Volume 42, numéro 3, 2006 Ahmadou Kourouma ou l’écriture comme mémoire du temps présent Sous la direction de Josias Semujanga et Alexie Tcheuyap
Sommaire (9 articles)
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Présentation
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Des ruses du roman au sens de l’histoire dans l’oeuvre de Kourouma
Josias Semujanga
p. 11–30
RésuméFR :
L’article analyse les méandres de l’histoire et de la fiction dans les romans de Kourouma. Il vise à montrer la corrélation entre leurs aspects narratifs et thématiques. D’une part, l’unité de cette oeuvre iconoclaste se construit à partir des événements de l’histoire contemporaine de l’Afrique depuis l’époque coloniale jusqu’à maintenant. Et, d’autre part, contrairement aux discours dogmatiques — discours colonial, négritude, indépendance — ou à ceux de l’historien dont l’objet est la vérité, la fiction romanesque s’énonce sur la base d’une parodisation généralisée des idées établies sur l’histoire et la culture africaines.
EN :
This article analyzes the intricate relations of History and Fiction through Kourouma’s novels. It intends to demonstrate the high link between narrative and thematic levels in the novels. On one hand, we show how the unity of Kourouma’s work, which is iconoclastic one, is constructed from some contemporary events of african History. On the other hand, contrary to the dogmatic discourses, like colonial discourse, the négritude ideology or the african nationalism, and the historian discourse as the one way of knowlege, the Kourouma’s fiction is based on the parody as voice which is process of dismantling those foundational narratives of african doxa.
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Mémoire et violence chez Ahmadou Kourouma
Alexie Tcheuyap
p. 31–50
RésuméFR :
À partir d’une critique et d’une redéfinition du concept de « trace », de « marque » et de « lieu de mémoire », cet article interroge d’autres inscriptions de la mémoire de la violence dans quelques récits de Kourouma. Dans une perspective spatiale, il explore essentiellement des lieux non conventionnels, « insolites » de la mémoire culturelle et politique des peuples figurés dans quelques textes du romancier ivoirien, lieux parfois constitués par d’anonymes sujets sociaux pourtant porteurs des marques d’une tragique histoire collective. Il ressort de ces analyses une élaboration de la mémoire corporelle et de la mémoire spatiale dont la constitution naît aussi des déplacements que le sujet est forcé d’effectuer. Ceux-ci permettent de tracer, de marquer lieux et espaces dans des récits dont certains des acteurs ont la même trajectoire et portent la même identité que des acteurs impliqués dans des drames africains contemporains. En ce sens, même s’il figure d’autres formes de mémoire, le texte fictionnel lui-même se constitue en savoir ayant la prétention de faire concurrence à la réalité représentée.
EN :
Based on a critical redefinition of the concepts of “trace,” “mark” and “memory site,” this article analyses some novels by Ahmaodu Kourouma and looks at other unconventional and untraditional venues where memory is archived. Anonymous social subjects that bear the painful marks of a tragic social history generally host these venues. That results into the elaboration of a body and spatial memory that are generally constituted by the movements that characters are forced to undertake. These movements help leave traces and marks in narratives where some protagonists are reminiscent of war figures that were actually involved in some recent African dramas. In this sense, even though it exposes other sites of memory, the novels analyzed in this essay are significantly reminiscent of reality and constitute a source of historical knowledge.
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En attendant le vote des bêtes sauvages ou le roman d’un « diseur de vérité »
Sélom Komlan Gbanou
p. 51–75
RésuméFR :
« Je ne suis pas engagé. J’écris des choses qui sont vraies. Je n’écris pas pour soutenir une théorie idéologique politique, une révolution, etc. J’écris des vérités, comme je les ressens, sans prendre parti. J’écris les choses comme elles sont. Comme le diseur de vérité… Je ne suis pas sûr d’être engagé » (Ahmadou Kourouma, « Entretien avec Ahmadou Kourouma », propos recueillis par Thibault Le Renard et Comi M. Toulabor, Politique africaine, no 75, octobre 1999, p. 78). Tels sont les termes par lesquels Kourouma justifie, à la parution de En attendant le vote des bêtes sauvages, sa démarche créatrice qui est de mettre la fiction au service de la vérité historique, d’en faire une voie d’accès à la mémoire du présent, de chercher dans le merveilleux romanesque la réalité du monde et des êtres. La présente étude interroge les modalités par lesquelles la fiction de Kourouma dans ce roman réécrit l’histoire et la mémoire du présent.
