Volume 43, numéro 2, 2021 Gouvernance autochtone et développement Indigenous Governance and Development Sous la direction de Simone Poliandri
Sommaire (11 articles)
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Indigenous Governance and Development: How Do Community Members Respond?
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Gouvernance autochtone et développement : réactions des membres des communautés
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‘Othering’ Adivasi Identities: Perpetuating Tribal Stereotypes among the Bhil of India
Indrakshi Tandon
p. 41–61
RésuméEN :
Focusing on the indigenous Bhil community in central India, this paper examines the role of British colonial policies in paving the way for ‘tribal identity’ formation and, how postcoloniality, or the postcolonial condition, is continuing to shape this identity. I interrogate the power of the colonial and contemporary government to categorize, and how such categories persist in the consciousness of the Indian government, mainstream communities, and more significantly, among indigenous communities themselves. Modernizing and developing the Bhil (among other indigenous communities) has been a national goal for the nation-state since independence. According to Indian development policies, building an agrarian community that is self-sufficient and empowered is in the best interest of the nation and its economic growth. I argue that far from portraying a unified national identity to demonstrate modernity and progress to the world, Indian policies have instead created politicized identities, which serve to perpetuate stereotypes and contain their subjects in exploitative cycles of debt, dependency, and development.
FR :
En se concentrant sur la communauté indigène Bhil dans le centre de l’Inde, cet article examine le rôle des politiques coloniales britanniques dans la formation d’une « identité tribale », et comment la postcolonialité, ou la condition postcoloniale, continue de façonner cette identité. Cet article examine le pouvoir de catégoriser des gouvernements colonial et contemporain, et comment ces catégories persistent dans la conscience du gouvernement indien, des communautés dominantes et, le plus important, parmi les communautés autochtones elles-mêmes. La modernisation et le développement des Bhil (parmi d’autres communautés autochtones) ont été un objectif national pour l’État-nation depuis l’indépendance. Selon les politiques de développement indiennes, la construction d’une communauté agraire autosuffisante et autonome est dans le meilleur intérêt de la nation et de sa croissance économique. Je soutiens que loin de dépeindre une identité nationale unifiée pour montrer modernité et progrès au monde, les politiques indiennes ont plutôt créé des identités politisées, qui servent à perpétuer les stéréotypes et à contenir leurs sujets dans des cycles d’exploitation de la dette, de la dépendance et du développement.
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Autochtonie, foncier et urbanisation de Douala au Cameroun
William II Paulin Bissou
p. 63–84
RésuméFR :
L’urbanisation de Douala s’est heurtée depuis sa création aux revendications foncières des peuples autochtones. Premier facteur de production permettant l’entretien des hommes, la terre dans la conception autochtone, est un dépôt d’énergie, un réservoir des forces mises à la disposition des êtres humains, qui pour en tirer profit, doivent les maîtriser dans leurs activités. C’est un bien commun, terre des ancêtres dont chaque unité lignagère dans le cadre de la jouissance d’un droit absolu bénéficie d’une parcelle. Confrontée à la logique mercantile et à la notion de propriété privée issue du droit moderne, la terre à Douala devient objet d’affrontement entre autochtones, allogènes et pouvoirs publics, contribuant à influencer considérablement l’urbanisation de la ville de sa création à nos jours. La création des identités locales artificielles par les découpages territoriaux récents ne semble pas arrêter ce phénomène dans l’action publique urbaine contemporaine.
EN :
The urbanization of Douala has come up against the land claims of indigenous peoples since the city’s foundation. As the first factor of production allowing the maintenance of people, the Earth, in the indigenous conception, is a deposit of energy, a reservoir of forces made available to human beings, who must master them in their activities in order to benefit from it. It is a common good, the land of the ancestors of which each lineage unit benefits from a plot within the framework of the enjoyment of an absolute right. The land in Douala, when confronted with the mercantile logic and the notion of private property resulting from modern law, becomes an object of confrontation between natives, non-natives and public authorities, and this confrontation has considerably influenced the urbanization of the city from its creation to the present day. The creation of artificial local identities by recent territorial divisions does not seem to stop this phenomenon in contemporary urban public action.
