Résumés
Résumé
Cet article examine sous quelle forme les Cadiens, au XXIe siècle, perpétuent la tradition du Courir du Mardi gras dans une perspective de développement durable de leur patrimoine, à travers l’étude de cas du Courir de Faquetaigue. Après avoir exposé la tradition du Mardi gras chez les Cadiens, nous abordons la mise en contexte du Courir de Faquetaigue, qui s’écarte du caractère touristique et commercial tel qu’observé lors d’autres Mardi gras de la Louisiane. Au moyen d’une observation participante et d’entrevues semi-dirigées avec des participants, nous en analysons les aspects spécifiques : le défi du poteau, qui évoque la tradition des jeux et des travaux communautaires, l’hommage à Dennis McGee, musicien pionnier de la culture louisianaise, et l’idée de communauté telle que définie par les participants. Il ressort de cette analyse que ce n’est pas tant son caractère géographique local qui définit, aux yeux des participants, ce Courir de Faquetaigue, mais plutôt « l’esprit » du lieu, et les gens avec qui ils le réalisent. Ces acteurs montrent qu’ils font évoluer consciemment cette tradition en faisant en sorte qu’elle s’inscrive dans un esprit de continuité.
Abstract
This article examines how Cajuns, in the 21st Century, are keeping the Mardi Gras tradition alive, in a perspective of sustainable development of their heritage, through the case study of the Courir (or run) of Faquetaigue. After a presentation of the cajun Mardi Gras, it will put the Faquetaigue Mardi Gras run into context and observe its differences with some of the runs considered traditionnal and of the touristic and commercial character of some other runs found in Louisiana. Drawing from a participant observation of the event and interviews with participants, this research analyzes specific aspects of the Courir of Faquetaigue: the challenge of the post, which evokes the traditions of games and community work, the tribute to Dennis McGee, a musican and a pioneer of the cajun culture and the idea of community as defined by the participants in the Faquetaigue run. Our analysis concludes that it is not so much the local and geographical character that defines, in the eyes of the participants, the Faquetaigue run, but, rather, the “spirit of place” that takes place and the people, or community, by which it is performed. These actors show how they consciously develop this tradition by inscribing it into a sense of continuity.
Corps de l’article
Capitaine, Capitaine, voyage ton flag
Allons se mettre dessus le chemin
Capitaine, Capitaine, voyage ton flag
Allons chez l’autre voisin
Les Mardi gras se rassemblent une fois par an
Pour demander la charité[2]
Au cours des dernières décennies, une prise de conscience s’est développée, à travers le monde, sur l’importance du patrimoine culturel, de sa valeur et de ses modes de transmission. En 2003, l’adoption par l’UNESCO de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel représente un exemple déterminant de cette tendance. Les débats entourant ce patrimoine font appel à des approches de plus en plus interdisciplinaires, à de nouveaux concepts (Akagawa et Smith 2009 ; Smith 2006) et au sens que l’on donne au patrimoine dans un contexte moderne (Turgeon 2009). L’une de ces nouvelles avenues de recherche aborde l’étude du patrimoine culturel immatériel dans la perspective du développement durable. Les chercheurs font preuve d’un intérêt croissant pour l’expression et la conservation de ce patrimoine au sein des communautés culturelles minoritaires, notamment en Amérique du Nord francophone (Turgeon 2010 : 394). L’une de ces communautés, celle des Cadiens[3] du sud-ouest de la Louisiane, exprime ce patrimoine culturel immatériel par la tradition du « Courir du Mardi gras »[4].
Avec les traditions musicales (Ancelet 1989a) et culinaires (Bienvenu 2005), le Mardi gras constitue un symbole incontournable de l’identité cadienne à tel point qu’il serait, selon certains auteurs, « almost synonymous with Cajun Louisiana itself »[5] (Ancelet, Edwards et Pitre 1991 : 84). Point culminant des festivités précédant le Carême, le Courir du Mardi gras permet aux Cadiens de perpétuer un évènement représentatif de leur patrimoine culturel (Ancelet 1989b ; Lindhal 2004). Cette pratique remonte au Moyen Âge en Europe, et se célèbre, depuis le tournant du XXe siècle, dans certaines régions rurales du sud-ouest de la Louisiane (Ware 2006 : 13). Pour les Cadiens, elle prend la forme de célébrations carnavalesques qui durent parfois plusieurs jours[6]. Le Courir se caractérise par une procession costumée et masquée des membres de la communauté dans les rues du voisinage. Les participants passent de maison en maison en chantant et en dansant pour demander la charité à leurs voisins. Ils recueillent ainsi les ingrédients à ajouter au gombo[7] communautaire qui sera servi le soir même à l’occasion d’une soirée dansante, appelée « bal » (Lindhal 2004).
Dans la prairie louisianaise, au sud-ouest de l’État, plusieurs communautés cadiennes perpétuent la tradition du Courir du Mardi gras. Certaines d’entre elles n’acceptent que leurs membres immédiats et célèbrent cette fête dans un respect strict de la tradition, comme au Courir de Tee-Mamou-Iota[8]. Ailleurs, comme à Eunice (ville située à environ 230 km de La Nouvelle-Orléans), la célébration du Courir du Mardi gras s’est adaptée suite à des pressions extérieures. Pour la commodité des touristes, qui sont de plus en plus nombreux à vouloir y assister, on a modifié le parcours afin qu’il se termine au centre-ville et on a procédé à quelques changements dans le déroulement du Courir (Le Menestrel 2003 : 410 ; Ware 2003b). Dans la petite localité de Savoy, en banlieue de la ville d’Eunice, la pratique du Courir du Mardi gras est récente. N’existant que depuis 2006, ce Courir, nommé Faquetaigue[9], fut mis en place par un groupe de Cadiens en réaction au caractère de plus en plus touristique et commercial que prennent les festivités d’Eunice. Ils veulent se détacher de ces tendances, jugeant celles-ci moins authentiques, de plus en plus diluées.
Comme l’explique Wilson Savoy (Walker 2011), l’un des artisans du Courir du Mardi gras de Faquetaigue, les festivités de La Nouvelle-Orléans sont reconnues pour l’exubérance de leurs grandes parades. En contrepartie, souligne-t-il, le Mardi gras cadien a toujours eu l’ambition d’être une célébration rurale, où de petites communautés organisent leur propre Courir composé d’un groupe restreint de musiciens acoustiques et d’une poignée de participants. Savoy observe que, de nos jours, le Mardi gras varie d’un petit Courir, composé d’environ trente personnes, à de grandes célébrations, comme celles d’Eunice, avec plus de cinq mille participants. Appuyant sa réflexion, il renchérit, au sujet du Courir de Faquetaigue : « The bigger the Mardi Gras becomes, the more the traditions get watered down and forgotten about. That was the whole reason that my brother, Joel, along with friends, started this Mardi Gras run »[10].
Les créateurs du Courir de Faquetaigue désiraient offrir une alternative plus traditionnelle et plus inclusive, à leurs yeux, au Courir d’Eunice. On accepte, à Faquetaigue, les personnes de toutes origines culturelles, tant qu’ils respectent l’obligation d’être costumés et de porter un masque. Selon Ancelet : « They created an inclusive structure that eliminated the racial and gender segregation found in many other runs » [Ils ont créé une structure inclusive qui a éliminé les ségrégations raciales et de genre que l’on retrouve dans beaucoup d’autres Mardi gras] (2009 : 12). Or plusieurs auteurs affirment que le Mardi gras est non seulement un symbole de fierté, mais aussi de l’identité culturelle des Cadiens (Ware 2003a : 20) et de leur patrimoine. C’est pourquoi, dans le cadre de cette étude, je vise l’observation de la mise en oeuvre de cette tradition lors du Courir du Mardi gras de Faquetaigue ainsi que l’analyse de la signification qu’elle prend pour ses participants.
Toutefois, le Courir du Mardi gras de Faquetaigue suscite un questionnement quant à son authenticité en tant que forme d’expression du patrimoine culturel. Ancelet émet quelques réserves face à l’émergence de ce Courir (2009 : 12). Pour cet auteur, il est difficile, pour les participants au Courir de Faquetaigue, de bien comprendre la tradition. Il attribue cette difficulté à sa nouveauté ainsi qu’à la provenance des participants. Ceux-ci ne font pas partie, pour la plupart, de la communauté de Savoy : ce sont des amis et des connaissances des organisateurs appartenant au milieu de la musique, des arts et de la culture. Ancelet qualifie les participants au Courir de Faquetaigue de « communauté virtuelle », par opposition aux communautés traditionnelles (géographiques) qui célèbrent le Courir du Mardi gras (5). Selon lui, l’aspect transmissible de la tradition (c’est-à-dire de génération en génération) est ici dilué. Le Courir ne repose plus sur les anciens modes de transmission du Mardi gras, qu’il estime incontournables. C’est l’une de ses grandes lacunes pour Ancelet (2009 : 5-6), qui le qualifie de « tradition improvisée » ou de « Courir hybride ».
