Corps de l’article

Introduction

Cette étude exploratoire porte sur les «techniques savantes» et le savoir-faire du vitrail dans la région de Québec. Les techniques et le savoir-faire de la méthode traditionnelle de plomb du maître-verrier Olivier Ferland (1928-2017) sont le sujet central de ce travail. Ce dernier a réalisé plusieurs vitraux dans des églises de la région de Québec de même que dans la province de Québec. Il a exercé son métier dans son atelier, et a été un enseignant à l’École des Beaux-arts et dans une école à Québec. L’objectif de cette étude sera d’identifier et de décrire les techniques, les pratiques et le savoir de Ferland sur les vitraux, un patrimoine immatériel, ainsi que de traiter de l’objet du vitrail, un patrimoine matériel. Elle se penchera sur l’expérience vécue et les techniques telles que décrites par Ferland lui-même dans ses écrits, ou par des auteurs qui relatent ses propos dans des entrevues culturelles et livrets ecclésiastiques, dans le cadre d’une recension des écrits.

Un historique est d’abord présenté sur le verre et le vitrail au Moyen-Âge et sur l’enseignement du vitrail à l’École des Beaux-arts (1922-1970) à Québec. Les procédés pour faire le verre avec des végétaux, et les mélanges chimiques des pigments avec des minerais, seront expliqués. L’aspect technique de la méthode traditionnelle de plomb du maître-verrier, le sujet central de l’étude, sera décrit pour la création et la réalisation, et la conception artistique sera aussi abordée. Puis, les techniques et le savoir-faire du vitrail seront discutés en tant que patrimoine québécois.

Les balises spatio-temporelles se situent dans la région de Québec dans un premier espace-temps de 1952 à 1994, puis un second de 1994 à aujourd’hui. Le premier espace-temps est lié à l’exercice du métier du maître-verrier par Ferland et à son enseignement du vitrail de 1952 jusqu’à sa retraite en 1994, puis le second espace-temps correspond à la transmission des techniques et la pratique contemporaine de 1994 à aujourd’hui.

Le vitrail est une composition décorative translucide, formée de pièces de verre colorées maintenues par un réseau de plomb; une verrière est un terme générique qui désigne surtout les vitraux de grande dimension (Laroche et Giroux 1990). Le vitrail ou la verrière est intégré à la structure d’un immeuble, et a la fonction de « fenêtre » entre l’intérieur et l’extérieur. Ce travail présente des points d’intérêt techniques et matériels qui tracent un portrait technique concret dans la longue durée. La méthode traditionnelle est analysée puisqu’elle est utilisée tant par les artisans du Moyen Age que par le maître-verrier Ferland. Nous rattachons la notion de « techniques savantes » au concept multivalent de « technique et science ». Les techniques et le savoir-faire du vitrail comportent des notions « techniques et scientifiques » dans le contexte de l’exercice du métier à l’atelier et de l’enseignement dans les écoles professionnelles. Les techniques des vitraux comportent des notions chimiques (composites de pigments), sont reliées à l’histoire naturelle (végétal et minéral), aux arts de la terre (fabrication du verre), aux sciences de l’ethnologie et de l’histoire.

L’objectif de cette étude exploratoire est d’avoir une perspective d’ensemble et des connaissances générales sur les pratiques, techniques et savoir-faire des vitraux durant les années 1952-1994 surtout, ainsi que jusqu’à 2019. Comment ça se fait, un vitrail?

Cette étude comporte trois questions de recherche :

  • Connaître et décrire le plan technique et le savoir-faire du vitrail du maître-verrier Olivier Ferland. L’expression «techniques» et «savoir-faire» du vitrail est utilisée interchangeablement dans notre étude comme le fait l’auteur Hélène Deslauriers (1996) sur l’économusée du vitrail.

  • Identifier la place et les rôles des vitraux, dont les fonctions de spiritualité et d’enseignement autrefois, dans les années 1952 à 1994, et à ce jour en 2019.

  • Localiser à Québec ou au Québec, où se trouve le patrimoine immatériel de ce savoir-faire et le patrimoine matériel du vitrail, et réfléchir sur ce patrimoine pour la société québécoise.

La problématique est donc la suivante : les éléments du savoir-faire et les techniques du vitrail d’autrefois à ce jour, ont été transmis; il y a une continuité et des variantes dans ce savoir-faire dans la région de Québec. L’hypothèse de recherche est qu’il y aurait une transmission du savoir-faire dans la lignée du maître-verrier et enseignant Olivier Ferland vers un ou des élèves dans la région de Québec.

Mon intérêt s’est d’abord porté sur les couleurs riches des vitraux et la translucidité de la lumière, les procédés chimiques de la couleur et la fabrication du verre. Comment est-ce possible que les ancêtres maîtres-verriers et verriers du Moyen-Âge avaient ces connaissances, et faisaient des mélanges de composites chimiques et des procédés techniques pour la fabrication des vitraux à ce niveau savant? Ce patrimoine immatériel est d’intérêt car il prend racine dans un savoir ancestral qui au cours des siècles a été transmis par des maîtres-verriers à leurs élèves, jusqu’à nos jours à travers les continents. Nous nous sommes alors orientés vers le savoir-faire du vitrail dans notre société québécoise dans la région de Québec et au maître-verrier Olivier Ferland qui a surtout réalisé des vitraux religieux. Ce sujet mérite une attention particulière parce que le patrimoine des vitraux dans la région de Québec et au Québec fait partie de l’histoire des Québécois. Les vitraux suscitent un émerveillement auprès de tous, et peu de personnes connaissent les techniques et considérations artistiques.

L’originalité de cette étude réside en plusieurs niveaux. Nous rassemblons les « techniques savantes » du vitrail dans un monde de découverte technique et de notions scientifiques avec les produits de la terre, les pigments de couleur et les phénomènes de la lumière. Un véritable maître-verrier qui exerça son métier dans la région de Québec nous raconte sa méthode de travail. À notre connaissance, c’est le premier travail académique et universitaire qui identifie, rassemble et synthétise le plan technique des étapes du maître-verrier québécois Ferland.

Cette étude exploratoire est principalement une recension d’écrits, avec des articles et ouvrages sur les techniques du vitrail. Les articles dans des journaux, une revue, et des livrets ecclésiastiques, ont été repérés dans le dossier artistique du maître-verrier au Musée national des Beaux-arts de Québec. Nous remercions à cet effet Madame Nicole Castonguay, Bibliothécaire au centre de documentation pour la consultation du dossier artistique de Olivier Ferland.

Cette recherche repose sur une analyse qualitative s’apparentant à la méthodologie ethnographique, notamment en ce qui concerne l’approche du « récit de vie » de Ferland. Les écrits relativement récents relatent le « récit de métier » de Ferland, tel que raconté par lui-même et par des auteurs dans des entrevues culturelles. À la manière d’un ethnologue, nous nous laissons instruire par le détenteur de tradition Ferland, bien qu’il ne soit pas possible d’effectuer une entrevue orale avec lui. Nous avons de plus effectué une entrevue orale avec une artiste peintre-verrier, une informatrice sur les techniques des vitraux et le savoir-faire du maître-verrier Olivier Ferland qu’elle a connu. Nous avons fait une entrevue libre qui laissait libre cours à l’informatrice sur ce qu’elle sait et ce qu’elle a vécu. De plus, nous avons étudié une exposition « Vitrail, art de lumière » qui présentait les oeuvres d’artistes de la région de Québec à la Maison Bagatelle de septembre à décembre 2019; nous avons visité cette exposition au début de nos recherches en septembre et à la fin de nos recherches en décembre 2019.

Historique sur le verre et le vitrail, et sur l’École des Beaux-arts à Québec

Bref historique sur le verre et le vitrail au cours des siècles

À travers les époques du Moyen Âge et des temps modernes, le vitrail tend à attirer l’attention de notre regard, par rapport à l’effet architectural environnant. Les « techniques savantes » de l’époque romane sont reconnues sur le plan de la minutie d’exécution, des virtuosités graphiques, des raffinements colorés, et de l’iconographie de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. Le verre est alors un matériau dispendieux et l’étude des vitraux était abordée en tenant compte de la complexité de la fabrication du verre. C’est une matière admirée, magique, mystérieuse et complexe à fabriquer (Grodecki 1999).

