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Je suis persuadée que certains sujets échappent à toute analyse. Comment, en effet, expliquer la mort d’un être cher sans friser la caricature de cet événement, comment parler de la tragédie humaine en général sans la simplifier parfois jusqu’au ridicule, comment trouver un même dénominateur pour les expériences si diverses de ceux qui ont vécu la souffrance de l’emprisonnement et celle de la délation, de la famine et de la torture ? Tout comme l’éthique en son ensemble ne saurait être exprimée en paroles, car telle « l’eau qui devrait être contenue dans une tasse, elle déborde son contenant » (Wittgenstein 1992), de même l’expérience communiste, ou au moins une part de cette expérience, ne se laisse que difficilement qualifier, cataloguer, analyser. Le texte qui va suivre défie cette évidence dans une tentative obstinée de clarifier un tant soit peu un sujet qui concerne la société roumaine. Et pas seulement la société roumaine. Comme dans toute entreprise dont l’identité devient la mise, je m’efforcerai de déchiffrer un phénomène qui, après maintes lectures, rencontres, interviews, me semblait impossible à cerner, à assembler. Je me trouvais devant des cas, des séquences, des fentes qui ne se laissaient pas intégrer. Toutefois, l’obstination d’en offrir une lecture gouvernée par un concept unitaire est l’expression de la conviction qu’il y a quelque chose à comprendre dans un passé apparemment incompréhensible, qu’il y a quelque chose à apprendre d’une expérience qui, je l’espère, ne se reproduira pas.

Dans une déclaration faite à Paris en janvier 1949, Adriana Georgescu Cosmovici, une femme de 28 ans, arrêtée à Bucarest en juillet 1945 pour avoir appartenu à un mouvement de résistance, a raconté comment les enquêteurs de la police secrète communiste l’avaient battue à plusieurs reprises avec un petit sac rempli de sable, comment ils lui avaient frappé la tête contre les murs et comment elle avait reçu des coups en plein visage et au menton jusqu’à ce qu’elle crachât toutes ses dents, à l’exception de six, sur la mâchoire inférieure (Courtois 1998 : 742).

Ce n’est là qu’un exemple parmi les milliers d’autres qu’offre le communisme roumain de l’époque. Les dimensions de la répression ont atteint des proportions impressionnantes : entre 1948 et 1964, pour une population de 18 millions d’habitants, 600 000 détenus politiques étaient enregistrés. À cela il faut ajouter « encore 500 000 détenus environ — des prisonniers roumains tombés entre les mains des soviétiques après le 23 août 1944, des Allemands déportés en janvier 1945, des titoïstes et des déportés dans la région du Baragan » (Boldur Latescu 1994 : 15-20). Il est impossible d’estimer le nombre exact des personnes mortes dans les camps de concentration et dans les prisons[1], étant donné par exemple « la découverte accidentelle, après 1990, en plusieurs endroits de la Roumanie, des restes de centaines de victimes vraisemblablement exécutées par la Securitate » (Courtois 1998 : 758). Encore faut-il évoquer les victimes sans nom, pour la plupart des détenus administratifs, ceux qui, bien qu’arrêtés pour des raisons politiques, étaient considérés comme des détenus de droit commun (au même titre que les voleurs, les criminels, les falsificateurs…), se situant ainsi selon des coordonnées que le tableau de la répression communiste en Roumanie se voit dans l’impossibilité de récupérer.

Les « crimes » dont les centaines de milliers de gens ont été rendus « coupables » étaient des plus banals, depuis l’opposition ouvertement exprimée au nouveau régime jusqu’au fait de parler plusieurs langues étrangères ou de lire des livres qui « ne convenaient pas à la politique de l’État et du parti » ou au fait de faire un commentaire peu élogieux à l’adresse du nouveau pouvoir. Autant de raisons pour tuer ou défigurer les gens, pour violer les femmes, arrêter les enfants. Les mémoires écrits en Europe de l’Est après la chute du communisme racontent des atrocités difficilement acceptables pour l’imaginaire du XXe siècle : ongles arrachées, testicules frappés avec un « crayon lourd », détenus obligés de manger leurs propres excréments, enquête sous régime alimentaire salé avec privation d’eau[2], destruction systématique de l’image des êtres chers par l’obligation de proférer des injures à leur adresse et de répéter ces injures jusqu’à l’autopersuasion (par exemple, on faisait répéter à un détenu que sa mère était une putain, son père un bandit, etc.) (Bacu 1963 : 13).

C’est un peu l’image des quinze à vingt premières années du communisme, durant lesquelles, sur les trois générations d’une famille, au moins un de ses membres a souffert d’une manière ou d’une autre : soit il était emprisonné ou déporté, soit on lui interdisait de poursuivre ses études à cause de la fortune de sa famille, soit il était placé sous enquête.

Pendant toute la durée du communisme, les prisons ont « hébergé » un nombre impressionnant de détenus politiques. Au cours des deux dernières décennies, bien que les arrestations n’aient pas cessé, elles ont diminué par rapport aux années de l’installation du « pouvoir populaire ». Si la violence physique a été en quelque sorte limitée, la pression psychologique n’a jamais été reconsidérée. Un immense appareil de surveillance et d’intimidation a fonctionné avec un acharnement dont ce n’est qu’aujourd’hui que nous découvrons, horrifiés, l’ampleur.

Pour la Roumanie, il n’y a pas encore d’estimation définitive, en chiffres, de l’activité de la police secrète. Ticu Dumitrescu, l’initiateur de la loi permettant l’accès des gens à leur propre dossier (la loi porte d’ailleurs son nom), a fait publier des données non encore confirmées par ceux qui effectuent des recherches dans les archives de l’ancienne Securitate. À partir des chiffres communiqués par le Service Roumain d’Information, le 15 septembre 1993, Ticu Dumitrescu livre l’estimation que « les archives territoriales et centrales conservaient au moins 1 901 530 dossiers dont 1 162 418 représentaient le fonds informatif (dossiers de surveillance individuelle, connus en roumain par les initiales DUI, de groupe ou de problème), 507 003 dossiers personnels — fonds du réseau (les informateurs), le reste étant constitué de portefeuilles annexes, dossiers de documents et correspondance (Ziua 16/01/2002 :9). La base de données de la Securitate de Roumanie fait état de la surveillance, en 1969, de 424 464 personnes. Après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les Soviétiques (1968), le nombre des personnes surveillées a décru, pour croître à nouveau de manière vertigineuse à partir de 1969. Entre 1945 et 1989, la police communiste a recruté et engagé 486 000 agents informateurs, ce nombre exceptant les membres du parti communiste qui, en vertu de la « loi Jarul » de 1968, étaient censés fournir des informations sans avoir de dossier de collaboration avec la Securitate (c’est-à-dire sans figurer parmi les travailleurs de la Securitate). On évalue leur nombre à 100 000, ce qui, avec les agents informateurs, donne un chiffre de 600 000 personnes employées à faire des rapports de surveillance. À cela il faudrait encore ajouter les informateurs occasionnels, pour arriver à la conclusion qu’il y avait un informateur pour 30 personnes. En excluant les jeunes de moins de quinze ans, on aboutit au chiffre d’un informateur pour 20 personnes.

