À la fin du xxe siècle, la situation économique à Queen’s Park n’était « guère favorable à l’épanouissement de la littérature […], alors que, il y a vingt ans, presque tout était possible […] », écrit René Dionne (H, 13). Doit-on lire dans les points de suspension de l’auteur une allusion codée à la commission Pépin-Robarts ou, plus largement, aux réactions consécutives au 15 novembre 1976 ? Serait-il possible qu’un événement politique contemporain au Québec ait pu constituer un facteur positif dans la longue marche des Franco-Ontariens ? « Les occasions manquées ne se retrouveront ni demain ni après-demain », prophétise René Dionne. À une exception près, la lecture « demeure à la portée d’un bon nombre », déclare-t-il avec un brin d’optimisme, si l’on considère le nombre des librairies et des bibliothèques « dont la direction se soucie des besoins des Franco-Ontariens » (ibid.). Quelles lectures propose-t-il, et sur quelles bases théoriques, esthétiques, historiques ? On connaissait de bonnes maisons d’édition à Ottawa, Sudbury et Hearst, d’éminents professeurs, historiens et biographes, critiques ou essayistes, quelques robustes dramaturges, romanciers, nouvellistes, chanteurs, poètes, travaillant en français — et travaillant le français — dans les zones bilingues clairsemées de l’Ontario. Jean Éthier-Blais, entre autres, a rendu hommage (et vie) dans son oeuvre à des pionniers dans bien des domaines : conte, folklore, textes anciens, histoire régionale… Voici maintenant que s’avancent, précédant l’avant-garde contemporaine, des siècles et des régiments entiers d’explorateurs, de missionnaires, de commerçants, en attendant la « littérature des fonctionnaires (1865-1910) » et des sénateurs. Deux ou trois autres des sept divisions annoncées par René Dionne dans l’avant-propos de son Histoire sont étonnantes. L’affirmation de l’identité collective (1910-1927) est-elle une période de « succès » ou de lutte défensive, de défaites, de survivance quasi clandestine ? N’y a-t-il pas un triomphalisme déplacé à présenter les tenants de la langue et de la culture (1928-1959), titre vague à souhait, comme « l’âge d’or », classique, de la littérature franco-ontarienne, grâce aux « joyaux » que l’on fait reluire dans les juvénats et les séminaires ? Enfin la littérature des universitaires (1960-1972) est identifiée au fait que les départements de français se développent, « les professeurs publient beaucoup et les étudiants les imitent » (H, 16). N’est-ce pas un peu inquiétant ? On ne saurait assimiler René Dionne, professeur émérite de l’Université d’Ottawa, à ses compatriotes Dan Boudria et Diane Marleau. Sa culture et sa langue sont incomparables à celles de ces deux flambeaux (joyaux) de la francophonie fédérale internationale. C’est peut-être dû au fait que René Dionne a été formé et a vécu la majeure partie de sa vie au Québec. Il s’en souvient, mais il a coupé le cordon ombilical en 1970 pour s’adapter peu à peu, parfaitement bien, à sa nouvelle province d’adoption. Doctor of Letters honoris causa de York University, secrétaire de la Société Charlevoix et rédacteur des Cahiers du même nom à Sudbury (pas à Baie-Saint-Paul), René Dionne est une figure de proue, un navire amiral des nouveaux (et anciens) « pays d’en haut ». Biographe d’Antoine Gérin-Lajoie, bibliographe (avec Pierre Cantin) de la critique littéraire dans les revues canadiennes, auteur et éditeur de divers collectifs, répertoires, fascicules, directeur de la Revue d’histoire littéraire du Québec et du Canada français durant ses huit ans d’existence (1979-1987), René Dionne est un chercheur minutieux et persévérant, un spécialiste du document, un historiographe plutôt qu’un historien ou un critique littéraire. Les deux volumes complémentaires qu’il a publiés témoignent de ses qualités comme de ses limites. Ils sont riches de renseignements et d’enseignements, méthodiquement …
La « rupture tranquille » de la Francophonie littéraire ontarienne[Notice]
Cette note critique, franche discussion avec un collègue et ami disparu, se base essentiellement sur deux livres fondateurs et d’autres écrits de René Dionne.