Résumés
Résumé
Cette étude se penche sur la situation contemporaine de l’écriture dramatique au Québec, en s’intéressant plus particulièrement à quelques textes de théâtre de Daniel Danis : Celle-là (1993), Cendres de cailloux (2000 [1992]) et Le chant du Dire-Dire (2000). Dans un premier temps, il est question de l’existence d’une polarisation dans l’usage de la langue dramaturgique, selon qu’un auteur privilégie l’oralité populaire ou la littérarité. Au-delà de cette tension constitutive de l’acte créateur, il est nécessaire de prendre en compte les écritures dramaturgiques qui se situent, pour ainsi dire, dans un entre-deux dynamique, cherchant ainsi à concilier le mode parlé et un dispositif textuel non mimétique. C’est par le biais des propositions d’Henri Meschonnic sur le rythme poétique que l’analyse de l’organisation du mouvement de la parole est susceptible de permettre de saisir les enjeux propres à la subjectivation dans l’écriture dramatique, par exemple, d’un Daniel Danis. Ce dernier propose une fiction dramatique où chaque personnage assume une part de l’instance auctoriale. Il en résulte un discours à la fois monologique et polyphonique dans lequel le récitatif en tant que partition vocale est indissociable d’une conscience corporelle qui surdétermine la parole. L’examen détaillé d’extraits des pièces de Danis montre comment ce dernier sature la substance phonique, tend globalement à une espèce de ritualisation de son dire qui a pour fondement une surconscience corporelle de l’acte de langage. Dès lors, l’existence du personnage tiendrait autant à la vocalité de son discours qu’à ce qui, dans la langue, échappe à la langue. Il existerait ainsi une poétique dramaturgique débrayée de l’illusion mimétique et ouverte sur d’autres dictions des corps parlants dans le théâtre québécois actuel.
Abstract
This study examines the contemporary situation of dramatic writing in Québec with special attention to a few theatre texts by Daniel Danis : Celle-là (1993), Cendres de cailloux ([1992], 2000) and Le chant du Dire-Dire (2000). First of all it deals with the question of “polarization” in the use of dramatic language, by which an author emphasizes either popular oral culture idiom or literariness. Besides this tension which constitutes the creative act, one must take into account the dramaturgical dynamics in writing which seeks to reconcile the spoken mode and a non-mimetic textual device. Henri Meschonnic’s statements on poetic rhythm, with analysis of the organization of speech movement, can serve to illuminate the issue of subjectivation in dramatic writing, for example, that of Daniel Danis. He proposes a dramatic fiction where each character assumes a share of auctorial input. The outcome is a discourse that is at once monologic and polyphonic, in which the recitative as vocal score is inseparable from a corporeal conscience which overdetermines the speech. A detailed examination of excerpts from Danis’s plays shows how he saturates the phonic substance, and holds it within its ritual pronouncement, whose basis is a corporeal conscience overdetermining the act of language. The characters will henceforth exist as much through the vocal aspects of their speech as through that which escapes language itself. Thus there would come into existence a dramatic poetic released from the mimetic illusion, and open to other dictions of the speaking bodies in the Québec theatre of today.
Corps de l’article
Je n’ai jamais inventé de mots. Je suis un écrivain conservateur, sans aucun goût pour les innovations quelque peu enfantines de mes confrères.
Jacques Ferron
Je vous souhaite de crever
avec sept tours de langue
dans la gorge.
Daniel Danis, Cendres de cailloux (Coco)
La table est mise, sous les auspices d’une boutade tirée de la « grande ferronnerie », car le théâtre québécois se retrouve encore et toujours confronté à la question de la langue, lieu chargé de tous les affects et de tant de confusions sémantiques, sinon idéologiques… Une espèce de karma linguistique colle à demeure à notre vie théâtrale, tant et si bien que l’auscultation de la langue constitue le passage obligé des études sur la dramaturgie nationale : montrez-moi donc votre langue pour voir et dites « Aaaah ! » Et puis, dans quel idiome, au juste, faudrait-il représenter et donner à percevoir le réel « parolique[1] », les mots de la tribu, la musique de l’être et du non-être — ou, mieux encore, comme aimait à le dire Miron, l’écriture du poème et du non-poème ? Le chantier de tout auteur québécois « de souche » — les écrivains migrants n’ont pas ce tribut à payer à un complexe identitaire sur lequel on ne s’étendra pas ici — commence et se poursuit dans le combat sans fin avec une langue déterritorialisée et en même temps omniprésente, ne serait-ce qu’en tant que fantasme du « beau langage » et de la Grande Littérature. Le théâtre en accuse fatalement les coups et les contrecoups, car la langue dramatique du quasi-Autre[2] y occupe la place d’un patrimoine majeur, quelque vocable vernaculaire qu’un auteur national y projette à partir de son expérience directe des choses, quelle qu’en soit l’énonciation dramaturgique dans la conjoncture sociopolitique de l’être-ensemble.
La dramaturgie de Daniel Danis[3] apporte toutefois une réponse originale — et, osons le dire contre Ferron : ni conservatrice ni enfantine — face à la complaisance populiste dont s’est affublé rapidement l’emploi du joual (ou, plus largement, du parler québécois populaire) dans les textes de théâtre contemporain au Québec. Michel Tremblay a en effet — et ce, bien malgré lui — fait école, et ses épigones ont fini par obscurcir la raison d’être de l’idiome populaire en tant que force subversive, en tant que violence exhibée d’une situation collective de mutilation[4]. Deux postures s’offrent aujourd’hui à l’écriture dramatique pour s’affranchir de l’oralisation populaire de surface, dans une perspective critique. Elles recouvrent la polarisation stratégique qu’a pu détecter Pascale Casanova dans des littératures dites mineures et qui a cours au Québec depuis au moins les années 1980 [5] :
Les deux grandes familles de stratégies, fondatrices de toutes les luttes à l’intérieur des espaces littéraires nationaux, sont d’une part l’ assimilation , c’est-à-dire l’intégration, par une dilution et un effacement de toute différence originelle, dans un espace littéraire dominant, et d’autre part la dissimilation ou la différenciation , c’est-à-dire l’affirmation d’une différence à partir notamment d’une revendication nationale[6].
Il s’ensuit que la langue contemporaine du théâtre québécois n’a rien d’homogène et qu’elle est traversée par des tensions inhérentes au statut de la culture francophone, tant en contexte nord-américain que dans l’ensemble mondial des littératures majeures, la France en tête. Dans une première approximation du phénomène, il est possible d’avancer que des auteurs québécois comme Jovette Marchessault, Normand Chaurette, Carole Fréchette ou Larry Tremblay orienteraient leur écriture en fonction du pôle « assimilation » — sans y accoler une connotation qui soit le moindrement péjorative[7] —, alors que des dramaturges comme Michel Tremblay, Réjean Ducharme, René-Daniel Dubois, Jean-François Caron, Alexis Martin et Olivier Choinière se détermineraient dans leur acte créateur en fonction du pôle « différenciation ». Entre ces deux pôles extrêmes, qui admettent chacun des variantes significatives, il y a lieu d’imaginer un continuum de positions qui chercheraient à adopter diverses solutions de compromis dynamique , la plus évidente étant l’oscillation délibérée d’un pôle à l’autre comme en témoigne, par exemple, Vie et mort du roi boiteux de Jean-Pierre Ronfard.