EN :
“I am not politically committed. What I write is true. I do not write to support an ideological political theory, a revolution, etc. I write the truth, as I feel it, without taking sides. I write things as they are. As the teller of truth, I am not sure of being committed.” When En Attendant le vote des bêtes sauvages was published, these were the words Kourouma used to justify his creative approach of putting fiction into the service of historical truth, of making it a path of access to the memory of the present, a search for the reality of the world and its beings within the fictional. The present study examines the methods Kourouma employs to rewrite history and the memory of the present in this novel.
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La mémoire discursive dans Allah n’est pas obligé ou la poétique de l’explication du « blablabla » de Birahima
Christiane Ndiaye
p. 77–96
RésuméFR :
Cette étude vise à dégager certaines des traces des discours antérieurs (cotextuels) qui sont la matière même du roman Allah n’est pas obligé, à la fois sur le plan de l’écriture et sur celui d’une mémoire douloureuse. Il s’agit de montrer que la « poétique de l’explication » qui caractérise le roman constitue une stratégie de dévoilement des rhétoriques fallacieuses destinées à occulter l’inadmissible. En effet, le recours constant aux dictionnaires n’est que l’effet le plus visible d’une poétique englobante qui consiste à confronter les uns aux autres les discours sur le monde, discours en deçà des mots inscrits dans le texte comme une mémoire en palimpseste, afin de faire ressortir leur incapacité à expliquer des réalités aussi inhumaines que le sort que subissent les enfants-soldats. Le roman de Kourouma met ainsi en évidence deux attitudes possibles face aux atrocités indicibles des guerres oubliées des temps présents : soit on en nie le caractère insensé en multipliant les discours d’explication, soit l’on dénonce toute tentative de manipulation des discours visant à rendre sensé l’insensé. La première posture est illustrée par le « blablabla » du narrateur Birahima ; la deuxième est celle du roman lui-même.
EN :
This article examines the traces of anterior (co-textuel) discourses which prove to be the very material of the novel Allah n’est pas obligé, in terms of its composition as well as the putting into words of painfull memory. The objective is to show that the “poetics of explanation” which charactarizes the novel constitutes a strategy unmasking fallacious rhetoric used to disguise the inadmissible. The constant reference to the dictionnaries is, in fact, only the most visible effect of a more comprehensive poetics which consists in confronting against each other social discourses, “preceding” discourses inscribed in the text in the manner of memory in palimpsest, in ordre to reveal their incapacity to explain realities as inhuman as the fate of child soldiers. Kourouma thus exposes two possible attitudes in the face of the unspeakable atrocities of the forgotten wars of our times: either one attempts to deny their senselessness by multiplying explanatory discourses, or one condemns any endeavor to manipulate discourse in ordre to make that which is devoid of sense appear meaningful. The first position is illustrated by the narrator Birahima’s blabalbla; the second is that of the novel itself.
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Le rire cosmique de Kourouma
Xavier Garnier
p. 97–108
RésuméFR :
L’ambition de cet article est de montrer que l’humour est à la fois chez Kourouma une technique d’écriture et une modalité de perception de la réalité. L’humour appliqué à des situations coloniales et postcoloniales le plus souvent difficiles, voire insoutenables, pour le continent africain, permet à Kourouma d’articuler le politique — aussi dégradé soit-il en apparence — sur le cosmique. Une telle articulation rend à l’Histoire de l’Afrique, particulièrement depuis la conquête coloniale, toute sa dimension événementielle. Au rebours d’une idéologie coloniale tenace, Kourouma nous dit que quelque chose n’a jamais cessé d’avoir lieu en Afrique, qui concerne le monde dans sa totalité.
EN :
This article aims to show that in Kourouma’s novels, humour is both a writing device and a mode of perception of reality. When applied to colonial and postcolonial situations in Africa, situations that are most often painful, even unbearable for those who live on the African continent, humour allows Kourouma to articulate the political—no matter how watered down—and the cosmic. Such an articulation brings back to the History of Africa—and particularly since the colonial conquest—its hitherto overlooked connection to events. Against the die-hard tenets of the colonial ideology , Kourouma tells us that something never ceased to happen in Africa, something that concerns the world as a whole.
