Résumés
Résumé
Lors de sa publication en 1988, Hadrianna dans tous mes rêves, du romancier haïtien René Depestre, a été plébiscité par le lectorat et les relais médiatiques français. L’engouement sans faille et sans fausse note qu’il a alors suscité sollicite aujourd’hui la curiosité du critique. À quel horizon d’attente Hadrianna répondait-il donc, pour obtenir un tel succès ? Quelles stratégies déployées dans l’oeuvre ont garanti au roman une telle réception ? Certes, la mythification de ce que l’auteur qualifie d’« érotisme solaire haïtien », l’exploitation outrancière du registre sensuel ont largement contribué à la réussite commerciale du roman. Pour autant, il nous semble que, par-delà l’écueil stéréotypique, la relation du narrateur au « corps glorieux » d’Hadrianna se fait l’écho d’une liaison douloureuse — et frappée d’impossible — entre l’auteur, exilé, et sa terre insulaire, à jamais perdue. La mise en oeuvre, chez Depestre, d’un langage euphorique, excessif, débridé, se fait l’outil d’un transfert et d’une sublimation. À la terre haïtienne spoliée, dégradée, et devenue inaccessible, se substitue le corps miraculeux d’Hadrianna, dont l’écrivain, grâce au pouvoir démiurgique du Verbe, peut enfin jouir sans entraves.
Abstract
In 1988, Hadrianna dans tous mes rêves, by the Haitian novelist René Depestre, was published to the unanimous acclaim of French readers and the nation’s media. This article examines the Hadrianna “craze.” To what extent did Hadrianna meet the expectations of French readers? What strategies did Despestre adopt to assure the novel’s success? Certainly, the mythification of what the author called l’“érotisme solaire haïtien,” his immoderate exploitation of the sensual register, contributed to the commercial success of the novel. Yet beyond the novel’s problematic sexual stereotypes, it seems that the relation of the narrator with the corps glorieux of Hadrianna, in addition, reflects the painful, virtually impossible bond between the author, exiled in France, and the insular homeland he has lost forever. Depestre’s use of an excessive, ecstatic, and uninhibited language is a diversion, a sublimation. For the land of Haiti—despoiled, degraded and finally inaccessible—is substituted Hadrianna’s miraculous body, which the author can finally enjoy without restriction through the demiurgic power of the Word.