Le Courir de Faquetaigue peut-il, malgré les réserves d’Ancelet, être considéré comme un exemple d’affirmation et de transmission du patrimoine culturel immatériel cadien ? Le cadre de cette étude me permettra la démonstration de cette possibilité, malgré sa nouveauté et la composition originale de sa communauté. Une analyse du Courir de Faquetaigue mettra en lumière comment ce dernier permet une transmission des valeurs traditionnelles du Mardi gras, par une recréation d’éléments anciens de la tradition et la genèse de nouveaux. Deux éléments novateurs de la tradition du Courir du Mardi gras, tels que retrouvés à Faquetaigue, seront observés : le défi du poteau et l’hommage à Dennis McGee (1893-1989)[11], un pionnier de la musique en Louisiane. En outre, cette étude me donnera l’occasion de mettre en perspective l’idée de communauté telle que conçue par les participants du Courir du Mardi gras de Faquetaigue.
D’ailleurs, le Courir du Mardi gras de Faquetaigue comporte une fonction d’affirmation identitaire et de conservation du patrimoine culturel qu’on ne peut ignorer. Cet aspect est d’autant plus significatif que les Cadiens vivent en situation culturelle minoritaire (Turgeon 2010 : 394). En conséquence, l’exemple du Courir de Faquetaigue peut s’avérer éclairant pour mieux comprendre les enjeux liés au patrimoine culturel immatériel des Francophones en Amérique du Nord au XXIe siècle. La tradition du Courir du Mardi gras constitue un pilier du patrimoine culturel immatériel de la communauté cadienne. Il est pertinent de s’interroger sur la manière dont cette tradition se perpétue, d’observer la forme qu’elle prend et la manière dont elle s’adapte ou se négocie selon les conditions changeantes de la société. En somme, l’étude du Courir du Mardi gras de Faquetaigue vise l’observation du patrimoine culturel immatériel cadien en pleine action.
De plus, on peut avancer l’hypothèse voulant que les organisateurs du Courir de Faquetaigue désirent perpétuer la tradition du Courir du Mardi gras. Ils concrétisent cette tradition au moyen d’éléments traditionnels tout en l’insérant dans l’ère moderne par la création d’éléments nouveaux, et cela, dans l’optique d’une communauté correspondant à leur image et à leurs valeurs. Ainsi, on peut s’attendre à ce que le Courir de Faquetaigue vise le partage et la transmission de la culture cadienne, ainsi que l’expression de sa créativité. Cet évènement représente l’affirmation, voire la redéfinition, du patrimoine culturel immatériel dans une société contemporaine. En conséquence, on peut s’attendre à ce que le Courir du Mardi gras de Faquetaigue s’insère, à sa façon, dans un développement durable du patrimoine culturel immatériel cadien.
Or l’étude du Courir du Mardi gras de Faquetaigue nécessite une approche méthodologique diversifiée. D’une part, il est essentiel d’être au coeur de la tradition pour en saisir les subtilités. Ancelet (1989b, 1989c, 1991, 2003), Le Menestrel (1999), Ware (2006) et Lindhal (1996, 2004) ont tous privilégié l’approche de l’observation participante pour étudier le Courir du Mardi gras en Louisiane. Ancelet (2003) affirme que cette méthode offre aux chercheurs le meilleur moyen d’atteindre leur source et de comprendre la complexité de la culture, des traditions, et des formes d’expression.
Par conséquent, une observation participante du Courir du Mardi gras de Faquetaigue fut réalisée. Ayant pris part à ce Courir à deux occasions, j’ai pu me préparer adéquatement quant au travail à exécuter sur le terrain pour la cueillette des données. À ce sujet, Lindhal (2003 : 37) soutient que le fait d’observer un tel événement sans avoir à l’analyser représente « […] a luxury that all sincere fieldworkers deserve, but few of us experience. This opportunity would be a simple right : the right not to misrepresent the people one studies »[12]. Alors, un scénario fut établi, au préalable, me permettant de saisir les éléments importants le jour même du Courir. De plus, Lucius Fontenot, l’un de mes informateurs et organisateur du Courir de Faquetaigue, m’avait confirmé son déroulement quelques jours auparavant. Entre autres, il m’avait fait part des nouveautés de l’édition 2012, dont la distribution à mi-parcours de boudin, une sorte de saucisse de porc, de riz, d’oignons et d’assaisonnements bien appréciée dans cette région louisianaise (Valdman 2010 : 82).
Pour effectuer l’observation participante de Faquetaigue, j’étais costumée en « Mardi gras », appellation donnée aux participants d’un Courir (Lindhal 2004 : 127). Le port du costume et du masque y est impératif, même pour les ethnologues sur le terrain ! Une caméra numérique de haute définition m’a permis de capter des images et des vidéos de la journée, de tenir compte de l’ambiance et de noter des détails visuels. De plus, quelques faits, noms et impressions ont été notés, en complément, dans un journal de terrain.
D’autre part, pour une obtenir une analyse plus approfondie du Courir de Faquetaigue, il faut établir une relation privilégiée avec ses porteurs de tradition. Des entrevues semi-dirigées avec des participants au Courir de Faquetaigue ont été réalisées, en Louisiane, au cours des jours entourant le Mardi gras. Par un entretien filmé ou enregistré de façon numérique, les informateurs ont eu l’occasion de partager leurs visions de la fête et de raconter leur expérience. Ainsi, ils ont pu témoigner de la signification qu’ils accordent à la tradition[13]. L’ensemble du matériel recueilli fut analysé par une transcription des entrevues et une mise en lumière des données selon une grille d’analyse qualitative. Ces informations me seront utiles pour le recours à des aspects particuliers de l’évènement, me donner des points de références et, ainsi, éclairer mon analyse.
En résumé, cette étude examine sous quelle forme les Cadiens, au XXIe siècle, perpétuent la tradition du Courir du Mardi gras dans une perspective de développement durable de leur patrimoine. Elle comporte, dans un premier temps, un survol des principales notions entourant le patrimoine liées à cette recherche. Suivront une explication de la tradition du Courir du Mardi gras chez les Cadiens ainsi qu’une mise en contexte du Courir de Faquetaigue. Dans un deuxième temps, elle approfondit le cas particulier de ce Courir et de sa mise en oeuvre selon trois aspects spécifiques, soit le défi du poteau, l’hommage à Dennis McGee et la notion de communauté. En conclusion, un retour sur l’analyse donnera l’occasion d’observer comment le Courir de Faquetaigue s’inscrit dans la perspective du développement durable du patrimoine culturel immatériel cadien.
Notions essentielles sur le patrimoine
Le patrimoine s’insère dans un domaine de recherche très large. Le cadre de cette étude me permet de mettre en lumière certaines notions essentielles pour l’analyse du Courir du Mardi gras de Faquetaigue. Ici, le patrimoine culturel immatériel, la communauté, le développement durable et l’esprit du lieu sont incontournables pour éclairer cette réflexion.
D’ailleurs, l’évolution de la notion de patrimoine est indéniable. Les chercheurs ne conçoivent plus ce dernier comme un phénomène statique, mais plutôt comme un processus dynamique, multidirectionnel, vivant, semblable à un moment dans l’action (Hébert et Goyette 2010 : 2-3 ; Turgeon 2010 : 391 ; Smith 2006 : 83). Ainsi, le patrimoine est perçu comme étant un processus plutôt qu’un produit (Turgeon 2010 : 391). Pour Smith, le patrimoine incorpore une série d’actions réalisées dans certains endroits ou espaces. Cependant, elle précise que :
Although heritage is something that is done at places, these places become places of heritage both because of the events of meaning making and remembering that occur at them, but also because they lend a sense of occasion and reality to the activities occurring at them[14].
2006 : 83
Avec cette vision évolutive du patrimoine, une multitude d’avenues de recherche se développent, notamment celle s’intéressant au patrimoine culturel immatériel.
Le patrimoine culturel immatériel
Selon Harrison (2011 : 281), l’étude du patrimoine culturel immatériel[15] serait l’élément le plus marquant des recherches sur le patrimoine au XXIe siècle. La notion de patrimoine immatériel fait référence à l’aspect intangible du patrimoine culturel. Par opposition au patrimoine matériel qui concerne, entre autres, les infrastructures, les édifices, l’architecture ou les objets, le patrimoine immatériel comprend des éléments comme l’identité, les symboles, les fêtes et rituels, les traditions, la musique, la danse, le théâtre, la mémoire, les savoir-faire, les connaissances, les expressions orales, les idées, la créativité et le sens que prennent les objets de la vie quotidienne (Fusco Girard et Torrieri 2009 : 221 ; Heinich 2009 ; Smith 2006 : 55 ; Charbonneau 2010 : 3 ; Turgeon 2010 : 391).
Relevant d’un « sentiment d’identité et de continuité » des communautés, le patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est constamment renouvelé par ces dernières selon leur environnement, « leur interaction avec la nature et […] leur histoire » (UNESCO 2003 : 3). On attribue au patrimoine culturel immatériel le rôle de rassembler les êtres humains et de favoriser les échanges entre eux (3). En ce sens, Smith observe l’importance de la pluridisciplinarité dans l’étude du patrimoine immatériel qui amène, ainsi, une modernisation et une globalisation de la notion de patrimoine (2006 : xii-xiii).
Certains chercheurs, dont Forget (2011 : xxiii), soulèvent les défis inhérents à l’étude de ce type de patrimoine, qui est « difficile à appréhender en raison de son côté intangible ». Quant à elle, Fourcade s’interroge sur le rôle du support matériel dans l’expression des pratiques immatérielles. Selon cette auteure, le matériel consolide l’immatériel alors que l’immatériel contribue « […] au matériel [en lui accordant] un cadre interprétatif qui permet de révéler le sens des objets » (2007: xvi–xix). Harrison (2011 : 281), souligne les lacunes théoriques pour baliser la notion de patrimoine culturel immatériel ou l’insuffisance d’analyses critiques pertinentes. D’autres, tel Turgeon (2010 : 394), suggèrent la nécessité d’un plus grand nombre d’études de cas concrets ou, encore, le besoin de contextualiser la signification du patrimoine culturel immatériel.
