Résumés
Résumé
Qu’ont en commun l’art spiritualiste de Hector de Saint-Denys Garneau et le monisme de Paul-Émile Borduas ? Premier poète québécois à faire de la peinture un objet de réflexion esthétique, Saint-Denys Garneau tient pourtant en suspicion la modernité artistique, refusant « l’injure à l’art » que représentent pour lui le cubisme et l’art abstrait. Si l’ekphrasis, chez Saint-Denys Garneau, s’éloigne du « pittoresque » pour s’approcher du « pictural », l’idéalisation du sujet et l’objectivation de la vision qu’il cultive diffèrent cependant fortement de la conception du tableau de Borduas. Aux notions d’ordre, de centre, d’harmonie, d’unité, de transparence et d’élévation autour desquelles le poète et artiste ordonne encore le visible, Borduas oppose celles d’automatisme psychique, d’écriture automatique, de liberté du geste, de « désir-passion », de « grâce surrationnelle », appelant une exploration du chaos du monde intérieur et une plongée dans l’inconscient menant inéluctablement à un contact brutal avec la matière sensible. Prenant acte de l’apparition de Garneau et Borduas au même moment sur la scène publique montréalaise, vers 1937-1938, et cherchant à mesurer le pouvoir de séduction particulier qu’exercent sur eux durant ces années décisives la pensée et l’oeuvre de John Lyman, l’auteur interroge la conception antagoniste que chacun se forge du dessin et de la couleur et examine certains des enjeux essentiels, après la publication du Journal de Saint-Denys Garneau, qui déterminent la posture double et ambiguë de Borduas à l’endroit de l’héritage de l’écrivain.
Abstract
What do Hector de Saint-Denys Garneau’s spiritual art and Paul-Émile Borduas’ monism have in common? Although he is the first Québécois poet to turn painting into an object of aesthetic study, Saint-Denys Garneau views artistic modernity with suspicion, rejecting cubism and abstraction as insults to art. If ekphrasis, in Garneau’s work, retreats from the “picturesque” and moves closer to the “pictorial,” his idealized perception of the subject and his objective vision differ from Borduas’ conception of painting. While order, focus, harmony, unity, transparency, and elevation stand at the heart of the poet and artist’s ordering of reality, Borduas relies on different notions—psychic automatism, automatic writing, gestural freedom, “désir-passion,” and “grâce surrationnelle”—in order to explore the chaos of the inner world. What results from such a plunge into the unconscious is a brutal encounter with the material world. This article acknowledges that Garneau and Borduas were public figures in Montreal during the same period (circa 1937-38) and seeks to gauge the impact of John Lyman’s work on them during these decisive years. It examines the artists’ antagonistic conceptions of drawing and colouring, as well as the salient aspects of Borduas’ ambiguous stance on Garneau’s legacy, following the publication of the poet’s Journal.