Durant le Moyen Âge, les maîtres-verriers fabriquent eux-mêmes le verre pour leurs vitraux. Le verrier est au Moyen Âge, un artisan hautement spécialisé, quelquefois célèbre (Trois-Continents 1999). Vers la fin du XIIIe siècle, la consommation du verre devient considérable et la fabrication du verre est dorénavant faite par des verriers, tout comme aujourd’hui (Dufaux 1959). Le verre à vitre est apparu au cours du premier siècle; des pièces de verre ont été trouvées en Italie, France et Allemagne. Le verre verdâtre ou brunâtre était découpé dans une pièce de vitre coulée et étirée à la pince pour les placer dans des cadres de bois ou de bronze. L’art du vitrail est très présent en France au VIIe siècle; un verre jaune ou vert est alors placé dans des plombs et rehaussé par des grisailles (ombrages et petits détails de dessin aux tons de gris sur le verre). À partir du XIe siècle, la mise en plomb des vitraux se pratique couramment, et depuis deux siècles des scènes et personnages sont reproduits sur les vitraux (Gosselin 1960).

Certains verres du XIIe et du XIIIe siècles sont d’une grande pureté et d’une composition aux caractéristiques particulières. Le verre épais présente des irrégularités et est gondolé, et la lumière passe à travers ce verre avec des faisceaux. Les couleurs sont faites avec des minerais broyés pour obtenir le bleu, le rouge, le vert, le pourpre et le violet; des couleurs placées par juxtaposition ou opposition créent des effets particuliers. Le vitrail est composé d’un grand nombre de pièces de verre, par exemple 350 morceaux aux 3 pieds carrés, rehaussé de grisailles. Le vitrail est une mosaïque de verre avec un médaillon et des bordures larges à palmettes et à rinceaux. Les couleurs sont choisies selon l’emplacement de la baie. À Chartres, les vitraux au nord présentent plus de bleu et au sud plus de rouge (Gosselin 1960).

La technologie médiévale et le soufflage du verre.

La fabrication du verre dans la technologie médiévale aux XIIe et XIIIe siècle se fait par des fours de cuisson, de refroidissement et de recuisson. Dans des pots de terre, un mélange de sable de rivière nettoyé et de cendres végétales, surtout de fougère, sont exposés à un feu vif de bois, et produisent une grande teneur en potasse. La fusion de ces deux matières produit une pâte épaisse, et elle devient du verre après refroidissement. La potasse de certains verres a aussi été remplacée, dans des proportions variées, par de la soude, une composite favorisant la dureté des verres et la longévité pour la conservation. Le verre peut aussi provenir de l’utilisation de sels marins ou de cendres d’arbustes dont le bois est chargé de sel. Le procédé de soufflage du verre se fait à l’aide de la pâte recueillie dans les pots des fours. La technique la plus fréquente pour les verres du XIIe et du XIIIe siècle consiste pour le souffleur à «souffler les manchons» qui sont des gros cylindres de verre s’apparentant à des bouteilles, et après les avoir coupés et déroulés à la chaleur du four ils sont ensuite aplatis (Grodecki 1999).

Les colorants dans le verre; pourpre, jaune, vert, rouge et bleu.

Les colorants les plus usuels sont les oxydes métalliques, le fer (fer brûlé réduit en poudre), l’oxyde de cuivre, le plomb et les matières composites comme le bronze brûlé, le laiton, des alliages et des remplois. L’oxyde de fer peut donner selon la température de cuisson plusieurs colorations : le pourpre, le jaune et le vert. Le cuivre, son oxyde ou son protoxyde, donne le rouge. Les recherches modernes ont permis de détecter dans la couleur bleue le cobalt, le manganèse et le chrome. Si l’on varie la proportion des colorants et la durée de la cuisson, des couleurs surprenantes peuvent alors se produire. Les bleus de Chartres, prisés et rares, sont composés d’un colorant principal, le cobalt, le « saphre » (ou « saffre ») qui est un minerai probablement importé d’Europe centrale. En Allemagne, on y fabrique des verts d’une grande pureté et solidité. La fabrication des verres rouges est la plus difficile, car le colorant de l’oxyde de cuivre produit un ton sombre proche du noir. Durant l’Antiquité, la technique consistait en ce que certains verres rouges sont constitués de plusieurs pellicules superposées de rouge et de blanc, provenant des trempages de la matière dans des pots de verre incolore et de verre teinté au cuivre. Des verres plaqués d’une autre couleur, bleu ou vert, ont aussi été faits. Vers la fin du Moyen Age et à la Renaissance, le plaquage de couleurs prend de l’extension, comme le plaquage des verres fouettés de plusieurs tons, soit le « verre vénitien » (Grodecki 1999). Le rose est alors fabriqué avec de l’or, coûteux, et difficile à faire et à reproduire.

L’émail peint, les grisailles et la peinture sur verre.

Vers le XIIIe siècle, la technique du vitrail demeure la même, mais le dessin est plus élaboré; c’est l’époque de la Sainte-Chapelle, de Reims et de Notre-Dame de Paris (Gosselin 1960). Il y a des allusions à l’histoire sainte dans les vitraux (Pichard 1969). Il y a aussi un constant enrichissement technique depuis le début du XIVe siècle, dont le jaune d’argent et les émaux peints, qui sont une indication de la « vocation » permanente de l’art du vitrail (Grodecki 1999). L’émail est de la poudre de verre coloré, appliquée sur l’envers du vitrail et fixée par une cuisson. La technique est inventée en France pour rapprocher le vitrail de la peinture (Laroche et Giroux 1990). Au cours des XIVe et XVe siècles, il y a cependant une décadence dans l’art du vitrail. Les grisailles deviennent de plus en plus importantes, et la peinture sur verre remplace le dessin simple sans perspective. Au XVIe siècle, par contre, l’art du vitrail connait un renouveau technique et un perfectionnement (Gosselin 1960). À partir du XVIe siècle, les vitraux deviennent un grand livre d’images (Pichard 1969). Le verre est plus mince et régulier, et les plombs sont étirés et non fondus. Au XVIIe et XVIIIe siècles, le vitrail présente davantage de petits motifs de grisailles (Gosselin 1960). Au XIXe siècle, le vitrail réapparaît et devient un tableau, rappel ou reconstitution des temps gothiques; les ateliers de vitraux réapparaissent pour restaurer les verrières anciennes et créer des vitraux pour les nouvelles églises (Pichard 1969). De nos jours (depuis les années 1960), le vitrail est redevenu un grand art qui associe des techniques anciennes avec l’audace moderne du dessin (Gosselin 1960). Les XIXe et XXe siècles ont ainsi redonné à l’art du vitrail toute sa grandeur (Dufaux 1959).

L’École des Beaux-arts à Québec au XXe siècle

Au XXe siècle, de 1922 à 1970, l’École des Beaux-arts à Québec joue un rôle important dans le développement du milieu artistique et culturel québécois (événements, expositions et conférences). L’École est fondée par le gouvernement du Québec en 1921 et ouvre ses portes en octobre 1922. Le premier directeur de l’École est Jean Bailleul, artiste statuaire d’origine française, jusqu’en 1929, et il a alors foi en un art canadien et souhaite donner à l’art décoratif une importance pour l’industrie canadienne. Le programme académique est comparable comme celui des écoles d’art en France et l’influence de l’art européen demeure très présente dans l’École. L’enseignement des Beaux-arts est ainsi au début très influencé par l’École des Beaux-arts de Paris, en raison des maîtres français qui y enseignent dans les débuts, et aussi en réaction aux approches américaines de l’époque (Langlois 1997; Mercier 1999). Plusieurs matières y sont enseignées, dont les cours de vitrail.

L’École des Beaux-arts à Québec a deux objectifs à ses débuts, soit « répandre la connaissance de l’art et développer le goût du beau » et « préparer des artisans, des gens de profession, des artistes qui trouvent dans leur formation spécialisée les moyens de gagner leur vie » (Mercier 1999 : 1). Ces objectifs sont révisés par la suite : « L’École vise avant tout la formation d’artistes-créateurs » (Mercier 1999 : 1). L’École suivra alors une évolution vers un art publicitaire, commercial, pratique et artisanal, avec comme base d’originalité l’art commercial et l’art populaire québécois contemporain. Les diplômes attribués sont le diplôme de professorat de dessin et le diplôme d’arts décoratifs pour devenir diplôme des beaux-arts et licence d’enseignement, option arts plastiques. Par la suite, la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts recommande qu’une partie des responsabilités d’enseignement des Beaux-arts soit cédée aux cégeps, et que l’enseignement supérieur soit confié aux universités. L’École des Beaux-Arts de Québec ferme en 1970, et l’Université Laval prend dès lors la responsabilité de l’enseignement supérieur des arts; l’École des arts visuels, reliée à la Faculté des Arts, est créée (Mercier 1999).

