Volume 38, numéro 3, 2002 Le simple, le multiple : la disposition du recueil à la Renaissance Sous la direction de Jean-Philipp Beaulieu
Sommaire (9 articles)
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Présentation : compiler, agencer : le gratieux labeur de la disposition
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L’Adolescence Clementine et l’Oeuvre de Clément Marot
Edwin M Duval
p. 11–24
RésuméFR :
Le premier recueil poétique imprimé en France demeure un chef-d’oeuvre inconnu dans ce sens qu’on ne le lit plus aujourd’hui que dans une version très remaniée (à la fois augmentée et tronquée) qui en détruit la cohérence et en altère le sens. Un examen attentif de la version originale de L’Adolescence Clementine révèle un dessein qui ne sera jamais égalé et une promesse qui ne sera jamais réalisée dans l’oeuvre subséquente de Marot.
EN :
The first composed collection of poetry to be printed in France remains a paradoxically unknown masterpiece in that we read it in a highly altered form which destroys the integrity and alters the meaning of the original work. A close examination of the original Adolescence Clementine reveals a coherence never to be equaled, and a promise never to be fulfilled, in any subsequent work by Marot.
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Les Epistres morales et familieres (1545) de Jean Bouchet : de la hiérarchie médiévale au dialogue humaniste
Claude La Charité
p. 25–42
RésuméFR :
Jean Bouchet se situe au confluent de deux époques et de deux sensibilités. Par-delà les genres pratiqués, c’est dans la dispositio même de son recueil que se manifeste la double influence dans laquelle s’inscrit sa production épistolaire. La hiérarchisation des épîtres morales, en fonction du rang social des destinataires, qui décalque les nuances des états, ressortit à l’ars dictaminis médiévale où le statut sociopolitique du destinataire dictait jusqu’au contenu de la lettre. Ce qui n’empêche pas Bouchet de recourir à une mise en recueil beaucoup plus libre dans la seconde partie, cette fois en s’inspirant des recueils de lettres d’humanistes où, à la différence des épîtres oratoires, l’effet dialogique est recherché par la juxtaposition des épîtres et de leurs réponses.
EN :
Jean Bouchet stands at the junction of two eras and two esthetics. Beyond the literary genres, this double influence appears in his letter collection’s dispositio. The hierarchical structure of his moral epistles reflects the social rank of his addressees and pertains to the medieval ars dictaminis where the addressee’s social and political status imposed even the letter’s content. That has not prevented Bouchet from resorting to a looser order in the second part of his collection, inspired this time by the humanists’ letter collections where, in contrast to oratory epistles, dialogue is sought through the juxtaposition of epistles and their replies.
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Postures épistolaires et effets de dispositio dans la correspondance entre Marguerite d’Angoulême et Guillaume Briçonnet
Jean-Philippe Beaulieu
p. 43–54
RésuméFR :
En raison de leur mise en recueil, les lettres échangées par Marguerite d’Angoulême et Guillaume Briçonnet entre 1521 et 1524 représentent bien plus que la simple transcription d’une correspondance. À vrai dire, le jeu contrasté de postures épistolaires que met en place le recueil produit des effets de dispositio nous invitant à lire l’ensemble comme un dialogue dont la visée est vraisemblablement catéchétique.
EN :
By the very fact that they are organised into a collection, the letters exchanged between Marguerite d’Angoulême and Guillaume Briçonnet from 1521 to 1524 are more than the mere transcription of a miscellaneous assemblage of letters. In fact, the contrastive interplay resulting from epistolary positioning in the compilation produces effects related to dispositio that invite the reader to consider the collection as a dialogue, the intention of which is probably catechetical.
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L’édification d’un Tombeau poétique : du rituel au recueil
Joël Castonguay Bélanger
p. 55–69
RésuméFR :
Tombeau est le nom qu’on donne en France au xvie siècle à un recueil qui réunit des textes de plusieurs auteurs pour honorer la mémoire d’un défunt. Ouvrage collectif édifié par « des mains industrieuses », le Tombeau poétique se distingue de la pièce funèbre individuelle en ce qu’il se présente comme un hommage autant formel que lyrique dédié au disparu. D’une part, la pluralité des signataires réunis dans chaque recueil reproduit le caractère public et social du rituel funéraire en mettant en scène une communauté affligée. D’autre part, la métaphore architecturale suggérée par le titre est étayée à la fois par des figures rhétoriques empruntées aux arts plastiques, par le topos horatien de la valeur monumentale du livre, ainsi que par une interprétation poétique du processus par lequel s’élabore ce type de recueil.
EN :
In 16th century France, Tombeau refers to a compilation of texts from various authors in honour of the memory of a deceased person. A collective work created by « industrious hands », the poetic Tombeau differs from the individual funeral poem in that it pays to the deceased as much a formal tribute as a lyrical one. On the one hand, the diversity of authors of each Tombeau brings back the social nature of the funeral ceremony by staging an afflicted community. On the other hand, the architectural metaphor suggested in the word itself is supported at once by rhetorical figures borrowed from the fine arts, by Horace’s topos of the book’s value as monument, and by a poetic interpretation of a process by which such an anthology is created.
