Résumés
Résumé
Cet article s’intéresse à la construction des publics dans deux éloges collectifs de femmes traduits du traité latin De nobilitate et praecellentia foeminei sexus d’Henri Corneille Agrippa : Le Jardin de foelicite avec la louenge & haultesse du sexe feminin en ryme françoyse, divisee par chapitres […] (1541) de François Habert et Le Fort inexpugnable de l’honneur du sexe féminin (1555) de François de Billon. Le passage d’une langue à une autre et celui d’une forme littéraire à une autre sont des facteurs de poids dans la réorientation du texte source vers de nouveaux lecteurs et lectrices ; ils enclenchent un important travail d’adaptation, tant discursif que matériel. Le premier objectif de cet article est de mesurer les modalités d’inscription, les fonctions et les enjeux de ces transferts linguistique et culturel, afin d’en apprécier l’influence dans la construction des publics. Le deuxième objectif consiste à identifier les stratégies de publication de l’auteur, lesquelles comprennent aussi bien l’opération de construction d’un nouveau public par le texte que ce que ce texte, et les livres dans lesquels celui-ci se cristallise, mettent en vedette. Au-delà des objectifs encomiastiques de célébration des femmes énoncés dans les paratextes, l’éloge abrite des finalités dissimulées, qui constituent autant d’appels à l’adhésion par des lectorats différents et indiquent des publics secondaires implicites. Les configurations identifiées — juxtaposition et superposition — fournissent la base d’une réflexion méthodologique plus large sur les publics et la publication dans les éloges collectifs de femmes du xvie siècle.
Abstract
This article examines the construction of publics in two collections in praise of women translated from the Latin treatise De nobilitate et praecellentia foeminei sexus by Henri Corneille Agrippa: François Habert’s Jardin de foelicite avec la louenge & haultesse du sexe feminin en ryme françoyse, divisee par chapitres […] (1541) and François de Billon’s Fort inexpugnable de l’honneur du sexe féminin (1555). Changes in language and literary form are crucial in reshaping the original text for new readers, male and female, involving major discursive and material reworking. The primary goal here is to assess the modes, functions, and interplays of these linguistic and cultural transfers, and their influence on the construction of publics. The second goal is to identify the author’s publication strategies aimed at attracting new publics via the text and also the substance of the text, and its materialization in books. Besides the encomiastic objective of celebrating women illuminated in the paratexts, such praise hides other objectives like the thrust for different readerships, and hence secondary publics. Such devices as juxtaposition and superposition provide a methodological foundation and configuration to explore the publics and publications in sixteenth-century collections in praise of women.
Corps de l’article
Composé en hommage à Marguerite d’Autriche et prononcé lors de la leçon inaugurale d’un cours donné à l’Université de Dole en 1509, le De nobilitate et praecellentia foeminei sexus d’Henri Corneille Agrippa défend la supériorité du sexe féminin. Il reprend un argumentaire en partie constitué et le refaçonne ; il propose une révision théologique du statut de la femme à travers une relecture de la Genèse et un retournement systématique de la hiérarchie hommes/femmes, concluant à l’injuste proscription des femmes du domaine public. Il est imprimé une première fois à Anvers en 1529, dans un recueil comprenant plusieurs autres déclamations du même auteur ; il est ensuite réimprimé et traduit en plusieurs langues vernaculaires. Du côté français, on compte cinq traductions en prose pour le xvi e siècle seulement et plusieurs autres pour les xvii e et xviii e siècles[1]. L’importante diffusion de ce traité fixe les balises d’un discours d’éloge sur la femme auprès de publics diversifiés, érudits et moins savants. En raison de son succès, le De nobilitate s’impose comme ensemble discursif de référence et comme réservoir topique, dans lequel puisent les défenseurs des femmes jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Cette abondante postérité littéraire comprend également les deux ouvrages auxquels nous nous intéresserons dans cet article : Le Jardin de foelicite avec la louenge & haultesse du sexe feminin en ryme françoyse, divisee par chapitres. Extraicte de Henricus Cornelius Agrippa, par le Banny de Liesse (1541) de François Habert (le « Banny de Liesse » est son pseudonyme[2]) et Le Fort inexpugnable de l’honneur du sexe féminin (1555) de François de Billon[3]. L’un comme l’autre retravaillent le traité latin.
Cet article a pour premier objectif de mesurer le travail d’adaptation mis en oeuvre dans ces deux ouvrages. L’expression « travail d’adaptation » doit être comprise au sens large, comme traduction, mais aussi comme imitation. Il s’agira d’en évaluer les modalités d’inscription, les fonctions et les enjeux, ainsi que d’en apprécier l’importance dans la construction des publics. Le passage d’une langue à une autre ou d’une forme à une autre nous paraît propice à l’étude du passage d’un public à un autre parce qu’il marque un transfert linguistique et culturel. Le choix de la langue vernaculaire est déterminant dans la construction d’un nouveau public par le texte : il permet de s’adresser à des lectorats qui n’ont pas accès à la culture lettrée et au latin, parmi lesquels les femmes. Le second objectif de cet article est d’identifier les stratégies de publication du poète. Par « publication », nous entendons un double processus : à la fois l’opération de construction d’un nouveau public par le texte et ce que ce texte met en vedette. Ce double processus permet d’affiner l’approche en réorientant l’enquête sur les contenus mis en évidence. En effet, au-delà des objectifs encomiastiques énoncés dans les paratextes, les éloges collectifs de femmes sont souvent le creuset d’enjeux sous-jacents : louer les femmes fournit un truchement pour parler d’autre chose, de soi et d’autres sujets. Ces finalités dissimulées nous apparaissent comme des indices complémentaires d’orientations vers des publics secondaires implicites, s’ajoutant aux dédicataires féminines auxquelles les textes prétendent s’adresser exclusivement ; elles constituent autant d’appels à l’adhésion par des lectorats différents. À l’issue de ce parcours, il faudra proposer une réflexion d’ordre méthodologique sur les configurations — juxtaposition et superposition — que prend l’appel à l’adhésion à des auditoires multiples dans les éloges collectifs de femmes.
