Résumés
Résumé
Dans le panthéon des têtes de Turc des années 1860, on a gratifié Musset d’une place de choix. La « révolution du langage poétique » (Kristeva) se ferait contre Lamartine et contre Musset, « quatorze fois exécrable » (Rimbaud). Aux yeux des Baudelaire, Rimbaud, Flaubert et autres écrivains modernes, Musset incarne en effet tout ce que le romantisme a de plus détestable : le jaillissement spontané, l’étalage des sentiments, voire la sincérité. Ces préjugés perdurent aujourd’hui, alors qu’on refuse à Musset poète l’intelligence et le travail qu’on reconnaît volontiers à l’auteur de Lorenzaccio. La poésie, en effet, n’est plus guère lue ni étudiée, tandis que le théâtre est toujours mis en scène, figure encore dans les programmes scolaires, en plus de faire l’objet de travaux savants. Le présent article veut battre en brèche cette perception pour le moins négative qui colle à la poésie de Musset. Par l’analyse d’un sonnet, il tâchera de montrer qu’un poème de cet écrivain romantique peut être aussi rigoureux que celui de tout autre poète du xixe siècle. L’étude du sonnet conduira aussi à une illustration des mélanges de tons qui, dans cette oeuvre, ajoutent une distance critique à l’expression de l’émotion. La poésie de Musset permet en effet exemplairement de saisir la manière dont le lyrisme à la première personne, loin d’être la simple expression directe d’un moi, présente une « voix » qui simultanément est et n’est pas celle du poète. Cette étude montre enfin la nécessité de relire les oeuvres du passé sans se laisser enfermer par les jugements qu’on a pu porter sur elles.
Abstract
Among the literary artists placed in the Pantheon of Scapegoats during the 1860s, Musset occupies a special position. The “revolution in poetic language” (Kristeva) of that decade was conducted against Lamartine and Musset, “loathsome fourteen times” (Rimbaud). In the eyes of Baudelaire, Rimbaud, Flaubert and other modern writers, Musset was the incarnation of everything that was most detestable in Romanticism: spontaneous outburst, the indecent display of emotion, worse, of sincerity. These prejudices endure to our day; critics still refuse to recognize the craft and intelligence in Musset’s poetry while they unhesitatingly bestow these qualities on the author of Lorenzaccio. In effect, Musset’s poetry is little read and studied, while his plays are often produced and still figure in school syllabuses, as well as being objects of scholarly enquiry. The goal of this article is to undo the negative impression that has attached itself to Musset’s poetry. By analyzing one of his sonnets, it works to demonstrate that a poem by this romantic author can be as rigorous as that of any other poet of the nineteenth century. A close examination of Musset’s sonnet illustrates the blending of tones that, throughout his oeuvre, adds a critical distance to its emotional expression. Musset’s poetry permits, in effect, an exemplary opportunity to understand how first person lyricism, far from being the simple and direct expression of an “I,” presents a “voice” that simultaneously is and is not that of the poet. This study also demonstrates the necessity of rereading past literary works without being trapped in the judgements that have been applied to them.