Volume 51, numéro 2, 2015 Toucher des yeux. Nouvelles poétiques de l’ekphrasis Sous la direction de Ginette Michaud
Sommaire (14 articles)
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Présentation. Ekphraser
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Ekphrasis
Jean-Luc Nancy
p. 25–35
RésuméFR :
Cette suite de fragments constitue autant d’approches de l’image (tableau, dessin, photographie) et du rapport entre voir et dire qu’elle suscite. Tout en proposant une définition précise de l’ekphrasis qui ne se réduit ni au commentaire, ni à l’analyse, ni à l’évaluation, mais se présente comme « parole issue de l’oeuvre », l’auteur la met ici à l’oeuvre en se tenant au plus près de chaque image et tente de « répondre » à ce qui se donne à voir au premier regard dans l’image, chaque fois de facture et de teneur diverses. Dans la coda, la notion d’exphansis est mise en regard de celle d’ekphrasis, retournant ainsi encore le rapport du texte et de l’image en opérant le passage de l’écriture de l’image à l’image de la pensée.
EN :
This series of fragments embodies as many ways of approaching the image (painting, drawing, photography) and the relationship it arouses between seeing and saying. In offering a precise definition of ekphrasis that neither commentary, analysis nor evaluation can exhaust—indeed, it is described as “words coming from the work”—, the author brings it into play by writing as closely to the image as possible and by attempting to “respond” to whatever is perceived in the image at first glance, each and every time and regardless of its craft or content. In the coda, the notion of ekphansis is looked at in relation to that of ekphrasis, thus subverting the relationship between text and image once again, as well as performing a shift from the writing of images to the image of thought.
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Lettre à Adel Abdessemed
Hélène Cixous
p. 37–45
RésuméFR :
Dans cette lettre adressée à l’artiste Adel Abdessemed qui accompagne une suite de dessins à la pierre noire intitulée Mon Enfant et une sculpture (« Untiltled ») offrant une version saisissante du motif du double sacrifice d’Abraham/Isaac, Hélène Cixous médite sur la puissance de l’art et de l’écriture, saluant en eux ce qui coupe le souffle quand ils captent dans l’acte, dans « l’instant arrêté », « le Sans Parole », le « Moment incompréhensible » qu’aucune phrase, aucun discours, ne peuvent « commenter, expliquer, affirmer ».
EN :
In this letter addressed to the artist Adel Abdessemed which accompanies a serie of his drawings entitled Mon Enfant and a sculpture (“Untitled”) offering a striking interpretation of the motif of Abraham/Isaac’s double sacrifice, Hélène Cixous meditates on the power of art and writing, saluting in them what leaves one breathless when they catch in the act, in the “frozen instant,” the “Speechless,” the “incomprehensible Moment” that no sentence, no discourse can “comment, explain, affirm.”
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Aperçues (fragments d’un journal)
Georges Didi-Huberman
p. 47–67
RésuméFR :
Dans ces notes prélevées de ses carnets qui s’échelonnent sur dix ans, Georges Didi-Huberman interroge la fragilité et la résistance entêtante de l’image, ce qui s’ouvre en elle et appelle le regard, à la limite de la perception et du sensible : détails insolites, approches et distances équivoques, signes continus et discontinus, déposition à l’oeuvre dans la composition même, cadrage et regard tranché, carnation et couleurs qui sont le réel sujet du tableau, chien rejeté dans l’ombre, juste devant nous, et que personne ne voit, ou encore ce fil rouge que, grâce à Vermeer, nous n’oublierons jamais. L’ekphrasis répond alors à ces choses aperçues, à peine visibles ou au contraire rendues visibles par l’image, juste « assez étranges pour êtres vues et interrogées ». Le langage qui entre en résonance avec elles n’est plus discours ni expression, mais « sortie du discours hors de lui-même en vue de décrire quelque chose qui semblait d’abord impossible à exprimer » – extases de phrases.
EN :
Drawn from Georges Didi-Huberman’s notebooks over a period of ten years, these entries ponder the image’s stubborn resistance and fragility, that which opens up within it, calling for a gaze at the very limits of perception and sensibility: odd details, equivocal distances and approaches, continuous and discontinuous signs, a deposition at work in the composition itself, framings and bold stares, carnations and colours that turn out to be the painting’s true subject, an overshadowed dog in the foreground, unseen, a red thread made unforgettable by Vermeer. Ekphrasis responds to these glimpses, barely visible or conversely made visible by the image, just “strange enough to be seen and inquired into.” The language that resonates with them is no longer a form of discourse or expression but a “way out of discourse itself in order to describe something that seemed initially impossible to express”—ecstasies of phrasing.