Marius Plamondon et Olivier Ferland

En 1937-38, Marius Plamondon (1914-1979), un artiste, se rend en Italie pour faire des études en sculpture sur marbre à l’Académie royale de Carrare, et sur bois à l’Académie royale d’Ortisei. Il approfondit la technique du vitrail en France avec le professeur Henri Charlie l’année suivante (Racine 2018). À son retour au Québec, il devient professeur de sculpture sur bois (1939-1947), le premier enseignant du cours de vitrail (1947-1963) (Racine 2018) et directeur de l’École des Beaux-arts à Québec de 1963 à 1970 (Racine 2018; Mercier 1999). Plamondon fut enseignant à l’École des Beaux-arts et conçut peu de verrières. Le sculpteur Plamondon renouvela la conception du vitrail. Entre autres réalisations, il a fait les verrières de la chapelle des clercs de Saint-Viateur de Joliette (1940) et celles de l’église haute de l’oratoire Saint-Joseph de Montréal (1961). Plamondon a enseigné à un élève persévérant, Olivier Ferland, qui a dû faire face à la concurrence des verriers étrangers, surtout français, dans un Québec qui se sécularisait (Laroche et Giroux 1990).

Les techniques du vitrail et le savoir-faire du maître-verrier Olivier Ferland

Le patrimoine immatériel, soit les traditions orales, les savoir-faire, les fêtes, les rites et la mémoire, permettent de comprendre le patrimoine matériel, soit les objets matériels et les bâtiments. Le patrimoine immatériel est tenu par des personnes qui le conservent et transmettent, et c’est une grande perte lorsqu’un porteur de traditions disparaît (Turgeon 2015).

Les réalisations professionnelles de Olivier Ferland

Notes biographiques

Olivier Ferland (1928-2017) est un maître-verrier, né le 14 septembre 1928 à Ste-Elizabeth, dans le comté de Joliette. Il fait ses études à l’école Sainte-Elisabeth et son cours classique au Séminaire de Joliette. Il étudie par la suite à l’École des Beaux-arts de Québec de 1947 à 1952. Il obtient le Prix du Ministre et le Prix du Lieutenant-gouverneur en 1952. Ses études sur le verre ont été faites à l’Atelier de Marius Plamondon pendant quatre ans (1952 à 1956). Il devient assistant de Plamondon durant cinq ans pour acquérir de l’expérience dans la fabrication de vitraux. Il ouvre son atelier, et devient maître-verrier (s.n., 1958). Selon Dufaux (1959), les maîtres verriers sont rares en Amérique du Nord, bien qu’il y ait des verriers et des fabricants de vitraux. Il y a deux maîtres verriers dans la ville de Québec [1959]: Marius Plamondon et Olivier Ferland (Dufaux 1959). Le maître verrier a reçu une formation spécifique et le verrier est la « personne qui travaille le verre, de la fusion à la décoration » (Laroche et Giroux 1990).

Olivier Ferland, maître-verrier et enseignant aux Beaux-arts et à une école à Québec

Le maître-verrier Olivier Ferland possède son atelier et a fait des vitraux dans les églises surtout, dans les résidences privées (membres du clergé, gens aisés), ainsi que dans des édifices du secteur de l’éducation et des hôpitaux à Québec, dans la région de Québec et au Québec. Ferland est aussi un enseignant sur le vitrail à l’École des Beaux-arts jusqu’à la fermeture en 1970, et enseignera ensuite des cours populaires (appréciés par plusieurs élèves) à Sainte-Foy et Sillery pendant 12 ans (1982 à 1994). Il a enseigné les techniques de la méthode de plomb. Il a éventuellement quitté les services des loisirs de Sainte-Foy après trois années de cours. Ses élèves de Sainte-Foy l’ont suivi à Sillery. Ferland a créé son École privée à Sillery en partenariat avec la ville de Québec. Il a participé à des expositions d’oeuvres en solo, en groupe de 2, ou 3, ou plus avec des artistes en verrerie, céramique, émaux et batik (biographie, dossier d’artiste 1994; document 1975), tous des arts de la terre (René 1911).

Des réalisations de vitraux.

La première commande (1959) de Ferland fut dans la ville de Québec, soient quatre vitraux pour la chapelle de l’Hôtel-Dieu de Québec; l’un des quatre vitraux est en hommage à Sainte-Anne. Il a ensuite réalisé les fenêtres de l’église Marie-Reine du Monde de Rawdon (Dufaux 1959). Ces verrières rendent hommage à la Vierge Marie en produisant une série de ses apparitions: Notre-Dame de Lourdes, Notre-Dame de Pontmain, etc. (s.n. 1958). Ferland a aussi fait un vitrail sur Marie de l’Incarnation au Monastère des Ursulines de Québec à ses débuts (Tassé 1964). L’annexe 1 montre des illustrations d’Olivier Ferland à l’oeuvre et des vitraux qu’il a fabriqués:

  • Ferland travaillant avec un blaireau lors du montage d’un vitrail à ses débuts.

  • Un vitrail de Sainte-Marguerite Bourgeoys, une verrière de Marie de l’Incarnation aux Ursulines de Québec et une verrière sur le mur de la Chapelle du Grand Séminaire de Québec.

  • Ferland « compas à l’oeil » évalue et choisit les teintes pour un vitrail.

Le maître-verrier utilise les mêmes techniques du XIIe et XIIIe siècle.

Selon Ferland, les vitraux doivent leur éclat à la technique employée, à la qualité du verre utilisé et à l’habileté du maître-verrier (s.n. 1958; Dufaux 1959). Le maître-verrier relate qu’il utilise les mêmes techniques qu’au XIIe et XIIIe siècle, la seule différence entre les maîtres-verriers de cette époque et lui étant qu’ils devaient fabriquer eux-mêmes leur verre. Selon Ferland, le véritable verrier utilise du verre coloré dans la masse et non du verre coloré en surface seulement (s.n. 1958). Le vitrail est une mosaïque de verre translucide dans laquelle chaque teinte est représentée par une pièce de verre colorée dans la masse du verre. Le travail de grisaille est réalisé pour définir le modèle et les ombres, pour mettre en valeur certaines couleurs et pour diminuer l’intensité de certaines autres couleurs (s.n. 1958).

Le verre coloré dans la masse tel qu’employé par Ferland est importé de France ou d’Allemagne. Les États-Unis ont une fabrication semblable à ces « anciens » pays; ils utilisent de vieilles techniques et fournissent un verre de qualité. Le verre antique est un verre fabriqué de façon artisanale, soufflé en manchon ou en plateau (Dufaux 1959). Il est transparent ou translucide, et l’épaisseur et la coloration varient. On le reconnaît à ses bulles et à sa brillance (Laroche et Giroux 1990). Le verre est fabriqué aujourd’hui (1959) comme autrefois avec le même procédé en manchon ou en cylindre. Les verres que Ferland reçoit sont comme ceux du Moyen Âge avec une épaisseur différente à certains endroits sur le verre, ce qui confère une intensité petite ou grande à la lumière et permet d’obtenir des dégradés et éviter la monotonie. Il est important de savoir utiliser ces différentes épaisseurs de verre, affirme Ferland (Dufaux 1959).

Olivier Ferland nous parle alors de la fabrication du vitrail dans des articles culturels, une revue et un livret ecclésiastique. Il relate les deux étapes dans le plan technique de la méthode traditionnelle de plomb, soit la création et la réalisation. Il a ainsi acquis une bonne réputation qui explique que les gens s’adressent à lui pour avoir un vitrail de grande qualité (Daigneault 1966).

La méthode de plomb traditionnelle : la « création » du plan technique

Pour l’étape de la création, le verrier peut s’inspirer d’un texte à partir duquel il crée un personnage à l’aide de son imagination (Gosselin 1960), ou alors le maître-verrier réalise une esquisse, ou interprète le dessin d’un autre (Tassé 1964). Un thème est souvent suggéré au départ, comme c’est le cas par exemple avec Soeur Jeanne qui dessine les maquettes pour sa communauté (Daigneault 1966). Soeur Jeanne de Sainte-Marguerite, professeure de Beaux-arts au Collège des Soeurs de l’Assomption à Nicolet fait une commande de vitrail auprès de Ferland qui s’inspire du thème de la nature pour représenter l’Assomption avec des arbres, des nuages, etc. Selon son interprétation, les trois vitraux (18 par 12 pieds) déjà installés dans la chapelle donnent une impression de regarder le ciel à travers les arbres d’une forêt. Il y a une luminosité croissante de l’arrière de la chapelle vers l’autel lorsque tous les vitraux sont installés (Tassé 1964). Dans son atelier inondé de lumière, Ferland a pris quatre années de travail pour ce projet de douze vitraux. Les vitraux sont abstraits et les couleurs sombres (Daigneault 1966).