Le Jardin de foelicite (1541) de François Habert ou la juxtaposition des publics
Originaire du Berry, François Habert serait né vers 1508-1509 et mort autour de 1561. Après des études de droit à Toulouse, il devient secrétaire de plusieurs prélats, puis du duc de Nevers, grâce à qui il est reçu à la cour de François Ier. Il est ensuite « poète du roi » sous Henri II, qui lui commande une traduction des Métamorphoses d’Ovide[4]. François Habert est un auteur prolifique : sa production comprend des traductions d’auteurs latins, des ouvrages à visée morale, ainsi que des pièces de circonstance ; elle est particulièrement abondante entre 1541 et 1551, avec un pic dans les années 1541-1542, qui sont marquées par une recherche de soutien menée auprès de nombreux protecteurs potentiels, principalement des religieux et des habitués de la cour du roi de France[5]. C’est de cette période que date Le Jardin de foelicite. Comme l’indique son titre, l’ouvrage est double. Il regroupe deux livres adressés à deux dédicataires différents. Le Jardin de foelicite retrace le parcours allégorique du narrateur vers la demeure de Félicité ; il est destiné à un homme d’Église, l’abbé Nicolas Psalme (ou Psaulme, selon La Croix-du-Maine et Du Verdier). La louenge & haultesse du sexe feminin en ryme françoyse, divisee par chapitres. Extraicte de Henricus Cornelius Agrippa, qui consiste en une adaptation versifiée du traité d’Agrippa en décasyllabes à rimes plates, est offerte à la maîtresse de François Ier, Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes. C’est sur cette adaptation que nous nous pencherons en premier lieu.
Comme l’ont montré les travaux fondateurs d’Émile Telle et les contributions plus récentes de Kathleen Wilson-Chevalier, l’univers culturel de la cour de France sous François Ier est fortement influencé par les femmes, à titre d’actrices dans la sphère publique et d’objets de discours[6]. Les thèmes relatifs au sexe féminin sont dans l’air du temps : tant le néoplatonisme, qui accorde à la beauté féminine un rôle de médiatrice dans la quête de la connaissance divine que la « Querelle des amyes », issue du rayonnement du Courtisan de Castiglione et consacrée à l’amour[7]. En plus de s’inscrire dans l’actualité littéraire, l’adaptation du traité d’Agrippa répond au rôle éminent des femmes à la cour de François Ier. Favorite du roi, protectrice des lettres, la duchesse d’Étampes venait de voir son pouvoir gagner en ampleur, à la suite de la disgrâce du connétable Anne de Montmorency survenue en juin 1541, soit quelques mois avant la publication du Jardin de foelicite, dont le privilège porte la date du 27 novembre 1541. Adresser à cette dame influente une Louenge du sexe feminin — notons au passage la dimension clairement encomiastique du titre — apparaît comme un choix judicieux pour un poète en quête d’appui[8].
La dédicace à la duchesse d’Étampes souligne à la fois le rôle promotionnel de la dédicataire dans la diffusion de l’ouvrage et la propagation potentielle de la gloire à un cercle de dames plus étendu :
JF, E vi ro-E vi voJay bien choisi donc illustre princesse,
Le lieu idoine, auquel je nay prins cesse.
Jusques ad ce que ce labeur petit,
Fust mis au vent, pour donner appetit.
Tant aux lecteurs, par ton nom appose,
Que pour aussi rendre ung cueur dispose.
A maintcte dame & noble damoyselle
Pour aspirer a louenge immortelle.
Ces vers mettent en évidence un double mouvement de publication : celui du livre par la dédicataire et celui des dames par la lecture du livre. La formule n’est pas neuve, mais elle mérite d’être soulignée parce qu’elle constitue l’unique intervention de François Habert dans un contenu emprunté à l’épître dédicatoire composée par Agrippa à l’intention de Marguerite d’Autriche dans l’original latin. Ces vers semblent viser spécifiquement la cour de France, avec une mention particulière pour sa composante féminine.
Au-delà du choix d’une dédicataire influente et d’un milieu susceptible de s’intéresser aux rapports entre les sexes, quelles sont les stratégies mises en place pour attirer l’attention d’un nouveau public ? Nous l’avons dit, plusieurs traductions françaises en prose du traité d’Agrippa ont vu le jour au xvi e siècle. Trois d’entre elles sont publiées avant les années 1540 (Anvers, 1530 ; Paris, 1530 ; Lyon, 1537). L’argument de séduction ne réside donc pas dans la traduction du latin vers le français, mais plutôt dans la double refonte — formelle et organisationnelle — annoncée par la page de titre : la mise en vers et la mise en chapitres. Le titre réunit en outre le nom de l’auteur connu (« Henricus Cornelius Agrippa ») et le pseudonyme du poète moins renommé (« le Banny de Liesse »). Le nom d’Agrippa a une fonction promotionnelle, tout en servant aussi de tremplin à un nouveau texte, caractérisé par les modifications apportées par Habert. Une adaptation française versifiée permettait — tout au moins en théorie — de tirer profit d’un texte qui avait fait ses preuves, tout en proposant quelque chose de neuf par rapport aux traductions précédentes.
C’est d’ailleurs une image auctoriale de poète que le texte laisse discrètement transparaître. La première partie (Le Jardin de foelicite à proprement parler) est un texte didactique dans la droite ligne des rhétoriqueurs dans lequel le recours à l’allégorie souligne le pouvoir de la fiction et de l’activité créatrice, mises au service de la vérité. C’est également en poète — et non en théologien, ni en prosateur — que se présente l’auteur dans la seconde partie (l’adaptation versifiée du traité d’Agrippa), où son activité est décrite par le truchement d’un nouveau champ lexical et d’une topique plus adaptée, celle de la plume hésitante et de l’appel aux muses. Le caractère convenu de ces images est peut-être une garantie d’inscription dans la production scripturaire renaissante pour ce poète en quête d’appui. Enfin, l’emploi du décasyllabe à rimes plates dans l’ensemble du livre est le fil ténu qui arrime les deux parties du recueil l’une à l’autre.