Si, pour la Roumanie, les données ne sont pas encore entièrement confirmées, pour l’Allemagne de l’Est le tableau de l’oppression est plus complet, parce qu’il est le résultat des recherches entreprises pendant les douze dernières années ; en effet, la loi permettant l’accès aux archives de la Stasi a été approuvée dix ans plus tôt qu’en Roumanie et, à la différence de la Roumanie, les personnes chargées de sa mise en oeuvre n’étaient pas d’anciens employés de la Securitate. Je vais présenter dans les pages qui suivent quelques données extraites du livre de John O. Koehler, Stasi, the Untold Story of the East German Secret Police, afin d’offrir au lecteur occidental une image déjà constituée et confirmée de cette situation qui, à quelques différences près, a été similaire dans tous les pays de l’ancien bloc communiste européen. Au moment de la chute du communisme, en République Démocratique Allemande, 102 000 officiers et sous-officiers, employés par l’État, travaillaient pour la Stasi. Jusqu’en 1995, 174 000 autres informateurs ont été identifiés[3], chiffre qui représente 2,5 % de la population âgée de 18 à 60 ans. « Étant donné que beaucoup de documents ont été détruits, comme cela s’est passé dans tous les pays communistes, on ne pourra jamais connaître le nombre exact d’informateurs. On a été d’avis que 500 000 serait un chiffre correspondant à la réalité, bien que l’ancien colonel de la Direction du contre-espionnage, Rainer Wiegand, estime que le nombre d’informateurs se situerait aux environs de deux millions » (Koehler 2001). De toute façon, ces chiffres montrent que la police secrète du régime communiste de la RDA, la Stasi, « a été pire que la Gestapo qui employait 40 000 personnes pour surveiller une population de 80 000 000 d’habitants, alors que la Stasi avait 102 000 employés pour surveiller une population de 17 000 000 d’habitants ». Autrement dit, un appareil deux fois et demie plus grand pour une population quatre fois plus restreinte. Théoriquement, il en résulte une activité dix fois plus importante. Si la Gestapo disposait d’un officier pour 2 000 habitants, la Stasi disposait d’un officier pour 166 citoyens de la RDA. En ajoutant à cela les informateurs permanents, il en résulte que la Stasi avait un informateur pour surveiller 66 personnes ; mais comme il faut inclure aussi les informateurs d’occasion, on en déduit qu’il y avait un informateur pour 6,5 citoyens est-allemands. Cela revient à dire que, dans une assemblée de 10 à 12 personnes, l’une d’entre elles était vraisemblablement un informateur.

Ces chiffres, tout impressionnants qu’ils soient, ne peuvent parvenir à refléter l’atmosphère de terreur qui régnait sur le moindre espace vital des citoyens des pays communistes. En Roumanie, dans les villages et les villes, dans les écoles, les hôpitaux, les églises, dans les usines et les fabriques, dans les restaurants et les hôtels, dans chaque immeuble, dans toutes les réunions de plus de 50 personnes, en général partout où il y avait un groupe, un informateur était susceptible de se trouver. Les collaborateurs de la Securitate n’étaient pas recrutés uniquement parmi les individus à « casier judiciaire » ou parmi les personnes sans instruction. On ne dispose pas encore d’un portrait robot du « mouchard », du « délateur », mais l’on sait déjà que beaucoup d’entre eux étaient des professionnels « respectables » : médecins, juristes, acteurs, vedettes du sport, prêtres, universitaires... Il fallait en compter aussi parmi les voisins, les parents ou les amis de la personne surveillée.

Bien connue de ceux qui ont vécu l’expérience communiste en Europe centrale et de l’Est, difficile à imaginer par ceux qui ont vécu loin de ces réalités, la surveillance hallucinante pratiquée par la police secrète était l’élément principal d’un système qui refusait à l’individu l’exercice des libertés et des droits fondamentaux. L’objectif principal de cette politique était le maintien d’un état de pauvreté et de privations à même de justifier l’édification du communisme. À l’exception des dirigeants communistes et de leurs familles, pendant les dernières années du communisme, la majorité des Roumains ont vécu toutes les privations imaginables : manque d’aliments (pour un peu de viande, une bouteille de lait ou un paquet de beurre, il fallait faire la queue parfois du soir jusqu’au petit matin ; l’huile et le sucre étaient rationnés, même le sel disparaissait des magasins) ; restriction de l’usage du chauffage central et de l’eau chaude, si bien que la température dans bien des appartements ne dépassait pas 9 degrés lorsque dehors il gelait à – 20o C ; interruption de l’électricité pendant des heures sans aucun avertissement préalable... Un seul canal de télévision assurait une transmission pendant deux heures, et cela pour faire l’éloge du communisme et de la famille présidentielle. Il fallait à tout prix empêcher les gens de protester et leur inoculer l’idée que le communisme était l’unique voie vers le bonheur. La police secrète devait découvrir la moindre attitude critique, la personne qui en était accusée risquant le licenciement, l’enquête, voire la prison. Si quelqu’un avait un dossier à la Securitate, les conséquences pesaient sur toute sa famille.