La présente étude se propose de cerner les enjeux dramaturgiques d’une écriture qui serait pour ainsi dire écartelée entre une double postulation : celle de l’oralité populaire et celle de la littérarité. Si cet écartèlement est le fait de plusieurs écrivains québécois contemporains, le choix de Daniel Danis paraît s’imposer, du fait que la stratégie langagière qui traverse son oeuvre est emblématique de la recherche d’une oralité singulière par laquelle se voit reconfiguré l’ensemble des composantes du texte de théâtre, à commencer par le personnage qui, comme je tenterai de le montrer, devient le principe actif de cette dramaturgie dramatico-épique.
Encore un peu de théorie, si vous le permettez
Avant de s’engager dans l’examen détaillé des matériaux langagiers — mais il faudra parler plutôt du discours, de la subjectivité à l’oeuvre — dans les textes de Danis, il faut se résoudre, dans un premier temps, à débroussailler le terrain conceptuel de l’oralité dont il sera beaucoup question ici. Le sens commun se plaît à opposer l’oral à l’écrit, à placer le premier dans un espace originel, primitif et « pur », et le second, après la chute, dès lors que le langage aurait été livré au monde désenchanté des signes, c’est-à-dire à leur arbitraire. Ou encore, le parler populaire est crédité d’emblée d’une authenticité sui generis , alors même que tout discours, familier ou savant, est, qu’on le veuille ou non, aux prises avec ses propres tours et détours rhétoriques, le plus souvent les mêmes.
Dans l’approche du fait théâtral, les choses se compliquent encore pour la simple raison que le jeu de l’acteur y occupe une place cardinale et qu’il est tentant de confondre la profération scénique d’un texte avec l’oralité constitutive de l’oeuvre écrite. De plus, la perception commune continue de plaquer les attributs d’une personne réelle à la fiction dramaturgique dans laquelle des personnages prennent la parole. À cet égard, l’approche décapante d’Arnaud Rykner peut s’avérer salutaire : « on s’aperçoit, écrit-il, que si l’irruption de l’épique (ou sa continuelle présence) au coeur du dramatique est le symptôme de la faillite nécessaire du dialogue, il est aussi le remède à son mensonge, à son trompe-l’oeil permanent[8] ». Et d’ajouter ceci qui est capital pour la suite de notre propos : « Soit le trompe-l’oeil est accepté comme tel (forme dramatique épurée au maximum de ses constituants épiques), soit il est révoqué en doute (l’ouverture épique faisant passer au second plan l’énonciation interne qui n’est jamais qu’un marqueur théâtral)[9] ». Rykner, au-delà de la prise en compte de l’illusion qui postule l’absence de l’auteur dans la forme dramatique, s’intéresse en effet à la nécessaire défaillance qui travaille à l’intersection des différentes instances du discours au théâtre[10], et c’est précisément dans cette faille, à mon sens, que résiderait la résistance possible à la naturalisation qui s’opère souvent entre la parole du personnage et la conversation courante. À preuve : dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou de Michel Tremblay, il est clair que Léopold et Marie-Lou sont des locuteurs dont le parler est associé spontanément à leur milieu populaire de l’Est montréalais. Ce serait le « dit » réaliste, un discours rapporté, à l’intérieur d’une structure d’échanges qui, elle, n’aurait rien de tel, puisque les deux protagonistes font face au public et qu’ils ne s’adressent pas directement la parole presque jusqu’à la fin, renonçant du coup au « mensonge » de la convention traditionnelle — ce qui permet à l’auteur des Belles-soeurs de toujours rappeler que son théâtre n’a rien de « réaliste ». Retenons de ces quelques observations préliminaires que l’analyse a tout à gagner en distinguant soigneusement le mode parlé des personnages du discours global dans lequel les « dialogues », les « faux dialogues » ou les « monologues » interviennent. Corollairement — les textes de Danis ne manqueront pas de nous y ramener —, c’est le dispositif textuel lui-même, en ce qu’il matérialise des conditions d’énonciation pour la parole des personnages, qui est en mesure d’orienter l’interprétation du discours de l’oeuvre, y compris dans sa matérialisation scénique.
Dans le deuxième temps de la présente exploration théorique, je me tournerai vers les réflexions d’Henri Meschonnic sur le rythme, le « mode de signifier » du sujet ou de la subjectivité dans la signifiance, et sur l’oralité considérée comme primat du poétique en littérature — le texte de théâtre en fait partie. Les propositions de Meschonnic me sont apparues très stimulantes pour tenter de surmonter les difficultés qu’offre à l’analyste la pratique dramaturgique contemporaine au Québec, y compris pour ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le théâtre postdramatique[11]. Cela dit, je commencerai par citer un passage de la conclusion d’un article capital de Meschonnic qui, à mon sens, inscrit judicieusement son approche dans une nécessaire interdisciplinarité, lorsqu’il écrit :
Le rythme, le discours, le sujet d’énonciation se présupposent mutuellement. C’est pourquoi l’écoute doit être multiple, traversière. Non juxtaposer des niveaux de langage, ou des disciplines. Elle ne subsiste que de leur interaction. Par exemple entre linguistique et poétique, poétique et psychanalyse. De la voix au geste, jusqu’à la peau, tout le corps est actif dans le discours. Mais c’est un corps social, historique, autant que subjectif[12].
Il faut savoir que, pour Meschonnic, la poétique de l’oralité implique un dépassement de la sémantique et de la rhétorique, suspectées de tout réduire à des signifiés et à des cas de figures (sans jeu de mots), alors que l’essentiel a pour objet « l’intégration du discours dans le corps et dans la voix, et du corps et de la voix dans le discours[13] ». Une telle attention à la « signifiance généralisée » se porte à la rencontre de l’oralité en tant que « primat du rythme et de la prosodie dans l’énonciation[14] » — une oralité qui « s’accomplit comme subjectivation maximale du discours[15] », une fois admis que le rythme apparaît tout à la fois « comme l’organisation du mouvement dans la parole, l’organisation d’un discours par un sujet et d’un sujet par son discours[16] », l’« organisation subjective d’une historicité[17] ».