Comment l’adaptation versifiée retravaille-t-elle le texte source ? La matière est ordonnancée en onze chapitres, précédés d’un prologue ; chacune de ces parties reçoit un titre séparé. Ainsi, Habert subdivise le traité d’Agrippa en onze chapitres auxquels il attribue les titres suivants :
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prologue ;
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ch. I : « de la louenge & haultesse du sexe foeminin, contenant la creation de la femme » ;
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ch. II : « l’obeissance que toute creature doibt porter a la femme » ;
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ch. III : « plusieurs vertus en la femme plus abondantes que au sexe masculin » ;
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ch. IV : « les graces corporelles de la femme » ;
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ch. V : « la prudence de la femme par demonstration des femmes antiques » ;
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ch. VI : « plus grande perfection en la femme que en l’homme, au moyen de certaines parties corporelles » ;
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ch. VII : « les vertus du sang menstrual de la femme » ;
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ch. VIII : « plus grand benediction donnee a la femme que a l’homme » ;
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ch. IX : « plus grande grace de dieu faicte aux femmes que aux hommes par leur continence pudicite & fermete » ;
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ch. X : « de la magnanimite des femmes par laquelle ilz peuvent entreprendre mesmes oeuvres que les hommes » ;
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ch. XI : « l’epilogue & conclusion, sur la louenge & haultesse du sexe foeminin ».
À la suite de Marc van der Poel, on peut distinguer une argumentation en cinq étapes dans le traité latin : la femme est supérieure en raison de son nom, de l’ordre et du lieu de sa création, de la matière dont elle est faite, et finalement de ses fonctions et de ses mérites[9]. Du point de vue du rapport des volumes, l’adaptation versifiée d’Habert présente une différence importante par rapport à l’original latin : elle est à la fois plus complète et plus fidèle au début qu’à la fin. La dilution du contenu est progressive, mais s’accélère singulièrement en fin de texte, à partir du chapitre VIII. Le prologue et les sept premiers chapitres de l’adaptation couvrent l’ensemble de la matière abordée par Agrippa (à l’exception d’ajouts et de suppressions sur lesquels nous reviendrons). Par contre, les quatre derniers chapitres (VIII à XI) sont considérablement réduits par rapport au traité latin. Faut-il voir dans cette importante diminution un remaniement intentionnel ou plutôt une certaine désinvolture face aux nombreux exempla qui closent le traité latin et qui sont omis dans l’adaptation française ? Nous penchons pour la seconde possibilité. Il n’en reste pas moins que cette perte d’ampleur et de contenu a pour effet de mettre en valeur le début du traité, qui regroupe principalement les arguments tirés de la Genèse et des considérations sur les qualités physiques de la femme, qu’il s’agisse des avantages qui lui sont conférés par la matière (ch. III), de sa beauté (ch. IV et V), des propriétés naturelles de son corps (ch. VI) ou encore de la menstruation (ch. VII). Le corollaire de cette attention portée au corps est la réduction de l’espace accordé aux autres aspects de l’excellence féminine. Les importantes suppressions faites dans les listes d’exempla féminins particulièrement nombreux à la fin du traité d’Agrippa ont pour incidence de réduire la diversité des vertus représentées en retranchant certains types féminins, dans l’adaptation d’Habert. L’éloge y perd donc de son ampleur, contrairement à l’original latin, qui fournissait un tableau complet des talents féminins et suggérait ainsi un effet de totalité.
Les modifications apportées au traité d’Agrippa sont ciblées ; elles sont les indices de la réorientation de l’adaptation d’Habert vers un nouveau public. Les rares ajouts font valoir la beauté féminine ; les suppressions, plus importantes, touchent principalement l’argumentation théologique et les autorités convoquées. Tout d’abord, certains points de théologie moins répandus que les arguments de l’ordre, du lieu et de la matière, sont écartés. Ainsi, le chapitre VIII condense sensiblement les preuves bibliques et retranche certains contenus attribuant la responsabilité de la faute à l’homme exclusivement (par exemple, le renversement de l’interdit excluant les femmes du sacerdoce, justifié par la nécessité, pour les hommes, d’expier leur faute). Ces coupes simplifient le propos, qui perd de son caractère incisif du point de vue théologique et apparaît beaucoup plus endoxal que dans le traité d’Agrippa. De plus, l’adaptation d’Habert témoigne d’une gêne face aux contenus tirés de textes mystiques non chrétiens. Les renvois à l’autorité dissidente de la cabale, explicitement convoquée pour appuyer l’interprétation dans l’original latin, sont proscrits. L’effacement des allusions à la cabale a pour conséquence de mettre une partie de l’érudition en sourdine et, indirectement, d’oblitérer l’une des spécificités du traité latin, qui fut ébauché pour la leçon inaugurale précédant un cours sur le De verbo mirifico (1496) de Reuchlin, un cours qui avait suscité un vif débat entre partisans et adversaires de la cabale. Les suppressions les plus significatives sont toutefois celles qui concernent les marginalia ; avec la disparition des notes marginales sont effacés les signes immédiats d’érudition dont était empreint le De nobilitate. Du texte latin à l’adaptation versifiée, ces points de repère sont éliminés ; le système de références renvoyant à la culture savante disparaît ; la constellation auctoriale d’Agrippa est gommée. Ce choix est d’autant plus significatif que le premier texte du recueil, Le Jardin de foelicite, dédicacé à un prélat, comporte des notes marginales rappelant les bons mots de tel ou tel auteur, accompagnés du nom de ces autorités, des philosophes, des poètes et des rhéteurs pour la plupart[10]. Qu’elle soit le fait de Habert lui-même, de l’imprimeur ou d’un autre intermédiaire, la suppression des marginalia encourage un autre mode de lecture et l’appropriation du texte par un autre public. Ce n’est plus à travers les autorités que l’on circule dans le texte, mais grâce aux titres des chapitres. Du public visé par Agrippa — un public féru de théologie, formé à la dispute et susceptible de remonter aux sources primaires —, on passe à une mise en page suggérant un public moins savant, qui doit être guidé dans sa lecture.