D’ailleurs, la définition du patrimoine culturel immatériel est évolutive. En 2001, des experts internationaux réunis lors d’une table ronde, à Turin, ont défini le patrimoine culturel immatériel comme étant :
[…] les processus acquis par les peuples ainsi que les savoirs, les compétences et la créativité dont ils sont les héritiers et qu’ils développent, les produits qu’ils créent et les ressources, espaces et autres dimensions du cadre social et naturel nécessaires à leur durabilité ; ces processus inspirent aux communautés vivantes un sentiment de continuité par rapport aux générations qui les ont précédées et revêtent une importance cruciale pour l’identité culturelle ainsi que la sauvegarde de la diversité culturelle et de la créativité de l’humanité.
UNESCO 2001
Enfin, la notion de patrimoine culturel immatériel suscite également l’intérêt des chercheurs en ce qui concerne son rapport avec la notion de communauté (Bortolotto 2011 : 31-36).
La communauté
Dans le même ordre d’idées, Smith (2006) affirme que le patrimoine est constitué d’expériences et de relations sociales donnant aux gens impliqués un sentiment d’appartenance à une communauté. La déclaration de l’UNESCO de 2005 définit la communauté comme étant : « […] des réseaux de personnes dont le sentiment d’identité ou de lieux naît d’une relation historique partagée, ancrée dans la pratique et la transmission de, ou l’attachement à, leur patrimoine culturel immatériel » (UNESCO 2005).
Par contre, Bortolotto émet une réserve quant à la notion de communauté telle que l’envisage l’UNESCO, car on n’y tient pas compte de sa complexité. En nuançant, elle affirme que les communautés ne sont jamais des regroupements homogènes et consensuels « […] mais bien des systèmes sociaux complexes et conflictuels traversés par des intérêts spécifiques » (2011: 35). Cet aspect est d’autant plus intéressant que la notion de communauté, telle qu’étudiée ici, sera déterminante pour cette recherche.
Le développement durable
Le développement durable est apparu récemment au coeur des préoccupations des chercheurs, des intervenants sur le patrimoine et même des organismes gouvernementaux. Pour certains experts, le patrimoine est « […] un facteur de cohésion sociale, de bien-être, de créativité, d’attractivité économique et de compréhension entre les peuples » (ICOMOS 2011 : 1-2). D’ailleurs, pour la Loi sur le développement durable, adoptée au Québec en 2005, le développement durable
[…] s’entend d’un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à long terme, qui prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement.
Notion émergente dans les études sur le patrimoine, l’intégration du patrimoine culturel immatériel dans une perspective de développement durable est une tâche délicate. L’intangibilité de ce patrimoine ainsi que ses caractéristiques dynamiques et complexes amènent des défis de définitions et de forme (Bortolotto 2011 : 21). Cette difficulté réside, également, dans l’influence réciproque s’opérant entre les notions de patrimoine culturel immatériel, de communauté et de transmission (Kapp 2011 : 4).
En rappelant le rôle des personnes concernées par le patrimoine culturel immatériel, Bortolotto affirme que « […] la conscience patrimoniale que les acteurs ont de leurs pratiques culturelles joue un rôle fondamental dans la protection du patrimoine culturel immatériel » (2011 : 31). Enfin, il faut être conscient que l’intégration d’une idée de développement durable en ce qui concerne le patrimoine culturel est un domaine d’étude récent, donc à baliser.
L’esprit du lieu
Plus récemment, certains chercheurs se sont penchés sur la notion émergente de l’esprit du lieu (Forget 2011 ; Smith 2006 ; Turgeon 2010). Réunissant l’ensemble des composantes matérielles et immatérielles du patrimoine culturel sous une même perspective, l’esprit du lieu est un processus qui regroupe les éléments « qui donnent du sens, de la valeur, de l’émotion et du mystère au lieu » (ICOMOS 2008).
On caractérise l’esprit du lieu comme un processus évolutif, complexe, vivant et dynamique, « […] qui renvoie à la pensée, aux humains et aux éléments immatériels, et le lieu qui évoque un site géographique, un environnement physique, soient les éléments matériels » (Turgeon 2010 : 392). De façon réciproque, l’esprit du lieu peut façonner un lieu, mais, à la fois, « le lieu investit et structure l’esprit » (Turgeon 2010 : 392). Forget affirme fort justement que « [le] patrimoine immatériel est ainsi un parfait exemple de la vivacité d’un esprit du lieu sans que ce dernier ne soit ancré dans un lieu, un bâtiment, un objet » (2011 : 2). Constatant le caractère global unifiant le patrimoine culturel et l’esprit du lieu, Smith (2006 : 75) résume ainsi : « Heritage is about a sense of place » [Le patrimoine est à propos de l’esprit du lieu]. Celui-ci construit non seulement le sens abstrait de l’identité, mais permet également aux gens de se positionner comme individus dans une nation, une communauté, donc dans un « lieu » qui est culturel, social et physique (Smith 2006 : 75).
Enfin, la notion d’esprit du lieu se retrouve dans la définition du patrimoine telle que formulée dans la Déclaration de l’ICOMOS de Paris, en décembre 2011 :
Il est désormais largement admis qu’un patrimoine dont la valeur identitaire et de mémoire historique, culturelle et sociale est préservé à travers son authenticité, son intégrité, son « esprit du lieu », constitue une composante indispensable du processus de développement.
UNESCO 2011
Au-delà de l’intérêt théorique ou académique, les chercheurs s’entendent pour considérer l’importance de la notion de l’esprit du lieu pour toute question reliée au patrimoine culturel et à sa compréhension. L’esprit du lieu ne peut être dissocié des acteurs présents dans les communautés et ces derniers doivent être au coeur de sa conservation et de sa transmission (ICOMOS 2011).
Notions essentielles sur le Courir du Mardi gras cadien en Louisiane
Il est de mise de brosser un tableau du Mardi gras cadien comme tradition. D’une part, la description d’une journée typique d’un Courir de Mardi gras sera présentée, suivie d’un bref survol de la littérature sur le sujet.
De fait, le Mardi gras offre une dernière occasion de s’amuser avant la période plus austère du Carême. Il constitue l’apogée des festivités du carnaval pour les Cadiens (Ancelet 1989a). Au sein des communautés prenant part au Courir du Mardi gras, on s’y prépare pendant des semaines et on l’attend avec impatience (Comeaux 2010). Pour plusieurs, cette journée est plus importante que Noël[16]. Lindhal illustre leur attachement à cette tradition, en citant un participant cadien au Courir : « I’ll work for you [on] Christmas. I’ll work for you [on] Sunday. I’ll work overtime [on] every day. But I won’t work on Mardi Gras. That’s my day » (2004 : 132)[17].
Traditionnellement, ce sont uniquement les membres d’une communauté, d’un voisinage, qui courent le Mardi gras. La notion de voisinage est fondamentale pour la communauté cadienne (David 1991) car les Cadiens ont l’habitude de se rassembler pour donner « un coup de main » à leurs voisins : pour la construction d’une maison, pour faire les récoltes ou pour une boucherie communautaire. Ils ont aussi la coutume de se rassembler pour des festivités annuelles, comme celles du Mardi gras. D’ailleurs, chaque Courir comporte ses particularités locales, mais l’essentiel de la journée et ses symboles importants restent généralement les mêmes (Comeaux 2010 ; Lindhal 2004).
Journée typique d’une tradition colorée
Lors d’un Courir du Mardi gras, les participants, costumés et masqués, se rencontrent dès l’aube. Dans l’esprit du carnaval, on se déguise afin de ne pas se faire reconnaître et, ainsi, s’amuser avec cet anonymat. Les costumes et les masques sont colorés, bigarrés et décorés avec des éléments loufoques. Les couvre-chefs constituent, pour la plupart, des chapeaux coniques nommés capuchons, des mitres ou des mortiers. Tous ces accoutrements sont, la plupart du temps, confectionnés avec de vieux vêtements et comportent des franges de tissus colorés.
Sous les ordres d’un « Capitaine » à cheval, cette troupe de joyeux lurons passera de maison en maison dans un esprit de fête en chantant, dansant et jouant de la musique. Symbole de l’autorité, ce Capitaine ne porte pas le même costume que les autres participants : il se distingue par le port d’une cape et même d’un fouet. Celui-ci dirigera la troupe de Mardi gras muni d’un drapeau (ou « flag ») qu’il brandira dans les airs.
Le but de cette procession vise à demander la charité aux voisins, c’est-à-dire des ingrédients qui serviront à cuisiner un gombo communautaire le soir venu. Le prix ultime de cette quête est d’attraper un poulet vivant pour avoir l’honneur de le remettre au Capitaine et, ainsi, nourrir la communauté (Mire 1992). En échange de ces denrées, les Mardi gras offrent aux voisins leurs couleurs, leur joie de vivre, leur musique et leurs chansons. Toutefois, puisque le Courir du Mardi gras s’inscrit dans un esprit carnavalesque, d’amusement et de rires, les voisins plaisantent avec les Mardi gras. Par exemple, ils vont lancer le poulet dans les airs et la cohorte devra se battre pour l’attraper. Ou bien encore, les voisins vont attacher des sacs de riz au sommet des arbres pour faire grimper les Mardi gras. On assiste à des scènes débridées telles que des batailles dans la boue entre les participants. Tous ces moments joyeux sont enrobés de musique et de chants, dont la chanson traditionnelle du Mardi gras. Ainsi, durant toute la journée, la procession du Mardi gras parcourra le voisinage rural cadien.