Après la chute du communisme, un discours qui visait la nécessité de connaître la vérité s’est fait entendre dans tous les pays ex-communistes de l’Europe de l’Est pour réclamer une recherche minutieuse du passé communiste, synonyme de mensonge et de terreur. En demandant l’accès aux archives des anciens services secrets, un double but était visé : d’une part, aider ceux qui voulaient savoir s’ils avaient, oui ou non, fait l’objet d’une action de surveillance et s’ils avaient un dossier à leur nom ; d’autre part, identifier ceux qui avaient été engagés dans l’activité de la police secrète. L’élaboration des lois réglementant cette action a été différente dans les divers pays ex-communistes. L’Allemagne a immédiatement approuvé l’accès aux archives de la Stasi, si bien qu’à présent un groupe de chercheurs est engagé dans l’éclaircissement du phénomène. Au pôle opposé, il a fallu dix ans à la Roumanie pour approuver la loi sur l’accès aux dossiers de la Securitate, et l’organisme (CNSAS) qui rend l’opération possible n’a commencé à fonctionner, après de longues hésitations, qu’en 2000. Les effets de ce processus ont eux aussi considérablement varié d’un pays à l’autre, mais en général on a constaté une indifférence à l’égard de la véritable signification des informations que l’ouverture des archives a rendu publiques. La République Tchèque a été la seule à faire accompagner la loi de l’accès aux dossiers personnels d’une loi de « lustration », c’est-à-dire de l’interdiction faite aux anciens employés de la police secrète et aux anciens dirigeants du parti communiste de participer pendant un certain temps aux élections démocratiques organisées après 1989. En Allemagne, la « dé-conspiration » de ceux qui avaient collaboré avec la Stasi a souvent été suivie de pressions les obligeant à démissionner. En Hongrie, pays où cette loi a été adoptée avec le même retard de dix ans qu’en Roumanie, l’identification des anciens employés des services secrets a été suivie presque aussitôt par une « invitation » à la retraite de la vie politique, un éventuel refus risquant de soumettre ces personnes à la publication de leur dossier de collaborateur. Tous ceux qui ont été dans la situation de reconnaître publiquement leur culpabilité n’ont pas consenti à se retirer de la scène politique et, dans beaucoup de cas, l’électorat ne les a pas sanctionnés après avoir appris qu’ils avaient été des collaborateurs de la police secrète. Même manque de réaction en Pologne. En Roumanie, l’identification des collaborateurs de la Securitate a plutôt suscité des rumeurs dans les médias. Certains anciens securisti ont été expulsés de leurs partis, d’autres, en revanche, n’ont subi aucunes représailles. Dans l’ensemble, la réaction de l’opinion publique a été plutôt faible.

Le second objectif de la loi, celui qui vise l’accès proprement dit aux dossiers personnels, a eu, sur le plan social, moins d’impact que prévu. En Roumanie, l’indifférence avec laquelle la « vérité » a été reçue s’explique principalement par le fait que cette « vérité » ne sera jamais « toute la vérité ». Or, une connaissance partielle, qui ne saurait pénétrer « l’obscurité du secret ou du mensonge », est considérée comme étant aussi nocive que le mensonge lui-même, celui qui découle précisément d’une vérité partielle. L’accès à la vérité est bloqué de plusieurs façons. On n’arrivera jamais à identifier tous les collaborateurs de la Securitate pour la bonne raison que, selon la « loi Jarul », les communistes chargés de missions de surveillance et d’espionnage ne signaient aucun engagement formel. Ils étaient, pour ainsi dire, des « securisti sans papiers », clandestins, mais souvent animés par beaucoup de zèle. On comprendra aussi pourquoi, en revanche, il n’est pas difficile de trouver les engagements de collaboration des anciens détenus, arrêtés comme « ennemis du peuple », engagements qui étaient souvent obtenus sous la menace ou par chantage, alors qu’aucun communiste ne figure parmi les indicateurs. Or si, implicitement, l’identification des employés de la police secrète vise aussi à identifier les « bons » et les « méchants », ceux auxquels on peut faire confiance et ceux auxquels on ne peut pas faire confiance, on constatera que l’opération ne peut pas atteindre son but, simplement parce que ceux qui ont joué probablement des rôles très importants, et qui ne seront jamais identifiés, resteront impunis, aux dépens de ceux qui n’ont eu que des rôles secondaires (et forcés) dans le même scénario, mais qui, eux, ont « laissé des traces ».

Dans l’autre sens, l’accès à la vérité est obstrué par la manière dont l’information est manipulée, ce qui mène au même résultat : une vérité partielle assimilable, en dernière instance, au mensonge. En Roumanie, les archives de l’ancienne Securitate font partie du patrimoine des services secrets actuels. Et ce n’est là que le moindre héritage ! Ces archives restant donc à la charge des anciens employés de la Securitate, ceux-ci se réservent facilement le droit d’invoquer des raisons d’État pour être très sélectifs dans leur réponse à ceux et celles qui demandent à consulter leur dossier. Ainsi, parmi les personnes ayant réussi à consulter leur dossier, beaucoup ont été très mécontentes en découvrant un document visiblement incomplet. Les manques sont d’ailleurs faciles à repérer, parce que les feuillets des dossiers sont numérotés[4]. D’autre part, après la chute du communisme, beaucoup de dossiers ont complètement disparu car, le fait est notoire, toutes les anciennes polices secrètes ont essayé de détruire le plus possible de dossiers dits « opératifs ». En RDA, on a pu récupérer beaucoup de sacs de documents destinés à la machine à déchiqueter, après que ceux qui travaillaient pour la Stasi aient tenté de les faire disparaître. En Roumanie, des traces ont indiqué de grandes quantités de dossiers brûlés, dont très peu ont pu être récupérés.

Voilà donc, très brièvement présentées, les données de la « réalité » qui m’ont inspiré les questions que je vais poser plus loin. À partir de questions publiquement exprimées, visant l’opportunité de l’accès aux archives de l’ancienne Securitate, je tâcherais d’analyser les bénéfices que cette action pourrait avoir. Les réserves formulées par certains politiciens roumains visaient et visent toujours surtout le risque d’une guerre civile. Mais il s’est avéré que non seulement il n’y a pas eu d’actions revanchardes, mais que même là où, personnellement, on aurait pu sentir le besoin d’une exigence morale pénalisante minimale, celle-ci ne s’est pas manifestée. Dans beaucoup de cas, et pas seulement en Roumanie, les politiciens démasqués comme anciens securisti (employés ou collaborateurs de la Securitate) n’ont pas été tenus de quitter la fonction qu’ils occupaient sur la scène politique. C’est pourquoi les tentatives de discréditer et de détruire le CNSAS, l’organisme qui, en Roumanie, rend possible l’accès aux archives de la Securitate, me semblent d’autant plus insensées. Je crois fermement que l’accès aux archives de la Securitate constitue un droit que l’on ne saurait refuser à quiconque sous aucun prétexte. J’essaierai d’analyser pourquoi ceci est important en analysant le concept d’identité, indispensable non seulement à la connaissance de soi, mais surtout à la compréhension d’une société troublée, comme la société roumaine l’est en ce moment.