Revenons à présent au recueil dans son ensemble. Que penser de la réunion de deux textes aux contenus disparates, dédicacés à deux personnes différentes, dans un même livre ? L’un est-il plus important que l’autre ? Le Jardin de foelicite est plus long : il occupe quatre cahiers et se termine au milieu du cinquième cahier, qui est complété par l’adaptation versifiée qui s’étend ensuite sur trois autres cahiers. De plus, des gravures sont insérées dans le premier livre. Ce sont des images génériques, qui ont beaucoup circulé[11]. Mais même si ces gravures sont sans grand rapport avec le sujet abordé, elles attirent l’attention du lecteur. La répartition des contenus comme le matériel iconographique mettent l’accent sur le premier livre du recueil.
La réunion des deux textes n’est pas pour autant un simple remplissage. L’acte de compilation n’est pas lié à une simple nécessité de « faire livre », c’est-à-dire de rassembler suffisamment de folios pour composer un ouvrage digne de ce nom. Ne peut-on pas plutôt voir dans cet ouvrage bicéphale une stratégie de publication ? En 1541, François Habert est, de son propre aveu, en quête de protection. Pendant la décennie 1540, il offre des pièces, souvent courtes, à un très grand nombre de destinataires, hommes et femmes[12]. En fait, une importante partie des publications de cet auteur consiste en des recueils, dans lesquels plusieurs textes de longueur variable (mais jamais très longs) et dépourvus de thématique commune sont réunis afin de former un livre aux contenus diversifiés[13]. Occasionnellement, la mise en recueil prend la forme d’un diptyque, comme dans le cas du Jardin de foelicite dont les deux parties n’ont jamais, soulignons-le, fait l’objet de publications séparées. On pourrait donc suggérer qu’il y a chez Habert — du moins dans ces années d’insécurité financière — un intérêt pour le composite, qui se traduirait par une stratégie de mise en recueil comme outil de rassemblement de lectorats diversifiés.
Le Fort inexpugnable de l’honneur du sexe femenin (1555) de François de Billon ou la superposition des publics
Contrairement à François Habert, François de Billon ne multiplie pas les publications ; à l’exception de quelques rares poèmes, il est l’auteur d’un seul livre : Le Fort inexpugnable de l’honneur du sexe femenin, un ouvrage de plus de 250 folios publié en 1555. On sait peu de choses sur François de Billon. Les quelques renseignements dont on dispose à son sujet nous viennent de ce qu’il dévoile dans ses écrits. Originaire du Dauphinois, il serait le neveu de l’évêque de Senlis, Artus Fillon. Il aurait accompagné Guillaume du Bellay lors d’une ambassade en Italie à titre de secrétaire. C’est d’ailleurs « dans le camp antique de Mars a Rome » qu’il dit avoir entrepris la composition de son Fort inexpugnable, en 1550. Cet écrit promeut la défense des femmes dans sa forme même, un édifice à vocation militaire. La première partie — le « fort » à proprement parler — réunit quatre bastions et une tour, organisés en fonction d’un schéma éthique et dédicacés à cinq princesses de la plus haute noblesse : Jeanne d’Albret (associée au savoir et aux inventions féminines), Catherine de Médicis (qui représente la force et la magnanimité), ainsi que Marguerite de France, Marguerite de Bourbon et Anne de Ferrare, à qui sont liées d’autres vertus. La seconde partie, intitulée « Contremyne [du] fort », reprend le traité latin d’Agrippa en quinze chapitres. Cette division est la suivante :
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Ch. I : Contremyne de ce fort, faite sur le parler expert de la plume, pour la Préexellence de l’Honneur de son Genre. La Plume aux Dames ;
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Ch. II : De la preexellence des Femmes par lordre de la Creation du Monde, et matiere d’icelle ;
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Ch. III : De la preexellence de la Femme, par le regard du Lieu de sa Création ;
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Ch. IV : De la preexellence des Femmes, A raison de Nom de la premiere créee, & quel Regard on doit avoir aux Noms des Personnes ;
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Ch. V : De la preexellence de la Femme par sa Beaute formelle & autres singularitez qui en dépendent ;
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Ch. VI : De la preexellence de la femme sur l’Amour non saint dont sa Beauté est environnée ;
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Ch. VII : Aucunes dignitez de Nature données a la Femme, & non a l’Homme ;
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Chap. VIII : De la preexellence de la Femme par le Regard de la Benediction de par elle donnée a l’Homme. & comment elle est aussi Ymage de Dieu ;
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Ch. IX : De la preexellence des Femmes en Acquisition plus naturelle qu’acquise des Sciences : Et comment elles ont eté appelées au Conseil des Anciens ;
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Ch. X : De la preexellence de la femme, par la saine Exposition d’aucunes Authoritez de l’Ecriture, & comment les Dames ont jadis jugé sur Régions etranges ;
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Ch. XI : De la preexellence de la Femme par le regard du Ciel, des Eaux & des Anymaux ;
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Ch. XII : De la preexellence du Sexe femenin par le regard de sa Douceur & Inocence. & comment tous les Maux ne procedent que des Hommes ;
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Ch. XIII : Comment les nations de l’Europe la ou les femmes sont tenues plus subjettes, les Hommes en sont aussi plus subjetz : Et de la divine Grandeur des Gaulles sus toutes Nations ;
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Ch. XIV : Requeste que la plume fait aux dames en faveur des secretaires, & de la divine Source de leur Etat : Aussi de sa conformité avec celluy de Dieu en ses Prophetes, pour Signe d’un Heür a la France ;
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Ch. XV : Finalle preuve de la preexellence des Femmes, En ce que les Faultes Vices ou Imperfections d’aucunes de leur Sexe, sont plus aprouvées par les Ecritures saintes, que les Vertuz ou bons offices d’aucuns Hommes.