Ces quelques propositions ouvrent tout un champ de réflexion quant à la façon de recadrer la sémantique, pour en relativiser les apports, sans renoncer pour autant à y faire droit pour déterminer les découpages nécessaires à toute analyse. Reconnaître des séries, des récurrences, des figures, des accents importe autant que de rester sensible à l’interaction de tous les éléments qui façonnent le discours de l’oeuvre, l’organisation du mouvement dans la parole. Le mérite de Meschonnic — par son insistance sur le rythme poétique en tant que signifiance — aura été de mettre au jour la tension constitutive entre trois types de rythme : linguistique (celui de la langue parlée/écrite d’une communauté), rhétorique (propre à un genre, une époque, un registre) et poétique (qui subsume les deux premiers en les emportant dans le mouvement sans fin d’un corps parlant)[18]. Il importe donc de se ressaisir de la dimension rythmique de l’énonciation écrite/parlée (« semi-orale », disent les Allemands) au théâtre, par la question de savoir ce que fait le corps en parlant, ce que la parole accueille de l’énergie corporelle qui la soutient.
Le personnage en tant que « corps parlant » : l’exemple du Vieux dans Celle-là
Sans doute est-il de bon aloi de considérer l’action comme le moteur de la dramaticité. Relisant la Poétique , Denis Guénoun fait néanmoins observer que, pour Aristote, « la mimèsis est à la fois représentation d’action et action de représenter [19] ». Il y discerne ainsi un acte de connaissance, réalisé dans la praxis même de représenter, qui se conjugue au plaisir de la reconnaissance (à même la représentation qui s’offre au regard du spectateur). Dans cette perspective, le théâtre de Daniel Danis paraît tourner franchement le dos à l’« imitation d’hommes en action[20] ». Si cet auteur renonce ainsi à la représentation d’action, serait-ce pour privilégier la pensée , dont Aristote prend soin de préciser qu’elle consiste en « la faculté de dire les paroles nécessaires et convenables, ce qui dans les discours est précisément le rôle de la politique et de la rhétorique[21] » ? Or, nous savons bien qu’il ne suffit pas de mettre côte à côte de « beaux parleurs » pour faire penser, et pas davantage pour émouvoir au théâtre… À quoi tient donc, alors, la puissance d’évocation que la réception critique et le rayonnement notable de cette oeuvre dans le monde ont attestée à compter du début des années 1990 jusqu’à maintenant ?
Prenons la scène 1 de Celle-là , intitulée « Ça s’allumait puis ça s’éteignait » :
CE, 9Le Vieux entre dans le logement de la Mère. Le Fils le suit. Chacun porte une
valise. La mère est étendue sur le sol. Les trois demeurent dans le même lieu
jusqu’au départ de la Mère [22].
LE VIEUX (s’adressant au Fils).
Je ne peux pas te dire grand-chose.
C’est arrivé.
Une gang de jeunes.
Ils sont entrés pour voler.
5 Voler, fouille-moi quoi.
Mes yeux se sont ouverts avec le bardas.
Je suis descendu en pyjama.
Elle était là. Raide là. Morte.
J’ai regardé autour de moi.
10 D’un coup…
Je voulais voir son âme.
La voir voler dans l’air libre.
Je n’ai rien vu.
Je suis resté debout, longtemps.
15 Ça peut prendre du temps à l’âme
de sortir du corps.
Je n’ai rien vu.
Juste des images en arrière de mes yeux.
Revoir notre vie ensemble.
20 Ça s’allumait, puis ça s’éteignait.
Silence.
La pièce s’ouvre sur une classique scène d’exposition, confiée au personnage du Vieux — notons, en passant, cette appellation générique qui, comme les noms de la Mère et du Fils, inscrit la parole dans un cadre cérémoniel plutôt que réaliste, ce que vient renforcer une temporalité complexe[23]. On apprend donc de la bouche du Vieux qu’une bande de jeunes voleurs a envahi le domicile de la Mère et qu’il est arrivé trop tard sur les lieux pour empêcher la catastrophe. Le Vieux fait office de témoin et, s’il s’adresse au Fils, c’est en vertu d’une contraction temporelle qui ne sera compréhensible qu’après-coup. La double présence muette de la Mère et du Fils fait écrin, comme pour mieux faire entendre la voix d’un « homme qui pourrait avoir entre soixante et soixante-douze ans » ( CE , 8) : la réplique unique du Vieux, divisée en quatre strophes hétérométriques, cadencées par le découpage où dominent les phrases ou vers libres de moins de cinq syllabes[24], trahit une anxiété sourde du fait de son laconisme — à l’évidence, ce n’est pas un phraseur. La parole du Vieux est celle d’un être simple, dépassé par les événements et maintenant hanté par ce qui a eu lieu autant que par ce qui n’a pas eu lieu . C’est sur ce plan qu’opère le mouvement, voire le battement, dans la parole du Vieux. Il est aux prises avec un double constat affolant : la Mère est morte avant qu’il n’ait pu la secourir et, une fois morte, l’âme de la défunte s’est refusée à sortir de son corps — ou, du moins, il ne l’a pas vue.
Demandons-nous alors en relisant cette scène : où loge précisément le rythme proprement poétique, dont l’oralité ferait corps avec la subjectivation du discours ? Mais la vraie question serait peut-être : quel corps parle à travers la voix du Vieux ? Je crois que ce qui trouble à la lecture de cette scène c’est la sensation d’assister en temps réel à la perturbation du système perceptif du Vieux qui bute sur les mots, les crache plutôt qu’il ne les dit, les remâche, les répète, dans une sorte d’obstination butée. Ce qui se produit, en l’occurrence, c’est l’expérience d’une vision insupportable et désirable à la fois de la mort et d’un au-delà à la mort. Or, le Vieux est physiquement à l’image du clignotement, tel un réflexe qui échappe à sa volonté : « ça s’allumait, puis ça s’éteignait », formule admirable pour dire que ça ne va pas, que rien ne va plus. Dès lors, il est possible de restituer à la scène sa valeur éminemment corporelle. Le Vieux, figure du temps, préside à une cérémonie de l’absence, du vide, où il se révèle incapable de se quitter, comme emmuré dans sa propre subjectivité.
C’est de la sorte que Danis parvient à façonner ce que j’ai appelé, plus haut, un compromis dynamique, avec une écriture qui ne gomme pas son ancrage dans un terreau culturel d’une « ville de province » — les mots « gang », « bardas[25] », l’expression « fouille-moi » —, mais qui limite le recours aux marques habituelles de l’oralisation populaire : par exemple, Danis maintient la double négation dans le groupe verbal, n’utilise pas l’élision vocalique pour transcoder le mode parlé. Mais le plus important est ailleurs. Dans la syntaxe, paratactique et elliptique, le jeu des désinences verbales dans la même réplique — présent/passé, sans oublier l’emploi de l’infinitif de narration qui supprime le sujet, comme aux vers 12 et 19. Et, par-dessus tout, le ton de la songerie, constatif et méditatif. De sorte que l’ensemble ne débouche pas sur un effet de réel, bien au contraire. Ou, du moins, est-ce un réel transfiguré par le point de vue d’un corps parlant, comme on vient de le voir. Le lecteur et le spectateur entendent donc une langue d’une étrangeté familière, parce que deux voix (et au moins deux destinataires, le Fils et la Mère morte) se disputent la parole du Vieux.
