L’histoire de la revue offre un prisme intéressant pour observer cet aspect de notre histoire intellectuelle et culturelle. À travers les cinquante volumes de la revue publiés entre février 1965 et décembre 2014 se lit la relation complexe (et aujourd’hui apparemment décomplexée) que le Québec entretient avec la France. S’y trouve aussi la position singulière qu’a affirmée la revue Études françaises à l’égard de la critique littéraire et de l’histoire de la littérature (en cela aussi liée aux positions du Département où tous ses directeurs ont été professeurs), se distinguant dans le monde des revues savantes et de l’enseignement supérieur tout en contribuant à la construction d’un corpus « national » et à l’invention de la littérature québécoise comme objet et comme discipline. Dès son troisième volume, la revue fait une place importante aux créateurs et aux poètes (avec un texte de Léopold Sédar Senghor et des poèmes de Fernand Ouellette), position affirmée dans la formule programmatique de Georges-André Vachon citée plus haut et à laquelle la revue est restée fidèle, notamment à travers le Prix qui porte son nom, attribué depuis 1968 à plusieurs auteurs de première importance et auquel était consacré le numéro double qui ouvrait ce volume jubilaire. Ce dernier numéro du volume cinquante porte à la fois sur l’histoire de la revue, notamment dans le contexte particulier de l’affirmation d’une littérature québécoise, et sur son avenir qui suppose aujourd’hui de penser le rôle et la place d’une revue d’études littéraires consacrée aux cultures d’expression française dans le contexte encore incertain de l’édition numérique. Au dire même de son premier directeur, le titre de la revue n’a pas été trouvé sans difficulté. Il a fait l’objet de discussions animées parmi les membres de son premier comité de rédaction, présidé par René de Chantal et composé de Bernard Beugnot, Nicole Deschamps, Michel Mansuy et Albert Legrand. « Finalement, nous nous sommes mis d’accord sur Étudesfrançaises », écrit son premier directeur trente ans plus tard, « car d’une part, il nous paraissait utile que la revue portât le nom de notre département et d’autre part, la langue française nous semblait le dénominateur commun entre la littérature française et la littérature canadienne-française ». Le titre a cependant d’emblée besoin d’un sous-titre capable de rendre compte de la dualité qui se cache derrière l’adjectif « françaises » : jusqu’en 1974, sur toutes les couvertures de la revue apparaît le sous-titre « Revue des lettres françaises et canadiennes-françaises ». Si, dès sa première livraison, la revue conserve en apparence un certain équilibre entre « la France et nous » (trois articles consacrés à la littérature française, deux à la littérature canadienne-française et neuf pages de chroniques réparties équitablement entre les lettres françaises et canadiennes-françaises), la position de la littérature d’ici reste problématique en regard de celle de là-bas. Cette tension, reprise aux Convergences de Jean Lemoyne, est développée dans l’article de David Hayne sur « Les grandes options de la littérature canadienne-française » où le professeur de l’Université de Toronto insiste sur la position périphérique de la littérature du Canada français en la définissant cinq fois dans l’article comme une « littérature mineure de langue universelle ». Même mineure, la littérature canadienne-française prend une place importante dans les premiers numéros de la revue où elle occupe un peu plus de la moitié de l’espace éditorial, notamment à travers la « Bibliographie des lettres canadiennes-françaises » qu’assure Réginald Hamel dès le premier numéro. Pour ce qui est des articles, les premières années voient aussi un équilibre certain entre les deux littératures, équilibre qui pourrait ressembler à une confrontation tant les autres …