Tandis que Le Jardin de foelicite exhibait le nom de l’auteur du texte source et, ce faisant, en révélait le potentiel publicitaire, Le Fort inexpugnable ne revendique pas l’emprunt. Bien au contraire, il semble même le dissimuler ! Dans le chapitre I de la Contremyne, Billon donne les noms de plusieurs défenseurs des femmes, Postel, le Courtisan, le seigneur de Vineu, Taillemont et « le Concierge bien avysé du Palais des Dames [c’est-à-dire Jean Du Pré] » (FI, 122 v˚). Bien qu’il juge ces auteurs pro-féminins trop peu nombreux, il n’en cite pas pour autant Agrippa. En fait, Billon s’approprie le texte de ce dernier, ou du moins une importante partie de son argumentaire. Ce cas de récriture invite à se pencher sur les modalités du remaniement du texte source et à s’interroger sur les limites de la traduction, de l’adaptation et de l’imitation.
La récriture table sur deux stratégies principales : la manipulation des arguments (qui sont considérablement augmentés) et la modification de l’énonciation (qui est modulée au féminin). Nous commencerons par nous intéresser aux modifications apportées à la topique du texte source. Les lignes principales de l’argumentation du De nobilitate sont maintenues : on retrouve, entre autres, dans le Fort inexpugnable, les lieux tirés de la Genèse (ordre, matière, lieu), les topoï de la beauté féminine, des propriétés naturelles du corps féminin, et de la capacité des femmes à commander. Toutefois, Billon ne s’en tient pas à ce canevas et prend des libertés par rapport au texte source, supprimant, ajoutant, déplaçant et amplifiant la matière. Michael Screech, l’un des rares critiques à s’être penché sur ces questions d’intertextualité, souligne que l’approche de Billon consiste à développer un court extrait en un chapitre entier, en multipliant les exemples[14]. Cette affirmation mérite d’être affinée et complétée, tout d’abord parce que Billon ne fait pas qu’amplifier la matière, mais qu’il supprime, ajoute et déplace également des éléments de contenu ; ensuite, parce que ces modifications donnent au Fort inexpugnable son orientation spécifique.
Le squelette argumentatif fourni par le traité d’Agrippa est redirigé vers le présent, par le truchement d’allusions à des figures contemporaines. Par exemple, le topos de la beauté, abordé à travers un blason du corps féminin dans le chapitre V, est l’occasion de faire un lien entre tel détail anatomique typique de la description générique (les yeux, la bouche, etc.) et telle dame vivante. Ces précisions, qui inscrivent un corps idéalisé dans le temps et dans l’histoire, singularisent la description et flattent au passage plusieurs contemporaines (FI, NN i vo-NN ii vo). Dans le même esprit, le chapitre IV, consacré à la démonstration de la supériorité féminine par l’étymologie, accumule l’interprétation d’anagrammes des noms de personnages nobles évoluant dans l’entourage immédiat d’Henri II (FI, LL i ro-LL iii vo). Cette extension de l’activité encomiastique ne va pas sans créer des tensions internes entre ce nouvel enjeu de célébration et la louange des dames, qui est l’objectif avoué du Fort inexpugnable. Elle n’est peut-être pas étrangère à la volonté de s’attirer des protecteurs potentiels.
Cet intérêt pour le présent est confirmé par plusieurs ajouts greffés sur la trame argumentative du De nobilitate pour former des chapitres à part entière. Les chapitres XIII et XIV sont deux copieux développements consacrés respectivement à la grandeur de la nation française et à l’excellence des secrétaires. Ancrés dans l’actualité politique et engagés dans le façonnement de l’image auctoriale, ils relancent la réflexion autour de la notion de publication : à qui s’adresse le livre ? Mais aussi : qu’est-ce qui est rendu public par le livre ?
Le chapitre XIII s’intitule « Comment les nations de l’Europe la ou les Femmes sont tenues plus sujettes, les Hommes en sont aussi plus subjetz : et de la divine Grandeur des Gaulles sus toutes Nations » ; il s’attache à démontrer la primauté de la France (ou, plus précisément, de la Gaulle) sur l’Allemagne et l’Italie, les deux puissances auxquelles elle s’était opposée dans la course à la suprématie politique et culturelle sur le continent. La relecture de l’Histoire proposée fait de la France une terre d’élection que confirment l’origine divine du souverain et de son pouvoir, les qualités propres aux Français et une généalogie des Gaulois remontant à Noé. Ce thème était susceptible de piquer la curiosité d’un public plus étendu que les cinq princesses auxquelles le livre s’adresse dans la dédicace : un public aristocratique, masculin, que cette théorie suprématiste pouvait flatter ou peut-être inquiéter (dans le cas de la noblesse parlementaire soucieuse d’équilibrer le pouvoir grandissant du roi[15]).
Quant au chapitre XIV, il fournit l’occasion de laisser transparaître des revendications relatives à la profession de secrétaire, par l’élaboration d’une généalogie des praticiens de l’écrit remontant jusqu’au Christ et à Moïse. La comparaison entre le passé biblique et le présent met en regard les prophètes d’antan et les professionnels de l’écriture contemporains, plus particulièrement les secrétaires du roi. Elle permet, par la bande, d’étendre la louange à François de Billon lui-même.