Une fois la journée terminée, les Mardi gras se rassemblent pour manger le fruit de leur collecte, cuisiné sous forme de gombo, et pour danser au bal. La musique se poursuivra jusque tard dans la nuit et les Mardi gras vont continuer la fête jusqu’au lendemain ou jusqu’à l’épuisement. Tout changera le jour suivant, avec le début du Carême, une période d’austérité et de privation. Un participant au Courir dira : « If you did Mardi gras well, you’ll have plenty to ask forgiveness the day after[18] » (Lindhal 1996 : 131).
Les principales études sur le Courir du Mardi gras cadien
Plusieurs études au sujet du Mardi gras, en Lousiane, se penchent sur les festivités urbaines de La Nouvelle-Orléans (Kinser 1990). À l’opposé, Ancelet (1989b, 1991, 2003, 2009), Ware (2006) et Lindhal (1996, 2001, 2003, 2004) analysent l’aspect rural de la tradition. Ils remarquent le caractère évolutif que prennent ces festivités ainsi que leur adaptation face aux nouvelles réalités. Ware étudie l’apport des femmes dans la tradition (2006) et se penche sur les changements vécus par les communautés cadiennes et leurs festivités sous l’influence du tourisme (2003). Lindhal, quant à lui, propose une analyse jumelant l’aspect ancien et nouveau du Courir.
As the demonstrably ancient form of Mardi gras is absorbed by the newest cultural developments and changes to accommodate the clash between the archaic and the contemporary, this tension is visible everywhere within the celebration[19].
1996 : 130
Ancelet (1989, 1991, 2003, 2009) traite de plusieurs dimensions du Mardi gras, allant de la description de la tradition jusqu’à l’analyse de sa signification. Notamment, il met l’accent sur les nouvelles réalités touchant la tradition, dont la présence des médias à ces festivités ou l’émergence de nouvelles formes et contextes du Courir (2009). Ancelet (1989c) explique qu’à certains endroits, comme Tee-Mamou, les organisateurs ont changé le Courir du Mardi gras afin de convenir aux touristes. Entre autres, le parcours original a été modifié pour se terminer en plein centre-ville (plus accessible pour une personne en visite) et le gombo communautaire (autrefois réservé uniquement aux participants) est désormais permis aux étrangers.
D’autre part, Lindhal (1996, 2003, 2004) analyse la mémoire des participants à partir des récits de leurs expériences du Courir du Mardi gras. Pour ses recherches, il a privilégié une méthodologie où il se rapprochait de ces derniers afin de mieux les connaître et comprendre la signification que pouvait prendre, pour eux, une telle tradition. Lindhal présente le Courir comme un phénomène issu du passé, mais vivant aussi dans le présent (2003: 22). Il dévoile l’importance de la transmission de la tradition d’une génération à l’autre et la signification des rôles de chacun (1996).
De son côté, Le Menestrel s’intéresse au regard extérieur que porte « l’Autre, qu’il soit touriste ou anthropologue [et qui] agit comme un révélateur ou [qui] vient confirmer la valeur de la culture locale. Dans les deux cas, il renforce le sentiment d’appartenance de la communauté » (1999 : 410). Pour cette auteure, le cas des Cadiens et leur Courir du Mardi gras représentent bien cet aspect identitaire.
Toutes ces études permettent d’avoir une meilleure compréhension de la tradition, de sa mise en oeuvre et de son importance pour ses artisans. L’étude du cas que je propose pourra contribuer à la compréhension que nous avons du Mardi gras, notamment en apportant l’éclairage des notions liées au développement durable du patrimoine culturel immatériel.
Faquetaigue : l’analyse d’une nouvelle forme du Courir du Mardi gras
Ici, il est de mise d’avoir recours à une observation participante pour mettre de l’avant les principales caractéristiques du Courir du Mardi gras de Faquetaigue. Ensuite, des entrevues semi-dirigées avec des participants permettent d’illustrer leur perception de la tradition.
Le Courir de Faquetaigue, une observation participante dynamique
Le matin du Mardi gras, une fébrilité s’empare de la petite localité de Savoy. C’est dans la cour de Joel Savoy que le Courir du Mardi gras débutera et prendra fin, comme lors des années précédentes. Ce musicien de renom est l’un des instigateurs du Courir de Faquetaigue, avec deux amis : Linzay Young et Lucius Fontenot.
Arrivée vers six heures trente, j’observe les organisateurs qui vérifient l’avancement des préparatifs : montage des tables d’accueil, installations pour les cuisiniers qui vont préparer le gombo, préparation d’une remorque, sur laquelle on a installé un système de son et qui servira de scène plus tard. Peu à peu, les gens arrivent, déjà dans l’esprit festif. La plupart portent déjà leur costume et leur masque, qui sont la démonstration même de la créativité des participants. Sacs de nourriture ou glacières complètent leur équipement. De plus, plusieurs ont déjà une bouteille d’alcool à la main, prêts à célébrer. D’autres arrivent en camion tirant des remorques qui serviront à transporter leurs amis tout au long du trajet.
Plusieurs se saluent avec enthousiasme, même s’ils ne se connaissent pas nécessairement. Il faut dire que le Courir de Faquetaigue regroupe des gens qui sont originaires, pour la plupart, de l’extérieur de la région de Savoy. Toutefois, ce Courir n’est pas une fête ouverte à tout le monde ni publicisée. Ceux qui y participent ont appris son existence par un contact quelconque, soit par les organisateurs, soit par leurs connaissances. Ainsi, graduellement, le paysage de Savoy deviendra « Mardi gras » pour le reste de la journée.
Vers neuf heures, ceux que l’on appelle les « Vilains »[20], les assistants du Capitaine portant des habits noirs et munis de fouets, rassemblent les Mardi gras. Jesse Brown, le Co-Capitaine, prend un porte-voix et rappelle les règlements de la journée. Il insiste sur le fait que ce n’est pas « just a trail ride » [qu’une promenade] et que le Courir du Mardi gras repose sur la participation des gens : « If you want to see something exciting, do something exciting » [Si vous voulez assister à quelque chose de génial, faites quelque chose de génial]. La foule l’acclame aussitôt. Brown explique qu’il faut aller chez les voisins et se mériter un ingrédient pour mettre dans le gombo du soir. Il fait répéter à tous, en chantant en français : « Donnez quelqu’chose pour les Mardi gras ! » Cette phrase sera répétée par les Mardi gras à chaque occasion qu’ils auront de demander la charité aux voisins. À ce moment, les nouveaux participants sont appelés à l’avant pour leur initiation. Ils doivent suivre les ordres du Capitaine ou des Vilains : se rouler par terre, courir sur place, faire les fous. C’est un moyen d’enlever les inhibitions et de leur faire comprendre l’esprit du Mardi gras. Suite à cette étape, les Vilains passent à la ronde du whisky, question de mettre les nouveaux encore plus dans l’ambiance. Le tout se déroule sous l’oeil amusé des vétérans, qui rient de bon coeur.
Après avoir donné le signal avec son drapeau, le Capitaine, Linzay Young, prend la route sur son cheval. Il est suivi de la longue procession des Mardi gras, environ quatre cents personnes, la plupart d’entre elles à pied. D’autres suivent à bord de remorques tirées par des camions. Les nombreux musiciens jouent et la parade envahit les routes secondaires de Savoy. Il faut dire qu’une particularité du Courir de Faquetaigue est qu’il rassemble un nombre impressionnant de musiciens. On y trouve, entre autres, plusieurs joueurs de violon, d’accordéon et de « ti-fer »[21].
L’ambiance est à la fête. Dès le début de la journée, on constate une joie contagieuse. Certains, très heureux d’y être, ont parcouru des centaines de kilomètres pour participer aux festivités. D’autres ont passé des heures à confectionner leur costume. Déjà, plusieurs prennent des photos ou des vidéos de l’évènement. De mon côté, je me mêle à la foule, en croquant sur le vif, avec ma caméra, ces personnages et leurs actions. Je tente de rester à l’avant de la procession, pour mieux filmer l’arrivée des Mardi gras à la prochaine maison. C’est dire qu’une ethnologue qui observe cette tradition sur le terrain passe vraiment la journée à « courir » !
Par la suite, à la première maison ayant accepté d’accueillir les Mardi gras[22], les voisins attendent la cohorte sur leur perron. Plusieurs photos des années précédentes sont affichées et témoignent de leur fierté à participer à l’évènement. Les hôtes sont très heureux de voir les Mardi gras. Ils les saluent et distribuent toutes sortes de denrées pour la collecte : petits sacs de nourriture, pièces de monnaie (qu’ils appellent « cinq-sous »), etc. Il est à noter que ces dons sont symboliques, car à Faquetaigue, on ne mangera pas cette nourriture le soir même : on cuisine un gombo pendant la journée, qui sera prêt au retour des Mardi gras. Les Mardi gras se mettent à genoux, quêtent et scandent : « Donnez quelqu’chose pour les Mardi gras ! » Puis le maître de maison s’avance. C’est le point culminant du passage des Mardi gras chez eux : le lancer du poulet. Les Mardi gras demandent la charité pour le poulet, en criant et chantant. D’un geste décisif, le voisin lance l’animal dans les airs. La foule se bat férocement pour obtenir le précieux prix. Une fois le poulet attrapé, les Mardi gras dansent joyeusement au son des musiciens.