Tout au long de Celle-là , le Vieux apparaît ainsi comme le personnage le plus « intériorisé » et, pour tout dire, le plus perturbé dans son discours, qui porte la marque d’un sentiment de terreur morbide, comme à la scène 5, où il s’accroche d’une manière obsessionnelle à l’image d’« un champ de patates pourrites » ( CE , 16)[26]. Par sa structure à la fois monologique et polyphonique, Celle-là se rapproche en outre d’une sorte d’oratorio, dans lequel dominent les récitatifs et dans lequel les voix sont distinctes et instables, portant chacune leur valeur rythmique[27]. D’où la sensation de plonger dans la conscience meurtrie des trois personnages : « On est jamais arrivés ensemble / dans la même journée » ( CE , 86), laisse tomber le Vieux, en ramassant en une sentence — au double sens du mot — la temporalité dysfonctionnelle du trio, ce qui est une observation propre à un narrateur omniscient[28].
Politique du rythme dans l’affabulation et la partition vocale
Dans la dramaturgie de Daniel Danis, le personnage est l’action même, au sens d’une parole performative qui cherche à agir directement sur le spectateur, en brouillant de la sorte la frontière entre représentation d’actes illocutoires et présentation perlocutoire [29]. C’est que cette parole s’inscrit dans un dispositif métafictionnel qui, à même la fonction réflexive, produit une plasticité incomparable sur le plan des chaînes prosodiques, des images et de la vocalité pulsionnelle, en tant que marques de la subjectivation du personnage. Voyons cela d’un peu plus près en nous penchant cette fois sur Cendres de cailloux et Le chant du Dire-Dire .
Ces deux textes ont en commun de faire intervenir des forces surnaturelles, voire cosmiques. En fait, c’est le contraste entre la trivialité de certaines situations et un arrière-plan mythique, qui constitue la dimension tragique de ces contes dramatisés[30]. Nous avons affaire dans les deux cas à des récitants qui parlent une fois les faits accomplis, ce qui — contre toute vraisemblance — leur accorde une conscience supérieure, en surplomb, de ce qui leur est arrivé, car ils savent déjà ce que leur réserve l’histoire dans laquelle ils se sont retrouvés et, pour certains, perdus…
Cette composante transgénérique très particulière où une forme simple comme le conte est en quelque sorte phagocytée par un métadrame polyphonique, se répercute évidemment sur les discours des personnages et sur leur langage même. Donnons-en un exemple à partir d’un extrait tiré du début et de la fin de la séquence 32 de Cendres de cailloux , sous-titrée « Un homme à sec », et qui a Coco comme seul parleur :
CC, 85 et 87A chaque fois qu’on partait en peur, nous cinq
je lançais un cri par en dedans
comme quand on appelle l’orignal
pour faire sortir ma haine.
5 Après je criais :
« Gulka ! Attaque. »
Avec ses pattes d’élan
je l’entendais courir
dans le sentier de mes veines.
10 De sa gueule de carcajou
jaillissait un rugissement terrifiant.
Gulka sortait par mes yeux.
I prenait ma place.
Je devenais plus fort, plus grand
15 une sorte de dieu méchant.
Je devenais Gulka.
Durant la guerre du Désert
on a vu à la T.V. des soldats parler.
I étaient presque de mon âge
20 I étaient hors d’eux
à se croire invincibles
et moi, assis à rien faire
buvant ma bière froide[31].
[…]
Un homme à sec
ma forêt vide
un animal affamé.
Je cherche un rêve
85 un rêve que je pourrais m’inventer
une fois pour toutes.
Mais je vois jamais rien.
Ma forêt est morte.
Gulka est grand et gros.
De même que le récit plurivoque de Centre de cailloux se construit selon la technique du montage de fragments disparates, le récitatif qu’est la parole de Coco n’a rien d’une coulée unitaire. La fragmentation se vérifie dans notre extrait par les coupes opérées à l’intérieur de la phrase (avec une suspension relative du sens que présuppose l’emploi fréquent de l’enjambement), comme dans l’absence de fluidité de cette juxtaposition de notations fugaces, n’évitant pas les hiatus (« comme quand on appelle l’orignal », « Gulka ! Attaque ») ou encore l’empilement de groupes nominaux : « Un homme à sec / ma forêt vide / un animal affamé ».
Dans ce soliloque de Coco, dans lequel il se livre au ressassement hargneux et qui trouve un écho dans ses autres objurgations rageuses — notamment, à la séquence 15, avec ses nombreuses répétitions de locutions ( CC , 43-45) ou à la séquence 25, dont le sous-titre, « J’haïs » annonce une longue tirade anaphorique ( CC , 69) —, c’est l’emploi néologique de Gulka[32] qui surgit comme un cri de guerre à divers moments du drame, et qui est la traduction sonore, en deux phonèmes accentués, du monstre intérieur qui dévore le jeune adulte désoeuvré[33]. Ce n’est pas, loin de là, le seul jeu d’échos dans un texte qui fonctionne sur le mode d’une anamnèse généralisée. Car, plus encore que dans Celle-là , les personnages sont emportés ici par une frénésie mémorielle qui oscille entre les cris et les chuchotements, l’exaltation lyrique et le chant des morts, l’élégie et la transe[34]. Par ailleurs, ce n’est pas l’un des moindres paradoxes de cette pièce que de puiser dans les matériaux langagiers les plus communs pour en faire jaillir autant d’effets de rupture[35], plutôt que les effets de réel attendus. Avec la conséquence, que c’est avant tout en tant que « pâte sonore », en tant que partition à mettre en bouche, en tant que mouvements dans la parole que le lecteur-spectateur en éprouve peu à peu la densité rythmique, la musique essentielle.
Ainsi, la poétique de Danis participe-t-elle à n’en pas douter de l’excès, lequel sature le sens de signifiants qui en opacifient l’énonciation, et d’où se détachent, tels des points d’orgue, des mots ou des expressions courantes, mais dont la portée communicationnelle est surdéterminée par la substance phonique, l’enchaînement prosodique, la cadence induite par la segmentation du flux verbal. S’il fallait résumer d’un mot la courbe rythmique de Cendres de cailloux , j’avancerais le terme de « tournoiement » où s’entremêlent la sensation de vertige, le danger de perte d’équilibre et, à la limite, l’étourdissement engendré par la transe[36].