À voir les thèmes développés dans les chapitres XIII et XIV, on se demande comment des objectifs apparemment aussi éloignés du propos encomiastique principal prennent place au sein de l’oeuvre. On a dit plus haut qu’en plus de l’augmentation de la matière, les stratégies de récriture du traité d’Agrippa par Billon passait par la modulation de l’énonciation au féminin. La parole est déléguée à un personnage allégorique nommé Plume, comme l’indique d’ailleurs le titre complet de la seconde partie : « Contremyne de ce fort, faite sur le parler expert de la plume, pour la Préexellence de l’Honneur de son Genre ». Ce transfert de la voix narrative participe du topos selon lequel une femme est plus apte à défendre son propre sexe et remonte à la dispute médiévale[16]. Pour Billon, cette stratégie discursive de dédoublement de la figure auctoriale remplit un triple mandat. Elle permet tout d’abord de passer de la défense des vertus féminines à la thèse paradoxale de la supériorité des femmes sans nuire à la cohérence du texte. Ensuite, le personnage de Plume résout une question d’ethos. Dans l’épître à Marguerite d’Autriche, à qui le traité latin est dédicacé, la thèse de la supériorité est présentée comme une entreprise « efféminée[17] », peu digne d’un homme. Dans le Fort inexpugnable, la ventriloquie évite au locuteur masculin une perte de crédibilité. Enfin, déléguer la parole à un personnage féminin est utile à un troisième égard, directement lié à la question de la publication et, plus précisément, de la publication de soi : le dédoublement de la figure auctoriale sous les traits de Plume permet de poser un regard extérieur sur l’Histoire et sur soi ; il entend octroyer une légitimité au discours en plaçant un point de vue inusité et une apologie pro domo dans la bouche d’une autre. Cette stratégie discursive est d’ailleurs appuyée par le programme iconographique du Fort inexpugnable qui fournit des portraits des deux figures de l’auteur. Billon est représenté dans un médaillon entouré de la devise « semper probata secutus » (« ayant toujours suivi le bien »). Ce portrait apparaît en tête des deux parties principales, comme pour revendiquer la paternité de l’ensemble de l’oeuvre. Sur la page de titre, il figure au-dessous de l’intitulé de l’oeuvre, qui précise d’ailleurs la profession de l’auteur : le Fort inexpugnable est « construit par Françoys de Billon secretaire ». Quant à Plume, elle apparaît en guerrière empanachée, à la manière d’une nouvelle Minerve (à qui elle est d’ailleurs explicitement comparée), s’adressant à un public de femmes. Cette gravure est placée en regard du premier chapitre de la « Contremyne » afin de souligner le transfert de la parole ; elle réapparaît ensuite en tête des chapitres XIII et XIV, probablement pour souligner l’importance des développements propres à Billon.
Cette construction d’une image de soi est singulièrement réfléchie et contrôlée. Le privilège, étonnamment long, donne la mesure de la mainmise que l’auteur entend exercer sur son livre. On y apprend que l’ouvrage, composé en Italie, où les gravures ont également été exécutées, doit être imprimé à frais d’auteur en France. Les raisons invoquées pour justifier la demande de privilège (remboursement des frais, du travail et du temps engagés) sont tout à fait attendues[18]. Toutefois, un élément détonne : le privilège précise que chacun des exemplaires sera signé, le paraphe manuscrit garantissant l’authenticité du livre. De fait, Billon se place à la tête de la chaîne de production du livre, s’appropriant autant que faire se peut les fonctions d’imprimeur et de libraire, et menaçant de confiscation, d’emprisonnement et d’amende tous ceux qui produiraient ou diffuseraient des exemplaires contrefaits ou non parafés par lui :
[…] au cas que ledit Livre fust ou soit par apres trouvé d’autres que de par ledit Billon imprimé, vendu ou distribué, par d’autres que celuy ou ceux par luy deputez, pour quelques causes, raisons ou excuses que ce puisse estre, ny sans s’y enhardir apres la seconde, tierce, quarte, ou autre subsequente impression sienne, Tout cela soit sur peine, Non seulement de la confiscation de tous les livres ainsi imprimez, contrefaitz & venduz qui seront trouvez non paraffez de la main dudit Billon comme les siens premiers imprimez, Mais aussi par emprisonnement des personnes qui en cela seront trouvées imprimer ou avoir imprimé, vendu ou debité ledit Livre ainsi contrefait & non paraffé en quelque lieu que ce soit de notredit Royaume, pays & Seigneuries, & aussi d’Amende arbitraire, ensemble des dommages & interestz dudit Billon.
FI, TTt iii ro
L’agressivité du ton de ce privilège n’est peut-être pas étranger à une pratique italienne, rare en France[19], mais à laquelle Billon aurait pu être exposé et qu’il aurait pu trouver à propos d’intégrer à sa lettre de demande de privilège, laquelle aurait ensuite été recopiée en partie ou in extenso. Les précisions concernant la signature du livre ne sont pas un avertissement en l’air : les exemplaires de la Bibliothèque nationale de France sont signés au feuillet c ii ro, sous le poème « Au lecteur ». Ce geste par lequel l’écriture manuscrite confère son autorité à l’imprimé est peu commun[20]. C’est un geste de secrétaire, pour qui le paraphe du maître authentifie et avalise le travail. En signant les exemplaires de son Fort inexpugnable, le secrétaire François de Billon s’affirme en maître de sa propre production littéraire, mais aussi en agent dans le processus de publication de son livre… et de la sienne propre.
La distance est grande entre la représentation textuelle de Billon et celle d’Habert, qui occupent pourtant tous deux la fonction de secrétaire et qui sont tous deux en quête de soutien. À la représentation singulière, doublée d’une protection agressive de l’auctorialité chez Billon répond l’image plus discrète de François Habert, due en partie à l’imprimeur Pierre Vidoue qui préfère tabler sur du solide dans la publication d’un auteur peu connu, en mettant en évidence le nom plus réputé d’Agrippa sur la page de titre ou encore en incluant des gravures génériques à fonction décorative qui ne permettent évidemment pas d’identifier l’auteur.