Quelques minutes plus tard, le Capitaine donne le signal du départ pour aller jusqu’à une autre maison. La procession se remet en route en chantant et en dansant. C’est pendant ce déplacement que l’on observe des moments loufoques : certains en profitent pour se battre dans la boue, d’autres grimpent aux arbres. Les plus indisciplinés, dans un esprit de défi, vont narguer les Vilains ou tentent de se sauver du groupe. Les Vilains les poursuivent, tentant de les attraper et de les réprimander en distribuant quelques coups de fouet. Plusieurs personnes du voisinage, qui ne participent pas directement aux festivités, sortent de chez elles pour saluer et photographier les Mardi gras sur leur passage.
À mi-parcours, on s’arrête plus longtemps pour permettre à tous de se reposer de la longue marche. C’est l’occasion d’être témoin de l’une des nouveautés créées pour le Courir de Faquetaigue : le défi du poteau. Au milieu d’un champ, on a planté dans le sol un grand poteau d’une quinzaine de pieds de hauteur. Le propriétaire monte sur une échelle pour attacher au sommet une cage contenant un poulet. Ensuite, le poteau est huilé afin d’ajouter une difficulté supplémentaire pour les Mardi gras, qui devront grimper pour tirer sur la corde permettant d’ouvrir la porte de la cage. Les premiers téméraires s’élancent, sans succès. Après plusieurs minutes, les gens réalisent qu’ils devront collaborer pour former une pyramide humaine, en grimpant les uns sur les autres. La foule observe la scène attentivement et les musiciens jouent de plus belle. Plusieurs grimpent et glissent. Après une trentaine de minutes, les grimpeurs, acharnés, s’approchent du but. L’un deux, jeune et agile, se rend tout en haut, et, dans un ultime effort, tire sur la fameuse corde. La foule est en délire et acclame le héros. Une fois à terre, celui-ci prend « son » poulet et le lève triomphalement. Immédiatement, il est soulevé par les autres Mardi gras, pour souligner sa victoire.
Suite au défi du poteau et dans la foulée des festivités, c’est à cet endroit que, pour la première fois en 2012, on a servi du boudin aux participants du Courir de Faquetaigue. Très heureux et surpris d’une telle innovation, ils se sont rués, affamés, vers les camions qui distribuaient gratuitement la nourriture. Un peu plus tard, au signal du Capitaine, la troupe des Mardi gras, reposée et rassasiée, reprend la route, toujours dans la fête, la musique, les chants et, pour plusieurs, en buvant de l’alcool.
En fin de parcours se déroule un autre évènement particulier au Courir du Mardi gras de Faquetaigue : un arrêt au cimetière. Pour les nouveaux participants, c’est une surprise de taille. Alors, un moment de recueillement s’installe. On redevient sérieux, pour quelques minutes, le temps de rendre hommage à Dennis McGee et son épouse. Pionnier de la musique louisianaise, McGee a été d’une influence capitale pour la transmission de la musique et de la culture cadienne. Les organisateurs du Courir de Faquetaigue jugent essentiel de lui rendre cet hommage. Un curé fait un petit discours aux gens présents, qui écoutent en silence. Il rappelle à tous que cette journée représente un temps de festivités. Il ajoute que c’est, aussi, un moment pour s’arrêter et remercier ceux qui les ont précédés, tel Dennis McGee. Après une petite prière, il cède la parole au Capitaine, Linzay Young.
Dans un bref discours, Young insiste sur l’importance de commémorer ses prédécesseurs. En compagnie de Joel Savoy, il joue au violon une valse de McGee. Peu à peu, les autres musiciens se joignent au duo. Je remarque que les gens assistant à la scène sont émus : plusieurs essuient des larmes. Quelques-uns vont porter des fleurs des champs sur les tombes de McGee et de sa femme. Ensuite, les musiciens entament un « two-step » endiablé, également composé par McGee. L’atmosphère redevient immédiatement joyeuse : on voit même des gens danser. Une fois la chanson terminée, les participants reprennent la route dans la bonne humeur.
Vers le milieu de l’après-midi, après des heures de quémandes et de folies, la procession du Courir du Mardi gras de Faquetaigue revient à son point de départ. Pendant leur absence, des cuisiniers ont préparé un gombo, qui a mijoté toute la journée dans d’énormes marmites, et qui sera servi sur du riz. Les Mardi gras dégustent ensemble leur précieuse nourriture. D’ailleurs, à ce moment, je constate que de nombreuses amitiés se sont tissées au cours de la journée, à l’image du côté amical du Courir de Faquetaigue. Enfin, le Co-Capitaine, Jesse Brown, monte sur la scène. Il remercie les gens pour cette belle journée sans anicroche (sans blessure et sans violence). Ensuite, Brown invite son groupe de musiciens à le rejoindre. Jusqu’à la tombée de la nuit, ceux-ci vont faire danser les Mardi gras qui ont encore quelques réserves d’énergie. Peu à peu, le groupe se disperse. Certains retournent chez eux, d’autres vont aller participer aux festivités des villes voisines. Enfin, plusieurs parlent déjà de se revoir pour le Courir, l’année suivante, avec enthousiasme.
L’analyse du Courir du Mardi gras de Faquetaigue en trois temps
Cette partie vise à approfondir certaines caractéristiques originales du Courir du Mardi gras de Faquetaigue : le défi du poteau, l’hommage à Dennis McGee et la notion de communauté. Les propos de deux informateurs seront mis à contribution. L’un d’eux, Lucius Fontenot, est un jeune artiste originaire de Mamou, une ville voisine d’Eunice. Il est l’un des instigateurs du Courir du Mardi gras de Faquetaigue et contribue largement à sa mise en oeuvre. L’autre, Rachel DeCuir, est une jeune professionnelle de Lafayette qui est très impliquée au sein des organismes culturels cadiens.
Le défi du poteau
Le défi du poteau est unique au Courir du Mardi gras de Faquetaigue. À leur arrivée sur le site, les participants découvrent un poteau coulé dans du ciment, en plein milieu d’un champ. L’intérêt, tout comme la curiosité, grandissent. Avant même que le propriétaire attache la cage contenant le poulet tout en haut et qu’il graisse le poteau d’huile, certains tentent de monter le plus haut possible. D’autres les regardent en se disant que jamais ils n’oseraient essayer. Les musiciens continuent de jouer, infatigables.
Comme l’a mentionné Lucius Fontenot (2012), le défi du poteau a été inventé à la suite de la première édition du Courir de Faquetaigue. Lors de cette édition, on avait préparé un défi où les participants au Mardi gras devaient attraper un cochon graissé. Cependant, Fontenot dira : « It somehow got out of hand » [Ça a quelque peu dégénéré]. Alors, moins compliqué (tant pour les organisateurs que pour les participants) que d’avoir à courir après un cochon, le défi du poteau semblait tout indiqué pour mettre à l’épreuve les Mardi gras de Faquetaigue. Le principal intérêt de ce défi, comme l’indique Fontenot, est de s’amuser à regarder les autres essayer. Ainsi, on conserve l’esprit du jeu et de la plaisanterie si caractéristiques des festivités du Mardi gras et du carnaval. De plus, par ce défi inusité, on constate la créativité des instigateurs du Courir de Faquetaigue.
Rachel DeCuir (2012), lorsqu’interrogée sur le défi du poteau, a témoigné sur l’essence de la fête. Elle s’est avérée consciente de ses propres motivations et a révélé une réflexion personnelle et approfondie sur le sens du Courir. La raison d’être du Courir du Mardi gras, pour DeCuir, repose sur des gestes de partage entre les Mardi gras et les voisins. Elle affirme : « On est là pour l’amusement des autres ». Pour elle, ce défi inusité représente un moyen pour les organisateurs et les voisins d’être certains de prendre part à cet amusement. Prudente, elle avoue ne pas vouloir participer à ce défi, et encore moins être à la base de cette pyramide humaine : « Moi, je peux courir après cinquante poulets, mais je ne vais jamais être à la base de cette pyramide. Je vais regarder de loin et rire comme les autres ».
Quand DeCuir (2012) est interrogée sur ce qu’elle pense de la distribution de boudin, elle s’exclame, enthousiaste : « Mais il y avait du boudin ! » Elle y voit une évolution heureuse de la tradition, évolution qui en respecte l’essence. Elle rappelle que la nourriture reçue lors de ce Courir particulier du Mardi gras n’est pas cuisinée le jour même. Elle perçoit la distribution du boudin comme un moyen pour les voisins de remercier les Mardi gras. Elle estime que l’esprit du Courir du Mardi gras réside dans le jeu de quêter et de remercier pour les dons reçus. Donc, selon DeCuir, la tradition repose sur un échange, un partage entre les voisins et les Mardi gras, une façon de donner et de recevoir : « Ils nous ont quand même donné quelque chose ». Elle est tellement investie dans son rôle de Mardi gras qu’elle a même été quémander pour recevoir son boudin : « Et j’ai “beggé” pour ça. Quand je l’ai reçu, je les ai remerciés ».