1) Étude des lieux

Lorsque que Ferland reçoit une commande d’une oeuvre, il visite d’abord l’emplacement (surtout dans des églises) pour évaluer l’effet de la lumière et analyser la couleur des murs. Pour faire le vitrail, il faut considérer la qualité de la lumière qu’il projettera (Daigneault 1966).

2) Réaliser des maquettes et approbation de la maquette

Ferland réalise alors des maquettes qu’il présentera à ceux et celles qui ont commandé le vitrail. Une fois le choix de la maquette, il prend le temps d’assimiler l’esquisse, pour procéder avec rigueur sans fausser la nature de l’oeuvre (Daigneault 1966). Ferland utilise la même technique que les maîtres-verriers au Moyen Âge, mais il utilise un carton, alors que les maîtres-verriers médiévaux employaient du parchemin pour le plan des pièces de verre (Dufaux 1959).

3) Agrandissement de la maquette

Deux grandes tables au centre de la pièce de l’atelier de Ferland permettent de réaliser une esquisse préliminaire réduite, qui sera ensuite agrandi pour le dessin aux dimensions réelles de l’oeuvre finale (Duval 1976). La maquette est ramenée à la grandeur réelle du vitrail en double exemplaire sur un papier brun fort (Daigneault 1966). Puis, la réalisation du plan technique est la prochaine étape de fabrication du vitrail.

La méthode de plomb traditionnelle : la « réalisation » du plan technique

1) Découper le patron, choisir les verres et couper les pièces du patron.

Le verrier coupe chaque pièce de papier selon le tracé du dessin du patron en autant de parties qu’il y a de morceaux de verres différents dans le vitrail (Duval 1976; Daigneault 1966). Ferland découpe des morceaux de verre selon les pièces de patrons toutes numérotées (Daigneault 1966). Des ciseaux spéciaux font en sorte qu’une lame pénètre dans l’autre, pour laisser un espace entre les patrons de papier; cet espace sert à placer le plomb pour tenir les pièces de verre à l’étape finale du vitrail (Daigneault 1966). Les ciseaux spéciaux (Daigneault 1966; Duval 1976) enlèvent 1/16 de pouce (Tassé 1964; Duval 1976) sur tout le contour du patron (Duval 1976) et des pièces du patron; c’est la part du « coeur du plomb » ou des « ailes du plomb » (ou « l’ange de plomb »). La nervure de plomb retenant les pièces de verre s’appelle le « coeur du plomb » dans la partie entre les pièces de verre [à l’intérieur du patron], et la nervure de plomb qui recouvre les bords (extérieurs) s’appelle « les ailes » ou « l’ange du plomb » (Tassé 1964; Duval 1976).

2) Choisir les verres et les teintes parmi 4000 teintes, et couper les pièces de verre.

Le maître-verrier choisit les verres d’après la maquette et a un choix entre environ 4000 teintes. Il achète les verres qui proviennent de maisons américaines spécialisées (Tassé 1964; Daigneault 1966; Duval 1976). Selon Ferland, le verre de meilleure qualité est fabriqué en Europe, plus particulièrement en Angleterre, mais l’Allemagne et la France fabriquent également d’excellents verres (Daigneault 1966). Il utilise un coupe-verre à roulette simple (Duval 1976), contrairement à ce que pluseurs pourraient penser (Tassé 1964).

3) Le montage et l’interprétation de la maquette.

Lorsque les pièces de verres sont toutes coupées (Duval 1976), un montage temporaire est fait avec de la cire pour vérifier les couleurs choisies (Tassé 1964; Duval 1976). C’est l’étape de l’interprétation de la maquette lors de laquelle il est possible de foncer les teintes qui laissent passer trop de lumière et attirent trop l’attention, ou de pâlir ou assortir les couleurs qui recevraient mal la lumière (Tassé 1964).

4) La grisaille: grisaille et dépolissage.

Si le montage est bien réalisé, on défait le montage des pièces avec la cire et on passe le « dépoli » (dépolissage) et la grisaille (Duval 1976). Cette étape est réalisée à l’aide d’une poudre d’os qui est cuite au four à 1200° F, à cinq reprises (Tassé 1964; Duval 1976). L’arrière du vitrail est dépoli, sinon le bleu du ciel modifie ou altère la couleur du vitrail (Tassé 1964; Duval 1976). Le verre doit être cuit pour pouvoir obtenir un verre dépoli. Le procédé de grisaille consiste à répandre une fine couche de poudre sur la pièce de verre afin de le rendre plus terne (Daigneault 1966). Ainsi, le verre ne masque pas la vue sur l’extérieur, car sans ce dépolissage, le flot de lumière deviendrait trop puissant (Daigneault 1966). De plus, la grisaille permet aussi de dessiner les mains, les vêtements, les dentelles, etc. (Tassé 1964).

5) Assemblage avec le plomb, soudage et pose de mastic.

Les pièces de verre cuites sont rassemblées selon la maquette du vitrail à sa taille réelle et fixées avec les rails de plomb (Daigneault 1966; Tassé 1964; Duval 1976); on soude et fixe avec le mastic « cimenté » (Tassé 1964). La pose du mastic (gris) est la dernière étape de la fabrication du vitrail qui permet de fixer les morceaux de verre multicolores au plomb qui les lie les uns aux autres (Tassé 1964). Le mastic est placé dans les petits espaces entre les plombs et les verres, ou à la rencontre des nervures de plombs. Le plomb a démontré qu’il dure pendant des siècles en raison de sa flexibilité et sa résistance à la corrosion (Daigneault 1966).

6) Sections du vitrail placées dans la baie.

Les panneaux ou sections du vitrail sont ensuite expédiés à leur lieu d’emplacement et de destination. Ce sont ensuite les ouvriers (dernière étape) qui montent le vitrail dans une fenêtre. Un vitrail de taille moyenne prend environ deux mois de travail (Tassé 1964; Duval 1976). Ferland cite l’exemple de l’église de Rawdon, pour laquelle le thème était les différentes apparitions de la Vierge : « Créer un vitrail de dix-huit pieds de haut sur neuf de large demande aujourd’hui la même patience qui habitait les maîtres-verriers du Moyen Âge, desquels, d’ailleurs, j’ai adopté leur méthode de travail: verre teinté dans la masse, enchâssement dans le plomb, grisaille, dépoli, etc. » (Le Collectionneur 1961; 14). Il y a 2000 morceaux de verre dans ce vitrail et il a demandé 80 heures de cuisson.

Selon Ferland, les techniques du plan de travail ne changent pas ou peu à travers les époques et années. Le procédé de cuisson demeure le même et les matériaux diffèrent peu. L’application des couleurs peut différer, mais ce sont en fait surtout les outils qui varient. En somme, le procédé ne change pas bien qu’il y ait des variantes comme dans tous les métiers (L’Heureux 1965).

Le savoir-faire et les pensées de Olivier Ferland reliés au rôle du vitrail

Dans le cours du « récit de métier » du maître-verrier, Ferland nous raconte son savoir-faire, ses pensées et ses convictions, en lien avec le rôle et les fonctions du vitrail, et selon son cheminement professionnel au cours des années.

Selon Ferland, le vitrail est chaleureux et prédispose à la joie intérieure, au recueillement et à la prière. Le vitrail fait irradier la lumière et efface les tristesses du dehors (livret ecclésiastique, 1958). Le vitrail ne peut être fabriqué en série, car il fait partie de l’architecture de l’église, de la place qu’il occupe, du rôle décoratif ou instructif. Le vitrail crée une ambiance de méditation et représente aussi lui-même un enseignement (livret ecclésiastique 1958). Si les commandes de vitraux sont faites à des maisons commerciales spécialisées, ces vitraux sont parmi des centaines d’exemplaires de tous les saints et saintes dans des rayons (Le Collectionneur 1961). Les vitraux dans les églises ne peuvent pas être faits dans un contexte commercial car les vitraux sont une oeuvre créée et non un objet manufacturé. Le métier de maître-verrier ne permet pas de créer une oeuvre avant de connaître sa destination, contrairement au peintre, au céramiste, et autres qui peuvent créer et réaliser des oeuvres à l’avance (Le Collectionneur 1961).