En guise de conclusion, nous aimerions suggérer que les cas spécifiques du Jardin de foelicite et du Fort inexpugnable de l’honneur du sexe femenin peuvent servir de base à une réflexion plus large sur les publics et la publication dans les éloges collectifs de femmes du xvi e siècle. Il est probable qu’une recherche de protection auprès de lectorats différents a encouragé Habert à opter pour une publication en recueil. Cette stratégie de couches successives est également présente dans le Fort inexpugnable, bien qu’elle s’y manifeste différemment, par stratification interne. Alors que l’ouvrage d’Habert juxtapose les textes et les publics, celui de Billon les superpose en sollicitant dans un même élan des auditoires féminin et masculin. Ces invitations à l’appropriation s’effectuent par une stratégie de « couches » (pour prendre une image spatiale) : couches horizontales quand les publics sont superposés, couches verticales lorsque les publics se succèdent dans la compilation ou au fil des rééditions et des réorientations (disparitions, ajouts, modifications) des péritextes. Une enquête menée auprès d’un corpus plus large mettrait indubitablement en évidence les tensions que ces appels simultanés à des auditoires divers ne manquent pas de faire naître.
Il nous reste à nous interroger sur le pourquoi de ces auditoires pluriels : à quoi cette tendance à multiplier les invitations à l’appropriation par des publics différents est-elle due ? Deux éléments doivent être soulignés : tout d’abord, l’éloge, qui est le genre tout désigné pour attirer l’attention de protecteurs potentiels, est également, en raison des vertus sur lesquelles il s’appuie, un terrain de légitimation susceptible d’accréditer des contenus neufs. Ensuite, les éloges collectifs de femmes participent du lucratif discours pro et contra qui caractérise la Querelle des femmes ; ils constituent un lieu d’exploration littéraire de premier ordre, à une période où le livre, imprimé et en vernaculaire, s’ouvre à de nouveaux auditoires. Il n’est donc pas surprenant qu’à l’image de François Habert et François de Billon, des auteurs en quête de protection ou des auteurs d’un seul texte misent sur l’éloge des femmes et les ressources de l’imprimerie en plein essor comme outil de diffusion du livre vers des destinataires multiples, afin d’accéder à la sphère publique.
Parties annexes
Note biographique
Renée-Claude Breitenstein est professeure adjointe à l’Université Brock, où elle enseigne la littérature française du Moyen Âge et de la Renaissance depuis 2009. Elle s’intéresse à la rhétorique et à l’argumentation, ainsi qu’aux notions de public et de publication sous l’Ancien Régime, dans une perspective d’histoire du livre. Ses recherches portent sur les éloges de femmes du xvie siècle (recueils de femmes illustres et apologies du sexe féminin), d’un point de vue discursif et matériel.
Notes
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[1]
Marc van der Poel, Cornelius Agrippa, the Humanist Theologian and His Declamations, Leiden/New York, E. J. Brill, coll. « Brill’s Studies in Intellectual History », vol. LXXVII, 1997, p. 187.
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[2]
François Habert, Le Jardin de foelicite, avec la louenge & haultesse du sexe feminin en ryme françoyse, divisee par chapitres. Extraicte de Henricus Cornelius Agrippa, par le Banny de Liesse, Paris, Pierre Vidouë, 1541. Dorénavant désigné à l’aide des lettres JF, suivies du numéro de la page.
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[3]
François de Billon, Le Fort inexpugnable de l’honneur du sexe femenin, construit par Françoys de Billon secretaire (réimpression de l’édition de Paris, 1555, introduction par M. A. Screech), East Ardsley/New York/La Haye, S. R. Publishers/Johnson Reprint Corporation/Mouton, 1970. Dorénavant désigné à l’aide des lettres FI, suivies du numéro de la page.
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[4]
François Habert, Six livres de la métamorphose d’Ovide […], Paris, M. Fezandat, 1549 ; id., Les 15 livres de la métamorphose d’Ovide […], Paris, Estienne Groulleau, 1557.
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[5]
Pour des renseignements biobibliographiques, voir François Habert, Le songe de Pantagruel (avec une introduction de John Lewis), Études rabelaisiennes, vol. XVIII, coll. « Travaux d’Humanisme et Renaissance », no CCVI, 1985, p. 103-124 ; id., Le Philosophe parfaict et Le Temple de vertu (nouvellement remis en lumière avec notice et notes par Henri Franchet, réimpression de l’édition de Paris, 1922), Genève, Slatkine Reprints, coll. « Bibliothèque littéraire de la Renaissance », nouvelle série, tome VIII, 1976, p. I-XLIV. Ce dernier ouvrage sera dorénavant désigné à l’aide des lettres PPTV, suivies du numéro de la page.
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[6]
Émile V. Telle, L’oeuvre de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, et la querelle des femmes, Genève, Slatkine Reprints, 1969 [1937] ; Kathleen Wilson-Chevalier, « Femmes, cour, pouvoir : la chambre de la duchesse d’Étampes à Fontainebleau », dans Kathleen Wilson-Chevalier et Éliane Viennot (dir.), Royaume de fémynie. Pouvoirs, contraintes, espaces de liberté des femmes, de la Renaissance à la Fronde, Paris, Honoré Champion, coll. « Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance », no 16, 1999, p. 203-236.
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[7]
Les oeuvres principales de la « Querelle des amyes » sont L’Amie de court (1542) de Bertrand de La Borderie, La parfaicte amye (1542) d’Antoine Héroët, La Contre Amye (1543) de Charles Fontaine et L’Honneste Amant (1544) de Paul Angier. Elles firent l’objet de recueils collectifs dans les années qui suivirent.