La distribution du boudin constitue un élément intéressant pour l’étude du développement durable de la communauté. D’une part, l’attractivité économique constitue un facteur essentiel à ce développement. Pour le Mardi gras de Faquetaigue, celle-ci est représentée par l’achat de boudin en très grande quantité (pour servir quatre cents personnes) dans une entreprise locale. En ajoutant cet élément à leur Courir, les organisateurs contribuent à l’économie de leur localité. C’est aussi un rappel des boucheries communautaires typiques des communautés cadiennes, où tous travaillaient à cuisiner un cochon pour nourrir la communauté. C’est, également, une occasion de faire connaître le produit aux gens de l’extérieur.
D’autre part, puisque le boudin est un mets typique et très apprécié de la population de cette région, on peut assumer que sa distribution apporte aux participants du Courir un sentiment de bien-être et même de cohésion sociale. Les participants sont heureux de manger du boudin avec le reste du groupe. C’est d’ailleurs un aliment gras, pouvant rappeler le symbole du Mardi gras, une nourriture riche et un festin avant le Carême. Enfin, ces deux facteurs, caractéristiques du Courir de Faquetaigue, s’inscrivent dans une optique de développement durable d’une communauté culturelle minoritaire.
Par ailleurs, le défi du poteau est distrayant pour ceux qui en sont témoins et suscite un effort collectif. On peut faire le parallèle avec l’époque où les Cadiens se regroupaient afin d’effectuer des travaux dans le voisinage, des boucheries, des coups de main. On constate également que réside, dans ce défi, l’esprit carnavalesque qui est omniprésent dans les festivités du Mardi gras. C’est aussi le symbole de la communauté qui se rassemble pour atteindre un but commun et qui partage la joie de la réussite. Selon Herb Roe (2012), un participant :
You can’t get to the top of the pole by yourself. Eventually, they have to figure out how to work together. So they built a human pyramid that was about three people tall. That’s the only way to get the chicken out : to work as a community. [Tu ne peux pas atteindre le sommet du poteau tout seul. Finalement, ils doivent trouver comment travailler ensemble. Alors, ils construisent une pyramide humaine haute à peu près comme trois personnes superposées. C’est l’unique façon d’attraper le poulet : de travailler comme une communauté.]
Finalement, l’ajout de la distribution du boudin à cet arrêt s’inscrit tout à fait dans l’essence du Mardi gras : nourrir la communauté, lui donner des forces pour poursuivre la journée, lui offrir une pause à mi-parcours et lui faire plaisir. Bref, le boudin rend aux Mardi gras toute l’énergie folle et la joie de vivre qu’ils propagent au cours de la journée.
L’hommage à Dennis McGee
Également unique au Courir du Mardi gras de Faquetaigue est l’arrêt à un cimetière afin de rendre hommage à un pionnier de la musique cadienne, Dennis McGee. McGee représente une référence fondamentale de la musique et de la culture cadiennes. Pour les nouveaux participants, c’est étonnant, inhabituel. Alors que l’arrêt au défi du poteau servait à se reposer, à se rassasier et avoir du plaisir, l’arrêt au cimetière s’inscrit dans un tout autre ordre d’idée. On suspend les festivités et folies carnavalesques du Mardi gras. Pour un instant, les personnages du Mardi gras se rappellent leur appartenance à la communauté cadienne, à son patrimoine, à son histoire.
Lucius Fontenot (2012) déclare que les organisateurs du Courir de Faquetaigue jugent vital de faire cet arrêt au cimetière : « As a show of respect to our heritage and the music that keeps the Cajun culture alive » [En démonstration du respect pour notre patrimoine et pour la musique qui garde la culture cadienne en vie]. Pour Fontenot, la présence du curé n’a pas un but religieux. Il trouve pertinentes les paroles du discours, rappelant que si le Mardi gras est une journée où tout est permis, le Mercredi des Cendres (le lendemain), est plutôt un moment pour réfléchir à la façon dont on peut devenir une meilleure personne. L’arrêt au cimetière se situe quelque part entre les deux. Fontenot affirme : « It’s tkind of one of these things you have to be there to understand it. I’m not really a religious person but it’s definitely something spiritual, that’s pretty awesome » [C’est le genre de choses auxquelles il faut assister pour les comprendre. Je ne suis pas vraiment quelqu’un de religieux, mais il y a quelque chose de spirituel, assurément, et c’est assez impressionnant].
Dans le même ordre d’idées, Rachel DeCuir (2012) accorde une grande importance à ce moment. Particulièrement émue, elle avait déposé des fleurs sur la tombe de McGee. Pour elle, l’importance que l’on accorde à cet arrêt et au personnage de McGee est fondamentale. DeCuir rappelle qu’il a été l’un des violonistes les plus influents de la musique cadienne, et qu’il avait appris à jouer avec des musiciens centenaires. C’est McGee qui a permis d’amener cet héritage musical jusqu’à nous et qui a influencé l’un des styles musicaux les plus importants de la Louisiane. DeCuir ajoute que, puisque le Courir du Mardi gras de Faquetaigue est constitué en majorité de musiciens, ce moment est surtout pour eux. C’est une communauté de musiciens, grandement influencée par McGee et qui a bénéficié de son rayonnement, qui rend hommage « à l’un des siens ». Enfin, DeCuir rappelle c’est un moment de recueillement, de silence, et qu’il est nécessaire pour les participants de commémorer l’importance de leur culture.
Bref, l’hommage que l’on porte à Dennis McGee constitue une addition originale et marquante au Courir du Mardi gras de Faquetaigue. C’est un moment pour s’arrêter, en dehors du cadre festif de la journée. C’est aussi une occasion pour les Cadiens d’entamer une réflexion à propos de leur histoire, de leurs origines, de leur culture. Par la musique qui est jouée sur place, on met l’accent sur l’héritage de McGee. Le fait que tous les autres musiciens s’ajoutent au duo initial montre qu’il s’agit d’un hommage collectif et non d’un caprice des seuls organisateurs (Young et Savoy). Comme Rachel DeCuir (2012) le rappelle : Faquetaigue est un Courir de musiciens, ils veulent rendre hommage à l’un des leurs, un pionnier.
Cependant, tous les témoins à cet hommage se sentaient concernés (et pas seulement les musiciens). C’est dans un esprit commun que les participants du Courir de Faquetaigue s’unissent dans le même objectif : rendre hommage à un pionnier de la culture cadienne. Ce facteur de cohésion du groupe constitue un élément non négligeable du développement de la communauté cadienne dans une vision durable de son patrimoine culturel.
L’hommage à McGee est d’autant plus pertinent et représentatif de la culture cadienne que l’on a choisi d’interpréter deux styles de musique. La valse lente jouée par les violons amène une atmosphère de recueillement. Ensuite, le « two-step » joyeux est un rappel que la culture est vivante et que la joie de vivre est un trait identitaire fondamental des Cadiens. C’est grâce à des pionniers comme McGee qu’ils sont en mesure d’apprécier et de vivre leur culture. Bref, on se tourne vers le passé pour apprécier le legs de la tradition, le patrimoine immatériel qu’il nous a transmis pour mieux vivre aujourd’hui.
La communauté de Faquetaigue
Pour les Cadiens, la tradition du Courir du Mardi gras repose sur la notion de communauté. À l’origine, cette dernière se définissait selon les limites géographiques d’une région rurale, d’un voisinage, d’une agglomération de voisins (David 1999). Cette communauté tissée serrée se regroupait pour toutes sortes d’occasions : pour se prêter main-forte lors de travaux, pour se soutenir lors d’épreuves, mais aussi pour célébrer ensemble. Le Courir du Mardi gras représente à la fois cet esprit communautaire et une joie de vivre typique des festivités carnavalesques.
Le symbole ultime de la célébration de la « communauté », lors du Courir, est le gombo. Chaque voisin offre un ou quelques-uns des ingrédients nécessaires à la confection du repas collectif. Ainsi, chacun donne à la communauté (un ingrédient) et chacun reçoit de la communauté (un repas de fête). Ce repas, ultime moment des festivités, n’est possible que grâce à l’effort commun, et chacun en profite. La musique, la danse, c’est cela aussi : des musiciens rassemblés, des chanteurs et des danseurs. Comme Lucius Fontenot (2012) l’affirme, par leur musique, par leurs chants et par leurs danses, ceux-ci offrent un « paiement » aux voisins qui leur ont donné de la nourriture.
Toutefois, le Courir du Mardi gras de Faquetaigue ne correspond pas à l’image traditionnelle d’une communauté cadienne célébrant le Mardi gras. Les participants à ce Courir, pour la plupart, ne sont pas de la région. Certains viennent même d’États éloignés ou d’autres pays. Ce sont des musiciens, des artistes ou des intervenants culturels, donc des gens qui se connaissent au départ par d’autres occasions que celles amenées par le voisinage géographique traditionnel cadien.
Lucius Fontenot, qui, je le rappelle, est l’un des instigateurs du Courir du Mardi gras de Faquetaigue, habite la ville voisine de Mamou, où les célébrations du Mardi gras sont tout aussi fréquentées par les touristes qu’à Eunice. Pour lui, participer au Courir du Mardi gras dans sa ville d’origine ne correspondait pas à l’idée qu’il se faisait de la tradition. Il y a tellement d’étrangers à Mamou qu’il avoue qu’il n’y connaîtrait pas beaucoup de gens ou de voisins. Pour Fontenot (2012), très impliqué au sein de la communauté culturelle cadienne, la définition de « communauté » qu’il préconise puise dans certains éléments traditionnels tout en ouvrant la porte au changement.