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Les mille et une pages d’Henri Estienne et de ses lecteurs : le recueil infini
Hélène Cazes
p. 71–80
RésuméFR :
La lecture des recueils publiés comme tels par Henri II Estienne (1530-1598), anthologies reprises ou composées par lui, raconte l’unité de l’oeuvre éditoriale et de l’oeuvre littéraire de l’humaniste. Ainsi, entre 1567 et 1594, la cohérence du commentaire sur la poésie, les guides de lecture accompagnant les recueils pour la jeunesse et les procédés de mise en page et en livre définissent l’éditeur-lecteur comme auteur ; les pages blanches invitent le lecteur à continuer ce mystérieux partage des rôles et des textes.
EN :
The collections published or composed by Henri II Estienne (1530-1598) tell the story of an editor who is also an author. Poetics, textual analysis and guidelines for anthologies constantly caracterize the editor and printer as a poet ; to collect and to unite textual fragments is to build a collection, and thus the editor of an anthology is an author. Therefore, the whole activity of the humanist can be seen as a continuation of poetical collections, and the page layouts show this intricate unity. By means of blank pages, the reader is invited to share this magic.
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« Une recollection » : la disposition des Oeuvres d’Ambroise Paré
Evelyne Berriot-Salvadore
p. 81–92
RésuméFR :
Ambroise Paré, en 1575, compose le recueil collectif de ses oeuvres. La définition même de la chirurgie implique un ordre qui inclut anatomie, opérations chirurgicales et matière médicale. Pourtant, les Oeuvres sont, plus qu’une practica, un bâtiment où se contemple le corps humain et où s’affirme la dignité du chirurgien, « ministre de la nature ». À une composition tripartite et linéaire, se superpose alors l’ordre d’une apologie.
EN :
In 1575, Ambroise Paré composed the selection of his works in a book. His definition of surgery implied an order that included anatomy, surgical operations, as well as medical subjects. However, his works were more than a practica, i.e. a whole structure where the human body can be contemplated and where the surgeon, being The Minister of Nature, can assert his dignity. The order of an apologia can thus be superimposed above this linear composition in three parts.
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La disposition des Amours diverses d’Antoine de Nervèze
Bruno Méniel
p. 93–105
RésuméFR :
Antoine de Nervèze (env. 1570-après 1622) a publié séparément des romans, avant de les regrouper en recueils qui les présentent dans un ordre différent. Dans le recueil de 1611, les romans sont disposés en fonction de la situation finale. En particulier, les romans qui se terminent par un mariage précèdent ceux où l’entrée en religion apparaît comme un destin enviable. L’auteur, par cet agencement concerté, suggère sa propre évolution spirituelle et son souhait de renoncer aux écrits profanes.
EN :
Antoine de Nervèze (ca 1570-1622) published each of his novels individually before grouping them into different collections. In the 1611 collection, the novels are organised according to the concluding events of each novel. For instance, the novels ending with wedding scenes appear before those where religious life is presented as an enviable destiny. Through this intricately devised arrangement, the author alludes to his own spiritual evolution and to his longing to.
Exercice de lecture
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Thème du traître et du complot : La mise en scène de Claude Ollier
David Décarie
p. 109–133
RésuméFR :
Ba Iken, l’interprète de Lassalle, le « héros » de La mise en scène de Claude Ollier, s’avérant être un « traître », l’authenticité de sa traduction doit être remise en question. La « trahison » de l’interprète révèle en fait la fragilité de toute « interprétation ». L’essentiel, chez Ollier, réside cependant dans ce que masque la trahison de Ba Iken : soit ce que l’auteur, dans un texte de Navettes intitulé « Thème du texte et du complot », appelle le « complot ». Le « complot », ce « mode majeur » de la trahison, étant le rapport du texte au monde, il faut, pour en rendre compte, revenir au concept de mimêsis. Alors seulement, ajoutant à l’idée d’une « inspiration » dans le réel, celle d’une « expiration » dans un « réel » constamment remis en scène et en jeu, peut-on commencer à percevoir la « respiration » complète de la littérature dont rend compte La mise en scène.
EN :
Ba Iken, Lassalle’s interpreter, the “hero” of Claude Ollier’s La mise en scène, is also a “traitor” and as such the authenticity of his translation must be questioned. The interpreter’s “treason” reveals the fragility of all “interpretation”. The most important, for Ollier, is the plot (conspiracy) hidden behind the act of betrayal. To unvail the conspiracy—the major mode of treason which is in fact the relationship of the narrative to the world—, one must go back to Aristotle’s concept of mimesis. Only then can we begin to perceive the full breath of literature, adding to the idea of “inspiration” from reality, that of “expiration” in a reality constantly being re-staged and re-played, as in La mise en scène.