt que sa fonction communicative ou sa charge émotive, la facture des ouvrages, perçus comme des actes, des événements ou des performances[16]. De plus, les partis pris esthétiques de Schürch trouvent des échos ailleurs dans le catalogue Rodrigol ; malgré ces différences importantes, le projet de Vachon constituait aussi une façon de rapprocher le livre de la performance et d’insister sur les effets du langage, ainsi qu’une manière de remettre en question le statut du poète et de sa parole[17].

Le segment de l’Histoire de la littérature québécoise (2007) traitant de la postérité des avant-gardes dans la littérature contemporaine avance que la précarisation actuelle de la scène poétique québécoise laisse peu de chances à un courant formaliste de réellement éclore dans un contexte de minorisation aussi grande. Sans disparaître de la scène littéraire, les audaces formelles et exploratoires des avant-gardes ne susciteraient plus de véritables débats esthétiques[18]. Toutefois, malgré la précarisation évoquée, on constate la survivance de cette volonté exploratoire et l’intérêt que conservent dans le discours des écrivains eux-mêmes des termes associés à des époques antérieures de la littérature québécoise, réactualisés pour être appliqués à des projets contemporains, notamment autour de Rodrigol. Ainsi, Mathieu Arsenault affirme, dans une défense de l’Empire Rodrigol parue dans un numéro de Spirale consacré aux nouveaux conflits générationnels, que

les médias comme les individus n’attendent […] rien d’autre qu’une avant-garde, mais cette avant-garde devrait apparaître épurée dans son projet dès le départ, clairement énoncée et conséquente. Et personne ne prend le temps d’explorer les virtualités de ce qui est de toute évidence raté mais complètement hors-normes[19].

Rodrigol, à ses yeux, est engagé dans une telle démarche. De même, dans un numéro de Liberté consacré en 2013 à l’héritage de la contre-culture, Jonathan Lamy désigne Rodrigol comme digne représentant de l’esprit de la contre-culture dans la littérature contemporaine. Il insiste du même souffle sur la valeur d’une telle posture, même si, selon l’opinion courante, « on ne pourrait plus être fou sans avoir l’air de mimer une autre époque, révolue, désuète, de poser un geste anachronique, bref d’incarner une caricature de la contre-culture[20] ».

Il va sans dire que la notion d’avant-garde est historiquement polémique et complexe, tout comme celle de contre-culture. L’existence ou la possibilité d’une avant-garde, depuis la fin des avant-gardes historiques, ne fait pas consensus[21]. Le terme renvoie surtout, dans l’essai d’Arsenault, à une recherche radicale de nouvelles formes et de nouvelles manières de dire, axée sur le refus de toute compromission avec l’industrie culturelle. De même, les caractéristiques prêtées à la contre-culture littéraire ne s’appliquent pas toutes avec le même bonheur aux livres publiés par Rodrigol. Si l’on retrouve sans trop de mal parmi les principes dominants « la nécessité d’effectuer un travail sur le langage[22] », la « volonté d’échapper aux institutions[23] » et la valorisation du banal et de l’anecdotique comme des « qualités permettant à l’écriture d’atteindre une vérité tangible, une authenticité[24] », on y lit moins facilement « l’espérance de l’avènement d’un temps nouveau », accompagnée de visions inquiètes et pessimistes nées d’un sentiment d’inadéquation au monde[25], suivant la lecture que fait Frédéric Rondeau de la contre-culture littéraire. La dimension utopique du projet paraît négligeable[26]. Les références à l’avant-garde ou à la contre-culture, qui sont néanmoins loin d’être anecdotiques, signalent le désir d’un retour à une conception du champ littéraire où de véritables débats esthétiques et de véritables explorations formelles seraient possibles. Si la contre-culture n’est plus, son existence témoignait jadis du dynamisme du champ littéraire, et en cela elle constitue une sorte de fantasme[27].

La question des avant-gardes et de la contre-culture mène à celle du politique. Deux ouvrages publiés chez Rodrigol le placent ouvertement au coeur de leur projet, le recueil Disgust and Revolt Poems Mostly Written in English by an indépendantiste (2012) et le collectif Politique. Textes délibérés (2012). Au-delà de ces usages explicites de termes politiques, relativement rares hors des deux titres évoqués, cet aspect occupe une place pour le moins floue dans les textes. La portée contestataire des oeuvres vient surtout de leur travail de détournement des discours et de leur critique de la fonction de l’art dans la société actuelle, deux éléments présents dans plusieurs oeuvres du catalogue, dont les trois que nous avons analysées. À l’attitude anti-institutionnelle valorisée par Racette et par Vachon répondent par exemple les descriptions acerbes des prétentions artistiques d’écrivains et de comédiens dans Je suis Sébastien Chevalier. Le recours à la métafiction est une façon de montrer par l’accumulation tous les poncifs et les lieux communs qui plombent et figent le milieu culturel. En même temps, ces lieux communs forment le point de départ d’une exploration formaliste des possibilités créatrices qu’offrent ces discours, ressassés et réutilisés d’une nouvelle à l’autre. De même, l’imperfection assumée d’un recueil comme À l’oral ou l’oreille, où les textes sont présentés comme des expérimentations précaires sur l’art de la performance, sabote toute idée de grandeur en misant sur un humour et une autodérision qui mettent à mal le lyrisme.