En comparaison, Le chant du Dire-Dire paraît animé par un tout autre mouvement de la parole. Cela tient peut-être au fait que, dans ce texte, les trois frères, Rock, William et Fred-Gilles, forment un véritable choeur. Leur fonction chorale est affichée dès le prologue — auquel répondra symétriquement l’épilogue —, alors qu’ils profèrent à l’unisson les paroles d’un rituel dont la solennité n’a d’égale que le caractère solipsiste de leur discours. Voici, mises en parallèle, les trois premières et les trois dernières répliques de l’oeuvre :
Lente montée de la lumière. |
Brusquement, surcharge de la lumière. |
Les Trois (Rock, William et Fred-Gilles). |
Les Trois. |
Doucement, ils ont ouvert leur bouche. |
Brusquement, ils se sont percé les tympans. |
Doucement, le noir. Doucement, la lumière. |
Brusquement, le noir. Brusquement, la lumière. |
Les Trois. |
Les Trois. |
Doucement, ils ont ouvert leurs yeux. |
Brusquement, ils se sont crevé les yeux. |
Doucement, le noir. Doucement, la lumière. |
Brusquement, la demi-noirceur. |
Les Trois. |
Les Trois. |
Doucement, ils ont ouvert leurs tympans. |
Brusquement, ils se sont coupé la langue. |
Toujours, ils sont reliés-soudés. Depuis toujours. |
Doucement, le noir (CDD, 80). |
Trois frères et une soeur reliés par un objet, le même, dans leurs mains : le Dire-Dire. Noir (CDD, 15). |
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Le parallélisme constitue l’une des figures majeures de la poétique dramatique. Danis en confirme l’intérêt en insérant la totalité de sa fable entre ces deux moments oraculaires où le trio des frères Durant L’Orage ne vivra que le temps de leur récit parabolique, après quoi ils retourneront au néant d’où ils s’étaient tiré eux-mêmes comme par enchantement. L’automutilation finale des récitants — ils auraient pu se boucher les oreilles, se fermer les yeux puis la bouche — n’en demeure pas moins énigmatique. Le parallèle est distordu, possiblement pour rendre au spectateur la responsabilité ultime de « la suite du monde » ( CDD , 80), une fois que ses porte-parole eurent mené à terme leur mission : Ite fabula est .
Quant à la parabole intercalaire, divisée en dix-neuf « Dires », elle a comme point de départ un événement funeste : un violent orage durant lequel les parents adoptifs des enfants Durant ont été foudroyés. L’orage passé, les quatre orphelins, car les trois frères ont aussi une soeur, prennent la décision de vivre en autarcie, à l’abri du monde des « municipiens ». Tout le récit aura ensuite comme pivot le destin de la cadette Noéma, devenue à vingt ans « la tourneuse des bars dans toutes les contrées, [qui] chante l’amour et la peine dans le style country-gigué ou country-planant » ( CDD , 25). C’est son retour au bercail qui précipite le drame, car Noéma qui avait d’abord fait faux-bond au rendez-vous fixé un an après son départ, réapparaît un bon jour, mais dans un état catatonique… Ses frères sont consternés, mais ils se mettent en frais de l’arracher à sa déchéance, elle qui n’émet plus comme chant qu’une suite monotone de « Et… » Les grands frères de Noéma ont fort à faire pour repousser d’abord les assauts de bien-pensants qui veulent faire hospitaliser la jeune femme. Puis, lorsque Noéma se montre capable d’émettre des ondes lumineuses, c’est la curiosité malsaine, parce qu’intéressée, de la masse des mondains qui vient menacer l’entreprise salvatrice des frères à l’égard de leur soeur. C’est un véritable coup de théâtre qui viendra libérer et les frères attentionnés mais demeurés impuissants jusque-là à guérir Noéma, et cette dernière qui, avec le Dire-Dire en guise d’alliance, va s’unir au Tonnerre en une sublime fusion du masculin et du féminin.
Un tel résumé de l’argument de la pièce ne rend pas justice à la profusion carnavalesque qui caractérise le discours des trois frères, et à leur incessante activité perlocutoire : c’est que la tâche essentielle de Rock, William et Fred-Gilles est de surmonter leurs conflits au sujet de l’acte de langage approprié pour agir efficacement sur le monde et ils y parviennent en effet, une fois qu’ils sont solidaires d’un but commun : dire-dire les noces de Noéma avec l’imaginaire, le mythe. Tout se passe comme si, dans cette fable, l’enjeu était tout entier dans la capacité même du langage non seulement d’infléchir le cours des choses, mais de produire un réel, un réel autre, ce qui est la tâche supérieure d’un shaman ou du poète.
Quelles sont les conséquences sur le langage de cette orientation ouvertement allégorique de la fable ? Le chant du Dire-Dire affiche déjà dans son titre les deux modalités expressives qui construisent le discours fictionnel. D’une part, le chant est ce qui définit positivement et négativement Noéma, car elle s’est détruite à vouloir séduire le monde par son chant et elle en a conservé un stigmate vocal — un son unique, « Et… », où se concentre toute la nécessité d’un chant à venir. D’autre part, le dire est ce qui définit le mode d’être des frères Durant : ils sont ceux qui disent et redisent, redoublant de la sorte la fonction symbolique dangereuse du Dire-Dire, cet objet fabriqué par les parents, tel un legs prémonitoire avant qu’ils ne soient fauchés par les éléments déchaînés.
Cette fois, la langue de Danis se fait nettement plus néologisante, amalgamant volontiers des expressions familières à des trouvailles : « le cul noir des nuages frôlait la cime des arbres » ; « Sur le toit de tôle de la maison, la pluie clouait des gouttes de fer » ( CDD , 16) ; « on a mis nos trente-six » ( CDD , 26) ; « pendant que le soleil s’en allait journer ailleurs » ( CDD , 35) ; « Les coups de tonnerre se rapprochent et s’amusent à faire cogner ensemble les fronts cardinaux » ( CDD , 74). Ce ne sont là que quelques exemples de l’activité transformatrice dont le texte est porteur. En ce qui concerne les néologismes proprement dits, on a également l’embarras du choix : les termes « tonnerreux », « arrachis », « brise-face », « encouvertés », « emmaisonné », « désagacer », etc. Mais ces innovations viennent se fondre en réalité dans un idiolecte qui est de part en part un jeu de langage, en ce qu’il touche l’organisation syncopée de l’énoncé, et qu’il intègre des locutions figées, un grand pan du lexique québécois d’origine populaire, mais aussi des termes tirés de domaines spécialisés. Une réplique de Fred-Gilles et une autre de Rock serviront à illustrer ce point :
CDD, 36Fred-Gilles.
Noéma demeure comme grisée. On la soulève, on l’amène. On monte les escaliers du sud et, devant le cadre de porte, une crise… inattendue. Les jambes, les bras dans tous les sens. Une respiration forte. Son coeur voulait sortir de sa poitrine, comme. On l’a échappée, on est tous tombés.
