Présentation[Notice]

  • Josias Semujanga et
  • Alexie Tcheuyap

Consacré à Ahmadou Kourouma, ce numéro veut rendre hommage à un écrivain de renommée internationale et se faire l’écho de l’activité critique que suscite toujours son oeuvre, presque quarante ans après la publication de son premier roman, Les soleils des indépendances, par la revue Études françaises, en 1968. Par son titre, cette livraison aborde les romans de Kourouma à partir de l’idée que ceux-ci évoquent des sujets en prise directe avec l’histoire de l’Afrique contemporaine telle qu’elle se construit au jour le jour. Certes, parler de temps présent pour évoquer la fiction romanesque ne semble guère convaincant quand on sait l’immense travail de subversion de la fiction sur les événements historiques. Cependant, par une telle ouverture à l’histoire contemporaine et à l’actualité la plus proche, comme les guerres coloniales, le tumulte des indépendances nationales, les dictatures de la guerre froide et les guerres civiles des temps présents, ce dossier établit la façon dont Kourouma échafaude l’histoire de l’instant sur l’Afrique par le détour du roman. Et cela sans que la séparation soit étanche entre le fictionnel, l’esthétique et l’historique. Ce faisant, une question surgit. Pourquoi, et comment, à l’heure actuelle, parler des rapports entre roman et mémoire dans l’oeuvre de Kourouma sans revenir au temps de la critique sociologique qui voit partout de l’actualité dans la littérature africaine ? Ne serait-ce pas une voie comme une autre de revenir à un certain moralisme colporté aussi bien par les écrits afrocentristes que par les postulats eurocentristes dont on connaît les écueils dans l’histoire de la critique africaine ? On sait, en effet, que, dès son commencement, la critique littéraire africaine, comme tout autre procès critique, considère que la littérature s’est conquis un espace autonome, un lieu de discours volontiers figuré comme au-delà des normes et des pratiques sociales, même si cela n’a pas empêché certains critiques de contester cette autonomie, comme le faisaient encore, entre autres, les auteurs des Actes du colloque de Yaoundé : le critique africain et son peuple comme producteur de civilisation, en 1973. L’engagement politique de l’écrivain comme du critique a sans doute encombré pendant longtemps la critique africaine de moralisme esthétique. Cependant, les analyses initiées par les théories linguistiques dans la foulée du structuralisme ont abordé les textes africains comme objets autonomes dont le procès esthétique résiderait dans la forme, en se donnant pour objectif une analyse basée sur les structures des oeuvres. De façon spécifique, de très nombreux critiques de l’oeuvre de Kourouma, dont on cite ici quelques exemples, recoupent plus ou moins cette double tendance de la critique africaine à la fois moralisante, engagée, mais aussi analytique. La critique a déjà souligné l’humour ravageur, la puissance d’évocation, la complexité des personnages, d’une oeuvre hantée par l’absurdité, à travers une langue forte, très orale, qui restituerait en profondeur l’Afrique contemporaine, comme le notent deux numéros de revue consacrés récemment à l’auteur . Bien auparavant, Makhily Gassama, dans La langue d’Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d’Afrique , avait publié une étude linguistique et littéraire des Soleils des indépendances, qui se livrait également à une méditation sur la fonction sociale de la littérature africaine de langue française dans le devenir culturel du continent africain car Kourouma marque, avec sa malinkisation de la langue de Molière, une césure qui allait faire date dans les écritures africaines. Madeleine Borgomano — Ahmadou Kourouma, le guerrier griot  —, présente les structures des romans Les soleils des indépendances et Monnè, outrages et défis, en les situant au carrefour des grands événements qui ont marqué l’Afrique moderne aussi bien sur les plans stylistique que …

Parties annexes