Selon Ferland, il faut reconnaître les réalisations des artistes du vitrail de chez nous qui sont supérieurs aux vitraux importatés (Dufaux 1959; Le Collectionneur 1961). Le vitrail est une oeuvre d’art qui meuble un espace, et est produit selon la place et le rôle dans son environnement. Le vitrail religieux est aussi un enseignement théologique et moraliste à travers les siècles. Il doit être humain et Ferland l’a compris affirme Dufaux (1959). Depuis longtemps au Québec, on fait appel aux vendeurs de vitres peintes, des commerçants spécialisés à l’étranger et les artistes québécois ne semblent pas considérés dans l’art sacré. Pour Ferland, les vitraux dans une église sont l’âme, les yeux et l’esprit (des lieux). Le vitrail a une valeur spirituelle considérable, et en faisant affaire avec un marchand de vitres peintes (qui utilise parfois de la matière plastique ordinaire), on décore plutôt qu’on transfigure une église (Le Collectionneur 1961). Ferland pense ainsi que le travail des verriers canadiens est supérieur à celui des verriers européens, car les canadiens ont la culture du travail bien fait pour des vitraux bien finis et solides (Tassé 1964).

Pour réaliser un vitrail, cela exige des qualités d’artiste et d’artisan, la patience, et le goût du travail bien fait. Un vitrail vivra par le jeu de la lumière qui fera «chanter» les coloris du verre sur des tons différents selon le moment de la journée ou la luminosité du soleil (Tassé 1964). Ferland croit que le vitrier peut faire des vitraux avec les églises plus modernes, mais qui soient différents des anciennes cathédrales. Aujourd’hui (1965), les églises les plus modernes ont aussi des vitraux. « Il y a une évolution constante en peinture, en gravure, en tapisserie, c’est la même situation pour les verriers » (L’Heureux 1965 : 9).

Le vitrail a également une place dans la décoration des résidences et les édifices commerciaux. Plusieurs compagnies ont mis en place des vitraux dans leurs lieux qui représentent l’histoire de leur industrie. Ces compagnies trouvent que le vitrail a un rôle important à jouer dans l’art décoratif (L’Heureux, 1965).

Ferland a par ailleurs des idées bien précises sur l’art sacré au Québec. Au Moyen Âge, le métier du verrier était populaire, toutefois le vitrail a connu une désaffection en Amérique où l’on construit des églises et des temples religieux sans planifier les vitraux (Daigneault 1966). Il est déplorable que les membres du clergé et architectes québécois ne collaborent pas davantage avec les artistes. Les jeunes ont du talent et ne demandent qu’à l’exprimer : « La province de Québec devrait être un paradis pour les jeunes artistes qui ont le don de l’art sacré » (Ferland 1964 : 12).

Les commandes sont faites trop tardivement auprès du maître-verrier ou verrier dans le processus du plan technique, c’est-à-dire lorsque le temple est terminé le verrier doit composer avec les cadres qui ne conviennent pas toujours à l’art du vitrail. Des idées du clergé sont parfois suggérées à l’artiste qui n’ont pas de lien avec l’art du vitrail. Certains ministres de culte préfèrent aussi les artistes européens aux québécois, bien que certains tendent à faire confiance à ces derniers. Quant aux architectes, ils devraient collaborer avec les artistes. Bien que certains de ceux-ci ont été compréhensifs et l’ont laissé faire son travail d’artiste; certains ont des idées en art parfois à l’opposées de celles de l’artiste. Selon lui, il y a maintenant des architectes et curés plus jeunes qui comprendront probablement le rôle de l’artiste dans l’art sacré (Daigneault 1966).

Il y a moins de commandes de vitraux durant les années 1970 (Lapointe 1994). Les églises tendent à perdre leur clientèle traditionnelle. Alors que le curé commandait les verrières de son église et choisissait les thèmes liturgiques il y a quelques années, dès lors, les verrières sont devenues un luxe pour les églises plus rares dans les paroisses. C’est maintenant l’architecte qui peut faire revivre cet art ancien, par l’usage des formes et des couleurs : « Il faut voir le soleil tenter de pénétrer la couleur qui varie selon l’intensité de sa lumière pour apprécier cet art à sa juste valeur » affirme Ferland (Duval 1976 : 59).

Le maître-verrier commence à une époque où les curés lui faisaient des commandes d’oeuvres de vitraux. À l’âge de 65 ans, il pratique son art depuis près de 40 ans (de 1956 à 1994). Dans une entrevue au moment de sa retraite en 1994, Ferland affirme que l’avenir du vitrail est dans les édifices publics. Il continue à exercer son art des vitraux dans les églises et met sa créativité dans les édifices publics aujourd’hui. En Allemagne et Angleterre, il y a aujourd’hui de grands murs en vitrail qui embellissent la lumière des édifices en verre. Un vitrail coûte jusqu’à 125$ le pied en 1994 et en 1959 cela coûtait $35; cela n’a pas augmenté de manière significative, conclut Ferland (Lapointe 1994).

À l’aube de prendre sa retraite en 1994 et après sa retraite, les deux grandes réalisations de Ferland fréquemment mentionnées sont les vitraux de l’Église Marie-Reine-du-Monde/St. Patrick à Rawdon dans Lanaudière (Laroche et Giroux 1990) et les vitraux de l’Église du Christ-Roi à Joliette.

Sa dernière réalisation de vitrail est en 1991 pour la cathédrale de Rimouski (Lapointe 1994). Après sa retraite, Ferland continue à réaliser quelques projets de vitraux, et se concentre davantage sur l’étape de la création des vitraux, soit le thème du vitrail, les maquettes et le choix des couleurs, car il faut des années d’expérience pour voir les couleurs correctement, explique-t-il. Un associé se charge de la deuxième étape de la réalisation du plan technique, soit l’assemblage technique des verres et du vitrail (Lapointe 1994).

L’atelier de vitrail de Ferland, un sanctuaire pour la fabrication des vitraux

L’atelier de vitrail du maître-verrier Ferland représente un terrain « ethnographique » d’intérêt pour comprendre le patrimoine immatériel et matériel du vitrail. Le journaliste culturel Tassé parle du sanctuaire de travail dans la résidence de Ferland dans un quartier moderne de Sainte-Foy (aujourd’hui Québec) et des grandes fenêtres sur lesquelles les vitraux sont déposés. Selon les gens qui regardent la maison de l’extérieur, cela donne l’impression que c’est une chapelle (Tassé 1964).

La résidence du maître-verrier a été conçue selon l’art ancien qu’il pratique depuis 20 ans (1956-1976). L’architecte Maurice Boutin de Québec a dessiné les plans de la maison en fonction de certaines exigences de son client. L’atelier de vitraux a 20 pieds de haut avec un mur fenêtré équipé de montants pour déposer et évaluer les verres (Duval 1976). Il y a des tables lourdes à la forme de cubes sur roulettes (avec de la lumière dans les tables). Il y a un four où Ferland cuit ses pièces de vitraux à l’opposé du mur de verre (Daigneault 1966). Un buffet d’orgue domine la pièce près des tables et des verres, et camoufle l’un des murs de l’atelier de 20 pieds (Duval 1976). Il pratique l’orgue, le piano, le solfège et l’harmonie. La console de l’orgue se trouve dans cette pièce de l’autre côté de la pièce sous la mezzanine de son bureau. Il y a aussi des vitraux de riches coloris dans les pièces de la maison (Duval 1976).

Dans le contexte de notre enquête sur le terrain, et à la fin de nos recherches, nous avons été voir de l’extérieur la résidence de Monsieur Ferland (habitée jusqu’à 2017 ou quelques années auparavant) à Sainte-Foy (la biographie fournissait son adresse dans le dossier d’artiste). Lorsque nous avons vu la résidence, nous étions certains que c’était bien celle du maître-verrier. Il s’agit d’une haute et longue résidence à la forme rectangulaire cubique au style simple et épuré avec du bois naturel de couleurs neutres noir et tan. Nous avons immédiatement pensé et compris sa conception artistique du beau lu dans sa chronique dans un journal: « le beau c’est l’essentiel, la simplicité et la vérité... » (Ferland 1964; 12). L’oeuvre des vitraux de Ferland aux couleurs classiques de bons goûts, bien délimitées, empreints de clarté et de simplicité, a pris tout son sens. Le mur fenêtré de la résidence sur le côté du terrain de la maison au coin de la rue nous rappelait qu’il y avait eu là un sanctuaire de travail de vitraux quelques années auparavant. L’article de la revue Décormag écrit par Duval (1976) montrait l’atelier et l’intérieur de la résidence, et nous étions à même de pouvoir imaginer l’atelier autrefois.

