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Face au passéConfronting the Past[Notice]

  • Carlo A. Célius

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  • Carlo A. Célius
    Célat, Université Laval

Passé, présent, futur : ainsi s’organise, apprend-on, la successivité du temps ; ainsi s’est structurée notre perception du temps. Et sur cette représentation triadique ont été édifiés des découpages disciplinaires. Le passé à l’histoire, le présent à l’ethnologie  ; diachronie versus synchronie induisant des approches méthodologiques différentes, dont les apports sont loin d’avoir été (et d’être encore) négligeables, quoique relevant d’un logos eurocentrique légiférant, en position de crête, sur une construction pyramidale des mondes : l’histoire aux uns (sociétés plutôt « chaudes ») , l’ethnologie aux autres (sociétés disons, « froides »). Mais les réinventions de l’histoire-discipline n’en font pas toujours « la science » du passé. En 1971, à l’heure du structuralisme triomphant, au grand dam des gardiens du temple de la corporation historienne, Paul Veyne affirmait quil n’y a pas de science de l’histoire. « Les historiens, et cela n’a pas changé depuis deux mille deux cents ans, racontent des évènements vrais qui ont l’homme pour acteur » (Veyne 1971 : 10). On pourrait certainement en dire autant d’autres disciplines, surtout que « le passé » est ici évacué. En tout cas, la rupture est certaine avec l’ivresse scientiste qui s’emparait de l’histoire depuis le XIXe siècle ainsi qu’avec la grande mission dont celle-ci avait été chargée, au moins par Jules Michelet, à savoir la « résurrection intégrale » du passé. Déjà au temps de Thucydide, qui théorisa l’impossibilité d’une véritable histoire du passé, on se souciait davantage du présent. Aujourd’hui, non seulement les historiens reconnaissent-ils que l’histoire, l’écriture historienne, quelle que soit la période étudiée, répond aux impératifs du présent, mais la discipline voit aussi se constituer et se développer « l’histoire du temps présent » (voir, entre autres, Chauveau et Tétart 1992 ; Frank 1993). Quant à l’ethnographie et à l’ethnologie (dite aussi anthropologie sociale et culturelle, selon l’appellation anglo-saxonne), ne s’occupent-elles vraiment que du présent ? Curieusement, le présent ethnographique a été, ou est peut-être encore, conçu comme « le passé » de l’autre ; paradoxe qui sauve la classification hiérarchisante des mondes et, avec elle, la conception homogène du temps. Puisque, dans une telle perspective, on ne conçoit pas la coexistence possible des temporalités, la contemporanéité des uns et des autres devient impensable, bien qu’attestée (mais non acceptée) par « l’autre du dedans » confié aux folkloristes, à « l’ethnographie et à l’ethnologie du proche ». Le structuralisme anthropologique semble avoir poussé jusqu’à son ultime conséquence la distinction disciplinaire fondée sur la distance temporelle, tout en prétendant, toutefois, procéder à une dé-hiérarchisation en mettant, par exemple, « à égalité, sur le même plan, la pensée des peuples sans écriture et celle des peuples dits civilisés » (Lévi-Strauss dans Massenzio 2002 : 19-20). Claude Lévi-Strauss rappelle que c’est l’objectif qu’il poursuivait en écrivant La pensée sauvage (1962) et Le totémisme aujourd’hui (1962/1965), deux ouvrages indissociables qui annoncent sa tétralogie, Mythologiques. Son oeuvre présente « un caractère exemplaire et constitue le modèle, ni fonctionnel, ni génétique, ni historique, mais déductif le plus frappant qu’on ait utilisé en une science humaine empirique » (Piaget 1968 : 90). Postulant le primat de l’intellect sur le social, il cherche, derrière les relations concrètes, la structure sous-jacente et inconsciente par le biais d’une construction déductive de modèles abstraits. D’où un point de vue résolument synchronique. En 2000, Lévi-Strauss redit le principe d’immanence qui caractérise le paradigme de ce structuralisme statique. Rappelant sa fascination pour ce qu’il considère être l’apport fondamental de Freud, à savoir la possibilité de comprendre de façon rationnelle des choses qui semblent totalement irrationnelles, il précise avoir été gêné « par …

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