Les trois frères, sans voix, essaient, une troisième, une cinquième fois et, toujours devant le cadre de porte, une brusquerie à les renverser dans les marches de l’escalier.
CDD, 46Rock.
William et Fred-Filles pleuraient comme des bébés, par terre. Après un temps, ils se sont calmés, je les ai rapprochés l’un de l’autre, tête-à-tête. Je suis allé chercher notre soeur que j’ai glissée près de leurs visages encore engrimacés. Je suis revenu avec de la gomme à mâcher de voyage, et une enveloppe de radiographies et des scanographies de Noéma.
Par ailleurs, deux autres phénomènes ne manquent pas d’attirer l’attention dans ce texte : les doublons du type « reliés-soudés » et l’usage fréquent d’une locution suspensive, dont on a rencontré une occurrence plus haut : « Son coeur voulait sortir de sa poitrine, comme. » L’un et l’autre procédés littérarisent des pratiques orales : l’autocorrection lexicale et l’atténuation rétroactive d’un énoncé. Mais ce qu’il importe de prendre en compte, c’est moins la somme des emprunts à des formes parlées que la configuration langagière globale dans le discours de l’oeuvre. Vue sous cet angle, la parole des personnages-conteurs dans Le chant du Dire-Dire relève d’une gestualité verbale plus que d’un impératif mimétique. Rock, William et Fred-Gilles sont ni plus ni moins que ce qu’il disent , et leur vérité n’est pas dans la conformité de leur discours avec un quelconque modèle préétabli, s’il en est un, de ce qui peut ou non se dire sur une scène. Si la langue peut devenir un enjeu dramaturgique, c’est-à-dire poétique, c’est dans la mesure où, pour Danis, « corps et langue sont un[37] ». Le « parolique [38] » est le terme attribué par l’auteur à cette poétique du corps parlant qui se fait écriture d’une expérience mi-physiologique, mi-onirique d’« une blessure-image imprimée dans le corps[39] ». Ailleurs, Danis a pu déclarer que « ce sont les différentes sensations intérieures qui me font aboutir à la transcription de cette expérience corporelle[40] ». En ce sens, la langue de théâtre de Danis est certes représentative de la surconscience linguistique que Lise Gauvin a décrite comme une propriété centrale des littératures émergentes dans la francophonie[41]. Mais la littérarisation de la langue parlée populaire ne trouve-t-elle pas son principe d’engendrement décisif dans une surconscience corporelle qui dynamise, déréalise, opacifie l’acte de parole ?
L’oralité souveraine : bilan provisoire
Ancrer l’oralité dans l’expérience corporelle d’un sujet est une chose, en éprouver la vibration poétique dans la parole d’un personnage qui est d’abord couché sur le papier en est une autre. À cet égard, la dramaturgie de Daniel Danis nous a paru propice au réexamen de ce que produit sur le lecteur-spectateur une écriture dramatique qui non seulement met en tension l’oralité et la littérarité, mais qui opère aussi un déplacement notable dans le mode parlé du personnage, devenu une créature iconique : une image dotée de parole. Il en résulte un effet paradoxal : c’est la vocalité qui a préséance sur l’agir et, néanmoins, la gestualité vocale prend sa source dans une surconscience corporelle que l’auteur transfère vers ses parleurs, comme si l’essentiel était de ressaisir ce qui, dans la langue, échappe à la langue.
L’oralité ainsi entendue met en échec l’illusion dialoguée au profit d’un dialogisme entre le corps — défini comme dispositif pulsionnel, suivant Lyotard — et la parole des conteurs qui s’adressent directement au spectateur, pour le prendre à témoin des bonheurs et des malheurs, des réussites et des échecs qu’engendrent les actes de langage. En ce sens, les marques apparentes d’oralité (lexicales notamment) dans le théâtre de Danis sont inséparables du mouvement dans la parole qui, plutôt que de « faire semblant », cherche à faire penser. Les personnages font d’abord acte de présence, avant de livrer ce qui s’apparente à une déposition. Ils com-paraissent car ils sont de l’ordre du « par-être » (Jean-Luc Nancy).
Au terme d’une réflexion sur l’oralité comme vecteur d’une poétique débrayée de l’illusion mimétique, nous voyons bien ce que notre entreprise a de lacunaire, à partir d’un échantillonnage forcément restreint. Il est probable sinon certain qu’il existe d’autres configurations dramaturgiques au Québec qui font interagir le corps et la parole dans l’écriture, selon des modalités qui restent à explorer. Autrement, même en se limitant à l’expérimentation d’un Danis, il n’est pas interdit de croire que le théâtre québécois a perdu son innocence identitaire : la langue fait maintenant entendre d’autres dictions, d’autres corps parlants. Dès lors, les questions de savoir qui parle ?, comment ? et à qui ? méritent d’être reposées.
Parties annexes
Note biographique
Gilbert David
Il est professeur agrégé au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal ; son enseignement et ses recherches portent sur la dramaturgie québécoise ainsi que sur l’histoire et l’esthétique théâtrales au xxe siècle, tant au Québec qu’en Europe et aux États-Unis. Il est membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ). En tant que spécialiste du théâtre québécois, il a collaboré à plusieurs ouvrages de référence et il a publié, depuis 1975, de nombreux articles dans divers périodiques spécialisés, tant au Québec qu’à l’étranger. Parmi ses publications récentes, mentionnons le catalogue d’une exposition intitulée Théâtres au programme : panorama des programmes de théâtre de langue française à Montréal au xx e siècle (en coll. avec Sylvain Schryburt, Bibliothèque nationale du Québec et CÉTUQ, 2002), la réédition, revue et augmentée, de l’ouvrage collectif Le Monde de Michel Tremblay [1983] (avec Pierre Lavoie, Éditions Lansman, 2003 et 2005) et, finalement, Théâtres québécois et canadiens-français au xx e siècle (Presses de l’Université du Québec, 2003), un ouvrage collectif qu’il a codirigé avec Hélène Beauchamp, et dans lequel il signe une étude sur « La critique dramatique au Québec ». Ses recherches actuelles portent sur les écrits québécois sur le théâtre dans la première moitié du xxe siècle et sur la dramaturgie québécoise au féminin. Il est directeur de Rappels (Éditions Nota bene, 2006), bilan annuel d’une saison d’activités théâtrales au Québec.
Notes
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[1]
Le mot est de Daniel Danis, j’y reviendrai.
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[2]
Je me permets de renvoyer à un texte où je tentais de préciser la relation historico-culturelle du théâtre québécois à l’égard du théâtre hexagonal, que je qualifiais de « quasi-Autre » : « L’Autre et le même : théâtre de France et théâtre québécois », dans Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos (dir.), Théâtre, multidisciplinarité et multiculturalisme , Québec, Nuit Blanche Éditeur, 1997, p. 79-91.