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Riopelle, l’ekphrasis et l’invisibilité
François-Marc Gagnon
p. 69–86
RésuméFR :
Cet article interroge ce qu’il advient de l’ekphrasis quand les peintres, comme c’est le cas de ceux qui furent influencés par l’automatisme, nient toute intention au départ de l’oeuvre, laquelle se trouve ainsi non préconçue. En introduisant le hasard et un facteur d’invisibilité (grâce à l’usage exclusif de la spatule pour peindre), Riopelle met pour ainsi dire l’ekphrasis en échec. N’obéissant à aucun programme iconographique préalable, l’oeuvre s’affirme par ses seules qualités plastiques.
EN :
This article inquires into what happens to ekphrasis when painters altogether negate the intentionality that lies at the origin of their works, which can thus be described as unpreconceived. Such is the case with painters influenced by Automatism. For instance, by introducing elements of chance (“hasard”) and invisibility (i.e. through his exclusive use of the painting knife), Riopelle challenges the very process of ekphrasis. Since the work of art no longer submits itself to a previously defined iconographic program, it displays itself only through its own plastic qualities.
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X paragraphes sur les relais culturels de la représentation-monde
Joana Masó
p. 87–100
RésuméFR :
En abordant le problème de la représentation chez les écrivains, penseurs et artistes français du xxe siècle, cet article cherche à prendre ses distances à l’égard des lectures qui ont pensé l’ekphrasis dans les études interartistiques en termes d’impérialisme du langage et de colonisation linguistique. On étudie dans cet essai différentes scènes consacrées à la peinture et à l’image dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust et La carte postale de Jacques Derrida afin d’y explorer ce que Derrida a pensé comme l’hyper-responsabilité de l’écrivain dans le monde de représentations et la culture dont nous héritons.
EN :
This paper focuses on the problem of representation in twentieth-century French literature, thought and art. Diverging from interpretations that tackle the use of ekphrasis in interart studies strictly in terms of the linguistic colonization and imperialism of language, this essay examines different scenes devoted to painting and image in Marcel Proust’s À la recherche du temps perdu and Jacques Derrida’s La carte postale, so as to explore how their discursive strategies are intertwined, on the contrary, with what Derrida has called the writer’s hyperresponsability in our inherited world of representations and culture.
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« Images pour que notre main s’émeuve » : regard, écriture et survivance chez Georges Didi-Huberman
Isabelle Décarie
p. 101–118
RésuméFR :
Depuis plus de trente ans, l’historien de l’art et philosophe Georges Didi-Huberman s’attache à exposer les conditions d’apparition de l’image et son rapport de plus en plus problématique, « en crise », dirait-il, à la représentation classique. Il s’agit dans cet article d’analyser la façon originale avec laquelle Didi-Huberman regarde une oeuvre d’art, depuis un angle toujours décalé qu’il emprunte à la psychanalyse et tout particulièrement à l’interprétation des rêves. Entre association d’idées et vision « voyante », concentration et attention flottante, l’approche de Didi-Huberman saisit au vol (comme la phalène auquel il fait souvent référence) ce que les historiens positivistes de l’art n’aperçoivent pas toujours dans une oeuvre. Se rapprochant en ce sens de Jacques Derrida qui, se tenant toujours aux abords de l’art, fait voir tout autre chose dans les « dessous » des oeuvres, Didi-Huberman convertit dès lors, par une attention sensible portée à l’écriture, le trouble qui lui vient quand il regarde par exemple un pan de matière brute de peinture dans une toile de Vermeer ou une souche carbonisée. En empruntant la langue des poètes, il cisèle son écriture d’allitérations, donnant ainsi une cadence sonore à son style qui se démarque de celui sans « papillonnage » de ses contemporains. Entre écriture et histoire, poésie et discours, les essais toujours inventifs de Didi-Huberman possèdent une qualité singulière où certaines questions entourant l’enfance, comme dans plusieurs textes de Derrida, semblent insister pour émouvoir le regard et l’écriture.