Les techniques du vitrail; entrevue avec une artiste peintre-verrier

Une entrevue sur les techniques du vitrail et sur le savoir-faire du maître-verrier

Dans le cadre de notre étude, une entrevue orale libre a été réalisée avec Madame Carole Deslauriers, artiste peintre-verrier, le 18 novembre 2019, sur les techniques du vitrail et sur le maître-verrier Olivier Ferland qu’elle a connu. L’entrevue a été faite dans la même école d’enseignement où Olivier Ferland a enseigné dans son école du secteur privé à Sillery pendant 12 ans. Madame Deslauriers a pris la relève de l’enseignement en ces lieux en 1994 au moment de la retraite de Ferland. Il lui a alors remis un blaireau et un morceau de bois qu’il utilisait pour fabriquer ses vitraux (Figure 1). Le geste de la passation des outils comporte une dimension pratique utilitaire et symbolique d’un savoir-faire vers une autre personne.

Figure 1

Le blaireau et morceau de bois

Le blaireau et morceau de bois
Source : Carole Deslauriers, 2019

-> Voir la liste des figures

L’artiste peintre-verrier a créé l’École de vitrail Carole Deslauriers (ÉVCD), une école-entreprise privée en partenariat avec la ville de Québec, secteur Sainte-Foy/Sillery/Cap-Rouge en 1995 (entrevue, 2019; Deslauriers 2003). Madame Deslauriers occupe des fonctions à temps plein depuis 1994 en tant que propriétaire, directrice, enseignante et «magasineuse» à l’ÉVCD. L’école existe maintenant depuis 25 ans (de 1994 à 2019). Madame Deslauriers, artiste peintre-verrier réalise aussi des vitraux (cadres, tableaux, etc.) lorsqu’on lui fait une demande.

Ses débuts avec les techniques du vitrail.

Madame Carole Deslauriers se décrit comme une artiste passionnée par la couleur, la forme et la lumière (Deslauriers 2015). Elle est diplômée de l’École des Beaux-arts en 1969 à Québec où elle devient artiste-peintre (Deslauriers 2003). Elle enseigne les arts plastiques au niveau secondaire pendant quelques années (Deslauriers 2015). Dans le cours de ses réalisations artistiques professionnelles, elle souhaite intégrer du verre dans ses toiles (Deslauriers 2015). Elle cherche un coupe-verre et elle communique avec Olivier Ferland. Elle fait alors son apprentissage du vitrail avec le professeur Ferland et devient assistante de cours pendant deux ans de 1991 à 1993 à l’école-entreprise de vitrail de Ferland (entrevue 2019).

Quelques mots sur la personnalité de Ferland.

Monsieur Olivier Ferland, maître-verrier, était très réputé dans la création et fabrication de vitraux surtout religieux (Deslauriers 2015). « Olivier Ferland avait une vision et une passion » dit Madame Deslauriers. « Il était très cultivé, aimait la musique et jouait de l’orgue. Il était terre à terre et simple, aimait le gros bon sens, et était très franc. Il avait un humour extraordinaire. Il était compréhensif sur les réalisations de ses élèves » (entrevue, 2019).

Dans la lignée de l’École des Beaux arts et de l’enseignement de Ferland.

Cette école est la seule avec une approche artistique et technique à Québec en continuité et avec « l’esprit des lieux » de l’enseignement de l’art des Beaux-arts depuis son déplacement vers l’Université Laval (Deslauriers 2003; entrevue, 2019). « Mon école est la seule école de vitrail à Québec comme l’École des Beaux-arts. J’ai gardé les mêmes étapes d’enseignement du vitrail que Olivier Ferland ». Elle a conservé les mêmes techniques de la méthode traditionnelle de plomb, que celles enseignées par Monsieur Ferland (entrevue, 2019). Il y a quelques ajouts qu’elle nous présente ensuite durant l’entrevue.

L’enseignement du vitrail d’une artiste peintre-verrier

Madame Deslauriers aime partager ses connaissances et son savoir-faire (Deslauriers 2015). Le vitrail c’est une passion et une manière de vivre (entrevue, 2019).

Elle décrit son école comme une « École de dessin et technique » et les deux étapes de fabrication des vitraux sont « le dessin et la technique » (entrevue 2019). Les cours sur le vitrail sont « artistiques » avec l’étude du dessin, le choix des verres et les teintes, ainsi que « techniques » au niveau du montage avec la baguette de plomb (Deslauriers 2003). Ferland relatait les mêmes étapes, soient la création (thème, conception, teintes) avec des grisailles mais avec peu de dessin, et la réalisation (assemblage) pour le plan technique de la méthode traditionnelle.

L’artiste peintre-verrier pratique à l’occasion la méthode du ruban de cuivre pour fabriquer les vitraux. Elle pratique surtout la méthode de baguette de plomb, car elle aime mieux cette technique; c’est plus simple et c’est la technique traditionnelle avec un coupe-verre. De plus, il n’y a pas de meule à utiliser (pour couper le verre), comme c’est le cas pour la méthode du ruban de cuivre (entrevue, 2019).

Dès le début de l’entretien, madame Deslauriers souligne que chaque projet est crée et unique, et qu’il n’y a pas de copie à l’ÉVCD. Sur les oeuvres des élèves, il y est indiqué le nom signé par l’élève, l’année et le sigle ÉVCD. Durant l’entretien, « l’artiste et l’aspect commercial » a été mentionnée dans son propos comme une considération dans le travail de l’artiste (entrevue, 2019). Ces propos nous rappellent l’objectif des Beaux-arts de former des artistes-créateurs et le propos de Ferland « une oeuvre crée non manufacturé ».

Madame Deslauriers fait l’achat des feuilles de verres antiques en Europe dans des pays spécialisés (entrevue, 2019). Elle fait les achats en France, et aussi à Toronto et New York, pour le verre antique soufflé à la bouche, selon la tradition. « Le verre antique (artisanal) est soufflé avec la bouche par un humain et le verre commercial avec une pompe de verre commercial » mentionne-t-elle. L’achat de verre antique (teinté dans la masse) dans des maisons spécialisées est un aspect technique et matériel central à cette École qui explique que l’école est dans la lignée de l’enseignement des Beaux Arts et du professeur et maître-verrier Ferland. Elle fait aussi l’achat de quelques verres commerciaux pour offrir une variété et des textures différentes pour les projets des élèves. Durant notre visite, elle mentionne: « Les verres roses sont rares car le rose est difficile à faire et plus coûteux car il se fait avec de l’or », ce qui confirme notre recension des écrits. Madame Deslauriers achète des outils essentiels de base sélectionnés pour son école et sa boutique. Ferland parlait d’un coupe-verre « ordinaire » à roulette qui fait bien le travail, et utilisait des outils traditionnels comme les maîtres-verriers d’autrefois.

Évolution et variantes dans les techniques enseignées

L’enseignante et artiste-peintre a intégré une approche artistique spécifique à elle. Elle « joue avec la largeur des tracés de plomb » en élargissant les rails de plomb car cela crée un effet visuel différent.

Madame Deslauriers, artiste peintre-verrier, fait du dessin sur le verre. Elle enseigne la peinture sur verre et la gravure. Elle relate des différences techniques par rapport à Olivier Ferland : « je fais de la peinture sur verre et de la gravure » et elle mentionne plus tard des différences durant l’entrevue « je fais de la peinture sur verre et des grisailles ». Serait-ce qu’elle fait des grisailles grises, de couleur et des dessins plus élaborés, puisque Ferland faisait des grisailles grises pour les ombrages et les détails (mains, vêtements, dentelles)? Il s’agit probablement des grisailles faites avec l’oxyde et le vinaigre, ce dont il est question maintenant.

L’artiste-peintre fait des mélanges de pigments de couleurs avec des composites chimiques dont l’oxyde avec du vinaigre (pas de l’eau contrairement à certains artistes contemporains). Elle applique et cuit ces composites de couleurs sur le verre. Dans le récit des techniques de Ferland, il utilise la teinte dans la masse du verre et ne mentionne pas faire des mélanges d’oxydes de pigments de couleurs mélangés, appliqués et cuits sur le verre.