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‘Toshao’ as Strategic Link for Cultural Continuity and Resiliency among Amerindians During the COVID-19 Pandemic in Guyana
Susan Julia Chand et Lemmel Benson Thomas
p. 85–113
RésuméEN :
This article focuses on the indigenous governance response to the COVID-19 pandemic in Guyana. Specifically, it explores the figure of the Toshao, the village chief, as a strategic link between the government and the indigenous peoples, the Amerindians of Guyana, in implementing government-imposed COVID-19 measures. Additionally, the study examines the role of the Toshao in maintaining or adjusting the continuity of cultural practices and resiliency among the Amerindians during the COVID-19 pandemic. We employed an exploratory qualitative approach through in-depth interviews, conducted remotely via mobile phones, with six Toshaos from various administrative regions. Some preliminary findings indicate that the Amerindians engage cultural values, traditions, and beliefs, to counteract the COVID-19 restrictions and seek alternative solutions to government-imposed measures. The leadership styles of the Toshaos are instrumental to navigate the socio-political spaces between the government and the Amerindians and, at the same time, empower them to be resilient during the pandemic. We foresee the findings of this study to be useful for policy planners to develop pandemic policies in collaboration with the Amerindians that are culture sensitive and socially friendly to them.
FR :
Cet article se concentre sur la réponse de la gouvernance autochtone à la pandémie de COVID-19 en Guyana. Plus précisément, il explore la figure du Toshao, le chef du village, en tant que lien stratégique entre le gouvernement et les peuples autochtones, les Amérindiens de Guyana, dans la mise en oeuvre des mesures COVID-19 imposées par le gouvernement. De plus, cet étude examine le rôle des Toshao dans le maintien ou l’ajustement de la continuité des pratiques culturelles et de la résilience des Amérindiens pendant la pandémie de COVID-19. Nous avons utilisé une approche qualitative exploratoire à travers des entretiens approfondis, menés à distance via des téléphones portables, avec six Toshaos de différentes régions administratives. Certaines conclusions préliminaires indiquent que les Amérindiens s’engagent dans des valeurs culturelles, des traditions et des croyances pour contrer les restrictions liées à la COVID-19 et chercher des solutions alternatives aux mesures imposées par le gouvernement. Les styles de leadership des Toshaos sont essentiels pour naviguer dans les espaces sociopolitiques entre le gouvernement et les Amérindiens et, en même temps, leur donner les moyens d’être résilients pendant la pandémie. Nous prévoyons que les conclusions de cette étude seront utiles aux planificateurs de politiques pour élaborer des politiques en cas de pandémie en collaboration avec les Amérindiens qui sont sensibles à leur culture et socialement favorables à eux.
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Guerre, meurtre, succès juridique : les résultats inattendus de la gestion associative chez les Wayuu de La Guajira colombienne
Karen López Hernández
p. 115–143
RésuméFR :
La Constitution colombienne (articles 356-357) a légalisé la création du Système général de participation des entités territoriales. Ces dernières accèdent ainsi aux subventions de l’État colombien dont l’objectif est de financer des projets et des programmes intégrés dans un plan de développement. Les territoires autochtones sont particulièrement touchés par cette création. Pour la gestion de ces fonds, l’État a mis en place des mesures juridiques visant la création de nouvelles organisations autochtones, comme les associations d’autorités traditionnelles et les associations de cabildos. Dans cet article, nous nous interrogeons sur la manière dont les Wayuu s’adaptent et agissent face à ces nouvelles organisations. Les réponses sont variées dans la mesure où elles dépendent des stratégies mises en place par les représentants de ces organisations.
EN :
The Colombian Constitution (articles 356-357) legalized the creation of the General System of Participation of Territorial Entities. The latter thus have access to subsidies from the Colombian State, the objective of which is to finance projects and programs integrated into a development plan. Indigenous territories are particularly affected by this creation. For the management of these funds, the State has implemented legal measures aimed at the creation of new indigenous organizations, such as associations of traditional authorities and associations of cabildos. This article explores how the Wayuu adapt and act towards these new organizations. The answers are varied insofar as they depend on the strategies put in place by the representatives of these organizations.
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Governance, De-commoditization, and Communality among the Ngigua Leaders of San Marcos Tlacoyalco in Puebla, Mexico
Guillermo López Varela et María Cristina Manzano-Munguía
p. 145–163
RésuméEN :
The Ngiguas, an Indigenous community of San Marcos Tlacoyalco in Puebla, Mexico, are in the process of building their governance through the design and practice of their own development projects on issues pertaining to the protection and exploitation of their natural resources, media autonomy, and traditional foods. Such a building effort is grounded on the concept of comunalidad (communality), which was expressed in non-patriarchal and non-capitalist terms by the late Mixe intellectual Floriberto Díaz Gómez in the 1980s. Since then, it has been used by the Ngigua people in their grassroots constructions of governance and development. Starting from the premise that development constitutes a Ngigua strategy for crafting communality, this article looks at how Ngigua leaders negotiate their governance and decommodification. Based on ethnographic research, this study presents communality as the spiral of intersubjective experiences of Indigenous people where the truth about the other is inhabited by Indigenous people in a non-linear dialogical perspective.
