Résumés
Résumé
La difficulté d’appréhender la notion d’insignifiance s’explique par notre irrépressible désir de produire du sens : il suffit qu’une chose ait un sens pour qu’elle nous semble homogène à l’esprit et que, par conséquent, on s’imagine pouvoir agir sur elle. Le « sens » rassure ; le non-sens amuse, en tant que manifestation excessive, théâtrale d’un sens provisoirement congédié. L’insignifiant, lui, inquiète. Et s’il n’était que l’apparence trompeuse du signifiant ? Un signifiant méconnu et d’autant plus menaçant qu’il semble d’abord inoffensif ? En se limitant à Barthes et à Proust, cette étude voudrait contribuer à montrer la fécondité littéraire et heuristique d’un imaginaire poétiquement paranoïaque du sens, imaginaire pour lequel l’insignifiant représente à la fois un ennemi, un défi, un tourment, et la source d’une dilection sans doute masochiste, mais ô combien créatrice. Dans l’analyse célèbre de l’effet de réel, Barthes débusque le sens de ce qui prétend échapper au sens. Puis la réflexion du sémiologue évolue : dans l’anamnèse, le biographème ou encore la photographie, il s’agit plutôt de capter dans les étants une manifestation de l’être ; les choses comblent précisément par leur résistance à l’injonction de signifier. Mais le signe barthésien n’accueille l’insignifiance de la chose que lorsque celle-ci est morte, inaccessible : cette onto-sémiologie est mélancolique. Chez Proust, le statut et la valeur de l’insignifiant varient, selon le régime qui les assume. Dans le régime poétique de la mémoire involontaire, l’insignifiant ouvre la voie à la vraie vie, au passé retrouvé. Dans le régime obsessionnel de la quête de la vérité, l’insignifiant est un piège : il décèle l’information capitale, celle que l’aimée, maligne, veut dérober. Dans le régime de l’humour et de l’amour, l’insignifiant est reconnu comme un bienfait : on jouit (à deux) d’un réel (provisoirement) libéré du sens.
Abstract
What could be the significance of the notion of “insignificance”? We are compelled by an overwhelming desire for “sense” that impels us to impose a meaning upon every aspect of reality. We tend to believe that the best or even the only way of acting is to discover what things mean. In this respect, meaningful events are reassuring; our ability to unveil their signification situates them within structures of human rationality. On the other hand, we tend to suspect that an insignificant phenomenon contains a foreboding meaning that we cannot hope to grasp. This paper makes a literary attempt to illustrate the poetic or heuristic benefits of this restless anxiety-ridden search for meaning, exemplified by the works of Proust and Barthes. In Barthes’s famous analysis of “l’effet de réel” (“the reality effect”), the “presence for presence’s sake” was meant to suppress “meaning” and to fixate a critical measure of reality. Then insignificance ceased to appear as suspect: it was defined as the most moving manifestation of life. Photography, the practice of “anamnesis” and tiny biographical details were considered as subtle attempts to recapture the transient insignificance of life. Proust was also concerned with “meaninglessness.” In his chief novel, In search of lost time, this notion seems to be very highly praised since the past, “le temps retrouvé,” can only be recalled through these tiny, insignificant sensations, deprecatingly discarded by a rational approach to life. However, the jealous Narrator persists in raking his brain in a futile effort to find significance in insignificant details about his purportedly lesbian mistress. Humour and disinterested love ultimately allowed him to accept and enjoy the insignificance of life.