À quoi bon connaître les délateurs ?

La question ne vise pas à trouver les bénéfices de l’identification des délateurs, mais simplement à savoir si le fait d’avoir été des collaborateurs de la Securitate est pertinent pour leur identité.

La réponse, formulée avec toute la brutalité de sa simplicité, comporte, du moins au premier abord, deux variantes opposables. La première consiste à dire qu’il faudrait connaître ces gens afin d’éviter de leur faire confiance désormais et peut avoir comme présupposé le proverbe Qui a bu boira. La seconde variante introduirait la possibilité que ces gens aient traversé une période d’égarement, un instant qui ne les caractérise pas, le présupposé dans ce cas étant que l’homme se transforme constamment. On voit facilement que la première réponse joue sur la continuité identitaire, tandis que la seconde joue sur la discontinuité. Il s’agit plus exactement de la continuité identitaire psychologique et, respectivement, de la discontinuité identitaire psychologique, donc d’un autre type de continuité.

Dans les deux cas, il faut quand même accepter l’idée de continuité, parce que l’identité ne saurait être conçue en son absence. Si l’identification en tant que distinction par rapport à une autre identité est une opération moins difficile, un sujet reste quand même ouvert, à savoir : quels sont les critères selon lesquels on reconnaît qu’il s’agit de la même identité, bien que celle-ci se trouve à des endroits différents, en des moments différents de son existence (Locke 1975 : 328). Généralement, la question de savoir ce qui fait qu’une identité reste identique à elle-même dans les circonstances les plus différentes appelle deux réponses. La première concerne les capacités psychiques, la seconde vise la corporalité en tant que facteur de continuité d’une identité. Pour Locke, la condition nécessaire et suffisante d’une identité réside en la possibilité de se concevoir soi-même comme un même individu pensant à différents endroits et à différents moments temporels, comme un être de raison, doué de capacité de réflexion (Locke 1975 : 329 ; Reid 1975 : 108-109). Par ailleurs, parce que la psychologie d’une personne, qu’on l’appelle « modèle cérébral » (Nozick 1981), « caractère » ou bien « mémoire » (Locke 1975) est un processus discontinu, le rôle de continuateur de l’identité serait assumé par le corps.

Suivant le premier critère, on exige le passé d’une certaine personne (le délateur en ce qui nous concerne), parce que cette personne, avec un caractère aussi changeant que possible, doit garder en sa psychologie au moins un élément invariable qui assure sa continuité.

La corporalité, second critère de continuité identitaire dans la mesure où elle ignore la continuité psychologique assimilable à une certaine constante de manifestation, laisse à l’individu une plus grande possibilité de changer psychologiquement.

Selon le premier critère, il est légitime de soupçonner que quelqu’un qui a « trahi » va récidiver dans la trahison ; selon le second, il est plus facile d’accepter que le délateur ne répétera pas son geste. Parmi les cas offerts par l’actualité roumaine, il y en a un qui peut très bien illustrer le paradigme gouverné par le premier critère. Il s’agit de Dan Oprescu, dont on a appris que, durant vingt ans, il avait fourni à la Securitate des informations sur son meilleur ami. Lors d’une émission télévisée, Dan Oprescu s’est adressé à son ami pour lui dire que désormais il ne méritait plus sa confiance, parce que s’il l’avait trahi une fois, il serait toujours capable de refaire ce qu’il avait fait. Trahir la confiance de quelqu’un semble désormais à Dan Oprescu un trait de son caractère, qui définit son identité, bien que la trahison ait eu lieu dans des circonstances qu’il peut expliquer de manière satisfaisante, du moins à son avis[5].

Le second paradigme comprend la plupart des cas. À peu d’exceptions près, ceux dont on a appris qu’ils avaient été des délateurs ne voient aucun rapport d’identité entre leur passé, leur présent et leur avenir. La meilleure preuve de continuité psychologique consisterait à reconnaître et à assumer ses actes, y compris par l’aveu. Beaucoup, par honte, ne parviennent pas à admettre qu’ils aient été capables d’une chose pareille, beaucoup gardent l’espoir que leurs actions ne seront jamais découvertes, mais il est très probable que la plupart sont animés par le sentiment que la personne qui a fait cela était, du point de vue moral, « quelqu’un d’autre », de toute façon une personne différente de celle du moment présent (peut-être parce que les conditions mêmes étaient différentes). En ce sens, le cas de Mircea Quintus[6], très connu en Roumanie, est exemplaire : malgré les preuves documentaires, il refuse de se reconnaître comme un délateur; il continue à soutenir qu’il n’est pas celui dont on a découvert l’engagement avec la Securitate. Son aptitude à mentir doit absolument s’appuyer sur la vraisemblance d’une telle explication. Et, dans l’esprit de Mircea Quintus, cette explication est acceptable.

Mais, malgré toutes les esquives de ceux qui, comme Quintus, voudraient passer pour quelqu’un d’autre, ceux-ci ne peuvent finalement pas nier ce qu’ils sont en réalité, quelque déplaisante que soit cette vérité. Leur identité, tout comme la nôtre, comme celle de tous les autres, reste le fondement de tous les droits, de l’équité qui conduit à la récompense ou à la punition de nos actes, le fondement de notre bonheur ou de notre souffrance (Locke 1975 : 341). « Quand il s’agit de l’identité personnelle, il ne peut pas y avoir d’ambiguïté, […] cette notion est le fondement de tous les droits et de toutes les obligations, de toutes les responsabilités » (Reid 1975 :112).