FR :
Les Ngiguas, une communauté autochtone de San Marcos Tlacoyalco à Puebla, au Mexique, sont en train de construire leur gouvernance à travers la conception et la pratique de leurs propres projets de développement sur des questions relatives à la protection et l’exploitation de leurs ressources naturelles, l’autonomie des médias et la promotion des aliments traditionnels. Un tel effort de construction est fondé sur le concept de comunalidad (communalité), qui a été exprimé en termes non patriarcaux et non capitalistes par feu l’intellectuel mixe Floriberto Díaz Gómez dans les années 1980. Depuis lors, il a été utilisé par le peuple Ngigua dans ses constructions de base de gouvernance et de développement. Partant du principe que le développement constitue une stratégie Ngigua pour façonner la communauté, cet article examine comment les dirigeants Ngigua négocient leur gouvernance et leur démarchandisation. Basée sur une recherche ethnographique, cette étude présente la communauté comme une spirale d’expériences intersubjectives de peuples autochtones où la vérité sur l’autre est habitée par les peuples autochtones dans une perspective dialogique non linéaire.
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Gouvernance locale et conservation de la biodiversité en Haïti : entre inefficacité et redéfinition
Dieufort Deslorges
p. 165–187
RésuméFR :
Les communautés des réserves de biosphère d’Haïti sont confrontées au défi majeur de l’adéquation entre précarité et conservation des ressources bioculturelles. Ces acteurs locaux ont historiquement évolué sous une gouvernance centralisée et autoritaire, marquée par une présence constante et abusive de l’Etat. Ils assistent cependant, depuis une trentaine d’années, à la promotion d’une gouvernance décentralisée et largement participative. Mais, parallèlement, leurs conditions de vie, leurs écosystèmes et leurs pratiques culturelles se sont dégradés. Aussi souhaitent-ils une révision des pratiques de gouvernance pour revenir à plus d’État. Comment comprendre cette nouvelle demande ? Quelle gouvernance pour la conservation et la mise en valeur effective des potentialités naturelles et culturelles locales dans une perspective de développement durable ? A partir de sources écrites, d’études de cas et d’enquêtes ethnographiques récentes, cet article explore les raisons de l’inadéquation des approches actuelles de gouvernance et les enjeux de revenir à plus d’État.
FR :
Communities of the biosphere reserves of Haiti are confronted with a major challenge: the adequacy between their precariousness and the conservation of biocultural resources. These local actors have historically evolved under centralized and authoritarian governance, marked by a constant and abusive presence of the State. However, for the past thirty years, they have been witnessing the promotion of decentralized and largely participatory governance. But, at the same time, their living conditions, ecosystems and cultural practices have deteriorated. They also want a review of governance practices to return to more state. How to understand this new demand? What governance for the conservation and effective development of local natural and cultural potential in a perspective of sustainable development? Based on written sources, case studies and recent ethnographic surveys, this article explores the reasons for this inadequacy of current approaches to governance with the challenges demanding a return to more statehood.
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Between Permanence and Adaptation: Transformations in Community Forest Management in Cherán, Michoacán
Mónica Piceno Hernández
p. 189–211
RésuméEN :
In the Purepecha community of Cherán (Mexico), forest management is carried out through a community government, a system recognized in the Mexican law, and obtained by Cherán after the 2011 uprising in response to the looting of forests by organized crime. In this context, indigenous traditions and daily forest use practices have changed. This study illustrates how Cherán confronted a socio-environmental crisis and is recovering its means of social reproduction. Specifically, it analyzes community institutions, gendered-power relations, and indigenous rights in the context of community-government relationship to discuss the importance of eco-territorial strategies beyond resistance. Grounded on ethnographic observations, interviews, and literature review, this article illustrates a community’s experience of building a path toward autonomous forest management. The case of Cherán provides insights into the development of autonomous community forest management as well as its objectives and relations with forest sustainability.
FR :
Dans la communauté Purepecha de Cherán (Mexique), la gestion forestière est assurée par un gouvernement communautaire, un système reconnu dans la loi mexicaine, et obtenu par Cherán après le soulèvement de 2011 en réponse au pillage des forêts par le crime organisé. Dans ce contexte, les traditions autochtones et les pratiques quotidiennes d’utilisation de la forêt ont changé. Cette étude illustre comment Cherán a fait face à une crise socio-environnementale et récupère maintenant ses moyens de reproduction sociale. Plus précisément, il analyse les institutions communautaires, les relations de pouvoir entre les sexes et les droits autochtones dans le contexte de la relation communauté-gouvernement pour examiner l’importance des stratégies éco-territoriales au-delà de la résistance. Fondé sur des observations ethnographiques, des entretiens et une revue de la littérature, cet article illustre l’expérience d’une communauté pour la construction d’une voie vers la gestion autonome des forêts. Le cas de Cherán donne un aperçu du développement de la gestion forestière communautaire autonome ainsi que de ses objectifs et ses relations avec l’entretien des forêts.