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[3]
Toutes les références aux textes de Daniel Danis se feront, dans la suite de mon texte, en recourant aux abréviations suivantes des titres d’oeuvres : CE = Celle-là , Montréal, Leméac, 1993 ; CC = Cendres de cailloux , Montréal/Arles, Leméac/Actes Sud-Papier, 2000 [1992] ; CDD = Le chant du Dire-Dire , Paris, L’Arche, coll. « Scène ouverte » , 2000.
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[4]
Par exemple, les pièces de Marie Laberge ( L’homme gris , entre autres) ou de Serge Boucher (notamment 24 poses [portraits] et Avec Norm ) ne font-elles pas qu’instrumentaliser le parler populaire, devenue simple caution d’un reflet sans aspérité du monde ? Un tel naturalisme est on ne peut plus daté et il se trouve à reconduire les pires clichés sur la condition humaine, à grands renforts de pathos et de bons sentiments. En ce sens, la langue ici se présente comme le signal mécanique d’un étant privé de toute expressivité dissonante. Pascale Casanova avance que l’hégénomie du « réalisme » dans les petites cultures, selon les déclinaisons les plus variées, « exclut toute forme d’autonomie littéraire » ( La République mondiale des Lettres , Paris, Seuil, 1999, p. 270) et elle ajoute plus loin : « les préoccupations formelles, c’est-à-dire spécifiquement littéraires et autonomes, n’apparaissent dans les “petites” littératures que dans une seconde phase, lorsque, les premières ressources littéraires ayant été cumulées, la spécificité nationale établie, les premiers artistes internationaux peuvent mettre en cause les présupposés esthétiques liés au réalisme et s’appuyer sur les modèles et les grandes révolutions esthétiques reconnus au méridien de Greenwich » ( ibid ., p. 274).
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[5]
Il serait trop long de rendre compte de l’historicité de cette polarisation qui n’a pas attendu notre époque pour se manifester : que l’on songe seulement à l’antinomie du théâtre d’un Gratien Gélinas et d’un Claude Gauvreau dans les années 1940. Cependant, il apparaît que ladite polarisation s’est exacerbée à compter des années 1980, et ce n’est pas un hasard si c’est sur la langue à privilégier au théâtre que les joueurs se sont manifestés dans les luttes pour le capital symbolique, voire la légitimité sociopolitique.
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[6]
Pascale Casanova, op. cit. , p. 246. Les italiques sont de l’auteure.
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[7]
Nous pourrions ajouter ici les noms d’auteurs issus de l’immigration, tels Marco Micone, Abla Farhoud, Wajdi Mouawad ou Pan Bouyoucas, dont la langue d’apprentissage fut le français dit standard.
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[8]
Arnaud Rykner, « Faillite du dialogue », dans Paroles perdues. Faillite du langage et représentation , Paris, José Corti, 2000, p. 40.
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[9]
Ibid ., p. 43. L’italique est de l’auteur.
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[10]
Rykner identifie ainsi les différents ordres à l’intersection desquels le verbe est voué à la défaillance : le « lu » et le « dit », le « dit » et le « montré », le « montré » et le « vu », ibid ., p. 28. Il faut noter que l’auteur inscrit son approche dans une perspective dramatologique, qu’il définit ainsi : « Là où les uns ne voient que le texte et les autres que la représentation (à décoder, c’est-à-dire à transcrire intégralement en signes), le dramatologue, lui, veut apercevoir la représentation dans les failles du texte ; il traque la scène dans l’envers du dialogue, cet envers où elle est déjà inscrite sans être encore tout à fait accomplie », ibid ., p. 30. Les italiques sont de l’auteur.
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[11]
Cf. Hans-Thies Lehmann, Le théâtre postdramatique (traduction de l’allemand par Philippe-Henri Ledru), Paris, L’Arche, 2000.
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[12]
Henri Meschonnic, « Qu’entendez-vous par oralité ? », dans Les états de la poétique , Paris, Presses universitaires de France, coll. « Écriture », 1985, p. 133.
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[13]
Ibid ., p. 125.
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[14]
Henri Meschonnic, Politique du rythme, politique du sujet , Paris, Verdier, 1995, p. 151.
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[15]
Ibid ., p. 152.
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[16]
Ibid ., p. 143.
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[17]
Ibid ., p. 151.
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[18]
Voir Henri Meschonnic, Critique du rythme. Anthropologie historique du langage , Lagrasse, Verdier, 1990 [1982]. Je tiens ici à reconnaître ma dette envers la synthèse critique remarquable de Lucie Bourassa : Henri Meschonnic, Pour une poétique du rythme , Paris, Bertrand-Lacoste, 1997 : j’y ai trouvé d’utiles repères théoriques et pratiques pour mener à bien mon analyse des textes de Danis.
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[19]
Denis Guénoun, Le théâtre est-il nécessaire ?, s. l., Éditions Circé, coll. « Penser le théâtre », 1997, p. 20.
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[20]
Aristote, Poétique (Introduction, traduction nouvelle et annotations de Michel Magnien), Paris, Librairie générale française, coll. « Classiques de poche », p. 95 [1450b]. Soulignons que le critère de nécessité invoqué par Aristote renvoie à la notion de vraisemblance macrostructurale dans la tragédie et à une économie de la parole qui légifère implicitement sur son caractère nécessaire et convenable.
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[21]
Idem.
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[22]
Notons que la Mère ne sortira de scène qu’à l’avant-dernière séquence, intitulée « Partance ». En ce qui concerne le sous-titrage des scènes dans les trois textes de notre corpus, soit Celle-là , Cendres de cailloux et Le chant du Dire-Dire , nous y voyons la marque d’un procédé épique (peut-être d’origine brechtienne), mais qui fonctionne aussi comme un processus de romanisation du discours de chaque oeuvre : l’instance auctoriale se scinde en narrateurs-personnages, et si elle conserve la main haute sur le déroulement du récit global, elle expose toutefois clairement sa présence intervenante.
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[23]
Chacun des trois personnages a sa temporalité propre et leur intersection ne se produit qu’à partir du récit que chacun fait de sa relation aux deux autres. Il en résulte une espèce de flou qui enveloppe le discours dans une sorte de rêve éveillé, avec le va-et-vient de revenants venus témoigner de leur malheur commun.
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[24]
Précisons que pas moins de 10 phrases sur 21 comptent 5 syllabes ou moins : voir les vers 2, 3, 5, 8, 10, 13, 16 et 17.
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[25]
« Barda » ou « berda » s’écrivent sans s, selon Gaston Dulong, Dictionnaire des canadianismes , Larousse Canada, 1989, p. 40.