L’École de vitrail; lieu de transmission des techniques et du savoir-faire

Dans cette école, il y a une section principale pour les ateliers d’enseignement et des petites tables avec lumière pour chacun des élèves, et des petits fours de cuisson. Il y a des affiches sur les théories des couleurs faites par Madame Deslauriers lorsqu’elle était aux Beaux-arts et un article de journal sur les souffleurs de verre et la technique du verre soufflé à la bouche (entrevue et visite, 2019). Il y a une grande section pour le dépôt des feuilles entières et morceaux de verres antiques et commerciaux, et la boutique pour les outils. Des projets d’élèves, tels que des cadres-vitraux de petites et moyennes tailles, sont déposés sur les fenêtres pour y laisser passer la lumière naturelle. Cette école offre une dizaine de cours par semaine à 90 élèves par session. Le personnel formé est composé de 4 professeurs et 4 assistantes (Deslauriers 2003). Des professeurs et plusieurs élèves ont été formés à cette École depuis 1994, et à ce même lieu avec le professeur Ferland de 1982 à 1994.

Madame Deslauriers encourage la créativité, et a une approche artistique et technique à son école. Elle dit à son élève : « ton oeuvre, c’est ton rêve, pas le mien ». L’oeuvre, c’est la personnalité de l’élève. Elle est en présence de la diversité des travaux. L’inspiration du projet artistique de l’élève peut provenir de « je m’écoute et m’inspire » ou certains lisent un poème pour avoir de l’inspiration (entrevue, 2019). Elle a établi des standards de qualité, une rigueur dans l’exécution et une excellence des matériaux: « … tous les vitraux quittent l’école pour aller vivre dans leur milieu respectif » (Deslauriers 2015). « L’oeuvre continue à faire son oeuvre, son effet… » dit-elle.

Les techniques et le savoir-faire du vitrail : un patrimoine québécois

Basé sur notre recension des écrits sur les techniques du vitrail au Moyen Âge, « le récit de métier » de Ferland, notre enquête de terrain à l’atelier de Ferland et notre entrevue orale avec une artiste peintre-verrier enseignante, la transmission des techniques et du savoir-faire s’est faite à Québec et au Québec. Comment pourrait-on repenser le savoir-faire du vitrail et l’objet des vitraux dans le contexte de la transmission des connaissances et de son évolution dans la société québécoise? La restauration et la conservation, la transmission et la mise en valeur, la sensibilisation, la sauvegarde et la diffusion du patrimoine immatériel et matériel québécois du vitrail sont des enjeux actuels.

Le patrimoine des « techniques savantes » du vitrail au Québec

Un Fonds École des Beaux-Arts de Québec a été créé et déposé à l’Université Laval. Il présente des informations permettant un portrait exhaustif de cette institution qui fait partie de notre patrimoine, et les orientations reflétant les mentalités de la société québécoise entre 1922 et 1967 (Langlois 1997). Ce fonds, considéré privé à la suite de plusieurs étapes d’archivage, présente l’évolution des arts plastiques à Québec et au Québec de 1922 à 1970. Il informe des matières enseignées, les conceptions artistiques des professeurs et les théories développées (Mercier 1999).

Il serait souhaitable de créer un inventaire virtuel central et documenter les vitraux (par créateur et sujet) dans chaque église au Québec et identifier ceux qui doivent avoir une restauration. En 1995, la Fondation des économusées du Québec crée des économusées visant à préserver ou à mettre en valeur notre patrimoine, des savoir-faire dans la tradition québécoise liés à l’histoire d’une région. Les « Artisans du vitrail », une entreprise privée, située à Limoilou présente l’histoire de cet art très ancien, et l’adaptation de cette technique et savoir-faire traditionnelle aux besoins actuels. Le réseau des économusées montre que la préservation et la valorisation de notre patrimoine peut être synonyme de développement économique (Deslauriers 1996).

Dans la première partie de son travail sur le patrimoine technique et scientifique, Cuenca (2003) parle de sensibilisation, inventaire et sauvegarde du patrimoine matériel des objets, et dans la seconde partie, elle traite de sauvegarde virtuelle et diffusion culturelle avec le récit des techniciens et enseignants qui utilisent les objets. Lorsque l’on fournit un complément à l’objet documenté (patrimoine matériel), soit le savoir-faire (patrimoine immatériel), cela favorise la diffusion culturelle et la mise en oeuvre à une patrimonialisation. Le programme de sauvegarde du patrimoine technique et scientifique relaté par Cuenca a mis en place un inventaire d’objets et d’outils multimédias sur les « histoires de vie de techniciens et enseignants ». Un réseau de correspondants techniques et scientifiques ont collaboré au projet, dont le musée des arts et métiers, des historiens des techniques et des sciences, et des institutions muséales.

Lempereur (2014) concentre son propos sur la transmission et la diffusion du patrimoine immatériel culturel et scientifique liée aux savoirs et aux savoir-faire, plus qu’aux objets et artefacts. Elle a interrogé des détenteurs de patrimoine, soit des techniciens et des enseignants (Lempereur 2014). Ses témoignages portent sur les personnes qui possèdent et transmettent les connaissances (techniques, savoir-faire, méthodologies), le capital intellectuel et gestuel, le rapport entre l’homme et sa machine, les objets, les locaux de pratiques et d’observation (« terrain » ethnographique), et les bâtiments. En 2006, Lempereur, en rédaction de thèse, avait contacté Jean-Dominique Lajours, un cinéaste-ethnologue, réalisateur de 70 films sur les savoir-faire traditionnels du monde rural français pour un Centre national de recherche scientifique qui s’intéresse aux approches pour filmer la présentation du savoir-faire, la mise en oeuvre et la gestuelle.

À Québec, la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique à l’Université Laval, a développé un programme d’inventaire ethnologique du patrimoine immatériel religieux multimédia en ligne du Québec[1] pour la sauvegarde et la préservation du patrimoine religieux. Une méthodologie d’enquête de terrain ethnologique pour identifier les pratiques et les savoir-faire dans le domaine religieux a été mise sur pied et développée de 2008 à 2012. La cueillette des données a été faite par l’approche du « récit de vie » oral et par le film ethnographique. L’enquêteur ethnologue demandait à l’informateur de parler des objets, de lieux, de pratiques ayant trait à leur histoire, leur signification, leurs modes de fabrication, leurs usages et leur valeur patrimoniale (Turgeon 2015).

Les « techniques savantes » et le vitrail, un patrimoine immatériel et matériel

Comment peut-on décrire ce patrimoine immatériel et matériel des vitraux dans la société québécoise? Selon le contexte dans lequel se trouve l’objet ou selon l’angle, ou les personnes qui l’ont créé, ce patrimoine peut se décrire différemment.

Dans le contexte de l’enseignement, ces « techniques savantes » du vitrail peuvent être qualifiées de patrimoine « technique et scientifique », basé sur les propos de Cuenca (2003) et Lempereur (2014) sur le patrimoine immatériel et matériel. De plus, au cours des siècles, les vitraux dans les églises ont eu des fonctions pédagogiques et d’enseignement, et avaient été créés entre autres pour des illettrés. Le Fonds de l’École des Beaux-arts rassemble des programmes de cours, des annuaires, des dessins techniques et d’architecture, des bobines de microfilms des planches et des objets, de la correspondance, des photographies, des cartons d’invitation et des coupures de presse (Mercier 1999). De plus, dans l’exercice du métier de maître-verrier, il y a des connaissances techniques et scientifiques sur la fabrication du verre avec des végétaux et du vitrail avec le broiement de minéraux, des mélanges chimiques avec des oxydes, et les techniques d’assemblage (soudure, mastic, etc.).

Le vitrail a été étroitement associé à l’art religieux, lors de la construction des églises dans sa plus grande activité. C’est l’un des éléments essentiels de l’église pendant plusieurs siècles, et il vient du désir de l’homme de se créer un espace spirituel. La collaboration entre la peinture et le soleil présente une harmonie émouvante qui se rattache à notre sentiment de la vie : « Le vitrail ne s’oppose pas à la lumière du dehors, il l’accueille au contraire, mais il la transforme. Il en dissocie à la manière du prisme toutes les couleurs qu’il répand ensuite sur le sol, sur les murs et sur tous les visages présents, les associant à sa mission de spiritualisation » (Pichard 1969 : 36). Le vitrail a été crée pour l’expression de la vie spirituelle. Il peut aussi trouver sa raison d’être dans un hôtel de ville, un théâtre, une salle de concert ou une école. Il peut être partout, mais ne doit pas être un art d’amusement décoratif à nos intérieurs. Il est un art d’expression et non un art décoratif, et nos besoins d’expression humaine dans notre environnement sont assez grands pour lui réserver cette place (Pichard 1969).