Mardi gras is the continuation of our everyday lives. As a community, we work together, we play with each other, we gather, we eat. We really are that kind of society, that old way, where you can rely on your neighbour. The Mardi gras is about community, it’s about sharing an experience with people. Some people are traditionalists, and want things to be kept [just as they are]. I’m not one of those. There should be a little improvising and adaptation there[23].
En conséquence, Fontenot et ses acolytes veulent concrétiser le Courir du Mardi gras de Faquetaigue selon la vision d’une communauté correspondant à leur image et à leurs valeurs. Celle-ci est représentée par la communauté artistique et culturelle, donc par les gens qu’ils côtoient, avec qui ils travaillent ou ont des liens d’amitié. C’est ainsi une vision nouvelle, plus moderne, de la communauté, et plus adaptée à leur style de vie. Fontenot (2012) déclare : « To have that much fun with a group of people is special » [C’est très spécial, de s’amuser autant avec un groupe de gens]. Interrogé sur la forme virtuelle de cette communauté, avec laquelle il entretient des liens par Internet, en comparaison à la version plus traditionnelle et géographique d’une communauté cadienne, Fontenot répond :
We are all friends. We keep in touch by music festivals, cultural events, Facebook. We know each other very well but we don’t live in the same location. It’s something extremely modern[24].
Pour Fontenot (2012), le Courir de Faquetaigue est adapté à la réalité d’aujourd’hui, où les distances, les frontières, sont poreuses, où les déplacements et les voyages sont courants. La présence de gens venant de l’extérieur constitue un point positif dans l’actualisation de la tradition. Souvent, ces visiteurs vont prendre au très sérieux la mise en oeuvre du Courir.
They really want to get it right. They really are excited about it. The people here feed off that energy. We are happy to share our culture and make people participate[25].
De son côté, Rachel DeCuir bénéficie de cette vision d’une communauté plus inclusive pour le Courir du Mardi gras. Puisqu’elle est originaire de Lafayette, où le Courir n’est pas pratiqué, ce dernier ne fait pas partie de ses traditions familiales. Toutefois, elle est reconnaissante de pouvoir vivre cette tradition au Courir de Faquetaigue : « Je suis tellement attachée à ma culture que je voulais participer à ça. D’avoir la chance de le faire dans quelque part qui était si ouvert est une bonne chose » (2012). Ailleurs, elle n’aurait pas pu participer si facilement au Courir du Mardi gras, n’étant pas membre d’une communauté rurale.
Rachel DeCuir (2012) perçoit le Courir du Mardi gras de Faquetaigue comme un cas intéressant. Contrairement au Courir traditionnel, ce ne sont pas des voisins qui visitent des voisins. C’est un groupe qui se rassemble au milieu de nulle part, mais qui est accueilli par des voisins, ceux de Joel Savoy. Ces voisins sont en quelque sorte les voisins d’adoption du Courir de Faquetaigue. DeCuir insiste sur la composition de cette communauté formée de musiciens : « la musique est partout ». Elle définit sa propre vision de la communauté, inclusive, qui rejoint celle proposée par Lucius Fontenot.
Et pour Faquetaigue, c’est nous la communauté. Ce n’est pas une communauté géographique, c’est plutôt une communauté culturelle. On se connaît tous. Mais c’est aussi quelque part où je peux inviter quelqu’un. Moi, j’ai invité mes voisins qui viennent du Nebraska et de Saint-Louis. Mais pour eux, ils le prenaient au sérieux. Ils ont fait leur costume. Mais eux, ils étaient aussi invités. Ce n’était pas seulement parce que moi je connaissais des gens, mais eux aussi pouvaient venir. Ça, c’est ouvert !
Enfin, la notion de communauté est différente pour les participants et les créateurs du Courir du Mardi gras de Faquetaigue. D’une nature plus inclusive, ce Courir permet à des gens comme Rachel DeCuir ou toute autre personne qui n’est pas de Savoy, de vivre l’évènement, de le partager avec les Cadiens de cette région. La communauté de Faquetaigue est, ainsi, créée par des artistes, des musiciens. Elle rejoint des gens qui partagent certaines aspirations, certaines valeurs. Les Cadiens présents à Savoy considèrent la participation des gens de l’extérieur comme un atout, un ajout à leur tradition. Ils partagent une vision moderne de la communauté cadienne.
En somme, la définition d’une communauté telle que partagée par les participants au Courir de Faquetaigue démontre une vision inclusive, qui s’ouvre sur les autres. En incluant des personnes de différentes régions, cette notion de communauté apporte une meilleure compréhension entre elles. Dans cet esprit, on peut croire que cette définition de communauté inscrit le Courir du Mardi gras de Faquetaigue dans une vision de développement durable de leur tradition, de leur patrimoine culturel immatériel.
Conclusion
Le Courir du Mardi gras de Faquetaigue diffère des autres Mardi gras par sa nature émergente et inclusive. Cette différence s’exprime tant par sa mise en oeuvre que par la nature de ses participants. D’ailleurs, ce Courir s’inscrit à contre-courant du caractère touristique et commercial retrouvé à Eunice ou ailleurs, mais aussi des pratiques pures et dures du Courir du Mardi gras. Ses instigateurs, Joel Savoy, Linzay Young et Lucius Fontenot, désiraient une fête plus « intime », entre amis. Eux-mêmes musiciens et artistes impliqués dans la mise en valeur du patrimoine culturel cadien, ils voulaient que cette fête représente et valorise ce qu’ils jugeaient important de conserver de leur culture. Ainsi, ils désiraient recréer l’esprit de la tradition du Courir le Mardi gras, mais avec leur propre vision d’une communauté. Cette communauté à laquelle ils pouvaient s’identifier, à l’épanouissement de laquelle ils pouvaient participer. C’est, également, dans l’optique d’une communauté inclusive que le Courir du Mardi gras s’ouvre à des gens de l’extérieur de Savoy, en incluant, par exemple, les femmes.
En outre, cet article a permis l’analyse de trois aspects novateurs du Courir de Faquetaigue : le défi du poteau, l’hommage à Dennis McGee et la définition de la communauté qui y est véhiculée. Ces éléments, tout en étant nouveaux, représentent l’esprit de la tradition du Courir du Mardi gras.
Par le défi du poteau, exemple parfait de créativité des Cadiens de Savoy, on observe, on honore même, l’atmosphère carnavalesque du Mardi gras. Par l’expression d’une créativité inusitée, les instigateurs du Courir ont su inventer de nouveaux éléments de leur Courir qui sauront projeter la tradition dans l’avenir. L’esprit de jeu, l’amusement, entre les voisins et les Mardi gras est présent aussi. De plus, la distribution de boudin rend à la tradition toute sa signification : elle symbolise le fait de nourrir la communauté (avec un aliment gras avant la privation du Carême), de lui offrir un répit en guise de remerciement par la joie qu’elle fait partager.
D’un autre côté, l’hommage rendu à Dennis McGee donne la chance de s’arrêter et offre un moment de réflexion aux participants. On revient aux sources de la tradition, de l’histoire. On veut comprendre d’où l’on vient pour mieux savoir où l’on va. Puisque le Courir de Faquetaigue est constitué majoritairement de musiciens, c’est l’occasion pour ces derniers de rendre hommage à un pionnier de leur musique qui a contribué à façonner la culture cadienne.
Enfin, la notion de communauté, telle qu’exprimée au Courir de Faquetaigue, est à l’image de ses participants : moderne et adaptée à la réalité contemporaine de ceux-ci. Elle permet à la communauté cadienne de s’ouvrir aux autres. Ces derniers apportent un aspect positif à la tradition.
L’expression du patrimoine culturel immatériel d’une communauté, dans une perspective de développement durable, doit témoigner d’une « […] cohésion sociale, de bien-être, de créativité et d’attractivité économique et aussi de compréhension entre les peuples » (ICOMOS 2011 : 1-2). Le Courir du Mardi gras de Faquetaigue en est une illustration éloquente. Ce Courir permet à une communauté cadienne, même si elle est différente des communautés traditionnelles et géographiques, de se rassembler et de fêter ensemble. C’est une communauté qui est redéfinie par ses membres. Par l’addition de nouveaux aspects à la tradition, les artisans font preuve de créativité, d’esprit d’innovation pour ajouter de la couleur à la tradition. Enfin, par l’inclusion de gens venant de l’extérieur, on contribue à un développement économique, mais, surtout, à une ouverture entre les peuples qui en apprennent davantage sur la culture cadienne.
De plus, par sa nature émergente, par sa mise en oeuvre originale, par la définition de communauté qui lui est propre, le Courir du Mardi gras de Faquetaigue représente un bel exemple de « l’esprit du lieu ». Ce n’est pas le parcours dans le voisinage géographique qui définit la tradition du Courir du Mardi gras, pour les participants de Faquetaigue, mais l’esprit (le pourquoi), le comment (l’essence) et avec qui ils le réalisent. Ces acteurs montrent une prise de conscience à propos de cette tradition et font en sorte qu’elle s’inscrive dans un esprit de continuité. Cette continuité est celle des éléments jugés essentiels, fondamentaux, par les participants. Cette vision des choses s’inscrit bien dans la notion de l’esprit du lieu, justement, parce que dans le cadre du Courir de Faquetaigue, c’est surtout « l’esprit » qui est incarné et que le lieu géographique lui-même pourrait changer sans que les participants y voient une altération significative (Fontenot 2012).