Il est évident qu’une identité change au cours d’une vie. Mais il est tout aussi évident qu’elle reste la même, précisément comme une condition de son identité. Sur cette oscillation, parfois très subtile, se joue la nécessité de connaître les anciens employés et collaborateurs de la Securitate, les securisti, les délateurs, enfin ceux qui ont fait preuve d’un dévouement parfois trop zélé à un régime inhumain. Beaucoup d’entre eux, et aussi ceux qui les soutiennent, comptent sur le côté changeant de l’identité personnelle qui, par extension, leur permettrait de taire leur passé, parce que, n’est-ce pas, ils ne sont plus les mêmes personnes, ou parce que l’épisode en question n’est plus pertinent pour leur personnalité[7].

Je crois que, chez tous les gens, la capacité de changer, parfois radicalement, est incontestable, mais il ne faut pas ignorer que sans la reconnaissance de ce que quelqu’un est véritablement (en étroite liaison avec ce que cette personne a été), il ne peut y avoir de changement. Avant l’avènement d’un possible « quelque chose de différent », aussi miraculeux soit-il, il est nécessaire d’identifier ce « quelque chose » sur lequel le changement puisse opérer. S’auto-identifier, en fait s’assumer consciemment, équivaut à la sincérité de la reconnaissance, à la sincérité de l’aveu des faits, des pensées et des sentiments. Cette première démarche, nécessaire, peut se présenter sous les formes les plus diverses : de la confession à la psychanalyse, de l’aveu public à l’aveu intime. Pour que la confession aboutisse au pardon, il faut que l’aveu s’associe au regret et surtout à l’engagement ferme de ne plus récidiver dans le « péché ». En psychanalyse, ramener à la surface des sentiments depuis longtemps refoulés suppose nécessairement un acte de conscience, pour « guérir » les traumatismes que ceux-ci avaient provoqués. Sous tous ses aspects, l’aveu a un effet bénéfique sur l’identité personnelle. En son absence, il ne peut pas y avoir de pardon, de guérison ou de changement.

Plus la sincérité est courageuse, plus ses effets « curatifs » auront de chances d’être efficaces. Sans sincérité, on demeure le même ; seules les formes subiront un changement naturel, mais il n’y aura pas d’intervention sur le contenu. La sincérité n’est pas équivalente au changement, mais je crois qu’elle est indispensable à toute tentative de modification. Un changement total n’est pas possible, car Socrate sera toujours Socrate (Platon 1994), pendant toute sa vie. Dans la plupart des cas, les traits essentiels et, par conséquent, caractéristiques d’un individu resteront les mêmes de façon déterminante[8]. Un changement, indépendamment de son ampleur, lorsqu’il s’applique à la psychologie de l’individu, représente nécessairement l’expression d’un acte de volonté. Placer le changement de l’identité psychologique ailleurs que dans la sphère de la décision personnelle est une chose d’autant plus difficile que nos actes ne sont, à la limite, que la conséquence d’un choix. Par là, excuser la délation en invoquant la « vicissitude des temps » me semble une tentative frivole de dissimuler le véritable problème. De même, à mon avis, malgré toutes les explications apparentes, on ne peut invoquer l’âpreté d’une époque pour soutenir le décalage entre la manière dont quelqu’un s’est manifesté et ce qu’il est « réellement ». Finalement, la décision relève de la responsabilité personnelle, domaine où les valeurs personnelles devraient être les critères principaux de tous les choix (Taylor 1976 : 289-290).

Récupération de l’identité par l’aveu

Je crois que ceux qui n’ont pas intérêt à démasquer les délateurs, c’est-à-dire ceux qui ne veulent pas admettre qu’eux-mêmes en ont fait partie, comptent sur l’échappatoire que pourrait représenter la théorie selon laquelle l’identité morale se définit par la mémoire, c’est-à-dire par la capacité qu’a un individu de se retrouver comme même dans le souvenir des faits ou des pensées de son propre passé (Locke 1975 : 335).

Ainsi, une des conséquences de cette théorie serait que seules les expériences dont un sujet est conscient peuvent le représenter (Perry 1975 : 13), ce qui peut équivaloir à l’affirmation que quelqu’un frappé d’amnésie perd son identité, que quelque chose dont on ne se souvient pas n’a pas existé dans notre vie ou encore que, pendant notre sommeil, alors que la mémoire n’est pas active, on ne serait plus la même personne (Perry 1976 : 1973). D’où la déduction possible, et très dangereuse, que quelqu’un ne saurait être puni pour quelque chose dont il ne se souvient pas pour la bonne raison qu’il ne s’agit pas de lui[9]. Une pareille inférence illégitime pourrait constituer le fondement de l’attitude de ceux qui ne veulent pas reconnaître un certain fait suivant le principe que « si le fait en question n’a pas été découvert, il n’a même pas existé ». Or, il est évident que se souvenir ou non de quelque chose ne change rien à la vérité de ce qui s’est passé une fois (Butler 1975 : 104). Faut-il par là renoncer à la mémoire en déconsidérant sa qualité de critère pour l’identité personnelle ? Je soutiens, avec Shoemaker, que la mémoire en est un critère, mais qu’elle n’est pas le seul et pas nécessairement le plus important (Shoemaker 1975 :124). Il existe certaines situations où la mémoire a une plus grande importance, d’autant plus que les mauvais souvenirs réclament en tout premier lieu un assainissement par l’aveu.

Dans cette perspective, je présenterai deux cas exemplaires pour la société roumaine, ceux d’Alexandru Paleologu (Paleologu et Stelian 1996) et de Frant Tandara (Jela 1999). Alexandru Paleologu est un intellectuel très connu et très admiré, le seul avant 1989 à avoir avoué son « péché de trahison », avant donc qu’il pût soupçonner la chute du régime et encore moins l’accès aux archives renfermant son « secret ». Frant Tandara est un ancien tortionnaire qui a réclamé non seulement d’être écouté, mais surtout d’être puni. Traiter ensemble ces deux cas pourrait paraître comme une impolitesse à l’égard de la personnalité d’Alexandru Paleologu, qui vient de recevoir un prix d’excellence pour l’ensemble de son activité ; il est vrai aussi que, du point de vue de la gravité, les faits dont ces deux personnes se sont rendues coupables ne sont pas comparables. Ce qui rend toutefois le rapprochement possible, c’est d’abord le courage que ces deux hommes ont déployé en faisant un aveu public[10] alors qu’ils n’étaient menacés d’aucune répression ; et aussi la honte et le regret que tous les deux ont exprimés. Dans ce qui suit, je m’occuperai plus spécialement du cas de Frant Tandara, car j’ai l’intention de consacrer à Alexandru Paleologu une analyse à part.

