Résumés
Résumé
Il est un parti pris discutable : celui qui consiste à valoriser les principes du roman comique par rapport à ceux du roman sérieux. Comme l’a montré Mikhaïl Bakhtine, le genre romanesque est caractérisé, dans son ensemble, par les liens qui l’unissent à d’autres textes et par la mise en cause de leur fonctionnement thématique, stylistique et idéologique. Cela peut être vérifié au sujet des Angoysses douloureuses qui procedent d’amours d’Hélisenne de Crenne. Cette oeuvre atteste, en effet, l’existence d’une créativité romanesque proprement française à la Renaissance. Le paradoxe tient à ce qu’elle emprunte nombre de ses procédés d’écriture à des textes antérieurs. Sans explorer une voie parodique, elle se présente comme un antiroman sérieux. Tout en affichant son appartenance au genre sentimental, elle met ainsi à distance les traditions italienne et espagnole en même temps que la veine chevaleresque nationale. Elle tire profit du jeu d’influences entre les topiques qu’elle pastiche, mais explore également les incompatibilités entre ces hypotextes. Du coup, la formule narrative à laquelle elle parvient est tout à fait originale. À lire le texte, on voit ses attentes constamment trompées : tout pronostic générique est successivement confirmé, modifié et subverti et toute hypothèse interprétative infléchie, détournée et invalidée.
Abstract
A debatable bias trumpets the superiority of the comic to the serious novel. As Bakhtine has demonstrated, the novel as a genre is characterized by the elements which unite it to other texts. For him, the novel’s role is to call into question the thematic, stylistic and ideological functions of these elements. Bakhtine’s thesis can be confirmed through an analysis of Hélisenne de Crenne’s Angoysses douloureuses qui procedent d’amours. This work attests to the existence of a specifically novelistic creativity in France during the Renaissance. The paradoxical character of de Crenne’s novel emerges from the numerous literary techniques it derives from older texts. Without entering into parody, Angoysses douloureuses presents itself as a serious “anti-novel.” Openly exhibiting its adherence to the genre of the sentimental novel, it stands aloof from the Italian and Spanish traditions as well as from the conventions of French chivalry. Instead, creating a pastiche through “playing” with its influences and the topics they inspire, it explores the incompatibilities among its hypotexts. As a result, it achieves a narrative formula that is entirely original. In reading Angoysses douloureuses, expectations are constantly thwarted: predictions based on genre are successively confirmed, modified and subverted while interpretive hypotheses are shifted, diverted and invalidated.