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[8]
Cette adaptation versifiée n’était d’ailleurs peut-être pas la première tentative d’attirer les bonnes grâces du roi par le truchement de sa favorite. Quelques mois avant la publication du Jardin de foelicite, François Habert avait publié deux recueils, La Jeunesse du Banny de Lyesse et La Suytte du Banny de Liesse. Ce dernier recueil regroupe plusieurs textes, parmi lesquels Le Jugement des trois Déesses Juno, Pallas, & Venus […] par Paris et une épître, tous deux dédicacés à François de Pisseleu, évêque d’Amiens et frère de la duchesse d’Étampes. François Habert connaissait personnellement François de Pisseleu, qui l’avait tiré d’un embarras financier quelques années auparavant en lui allouant une somme d’argent. L’abbé Goujet, à qui nous devons ces renseignements, s’étonne du choix de François de Pisseleu, d’un homme d’Église, comme destinataire d’une pièce galante (en l’occurrence Le Jugement des trois Déesses […] par Paris). Voir Claude-Pierre Goujet, Bibliothèque françoise, ou, Histoire de la littérature françoise, Paris, H.-L. Guérin et P. G. Le Mercier, 1752, t. XIII, p. 12. Ibid., p. 17-19. Ne peut-on pas voir dans cette dédicace une première tentative — avant même la disgrâce du connétable de Montmorency — de s’attirer les bonnes grâces de la duchesse, elle-même protectrice de son frère ? L’évêque d’Amiens était probablement l’une des voies d’accès potentielles de François Habert à la cour de France.
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[9]
Marc van der Poel, op. cit., p. 197-224.
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[10]
La traduction des Métamorphoses d’Ovide de François Habert se distingue de celles de Clément Marot et de Barthélémy Aneau par l’emploi de marginalia qui, pour Ghislaine Amielle, « dénotent l’influence conjointe des éditions latines et des livres de lieux communs, largement diffusés par l’imprimerie ». Cette pratique de la lecture renvoie à un public lettré, principalement masculin. Voir Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, illustrées et publiées en France à la fin du xv e siècle et au xvi e siècle, Paris, J. Touzot, coll. « Caesarodunum », 1989, p. 251.
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[11]
Elles ont été pour la plupart utilisées dans les Oeuvres de Virgile imprimées par Pierre Vidoue pour Jean Petit en 1540 (c’est-à-dire un an avant la publication du Jardin de foelicite). Elles sont toutefois antérieures à 1540 : on les trouve déjà dans les Illustrations de Gaule et les singularitez de Troie de Jean Lemaire de Belges. Elles seront également utilisées par Denis Janot en 1641 pour illustrer la traduction des Quatre premiers livres des Eneydes d’Hélisenne de Crenne.
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[12]
Voir par exemple la Jeunesse du Banny de lyesse […] (Paris, Denis Janot, 1541), la Suytte du Banny de Liesse (Paris, Denis Janot, 1541) ou encore le Temple de chasteté […] (Paris, M. Fezandat, 1549), qui comptent tous une, voire plusieurs dizaines de pièces à forme fixe adressées à autant de dédicataires.
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[13]
La liste des publications de François Habert établie par Henri Franchet permet de se rendre compte de cette constante. À l’exception du Songe de Pantagruel avec la deploration de feu messire Anthoine du Bourg […] (Paris, Adam Saulnier, 1542) et de la Deploration poetique de feu M. Antoine du Prat […] Avec l’exposition moral de la Fable des trois Deesses, Venus, Juno, et Pallas […] (Lyon, Jean de Tournes, 1545), qui ne comptent que deux textes, la majorité des recueils compile un plus grand nombre de pièces. À titre d’exemples, mentionnons Le Combat de Cupido et de la Mort […] avec plusieurs oeuvres contenues cy apres […], Paris, Alain Lotrian, 1541 ; La Manière de trouver la Pierre Philosophale […] avec le Credo de l’Eglise Catholique, ensemble cinq ballades évangéliques, Paris, Denis Janot, 1542. Pour une liste complète, voir le « tableau chronologique des publications de François Habert », dans PPTV, p. XII-XXXIV.
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[14]
De Billon’s usual technique is to expand one paragraph of Agrippa into an entire chapter, by piling up examples
Michael Screech, « Rabelais, de Billon and Erasmus », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, vol. XIII, 1951, p. 245 -
[15]
Lynn Tarte Ramey, « Patriarchy and Monarchy : François de Billon, the Querelle des femmes, and the Rise of French Absolutism », dans Kathryn Karczewska et Tom Conley (dir.), The World and Its Rival : Essays on Literary Imagination in Honor of Per Nykrog, Amsterdam, Rodopi, coll. « Faux titre. Études de langue et littérature françaises », no 172, 1999, p. 161-170.
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[16]
Helen Solterer a montré que la figure du disciple pouvait occasionnellement être remplacée par celle d’une femme répondant à un maître dans des textes littéraires abordant la question de la nature féminine. Voir Helen Solterer, The Master and Minerva. Disputing Women in French Medieval Culture, Berkeley, University of California Press, 1995. Voir aussi notre article « Entre allégorie et auteur(e)s : le façonnement de voix féminines dans les apologies du sexe féminin au xvi e siècle », dans Jean-Philippe Beaulieu et Andrea Oberhuber (dir.), Les femmes et le travestissement textuel ( 1500 - 1940 ), Saint-Étienne, Presses de l’Université de Saint-Étienne, à paraître (2011).
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[17]
Agrippa utilise l’expression latine « evirati ingenii ». Billon explique : « plusieurs me donneroient attainte d’éfféminé si je présumoys telle entreprise » (FI, HH iiii vo).
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[18]
Elizabeth Armstrong, Before Copyright : the French Book-Privilege System 1498 - 1526 , Cambridge, Cambridge University Press, coll. « Cambridge studies in publishing and printing history », 1990, p. 79-84.
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[19]
Ibid., p. 155.
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[20]
Henri II Estienne souligne qu’en paraphant les exemplaires de son livre, Billon « a faict ce que je pense jamais n’avoir esté faict au paravant ». Il voit par ailleurs dans l’entreprise de Billon une volonté blasphématoire d’attribuer aux hommes les prérogatives divines. Cette cinglante réprimande figure au chapitre IV « Des blasphemes de nostre temps et des maudisson » du Traité preparatif à l’Apologie pour Herodote (1566). Voir Henri Estienne, Traité preparatif à l’Apologie pour Herodote (éd. Bénédicte Boudou), tome II, Genève, Droz, coll. « Textes littéraires français », 2007, p. 297-302.