Les techniques et le savoir-faire des vitraux du maître-verrier, du verrier, de l’artiste, d’un enseignant et dans les loisirs des gens du peuple, sont un patrimoine immatériel ethnologique québécois. Les vitraux dans les églises ou édifices publics sont un patrimoine ethnologique matériel québécois. Il est d’un intérêt de retracer ce patrimoine immatériel alors que la disparition d’un porteur de tradition est récente, qu’il y a des sources de documentation et des informateurs, et qu’une relève est à l’oeuvre pour continuer l’enseignement et la transmission des connaissances et pratiques. La « mémoire vivante » est l’objet de l’ethnologie. La Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique du Québec à l’Université Laval est ainsi un commanditaire de L’École de vitrail Carole Deslauriers[2].

L’église Saint-Mathieu de La Prairie, au sud de Montréal, est une modeste église paroissiale construite en 1921-22, et la seule avec des vitraux considérés classé patrimoine historique au Québec. Cette église présente douze vitraux hétéroclites au niveau de l’iconographie, de la composition et de la peinture du verre, et constitue un survol de l’art du vitrail pratiqué au Québec dans la première moitié du XXe siècle. Il s’agirait des échantillons d’une salle d’exposition probablement désuète, et qui représentent aujourd’hui une richesse historique (Laroche 1990b).

Conclusion

Cette étude exploratoire a fourni une perspective d’ensemble sur les techniques et le savoir-faire du vitrail. Le vitrail religieux est une oeuvre d’art qui prédispose à la joie intérieure, au recueillement, à la méditation et à la prière. Il a des fonctions de spiritualité, d’enseignement théologique et moraliste à travers les siècles, et de conservation des lectures de l’évangile. Cette étude a montré que la transmission du savoir et des techniques s’est faite au cours des époques, du Moyen Âge à l’École des Beaux-arts, vers le maître-verrier Olivier Ferland et des élèves, dans la région de Québec. Ferland relate les étapes de création et de réalisation pour le plan technique, ainsi que son savoir-faire et ses pensées reliés au rôle du vitrail. La reconnaissance à l’endroit du porteur de tradition Olivier Ferland a été soulignée dans ce travail.

L’aspect technique de la méthode traditionnelle de plomb a été décrit selon la méthode de travail du maître-verrier Ferland, qui utilise les mêmes techniques que celles du XIIe et XIIIe siècle. Les techniques du vitrail d’aujourd’hui ont ainsi peu changé par rapport aux techniques anciennes. Il y a une continuité, une évolution et des variantes dans la pratique contemporaine par rapport à la pratique d’autrefois. Les étapes de la création et de la réalisation du plan technique sont les mêmes, et les procédés de cuisson et d’assemblage sont aussi les mêmes. Les matériaux diffèrent quelque peu, et il y a des ajouts de procédés pour les teintes et les dessins. Les outils présentent des variantes : on retrouve des outils traditionnels, et des outils modernes et diversifiés.

L’achat de verres antiques est l’aspect technique matériel central pour la fabrication des vitraux à l’École des Beaux-arts, pour le maître-verrier Ferland et pour l’artiste peintre-verrier enseignante. Les verres antiques sont un matériel technique important pour la qualité qu’il donne au vitrail. Il y a aussi de nos jours des verres commerciaux offerts en différentes couleurs et textures.

La technique de grisaille est essentielle dans le savoir-faire du verrier. La grisaille était traditionnellement dans des tons de gris pour les ombrages, les détails (mains, vêtements, dentelles) et pour le dépolissage : « Les Grisailles sont de la peinture vitrifiable généralement noire qui s’imprègne au verre à la cuisson » (Gosselin 1960 : 15). La technique de la grisaille semble avoir eue une extension au cours des années, et des ajouts de nouvelles teintes. La grisaille est une peinture en camaïeu, composée d’oxydes métalliques mélangés à un fondant et délayée avec du vinaigre, et elle peut être de couleur noire, brune ou violette (Laroche et Giroux 1990). Selon la température et la durée de cuisson, les grisailles peuvent être de différentes teintes. De plus, le terme grisaille est si important dans la terminologie du verrier, qu’il peut avoir une signification différente lorsque ce mot est au pluriel. Les « Grisailles » sont une verrière blanche (en verre clair) ornée de différents motifs peints avec de la grisaille (Laroche et Giroux 1990).

Au cours des siècles, les techniques du vitrail ont connu en alternance des moments de gloire, de décadence, et d’effacement, reliés à la peinture sur le verre et le dessin. La peinture sur verre est l’ensemble des techniques permettant de modifier la transparence du verre: la grisaille, la teinture, l’émail et la gravure (Laroche et Giroux 1990). Lors de nos deux visites (septembre et décembre 2019) à l’exposition « Vitrail, art de lumière », nous avons repéré la technique d’application de l’émail sur des oeuvres. Cette technique existait dans les siècles précédents, et est encore présente dans la pratique contemporaine. Certains artistes appliquent aussi de l’émail coloré sur un verre transparent blanc. La peinture sur verre et le dessin sont présents dans la pratique contemporaine, et semblent être considérés comme une habileté additionnelle pour l’artiste.

Ce sont les outils qui ont le plus évolués et changés dans la pratique contemporaine par rapport à autrefois. Par exemple, Ferland utilisait un coupe-verre à roulette simple. Les outils présentés dans l’exposition étaient variés, certains traditionnels et d’autres modernes. Une boutique de vitrail peut offrir, par exemple, un coupe-verre moderne avec « un réceptacle pour mettre un liquide pour le fonctionnement du roulement ». Les outils correspondent à des besoins variés dans la pratique contemporaine.

Les résultats de notre étude montre qu’il y a une école de pensée sur le vitrail et une lignée de verriers et professeurs, provenant de l’École des Beaux-arts à Québec, avec Marius Plamondon vers Olivier Ferland et d’autres élèves, qui à leur tour sont devenus verriers, artistes et enseignants dans des écoles d’enseignement et centres de loisirs. Olivier Ferland a formé plusieurs élèves à l’École des Beaux-arts, à son École à Québec, à son atelier, et a passé la relève de l’enseignement à une de ses élèves.

Le patrimoine québécois immatériel et matériel du savoir-faire et de l’objet des vitraux se situe dans les écoles d’enseignement de vitraux, dans les loisirs communautaires, dans les loisirs quotidiens des gens du peuple, ainsi que dans les édifices où l’on retrouve des vitraux. Durant les années 1960, il y a eu un épanouissement du vitrail québécois dans les édifices publics, écoles et bibliothèques, centres hospitaliers, centres d’accueil, centres culturels, palais de justice, maisons du tourisme et centres administratifs dans presque toutes les régions du Québec (Laroche 1990a). Dans les années 1970, plusieurs petits ateliers apparaissent. Les écoles de métiers, dont celle du verre à Montréal crées en 1986-87, et celle du vitrail patronné (depuis 1989) par le Centre de formation et de consultation en métiers d’art du Cégep de Limoilou à Québec, offrent des formations en vitrail. Nous assistons alors à l’époque du verre (Laroche 1990a).

Une verrière traditionnelle de Chartres dans les cathédrales d’autrefois et un vitrail contemporain de Marius Plamondon illustrant les éléments chimiques à la Faculté Alexandre-Vachon de l’Université Laval à Québec sont présentés ci-dessous. Ces verrières montrent l’étendue des possibilités des fonctions des vitraux dans les édifices. Les vitraux peuvent avoir une place et un rôle dans les édifices des milieux religieux, éducatif, scientifique, culturel, commercial et industriel. Les vitraux ont un présent et un avenir dans les édifices du secteur public et privé au Québec.

Figure 2

Cathédrale de Chartres, Chapelle axiale, Vitrail des Vies des saints Jude et Simon, 1220- 1225, détail

Cathédrale de Chartres, Chapelle axiale, Vitrail des Vies des saints Jude et Simon, 1220- 1225, détail
Source : Mossot, licence CC BY-SA 3.0

-> Voir la liste des figures

Figure 3

Marius Plamondon, Tableau périodique des éléments, Pavillon Alexandre-Vachon, 1975

Marius Plamondon, Tableau périodique des éléments, Pavillon Alexandre-Vachon, 1975
Source : Bibliothèque de l’Université Laval

-> Voir la liste des figures