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[26]
Dans son article pénétrant, intitulé « Daniel Danis et le théâtre de la parole », Jane Moss a pu souligner jusqu’à quel point le dramaturge « recourt à divers niveaux de langue », en précisant : « Dans leurs échanges ou leurs discours fulminants contre la vie, les personnages de Danis utilisent un langage populaire, farci d’expressions vulgaires et obscènes », dans Betty Berdnarski et Irene Oore (dir.), Nouveaux regards sur le théâtre québécois , Montréal, XYZ éditeur, coll. « Documents », 1997, p. 119. Se penchant longuement sur le discours du Vieux dans Celle-là , Jane Moss y décèle, comme nous, « une disjonction entre son corps et ses émotions » (p. 123), mais, sans l’ignorer, elle n’étaye pas suffisamment, à notre avis, la littérarisation qu’opère l’auteur dans le rendu verbal de ses personnages.
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[27]
Une didascalie initiale précise : « La parole des trois personnages se superpose dans certaines scènes, sans qu’ils soient pour autant dans un temps homogène » ( CE , 4) ; on se reportera également à la scène 20 pour des répliques à proférer en même temps par deux ou trois personnages ( CE , 48-50).
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[28]
Précisons que l’instance auctoriale, chez Danis, est ainsi déléguée aux personnages, leur conférant dès lors une dimension métadramatique.
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[29]
Pour la distinction, cruciale ici, entre représentation et présentation, je renvoie à l’échange de Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy dans « Dialogue sur le dialogue », Études théâtrales , Louvain-la-Neuve, no 31-32, 2004-2005, p. 79-96. J’en retiens notamment cette observation de Jean-Luc Nancy : « pas de “présentation” originaire, mais un espacement des présences. “Espacement” parce qu’il n’y a pas “la présence”, mais toujours d’emblée des présences, et co-présentes. La présence comme prae(s)entia est telle que le co-, l’“avec”, ne lui est pas attribuable, mais constitutif », ibid ., p. 87. On peut penser que la co-présence, dont parle Nancy, prend un tour plus décisif lorsque la fiction dramatique privilégie la présentation, au détriment de la représentation.
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[30]
André Jolles a pu faire remarquer que l’envers du conte est l’univers tragique : « Le tragique, soutient-il, survient [dans le conte] quand ce qui doit être ne peut pas être ou quand ce qui ne peut pas être doit être », Formes simples (trad. de l’allemand par Antoine Marie Buguet), Paris, Seuil, 1972 [1930], p. 191.
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[31]
Dans la version 1992 (Leméac/Actes Sud/Papiers, p. 88), cette strophe se lisait ainsi : « Durant la guerre du Golfe / on a vu à la T.V. des soldats qui parlaient / Presque de mon âge / i étaient dans le désert / et moi assis à rien faire / buvant ma bière froide. / I étaient hors d’eux / à se croire invincibles. »
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[32]
Ce patronyme existe vraiment, mais Danis l’utilise ici pour désigner l’animal qui « a mordu le cerveau » de son personnage, sur le modèle des Pégase, Sphynx ou Griphon, tous animaux fabuleux.
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[33]
Le personnage de Coco (surnom courant substitué au prénom Jacques au Québec) établit lui-même la généalogie de Gulka : d’abord, à la séquence 10 « La forêt rasée » dans laquelle il fait remonter l’existence de la bête, encore innommée, à sa petite enfance ( CC , 32-33) ; la première occurrence du nom Gulka se produit à la séquence 15 ( CC , 43-45) et il se passe ensuite plusieurs séquences, avec ou sans Coco, avant que le nom de la bête ne vienne envahir l’espace mental du personnage (séquence 32, extrait que nous avons choisi) ; ce n’est qu’à la toute dernière séquence, « Danser avec la vie », que le nom de Gulka réapparaît dans la bouche de Coco ( CC , 122) qui parle alors littéralement d’outre-tombe, puisqu’il s’est tiré une balle dans la tête deux séquences auparavant.
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[34]
Relevons la répétition consonantique en « m », dans la dernière strophe de l’extrait choisi (vers 81 à 88), qui débouche sur une allitération en « g » (vers 89) : « Un homme à sec / ma forêt vide / un animal affamé. / Je cherche un rêve / un rêve que je pourrais m’inventer / une fois pour toutes. /Mais je vois jamais rien. / Ma forêt est morte. / G ulka est g rand et g ros. »
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[35]
La place manque pour étudier de plus près l’emploi fréquent de la citation de propos tenus par d’autres personnages ou de l’autocitation à l’intérieur d’une séquence entièrement monologuée, par exemple aux scènes intitulées respectivement « Laver l’intérieur » ( CC , 15-18), « Côté coeur » ( CC , 28-31), « Un coeur coincé » ( CC , 46-47) et « Un bloc de glace sous la dent » ( CC , 90-91). Notons seulement que cette pratique nécessite des ruptures dans l’énonciation pour permettre au discours de « faire entendre » différentes voix.
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[36]
Notons qu’une didascalie dans Celle-là se rapporte explicitement à la recherche d’un tel état second à la scène 17 « La lune cassée » : « La Mère, le Fils et le Vieux sont entraînés dans un mouvement circulaire qui évoque la transe » ( CC , 38).
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[37]
Daniel Danis, dans le programme de la création du texte Le langue-à-langue des chiens de roche , Paris, Théâtre du Vieux-Colombier, novembre 2001, p. 9.
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[38]
Ibid.
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[39]
Daniel Danis, lettre datée du 7 août 2003, publiée dans la brochure pédagogique réalisée à l’occasion de la production de Celle-là, dans la mise en scène de Jean-Pierre Ryngaert, octobre 2003, Moutier (Suisse).
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[40]
Daniel Danis, « “Qu’est-ce que ça mange, un dialogue ?…”, Dialogue avec Alain Françon, Jean-Pierre Ryngaert et Anne Contensou », Études théâtrales , no 33, Louvain-la-Neuve, 2005, p. 182.
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[41]
Lise Gauvin, Langagement , Montréal, Boréal, 1999. Selon l’auteure : « le commun dénominateur des littératures dites émergentes, et notamment francophones, est de proposer, au coeur de leur problématique identitaire, une réflexion sur la langue et sur la manière dont s’articulent les rapports langues/littérature dans des contextes différents. La complexité de ces rapports, les relations généralement conflictuelles — ou tout au moins concurrentielles — qu’entretiennent entre elles deux ou plusieurs langues, donnent lieu à cette surconscience dont les écrivains ont rendu compte de diverses façons. Écrire devient alors un véritable “acte de langage”. Plus que de simples modes d’intégration de l’oralité dans l’écrit, ou que la représentation plus ou moins mimétique des langages sociaux, on dévoile ainsi le statut d’une littérature, son intégration/définition des codes et enfin toute une réflexion sur la nature et le fonctionnement du littéraire » (p. 8, l’italique est de l’auteure).