Résumés
Résumé
Cette étude propose de revenir sur la représentation aux États-Unis des Nègres, pièce anti-impérialiste de Jean Genet, à deux moments historiques très différents : les années 1960, marquées par le mouvement noir américain des droits civiques, et les années 2000, « post-raciales » selon certains. Elle s’attache à évaluer la synergie de la pièce avec son contexte racialisé de performance à chacun de ces deux moments historiques. En m’appuyant sur une lecture de sa préface de 1956-1957, restée longtemps inédite, je soutiens que, paradoxalement, c’est la représentation de la pièce en 2003 par le Harlem Classical Theatre qui joue le plus habilement sur son contexte social afin d’atteindre l’objectif de Genet de « blesser » le spectateur blanc. Il semble en effet que si Les Nègres n’a pas su atteindre le spectateur blanc new-yorkais des années 1960 autant que Genet l’aurait souhaité, c’est parce qu’alors le mouvement des droits civiques mettait justement sous le feu des projecteurs la violence de la suprématie blanche et l’injustice de l’inégalité raciale aux États-Unis. Au contraire, en 2003, la mise en scène de Christopher McElroen est parvenue à jouer sur de surprenants échos entre le Paris de la fin de l’époque impérialiste et les États-Unis prétendument « post-raciaux » de la première décennie du xxie siècle et, ainsi, à perpétrer l’agression symbolique à laquelle Genet vouait sa pièce.
Abstract
This article examines how Jean Genet’s play The Blacks was received in the United States during two very different periods in its racial history: the Civil Rights era of the 1960s, and the “post-racial” 2000s as it is sometimes called. It seeks to evaluate the play’s synergy in terms of its radicalized performance at each of these historical moments. Based on a reading of his long unpublished 1956-1957 preface, I argue that, paradoxically, it is the 2003 Harlem Classical Theater production that best plays on its social context in order to achieve Genet’s objective of “wounding” the white spectator. If The Blacks failed to rattle the white New York spectator of the 1960s, it is because the Civil Rights Movement had already put the spotlight on the violence of white supremacy and the racial injustices and inequities in the U.S. However, by playing on the surprising similarities between Paris during the twilight years of the French Empire and the supposedly “post-racial” contemporary America, Christopher McElroen’s 2003 production deftly depicts Genet’s symbolic aggression aimed at white spectators.