Il est hors de doute que chacun d’entre nous peut faire, à un moment donné, quelque chose que plus tard il regrettera. Ils sont peu nombreux, les privilégiés qui jouissent de leurs actions avec le sentiment que, si l’occasion se présentait, ils reprendraient volontiers le même chemin. Ce n’est pas le cas de Frant Tandara, dont le repentir se manifeste dans le désespoir avec lequel il demande à être écouté. En 1993, il se rend à l’Association des anciens détenus politiques en disant : « J’ai demandé à être jugé, [madame,] je veux qu’on me juge, mais qui le fera, où faut-il aller ? Je me suis dit : eh bien, il faut aller chez ceux qui ont souffert, à eux de me juger. Ensuite, comme je ne recevais toujours pas de réponse, je me suis dit : que faire? Attendre la mort et peut-être le jugement de Dieu » (Jela 1999 : 37). Frant Tandara veut que l’on sache qui il est, ce qu’il a fait, parce que, dans un geste de réparation, il ressent le besoin d’être jugé : « Je veux être jugé. Je ne peux pas être mon propre juge. Je suis venu devant les responsables actuels de la justice, mais ils sont les mêmes qu’autrefois et ils ont cru que j’étais payé par le Parti Paysan. Mais personne ne m’a payé, personne ne m’a demandé de venir » (38). Tandara espère que sa punition ici-bas lui vaudra la pitié de Dieu et que son fils, atteint d’une maladie du foie juste à l’âge qu’il avait lui-même quand il a tué son père, guérira. Au-delà de son aveu personnel, il affirme vouloir faire aussi un peu de bien après avoir fait tant de mal, il voudrait dire ce que le communisme a vraiment été pour empêcher la reproduction de toutes les monstruosités qu’il a engendrées :

Je dois dire ce que c’est que le communisme, pour que les communistes ne soient plus élus. Je peux vous donner un exemple […] : le village près du mien était très anticommuniste en 1946, je le sais, moi, car je faisais le communisme à l’époque, et maintenant, ils sont tous très communistes là-bas. Après la révolution (1989), mon fils m’a demandé : Et toi, qu’est ce que tu as fait ? Quel rôle as-tu joué ? Tu n’as pas peur de te faire arrêter ? Non ; je n’ai pas peur ! Et si le système change ? J’ai déjà dit que je préférerais le tribunal, et si cela n’arrive pas, je veux au moins faire quelque chose de bon.

(42)

Personne ne veut écouter Frant Tandara quand il avoue ses crimes, parce que la reconnaissance de son passé suppose la reconnaissance de la participation de tous à la création de l’immense machine de répression communiste. Son identité, si monstrueuse soit-elle, n’est malheureusement pas une exception. Elle appartient à toute une famille d’identités semblables, mais qui n’ont pas, comme lui l’a eu, le courage de se reconnaître en tant que telles : « J’ai essayé, après la révolution, de persuader d’autres encore, mais ils m’ont dit : Tu es fou ! Si tu es fou et tu veux aller au malheur, vas-y tout seul. Moi, je veux mourir dans mon lit. C’est ce qu’ils m’ont dit… Alors je me suis dit : Bon, je vais être le seul fou » (42). L’inédit de la situation de cet homme, qui veut être puni pour ses actions et se heurte au système qui ne veut pas reconnaître les horreurs dont il est accusé, a une explication toute simple : la mémoire de Frant Tandara ne peut isoler sa seule identité d’un engrenage qui a fatalement impliqué d’autres individus qui n’ont, eux, pas la droiture d’assumer leurs rôles, tels qu’ils se présentent dans les souvenirs de Tandara.

On sait que le régime communiste a été soutenu par un parti de criminels, comme moi,[…] et de voleurs, de vauriens. Je les connais depuis que j’étais jeune. Je peux vous dire quand j’ai entendu parler pour la première fois de Ceausescu[11]. J’étais en taule, dans la même cellule qu’un certain Blagoie Ieftici, de Timisoara, un misérable Serbe, un pickpocket volant dans les trains, condamné pour vol de valises. Je l’ai entendu dire : Quand je sors de taule, je vais chez Ceausescu, j’ai entendu qu’il est général. Qu’est ce que ça veut dire ? Comment se fait-il qu’il était connu des voleurs? Et puis cette histoire de général ! Donc c’est alors que j’ai entendu parler de lui, dans les années 1950, en parlant avec Blagoie Ieftici. Tant que j’ai été libre je ne l’ai pas vu, malgré son appartenance à la UTC (Union de la Jeunesse Communiste), mais à Bucarest, j’ai connu un type de Moldavie qui l’a aidé dans son ascension politique… Mais, […] je vous assure que c’était un malfaiteur, tout comme Dej[12] d’ailleurs. Voici donc les hommes du parti. Je veux dire au début. Ils ont beaucoup compté sur les détenus, les délinquants, le milieu interlope. Ils s’en sont entourés. Et maintenant, vous avez vu l’entourage d’Iliescu ? Certains ont des dossiers de droit commun. Je veux dire qu’ils savaient mettre à profit l’intelligence du voleur, car le voleur a le naturel inventif.