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Histoires du féminin, discours au féminin dans l’oeuvre d’Ahmadou Kourouma
Véronique Bonnet
p. 109–121
RésuméFR :
Cette étude se propose d’examiner comment au fil de l’oeuvre d’Ahmadou Kourouma se construit une histoire du féminin et des discours au féminin relevant des pratiques d’une mémoire postcoloniale. Analysant le statut et le discours des personnages féminins dans l’oeuvre de l’auteur ivoirien, dévoilant en quoi « l’effet personnage » se porte garant d’une reconfiguration mémorielle, l’article sonde la façon dont les personnages interrogent la mémoire du temps présent. Il se veut également attentif à l’émergence d’un récit idéologisé, celui qui entend énoncer une leçon d’histoire portant sur les récents événements de la Côte d’Ivoire.
EN :
This article is intended to explore how women’s history and discourses, in the quest of postcolonial memory, are built up throughout Ahmadou Kourouma’s novels. It analyses the status and discourses of female characters in the Ivorian writer’s novels. It also tends to understand why Effet Personnage is considered as a novel that helps to build up memories. The aim of the article is to state how characters wonder about present time memory. Furthermore, it takes into account the emergence of an ideological discourse, which tends to enunciate historical feedback in relation to current events in Côte d’Ivoire.
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Kourouma ou les errements du témoin africain dans l’impasse de l’histoire
Armelle Cressent
p. 123–141
RésuméFR :
Partant de l’analyse de Paul Ricoeur sur les composantes épistémologiques du témoignage en histoire, nous discutons de l’apport de l’oeuvre littéraire de Kourouma à une réflexion théorique quant à la possibilité pour l’Africain de témoigner de son vécu. Nous abordons des questions comme celles de l’aptitude de l’Africain à témoigner en tant qu’individu, de la relation entre l’Africain et l’auditoire nécessaire à l’écoute de son témoignage, de l’instabilité de sa présence et de son je dans les champs littéraire et historiographique. La trajectoire de l’oeuvre de Kourouma permet en effet de formuler des pistes pour mieux comprendre la rareté des témoignages africains, principalement dans le champ de l’histoire institutionnelle.
EN :
Taking as starting point Paul Ricoeur’s analysis on the epistemological components of historical testimony, we discuss the contribution of the literary work of Kourouma to a theoretical reflection on the possibility of the African giving testimony to his or her experience. We broach such questions such as the African’s ability to express evidence as an individual, the relation between the African and the audience required to hear the account, the instability of the African’s presence and his or her I in literary and historiographic fields. The trajectory of Kourouma’s work makes it possible to formulate paths to better understand the rarity of African testimonials, principally in the area of institutional history.
Exercice de lecture
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Une pratique de réécriture revêche : la transposition d’un roman à la scène. Le cas de Mont-Revêche dans la théâtralisation sandienne
Dominique Laporte
p. 145–155
RésuméFR :
Infirmant l’idée reçue selon laquelle le « style coulant » (Baudelaire, Barbey d’Aurevilly) de George Sand flattait la bourgeoisie, Mont-Revêche exemplifie une écriture subversive qui travaille à mettre en cause la consécration des valeurs bourgeoises au lendemain du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte (1851). Sous cet angle, ce roman brosse un tableau théâtralisé de la respectabilité bourgeoise pour mieux la déconstruire à des fins ironiques ou parodiques. La difficulté de George Sand à transposer Mont-Revêche au théâtre pour une scène parisienne, rappelle, par contre, qu’à la différence de la littérature romanesque « d’avant-garde » (les Goncourt, Flaubert), la production théâtrale sous le Second Empire devait s’accommoder de l’horizon d’attente de la bourgeoisie pour connaître le succès.
EN :
Written when the Second Empire began (1851), Mont-Revêche invalidates the idea that middles classes were satisfied with the George Sand’s style (“le style coulant, cher aux bourgeois,” according to Baudelaire and Barbey d’Aurevilly). In fact, this novel challenges middles classes’ values by revealing their hypocrisy thanks to the irony or parody. However, George Sand could not make Mont-Revêche suitable on Parisian stages because only the plays meeting the middles classes’ expectations were successful under the Second Empire.