En conclusion, il est clair que le cas du Courir du Mardi gras de Faquetaigue participe, à sa façon, au développement durable du patrimoine culturel immatériel cadien. D’autres éclairages pourraient ajouter de la profondeur à l’étude de cas du Courir du Mardi gras de Faquetaigue. Il serait intéressant, entre autres, d’explorer le point de vue des étrangers qui y participent. Cela nous permettrait d’observer jusqu’à quel point ces derniers s’investissent dans une tradition qui n’est pas, à proprement parler, la leur. De plus, étudier l’évolution de ce Courir sur une plus grande période permettrait de voir comment il s’inscrit dans l’idée de la pérennité du patrimoine.
Parties annexes
Notes
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[1]
J’aimerais souligner l’appui de mon directeur de recherche à la maîtrise en ethnologie et patrimoine, monsieur Laurier Turgeon, la généreuse participation de Lucius Fontenot et de Rachel DeCuir comme informateurs ainsi que la précieuse contribution de Maude Deschênes-Pradet pour la révision initiale du texte.
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[2]
Extrait de l’une des nombreuses versions répertoriées de la chanson traditionnelle du Mardi gras qui est souvent désignée comme « la danse du Mardi Gras » (Ancelet 1989b : 5-6).
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[3]
J’utilise la définition du mot Cadien telle que proposée par Lindhal : « White French American population whose ancestry and current cultural practices are largely derived from the Canadian “Acadians” who arrived in Louisiana in the second half of the eighteenth century and whose culture tended to dominate the prairie region of southwestern Louisiana as the population absorbed and was influenced by Native American, Continental French, German, Irish, and Spanish peoples » (2001 : 140).
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[4]
« Courir le Mardi gras » se dit usuellement chez les Cadiens « le Courir du Mardi gras » et nous conservons donc cette expression ici.
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[5]
« Presque synonyme de la Louisiane cadienne elle-même ». Toutes les traductions de l’anglais au français sont des traductions libres.
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[6]
Quelques communautés créoles louisianaises pratiquent aussi le Courir du Mardi gras avec des versions similaires aux festivités cadiennes. Toutefois, les célébrations créoles ont reçu beaucoup moins d’attention de la part des chercheurs, des touristes et des médias que les Mardi gras cadiens (Lindhaln 2001 : 140-141 ; Ware 2003b : 159). Ici, le terme « créole » est utilisé au sens louisianais du mot : « Creole is a term used to define a bewilderingly diverse set of populations and phenomena, but here it applies primarily to Louisianians whose culture (and often whose lineage) represents a mixture of French African American, French Afro-Carribean, and White French American influences » (Lindhal 2001 : 140-141).
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[7]
Mets caractéristique de la cuisine louisianaise, le gombo est : « [a] soup-like dish made with meat, seafood, or both and with or without okra, served over rice » (Valdman 2010 : 314).
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[8]
Sur le site Internet du Courir du Mardi gras de Tee-Mamou-Iota, on vante cette coutume pour être l’une des rares à avoir survécu à travers le temps sans aucune interruption (Tee Mamou - Iota Mardi Gras Association).
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[9]
Selon Lucius Fontenot (2012), l’un des instigateurs du Courir du Mardi gras de Faquetaigue : « It’s a Native American term. It’s a turkey hen. That’s [also] the name of the area before the area is called Savoy because of the large amount of Savoy that lived there. It was called that by the Native American : the Faquetaigue ». [C’est un terme amérindien. C’est une dinde. C’est aussi le nom de la région avant qu’on la nomme Savoy, en raison des nombreuses personnes portant le nom Savoy y résidant. C’était appelé selon le terme amérindien : le Faquetaigue]. Puisque ce mot est un terme tiré de l’oral, il existe sous plusieurs graphies, dont Faquetaique ou Fiquetaïque (Ancelet 2009 : 5).
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[10]
« Plus le Mardi gras devient gros, plus les traditions sont diluées et oubliées. C’est pour cette raison que mon frère, Joel, a initié ce Courir avec des amis ».
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[11]
Compositeur, violoniste et chanteur, Dennis McGee est né en 1893 et a grandi à l’Anse des Rougeaux, près d’Eunice, en Louisiane. Dans les années 1920 et 1930, il a fait de nombreux spectacles avec le célèbre accordéoniste créole, Amédé Ardoin et son propre beau-frère, Sady Courville, joueur de violon cadien. Par sa musique et son style, McGee aura une influence considérable sur les générations de musiciens cadiens qui le suivront. Peu de temps avant son décès, il sera nommé doyen honoraire de l’université Southwestern de la Louisiane. Il décède en 1989, en laissant un important héritage musical (Ville d’Eunice).
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[12]
« […] un luxe que mériteraient tous ceux qui travaillent honnêtement sur le terrain, mais que peu ont la chance d’avoir. Cette chance devrait être, tout simplement, un droit : le droit de ne pas dénaturer l’image des gens que l’on étudie ».
-
[13]
Ces entrevues ont été enregistrées en Louisiane, chez les informateurs, en février et mars 2012, à l’aide d’un magnétophone numérique ou ont fait l’objet de captations audiovisuelles, au choix des participants. D’une durée d’environ cinquante minutes, les entrevues ont abordé des questions élaborées dans le schéma approuvé par le Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval (CÉRUL) dans le cadre de mes recherches à la maîtrise (numéro d’approbation : 2011-271).
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[14]
« Bien que le patrimoine prenne forme dans des lieux spécifiques, ces lieux deviennent eux-mêmes des lieux de patrimoine tant par les évènements de fabrication de sens et de souvenir qui leur arrivent, que parce qu’ils confèrent un sentiment d’occasion et de réalité aux activités qui s’y déroulent ».
-
[15]
Certains utilisent l’expression « patrimoine vivant » pour désigner le patrimoine culturel immatériel (Gauthier 2012). D’autres préfèrent employer le terme « patrimoine culturel vivant » (Kurin 2004 : 60).
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[16]
Fontenot (2012) dira: « I think it’s better than Christmas. I definitely have more fun » [Je pense que c’est mieux que Noël. J’ai définitivement plus de plaisir].
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[17]
« Je vais travailler pour toi à Noël. Je vais travailler pour toi le dimanche. Je ferai des heures supplémentaires tous les jours. Mais je ne travaillerai pas le jour du Mardi gras. C’est ma journée ».
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[18]
« Quand on a bien fait le Mardi gras, on a plein de choses à se faire pardonner le lendemain ».
-
[19]
« Tandis que la forme manifestement ancienne du Mardi gras est absorbée par les nouveaux développements et changements culturels pour amortir le choc entre l’archaïque et le contemporain, cette tension est visible partout dans la célébration ».
-
[20]
« The initiation is lead by a group that we call the Vilains, the enforcers. These are the people who make sure that you’re participating, that you’re being respectful. And if you get out of line, they have some whips that they’ll crack around. They are dressed differently. Instead of colourful Mardi gras costumes, they’re all in black ». [Les gens qui s’occupent de l’initiation et de faire respecter la loi sont appelés les Vilains. Ces gens s’assurent d’une participation et d’un respect de la part des Mardi gras. Si vous sortez des rangs, ils ont des fouets pour vous fouetter. Ils sont habillés différemment : au lieu de porter les costumes colorés des Mardi gras, il sont tout en noir] (Fontenot 2012).
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[21]
Un « ti-fer » est, d’après le Dictionary of Louisiana French As Spoken in Cajun, Creole, and American Indian Communities : « A triangle, typically made from bent hay rake tines, used as a percussion instrument to keep time. They would hit those triangles to keep time with the accordion and the violin ». [Un triangle, le plus souvent fabriqué à partir d’une dent de râteau à foin, et utilisé comme percussion pour marquer le tempo de l’accordéon et du violon.] (Valdman 2010 : 280).
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[22]
Quelques jours avant de courir le Mardi gras, les voisins avaient reçu une lettre du Capitaine, Linzay Young, leur demandant s’ils désiraient recevoir les festivités chez eux.
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[23]
« Le Mardi gras est la prolongation de notre vie quotidienne. En tant que communauté, nous travaillons ensemble, nous jouons les uns avec les autres, nous nous rassemblons, nous mangeons. Nous sommes vraiment ce genre de société, à l’ancienne, où on peut compter sur son voisin. Le Mardi gras, c’est une histoire de communauté, de partager une expérience avec les gens. Certains sont traditionalistes et veulent que les choses restent [comme elles sont]. Moi, je n’en fais pas partie. Il devrait y avoir, là, un peu d’improvisation et d’adaptation ».
-
[24]
« Nous sommes tous amis. Nous restons en contact à travers les festivals de musique, les évènements culturels, Facebook. Nous nous connaissons tous très bien, mais nous ne vivons pas au même endroit. C’est quelque chose d’extrêmement moderne ».
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[25]
« Ils veulent vraiment que cela soit bien fait. Ils sont vraiment enthousiastes. Les gens qui sont là se nourrissent de cette énergie. Nous sommes heureux de partager notre culture et d’y faire participer les gens ».
Références
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