(38-39)

Pourquoi quelqu’un comme Frant Tandara peut-il tenir à faire connaître son passé, bien que sa confession risque d’avoir des répercussions que, dans les conditions d’une hypothétique normalité, nous estimerions douloureuses ? Parce que c’est ainsi qu’il peut soulager sa « conscience chargée », parce que c’est ainsi qu’il peut récupérer l’unité de son identité. Il a commis des horreurs, mais il peut toujours faire la distinction entre le bien et le mal, quelque ambiguës que soient parfois les frontières entre ces deux notions. Frant Tandara a tué plusieurs fois, mais il est encore capable d’amour, et c’est par amour qu’il est capable « de tout faire pour son fils, pour que Dieu le lui laisse en vie ». C’est comme si plusieurs Frant avaient cohabité en lui, pour jouer tour à tour leur rôle : « J’étais intelligent, à l’école j’étais parmi les meilleurs élèves, on me donnait des prix, comme on fait maintenant. En deuxième, on m’avait confié la gestion du magasin du village, je vendais des cahiers, des crayons, des tableaux en ardoise » (43). Ce même personnage a imaginé plus tard des humiliations pour les détenus politiques travaillant au canal : après de longues heures de travail, il les faisait par exemple réciter et chanter les louanges du nouveau régime. Mais c’est toujours lui qui a amoureusement soigné sa tante : « Je me suis rendu chez elle et elle était encore vivante. J’étais très content de la voir. Tu veux une tisane, lui dis-je. Et je lui préparai une tisane et la fis boire à l’aide d’une petite cuiller, elle ne pouvait pas se relever » (58). Et c’est encore lui qui, des années plus tard, ayant été initié à la torture, a tué un homme (le premier peut-être d’une longue série) : « Le premier homme auquel j’ai fait subir cette expérience n’a pas survécu longtemps. Le matin il est entré dans le coma, il n’a plus parlé, ses testicules se sont noircis et enflés, terriblement enflés, vous ne pouvez imaginer… » (17). Enfant, il travaillait pour un patron : « J’étais sage, je n’ai pas volé, le patron m’aimait. Je m’occupais de la maison, il me récompensait. Jusqu’à l’arrivée des Russes… » (45). Adulte, il s’est fait remarquer par un véritable génie du mal :

En prison, je devais entre autres surveiller non seulement les détenus, mais aussi les gardiens. Il fallait dire ce que je remarquais, du point de vue politique, parce dans la prison les gardiens étaient les mêmes, ils n’avaient pas été remplacés. On m’avait dit qu’ils étaient des employés du régime passé et qu’il fallait surveiller leurs contacts, leurs relations. Pour ce faire, je formais moi-même mes propres mouchards parmi les détenus de droit commun. J’avais ainsi des informations sur chaque gardien, je savais ce qu’il faisait dans son secteur, quels étaient ses contacts avec les plantons.

(11)

Reconsidérant son passé, Frant Tandara ne parvient pas à comprendre comment il a pu faire tout ce qu’il a fait : « J’étais devenu un automate, un robot, sans cerveau, sans rien… Ou bien j’étais parano, ou schizophrène, je ne sais plus moi-même ce que j’étais…» (17).

C’est un peu comme si, pour expliquer nos actions irrationnelles, il fallait imaginer que nous ne sommes pas le résultat de l’évolution harmonieuse d’un seul homuncule, mais que nous sommes habités par plusieurs homuncules, chacun avec ses désirs et ses croyances et aspirant à devenir une personne à part entière (de Sousa 1976 : 221). Les conflits entre ces homuncules, qui, selon de Sousa, seraient doués nécessairement d’une structure rationnelle minimale, induisent la possibilité de la division d’une personne, une dysharmonie qui n’est jamais profitable pour l’individu (221). L’akrasia, c’est-à-dire la dysharmonie d’un individu (sans que cela entraîne la multiplicité de son identité), serait précisément le résultat de l’existence en lui de plusieurs homuncules.

Dans la personne de Tandara, l’homuncule criminel a été éveillé par les paroles du camarade Pavel Stefan. « Enfant de troupe dès l’âge de douze ans […], après la guerre […] je n’avais plus aucune attache, plus de maison, je dormais dans les gares […]. C’est alors que je me suis passionné pour le communisme » (Jela 1999 : 17). Et aussi : « Le parti avait remplacé mes parents. Le parti était tout pour moi, le parti m’élevait, le parti faisait mon éducation, me préparait un avenir, on me disait que j’étais une victime de la bourgeoisie, une victime du passé » (8). En 1947, son père lui demande de venir à la maison pour garder les brebis. Lui, il continue de fréquenter les hommes du parti, parmi lesquels Pavel Stefan, « ancien membre du comité central », qui lui dit : « Ton père t’a gâché l’avenir une fois quand il t’a rejeté, mais nous t’avons accueilli pour te former, et puis il t’a détruit une seconde fois. Si c’était mon père, je lui aurais cassé la tête. Un père comme ça ne sait pas ce qu’il veut, il ne pense pas à l’avenir de ses enfants, il n’a rien dans la tête, il t’a gâché l’avenir » (9). Peu de temps après cela, le 7 décembre 1948, Frant Tandara se dispute avec son père et se dit, avec les mots du camarade Stefan : « Ce père m’a rendu malheureux, le camarade Pavel Stefan a raison, mieux vaut lui casser la tête, ensuite on verra, mais au moins en finir avec lui. Alors il prend une hache et, profitant de l’obscurité de la nuit, lui donne deux coups mortels » (10).

Bien que très tardivement, Tandara veut récupérer son intégralité parce que déjà, à plusieurs reprises, il a eu l’intuition qu’il y avait quelque chose de contradictoire dans sa vie, un mal provocateur dans sa personnalité. Sa capacité de se dédoubler lui a valu l’avantage d’être utile aux dirigeants du jour : pour espionner sans que personne ne le suspectât, ils lui demandaient de jouer le rôle du fou, « de jouer la comédie ». C’est ainsi qu’il a pu se faire interner à l’hôpital neuropsychiatrique (14). Mais cette inconsistance par rapport à soi a eu quand même un effet positif pour sa conscience : il raconte que, dans le camp de travaux forcés (le Canal), il s’est lié d’amitié avec un ancien communiste, « un ancien officier, comme moi », qui lui a un jour confié que c’étaient les communistes qui l’avaient mis en prison. Alors Tandara, malgré l’amitié, lui a mis les menottes et, comme son « ami » lui chantait la chanson révolutionnaire Nous laissons derrière nous les menottes brisées, il l’a dénoncé au commandant Iosipescu qui l’a enfermé dans une cellule avec des gitans. « Là, il n’a plus résisté, le pauvre capitaine ; le lendemain il est allé dans les barbelés et s’est tué ». La conscience de Tandara en est émue, il se souvient que le capitaine lui avait crié toute la nuit : « Tu disais ne pas aimer le communisme, tu es un lâche, tu ne sais pas ce que tu veux » (18). Cette fois, le double jeu qu’il mène pèse sur sa conscience plus que la mort de son père : « Vous savez ce que je lui avais fait, j’avais dit une chose et j’avais fait le contraire » (18). Tout à coup, l’incohérence de son identité le dégoûte et, comme dans un geste de récupération d’une constance perdue, Frant Tandara ne veut plus « faire le fou ». D’autant plus qu’après une discussion avec le dirigeant Draghici[13], il comprend qu’une étiquette finit par être prise pour la réalité, qu’on le veuille ou non. Draghici lui avait dit : « Tu prétends être fou, mais tu es fou, n’est-ce pas ? Si on prétend que quelqu’un est baptiste, doit-il s’en offenser du moment qu’il l’est vraiment ? Si on prétend que quelqu’un est bolchevique, eh bien, il est bolchevique. Si on prétend que quelqu’un est communiste, alors il est communiste… » (20).