EN :
Over the last thirty years, art historian and philosopher Georges Didi-Huberman has been exploring the conditions of appearance of the image and its complicated relationship (“in crisis”) with the classical notion of representation. In this article, we discuss the original ways in which Didi-Huberman looks at a work of art from an unconventional angle, a perspective he borrows from psychoanalysis and more specifically from the interpretation of dreams. Between associations of ideas and a “seeing” vision, concentration and an evenly suspended attention, Didi-Huberman’s approach catches (much like the moth he often refers to) what positivist art historians don’t always see in a work of art. Like Derrida, always standing at the edge of art and showing us something different, Didi-Huberman converts, by paying careful attention to writing, the disturbance he feels when he sees a patch of pure paint in a painting by Vermeer or a burnt wood stump. Borrowing the language of poets, he chisels his writing by means of alliterations, giving a rhythm to his style that stands out among his contemporaries. Between writing and history, poetry and discourse, Didi-Huberman’s inventive essays have a singular quality in which certain questions regarding childhood, recalling some of Derrida’s writings, seem to persist and change how one looks and writes.
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Passages d’innocence : la différence photographique dans l’oeuvre de Jacques Derrida
Silvana Carotenuto
p. 119–145
RésuméFR :
Cet article présente une lecture d’ensemble des différents textes que le philosophe a consacrés à l’art et à la technique de la photographie, de l’oraison funèbre dédiée à Roland Barthes (1981) à ses derniers textes brefs accompagnant Diaspora. Terres natales de l’exil de Frédéric Brenner (2003). Le texte aborde quelques-uns des motifs liés aux questions de la métonymie, du dé/montage comme dé/limitation de la représentation, de la vérité, des temporalités et espaces du développement, de la célébration et du rituel de l’art photographique. Derrida fait rarement usage de l’ekphrasis aux dépens des photographies qu’il lit ; il écrit plutôt la « graphie de la lumière », avec sa référentialité complexe, ses retours spectraux, à travers des effets et des affects déconstruits, à l’intérieur des demeures fragiles et vulnérables qu’elle illumine : telle est la différence de l’interprétation derridienne des images et de la vision.
EN :
The present article offers a broad reading of Derrida’s various writings on photographic art and technique, from the funeral oration he dedicated to Roland Barthes (1981) to the late, short essays that accompany Frédéric Brenner’s Diaspora. Terres natales de l’exil (2003). This essay tackles motifs related to matters of metonymy, of “dé/montage” as a de/limitation of representation, of truth, of the temporalities and spaces of development, and of the celebration and the ritual of photographic art. Derrida rarely makes use of ekphrasis at the expense of the photographs he is reading; rather, he writes in a “script of light,” with its complex referentiality and spectral returns, through deconstructive effects and affects, from within the fragile and vulnerable dwellings it illuminates: it is what sets apart Derrida’s interpretation of images and vision.
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De l’iconographie : Jean-Luc Nancy et la question de l’image
Federico Ferrari
p. 147–162
RésuméFR :
Cet article s’intéresse au rapport entre l’écriture et l’image, mieux : à la possibilité même d’une iconographie. Jean-Luc Nancy a, à notre époque, montré cette possibilité à l’oeuvre. C’est donc à sa pensée sur l’image qu’est consacré ce texte. Chaque penseur est une occasion de penser : il n’y a rien à « reconstruire », aucune théorie à clarifier, à expliquer ou à illustrer, mais plutôt la nécessité de réactiver une pensée, de lui rendre toutes ses potentialités inexprimées, ou seulement exprimées selon une tonalité déterminée, selon les cordes d’une voix particulière. L’oeuvre de Jean-Luc Nancy, et encore davantage la partie de son corpus dédiée à l’image, n’échappe pas à cette règle. On relira donc ses oeuvres consacrées à l’image à la lumière de la pensée iconologique de Panofsky et de l’histoire de l’art afin d’esquisser la possibilité d’une iconographie considérée comme pensée figurative et ontologie de l’image : une pratique iconographique capable de s’exposer à la question même de la pensée, de demander compte de ce que signifie penser, penser par images et à travers les images.
EN :
The present article explores the relationship between writing and the image or, better yet: the very possibility of iconography. In our time, Jean-Luc Nancy has shown this possibility at work. Thus, this essay deals with his thoughts on the image. Each thinker embodies an opportunity of thought: there is nothing to “reconstruct,” no theory to clarify, explain or illustrate. Instead, we must reactivate thinking, recover its unexpressed potentiality or at the very least those potentialities expressed merely in terms of a determined totality, in terms of a specific voice’s chords. Jean-Luc Nancy’s work—especially the part of its “body” devoted to the image—does not depart from this rule. We therefore reread his writings on the image in light of art history and Panofsky’s iconological thought in order to outline the possibility of iconography as figurative thinking, as an ontology of the image: a practice of iconography capable of exposing itself to the very question of thought and of calling to account the meaning of thinking— thinking by means of images and through images.