Le retour du niaiseux

Comme le signalent la présence obsédante de David Lahaye dans Je suis Sébastien Chevalier et les références au Stade olympique dans À l’oral ou à l’oreille, la singularité des éditions Rodrigol émerge aussi de leur rapport particulier à la culture populaire. Si celle-ci sert à des détournements ironiques, elle n’est pas uniquement objet de dérision. La grande place accordée à la banalité, autant dans les lieux communs et objets usuels de Chaos = zéro mort, encore, 1,2,3 que dans les choix des thèmes des recueils, pointe vers des enjeux similaires, entre ironie et désir de jouer avec les frontières du littéraire. En 2011, Alain Farah signait dans Nuit blanche un texte intitulé « Que sont les niaiseux devenus ? ». Il y critiquait la littérature québécoise contemporaine, en déplorant notamment la disparition de la posture « niaiseuse » de Ducharme :

Si le projet de Ducharme est « d’aller loin dans la niaiserie », c’est qu’il s’agit de la seule posture que peut adopter l’écrivain qui vit cruellement l’arbitraire du monde et des langues, surtout dans un temps qui valorise une littérature de maîtrise, faite par des gens intelligents, qui cherchent à dire des choses très importantes[28].

La niaiserie qu’appelle de ses voeux Farah, aussi sollicitée dans un rapport de nostalgie des années 1960 et 1970, nous paraît proche de la posture éditoriale de Rodrigol et, à travers elle, d’un pan du champ littéraire québécois en effervescence depuis les années 2000 et en particulier depuis 2005[29]. Pour préciser le sens de cette « niaiserie », le « ti-pop » que décrit Pierre Nepveu dans L’écologie du réel, en reprenant le terme créé par l’écrivain Pierre Maheu, constitue une référence intéressante. Le ti-pop réfère à une tradition « grotesque » de la littérature québécoise, que Nepveu décrit comme « l’établissement d’un langage hybride, instable, expressionniste, qui subvertit l’académisme, le ton noble ou lyrique », quelque chose comme « la théâtralisation d’une québécitude de bas étage, plus ou moins niaiseuse[30] ».

Certes, le ti-pop, comme parodie de rituel et liturgie dégradée, s’inscrivait dans le contexte littéraire de son époque[31], et réagissait au sérieux du discours lyrique d’une certaine poésie du pays. Néanmoins, plusieurs des traits énoncés sont aisément perceptibles dans des oeuvres du catalogue, et rejoignent aussi la posture anti-institutionnelle évoquée plus tôt. Le ridicule, le fragile et le banal sont utilisés comme moyens d’une rupture avec une scène littéraire jugée trop conservatrice. L’importance des références à la culture populaire qui caractérise plusieurs des publications de Rodrigol indique aussi une conscience de la minorisation de la littérature parmi de nombreuses autres formes d’art et de pratiques, allant du cinéma à la télévision en passant par les publicités et les jeux vidéo. Ces faisceaux de discours ne sont pas tous considérés négativement par les auteurs. Ils forment un ensemble de références et des lieux d’investigation, à la façon des thèmes aussi divers que les sports ou la campagne dignes de faire l’objet de recueils collectifs. Ils participent de l’imaginaire commun des auteurs, comme les références populaires, et leur intégration dans la littérature est une manière d’actualiser les écritures contemporaines pour qu’elles puissent véritablement rendre compte du réel.

Ce mélange de « niaiseux » et d’exploration formelle n’est pas unique à Rodrigol. Il est aisé de trouver des échos entre le travail de Rodrigol et celui de la Conspiration dépressionniste, autre regroupement qui se moque des discours qui constituent l’air du temps politique, artistique et social, tout comme les éditions de Ta Mère, dont le nom même s’inscrit dans la logique « niaiseuse » et qui a aussi multiplié les productions à plusieurs mains (Les cicatrisés de Saint-Sauvignac, Le collectif de Ta Mère, Maison de vieux). Les éditions Rodrigol partagent quelques auteurs avec Le Quartanier – Frank Schürch, Marc-Antoine K. Phaneuf et Mathieu Arsenault notamment – et il est permis d’en déduire que les deux maisons se rejoignent autour d’une conception relativement similaire de la fonction de la littérature, comme trouble-fête et lieu de travail sur les possibilités du langage. La mobilité des auteurs entre quelques maisons d’édition, outre Le Quartanier – Patrice Lessard publie chez Héliotrope, Schürch dans plusieurs petites maisons d’édition –, indique que Rodrigol n’est pas seul à être animé d’une volonté de jouer de la chose littéraire et de ses codes. Cette porosité révèle toutefois aussi que les auteurs qui publient chez Rodrigol, bien qu’ils soient également associés à d’autres maisons d’édition, y retrouvent peut-être la liberté que les fondateurs exigeaient pour y mettre en place des projets atypiques, même si la maison ne leur procure pas la même visibilité que d’autres lieux de publication. Le formalisme et le populaire cohabitent sereinement parce qu’ils reflètent tous deux le désir des auteurs de Rodrigol d’investir les marges de la littérature. La présence d’une communauté littéraire vivante autour de la maison – perceptible dans les collectifs et les performances – assure à ces essais une communauté de réception qui, quoique restreinte, permet la circulation des oeuvres, à la manière des samizdats évoqués par Vachon.