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« Unissons-nous comme les perdrix » : le mariage du transfert de gestion et du protocole bioculturel communautaire
Manohisoa Rakotondrabe, Miezaka Razafindralamabo et Fabien Girard
p. 213–249
RésuméFR :
Les contrats de transfert de gestion des ressources naturelles et les protocoles bioculturels communautaires (PBC) sont deux outils communautaires (community-based) actuellement expérimentés à Madagascar. Ils s’inscrivent dans le cadre de la ratification de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et du Protocole de Nagoya. Les seconds sont plus récents et relèvent du cadre juridique sur l’Accès et le Partage des Avantages (APA). Sortes de chartes écrites par lesquelles les communautés codifient ou précisent les conditions d’accès à leurs ressources et savoirs associés, les PBC sont aussi des répertoires de traditions et de règles coutumières de gestion de leur patrimoine matériel et immatériel. Selon leurs promoteurs, les PBC permettraient de renforcer le dispositif de décentralisation de la gestion des ressources, notamment en consolidant le droit à l’autodétermination des communautés. Toutefois, des questions se posent quant à l’impact des dispositifs sur l’organisation institutionnelle et le fonctionnement interne des communautés. Centré sur l’étude du cas des communautés de Mariarano et de Betsako, dans la partie nord-ouest de l’île, l’article montre que, en dépit de leur dimension bottom-up et participative, ces dispositifs ont profondément modifié les structures locales et coutumières de gestion de l’espace et des ressources comme en témoigne la « personnification » qui s’exerce sur les institutions communautaires et que l’on explique par la volonté de l’État et des financeurs de rendre « lisible ».
EN :
Natural resource management transfer contracts and community biocultural protocols (PBC) are two community-based tools currently being tested in Madagascar. They are part of the ratification of the Convention on Biological Diversity (CBD) and the Nagoya Protocol. The latter are more recent and come under the legal framework on Access and Benefit Sharing (ABS). As types of written charters by which the communities codify or specify the conditions of access to their resources and associated knowledge, the PBCs are also directories of traditions and customary rules for the management of their tangible and intangible heritage. According to their promoters, PBCs would make it possible to strengthen the mechanism of decentralization of resource management, in particular by consolidating the right to self-determination of communities. However, questions arise as to the impact of the mechanisms on the institutional organization and the internal functioning of the communities. Focused on the study of the case of the communities of Mariarano and Betsako, in the northwestern part of the island, the article shows that, despite their bottom-up and participatory dimension, these devices have profoundly modified the structures local and customary management of space and resources as evidenced by the “personification” exerted on community institutions and which is explained by the desire of the State and funders to make “legible”.
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Disruptive Bricolage: Indigenous Politics, Development and Migration in Guatemala
Briana Nichols
p. 251–271
RésuméEN :
For many indigenous communities in the western highlands of Guatemala, transnational migration is considered critical to community survival. This paper analyzes how extreme migration enables new strategies of social formation and community governance for those who remain. My work builds on the scholarship of “afterlives” that calls for an examination of how historical trajectories embed themselves in contemporary social, cultural, and institutional configurations. Migration can productively be considered in terms of its afterlives. Through this frame, I illustrate how indigenous community members navigate conflicting ideologies of work, progress, and development as they collaborate with non-governmental organizations to support migration prevention initiatives. I argue that community members strategically draw on the Mayan cosmovision to contest western knowledge paradigms of development while simultaneously attending to the demands of external institutional legibility, and in so doing create novel formations of collective governance.
FR :
Pour de nombreuses communautés autochtones des hautes terres occidentales du Guatemala, les migrations transnationales sont considérées comme étant essentielles à la survie de la communauté. Cet article analyse comment les migrations extrêmes permettent le développement de nouvelles stratégies de formation sociale et de gouvernance communautaire pour ceux qui restent. Mon travail s’appuie sur les recherches portant sur les « nouvelles vies », qui impliquent une analyse de la manière dont les trajectoires historiques s’intègrent dans les configurations sociales, culturelles et institutionnelles contemporaines. La migration peut ainsi être approchée de manière productive, selon les termes de ses continuités. À travers ce cadre, j’illustre comment les membres des communautés autochtones naviguent dans des idéologies conflictuelles de travail, de progrès et de développement, lorsqu’ils collaborent avec des organisations non gouvernementales pour soutenir des initiatives de prévention de la migration. Je montre que les membres de ces communautés s’inspirent stratégiquement de la cosmovision maya pour contester les paradigmes occidentaux du développement, tout en répondant simultanément aux exigences de lisibilité institutionnelle externe, et, ce faisant, créent ainsi de nouvelles configurations de gouvernance collective.