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Gloss (à partir de quelques photos d’Ann Hamilton)
Philip Armstrong
p. 163–174
RésuméFR :
À travers une lecture attentive de la série Face to Face d’Ann Hamilton – des photographies prises en exposant une pellicule photosensible posée dans la bouche de l’artiste – et suivant la réflexion de Jean-Luc Nancy sur la bouche dans Ego sum, ce texte traite de la relation entre « la matière photographique » et la question de l’ekphrasis. En prêtant attention aux manières dont la photographie vient au jour à travers les conditions de son énonciation, Face to Face déplace l’agencement temporel traditionnel de l’ekphrasis, où la représentation verbale tente de saisir la représentation visuelle. Ces photographies font plutôt passer au premier plan les conditions performatives de l’écriture ekphrastique, en déplaçant l’accent mis sur la description vers des questions d’exposition, de glossolalie et de parole.
EN :
Through a close reading of Ann Hamilton’s Face to Face serie of photographs—photographs that were made by exposing light-sensitive film in the artist’s mouth—and following Jean-Luc Nancy’s references to the mouth in Ego Sum, the essay addresses the relation between “la matière photographique” and the question of ekphrasis. Attentive to the ways in which the photograph comes into being through the conditions of its enunciation, the Face to Face serie displaces the traditional temporal ordering of all ekphrasis, in which the verbal representation seeks to capture the visual representation. Instead, the photographs foreground the performative conditions of ekphrastic writing, opening emphasis on description toward questions of exposure, glossolalia, and speech.
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« Par-dessus le marché » : Derrida et la performativité de l’ekphrasis
Jean-Michel Rabaté
p. 175–194
RésuméFR :
Partant de l’expression « par-dessus le marché », telle que Derrida l’utilise dans une conversation avec l’artiste coréenne Soun-Gui Kim au sujet des apories et paradoxes créés par notre marché mondial de l’art, j’examine la logique de cette expression idiomatique qui fonctionne comme un performatif ekphrastique, posant à la fois l’excès et son excès. Ceci se relie au silence qui accompagne le dévoilement de la vérité dans et par l’art. Soun-Gui Kim interprète ce silence en termes bouddhistes proches de son travail avec John Cage. J’évoque alors la dialectique du silence et de la musique chez Cage avant de rouvrir le débat entre Derrida et Paul de Man au sujet de la musique et de la voix chez Jean-Jacques Rousseau.
EN :
Starting from the French idiom of “par-dessus le marché” that Derrida uses in a conversation with the artist Soun-Gui Kim when discussing the aporias and paradoxes generated by the globalized market of art, I examine how this idiom functions in a performative and ekphrastic way: it asserts both excess and the excess of excess, which calls up the silence that accompanies the unfolding of Truth in art. Since Soun-Gui Kim interprets this silence in Buddhist terms close to her work with John Cage, I then sketch the Cagean dialectic of silence and music before reopening the debate between Derrida and Paul de Man about Rousseau’s conception of music as a system of temporal signs.
Envois
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L’ekphrasis à contretemps
Ginette Michaud et Tristan Rodriguez
p. 197–205
RésuméFR :
À travers l’ekphrasis d’un tableau de Rembrandt, Autoportrait en Zeuxis, une rencontre énigmatique a lieu, à contretemps, ou à retardement, entre ce tableau et une photographie de Jacques Derrida prise par Raymond Depardon en juin 2004. La ressemblance troublante levée par l’autoportrait de Rembrandt, particulièrement dans la version révélée par les rayons X, interroge autant la portée du regard de Derrida (aura-t-il « survu » cette image au moment de la prise photographique ?) que l’effet de la survie inscrite dans le sourire indécidable dont le philosophe aura fait ses « derniers mots ». Énigme du palimpseste qui se joue ici entre le peintre et le philosophe, sans négliger l’intercession d’un tiers, passeur déterminant dans cette scène, Jean Genet.
EN :
Through the ekphrasis of a painting by Rembrandt, Self-portrait as Zeuxis laughing, an enigmatic encounter occurs—unexpectedly or belatedly—between this painting and a photograph of Jacques Derrida taken by Raymond Depardon in June 2004. The uncanny resemblance impelled by Rembrandt’s self-portrait, especially in the version that was revealed via X-rays, questions the scope of Derrida’s gaze (had he “overseen” this image when the snapshot was taken?) as well as the effect of survival embedded into the philosopher’s undecidable smile, deemed to be his “last words.” Here, then, is the enigma of a palimpsest that plays itself out between the painter and the philosopher, not to mention the intercession of a decisive third party, Jean Genet.
