Résumés
Résumé
Ce texte propose une réflexion sur l’oeuvre critique de Philippe Sollers — qui compte à ce jour trois tomes : La guerre du goût (1994), Éloge de l’infini (2001) et le plus récent Discours parfait (2010) — composée principalement de courts textes de critique littéraire, artistique et culturelle issus de la contribution régulière de l’auteur au journal Le Monde. L’objectif de cette réflexion est de montrer en quoi la critique sollersienne, qui se veut une véritable guerre défensive contre le mauvais goût, repose en dernière instance sur une conscience « vivante et verticale » de l’histoire, qui s’oppose à une conception linéaire du temps axé sur la succession, le dépassement et l’obsolescence.
La spécificité de cette conscience du temps sera d’abord dégagée par le recours au concept d’histoire monumentale de Nietzche, ainsi qu’à l’interprétation heideggerienne de ce concept, mobilisée par Sollers dans la préface à La guerre du goût, selon laquelle « L’Histoire n’est pas une succession d’époques, mais une unique proximité du Même, qui concerne la pensée en de multiples modes imprévisibles de la destination, et avec des degrés variables d’immédiateté. » La mise en dialogue de ces deux philosophies de l’histoire conduira à la conclusion selon laquelle la « guerre du goût » menée par Sollers est en fait une guerre contre le ressentiment et le nihilisme métaphysique, considérés comme les principaux fondements de la société du Spectacle et de son mépris de la grandeur, de l’intelligence et du génie.
Cette réflexion sur le temps et l’histoire servira par la suite à interroger l’oeuvre critique dans sa composition, qui, par le rapprochement d’artistes et de penseurs tels que Rimbaud, Sade, Montaigne, Joyce, Dante, Proust, Voltaire et Picasso, traduit une recherche de la « singularité universelle » de l’art par-delà la distance historique qui sépare les oeuvres. De cette conception de la critique sera dégagé l’impératif sollersien de « lire avec les yeux de l’histoire », c’est-à-dire savoir distinguer, apprécier et critiquer ce que, de l’énorme masse de signes qui se donnent pour lisibles, l’histoire elle-même révèle comme incarnation de sa propre singularité.
Abstract
This article is intended as a reflection on the literary and artistic criticism of Philippe Sollers who has published three such volumes to date : La guerre du goût (1994), Éloge de l’infini (2001) and the more recent Discours parfait (2010) mainly featuring short articles originally printed in the French newspaper Le Monde. The objective of this study is to show how Sollers’ criticism, labelled as a defensive war against bad taste, is contingent upon a specific historical consciousness, described by the author as “alive and vertical,” the essence of which confronts the more commonplace understanding of time and history derived from the concepts of linearity, succession and obsolescence.
The nature of this historical consciousness will first be delineated using the Nietzschean concept of monumental history as well as Heidegger’s interpretation of this concept, recalled by Sollers in his preface to La guerre du goût wherein he states that “History is not a mere succession of eras but a unique proximity of the Same, which concerns thought in multiple unpredectible modes of destination, and with variable degrees of immediateness.” The dialogue established between these two philosophers will lead us to the conclusion that the war against bad taste advanced by Sollers is in fact a war against resentment and metaphysical nihilism, considered as the basis for the “society of spectacle” and its contempt for grandeur, uniqueness and intellect.
This account of Sollers’ take on time and history will provide insight into the composition of the author’s critical work, which, by bringing together artists and thinkers such as Rimbaud, Sade, Montaigne, Joyce, Dante, Proust, Voltaire and Picasso, seeks to reveal the “universal singularity” of art that prevails over the historical distance separating individual work. This notion of artistic criticism will ultimately shed light upon Sollers’ understanding of the act of reading itself, which consists of distinguishing, appreciating and criticizing that which, out of the immense sum of what is considered readable, History itself reveals as an incarnation of its own singularity.