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Quand H. C. essaie de s’excuser…
Hélène Cixous
p. 207–212
RésuméFR :
Dans cette lettre écrite sur le vif, Hélène Cixous note quelques traits télégraphiques au sujet de l’ekphrasis, de ce que cette figure signifie pour elle tant dans sa pratique d’écriture que dans sa lecture des oeuvres d’art, que celles-ci soient littéraires ou picturales. L’art « appelle », dit-elle, à l’interprétation (musicale), il a « besoin d’être traduit dans son autre langue ». En art comme en littérature, l’oeuvre est « muette », « flot de paroles autour d’un certain silence ». Cixous évoque ainsi l’essentiel du regard, de l’échange entre « Regarder être regardé » qui se produit en elle : « Quand je regarde je suis absorbée, adoptée par le tableau », « je ne vois que là où ça me ressemble (je ne le découvre qu’après) ».
EN :
In this impromptu letter, Hélène Cixous points out some of ekphrasis’s telegraphic features—its significance as a trope in her own writing as well as in her readings of various artworks, whether literary or painterly. Art, she argues, “calls” for (musical) interpretation; it “is to be translated in another, in its other language.” Artistically as well as literarily, the work is “mum”; it is a “flow of words around a given silence.” Cixous also alludes to the gaze’s essence, its exchange between “seeing and being seen” whenever it occurs within her: “When I look at the painting, I am absorbed, adopted by it,” “I cannot see unless it resembles me (I only discover it afterwards).”
Exercice de lecture
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Une jouissance anachronique : sur le gain de la culpabilité dans HHhH de Laurent Binet
Marie-Andrée Morache
p. 215–232
RésuméFR :
Le livre de Laurent Binet, retraçant les événements entourant l’assassinat de Reinhard Heydrich, se distingue d’autres oeuvres contemporaines traitant des crimes de masse par la posture coupable de son énonciation. En effet, la reconstitution du fait historique chez Binet est marquée à la fois par la jubilation et le scrupule, la jouissance du narrateur (liée, entre autres, à son identification à la figure du résistant) étant inévitablement accompagnée de la possibilité d’une faute, d’un péché d’écriture. Cette écriture qui se doit de continuer mais qui se sait en train de trahir éloigne Binet des auteurs de sa génération et le rapproche des écrivains survivants des camps, et surtout, de leurs héritiers. De plus, le scrupule du narrateur semble se nourrir du fantasme d’agir sur le réel, et même sur un réel passé : le gain de la culpabilité comporte non seulement une croyance en l’agentivité de la littérature mais en sa transcendance. Si le narrateur peut se charger du poids d’une faute envers les morts, c’est parce que, dans cet espace qu’il aménage au fantasme au sein de la reconstitution historique, on suppose à l’écrit le pouvoir d’atteindre les morts : le narrateur se doit d’être prudent dans sa mise en récit, car aux victimes de la guerre et de la Shoah, il peut encore arriver quelque chose. Cette analyse d’HHhH démontre que le parti pris de la jouissance du texte ne s’oppose pas nécessairement à la visée éthique de la représentation du fait historique : au contraire, ce texte n’est jamais aussi éthique que lorsqu’il fantasme.
EN :
Laurent Binet’s book, which recounts the events surrounding the assassination of Reinhard Heydrich, differs from other contemporary works dealing with mass crimes by the undercurrent of guilt in its telling. Indeed, Binet’s reconstruction of historical fact is marked by a lightness of tone along with qualms of conscience. The narrator’s cheeriness, due among other things to his identifying with the figure of the résistant, inevitably risks error, a mortifying mistake. While the writing must continue in this vein, there is a sense of betrayal that distances Binet from authors of his generation and brings him closer to those writers who survived the camps, and especially their heirs. Moreover, the narrator’s scruples seem spurred by the fantasy of acting on reality, and even on a past reality: integrating guilt not only involves a belief in the agency of literature but in its transcendence. If the narrator can assume the burden of error towards the dead, it’s because he has created a space for fantasy within the historical reconstruction. The writing has power to reach the dead, but the narrator must be cautious in presenting the story since something could still happen to the victims of the war and Holocaust. This analysis of HHhH shows that a jubilant standpoint does not necessarily negate the ethical purpose in the representation of historical fact. On the contrary, this text is at its most ethical in its very fantasizing.