Frappé de constater qu’une identité empruntée comme simple moyen de travail peut devenir une identité propre, que le rôle qu’il a accepté d’endosser pour rendre service aux dirigeants est pris pour sa propre personnalité, que le masque peut devenir visage, Frant Tandara décide de changer de méthode : « Je ne travaille plus ». De fait, il décide de ne plus travailler pour eux, mais pour lui-même. Il fait de son image de fou sa propre stratégie : « J’ai joué mon propre jeu. Je faisais le fou devant tout le monde. Je ne pouvais plus supporter les gardiens, je refusais de parler aux enquêteurs et j’ai continué comme ça jusqu’à ce qu’ils renoncent à mes services… » (20).

C’est ainsi que Tandara parvient à quitter « cette vie agitée » (24) qu’il a menée, c’est ainsi que, par le jeu double que les autres lui ont demandé de jouer, il redevient lui-même.

En se confessant, Tandara veut dire qui il a été vraiment. Il veut que le monde sache ce que lui-même sait de lui, comme une tentative de faire de sa propre vérité une vérité publique. Son geste est celui de témoigner d’un Frant Tandara qu’il n’approuve plus, qu’il condamne à présent, mais qui, malheureusement, fait partie de lui-même. Bien qu’il condamne ce qu’il a fait autrefois, bien qu’à présent il voie ces épisodes comme une sorte d’anéantissement, il ne veut pas les ensevelir, parce que le Frant Tandara d’aujourd’hui représente la continuation du Frant Tandara d’autrefois. Son cas donne raison à Locke, parce que la mémoire seule est responsable du fait que le Frant Tandara d’aujourd’hui ne peut pas vivre sans le souvenir du Frant Tandara d’autrefois. La mémoire est la condition de sa conscience coupable, qui a besoin d’un jugement sévère pour se réconcilier tant bien que mal avec lui-même. Le pardon ne lui suffit pas.

La cohérence de l’identité

La situation de tous ceux qui ont avoué leur collaboration avec la Securitate ou de ceux et celles qui ont assumé cet épisode de leur vie prouve que, explicitement ou implicitement, ces personnes ont conscience de l’unité de leur identité personnelle (Reid 1975 : 109). Le concept d’unité peut être mis à l’épreuve par la possibilité que certains aspects de la personnalité de quelqu’un changent sans pour autant annuler l’identité personnelle. Ces « changements » sont illustrés par les expériences théoriques que certains philosophes ont imaginées pour montrer jusqu’où l’on peut accepter (théoriquement) la transgression de la frontière de l’identité personnelle. Les cas imaginés par Nozick dans ses Philosophical Explanations sont très suggestifs : ils nous font voir quelles seraient les situations limites où l’on pourrait accepter, malgré les changements, qu’il s’agit de la même personne. À partir des combinaisons que Nozick suggère (greffe du cerveau, de la moitié du cerveau, clonage ou réassemblage de certaines parties du corps ou du cerveau), on déduit que, tant que la continuité psychologique est assurée, nous avons affaire à la même personne, qu’il s’agisse d’une greffe du cerveau (Nozick 1981 : 38) ou d’une partie de celui-ci (40), ou encore d’un transfert de schémas cérébraux (39)… Bien que Nozick insiste surtout sur le concept d’identité comme intimité avec le sujet précédent (40), il me semble évident qu’une hypothétique nouvelle personne ne saurait être identique à la personne antérieure, non plus qu’il puisse exister, de manière aussi hypothétique, une seconde personne avec la même identité[14]. Si, dans l’univers des choses, il peut y avoir égalité de deux identités, ce qui rend possible la transitivité, dans l’univers des identités personnelles, l’unicité[15] est une condition plus forte que la continuité pour l’affirmation de l’identité. En ce qui nous concerne, l’impossibilité de duplication en variantes plus ou moins semblables met en évidence notre impossibilité d’être quelqu’un d’autre, quelqu’un avec un autre passé et un autre présent (sûrement plus agréables).

Pour preuve de la cohérence entre les composantes d’une personnalité, on constatera, chez les gens de caractère, j’en suis persuadée, un grand degré de cohésion entre leurs pensées, leurs actes et leurs paroles, entre leurs segments de vie en général. De telles personnes refusent de fausser leur identité, ont le courage de refuser les tentations de « l’autocontradiction ». Les exemples en ce sens ne manquent certainement pas. Pour la Roumanie, un cas célèbre est celui de l’ingénieur Gheorghe Ursu (Babu pour ses amis). En 1985, pour avoir tenu un journal et surtout pour avoir refusé de moucharder ses amis écrivains[16], il est « liquidé ».

Après la guerre, Gheorghe Ursu était étudiant à l’École Polytechnique et avait adhéré au mouvement de la Jeunesse Progressiste (affilié au parti communiste), dont il est bientôt devenu le secrétaire. Comme son père, médecin à Galati, Babu imaginait le communisme comme une sorte d’utopie française des années 1940 ou bien du XIXe siècle. Il croyait, comme son ami Camil Baciu, « que les choses seront telles qu’elles sont décrites dans les livres. Mais dès que nous nous sommes aperçus que ce n’était pas du tout comme dans les livres, dès que nous nous sommes posé des questions à haute voix, ils ont commencé à nous calmer, à nous appliquer des sanctions. Babu était constamment sanctionné par le parti. Et moi aussi… Babu, lui, parce qu’il disait tout ce qui lui passait par la tête » (Bârsan 1998 : 27). Plus tard, refusant de s’enrégimenter aux côtés des identités amorphes multipliées indéfiniment par le régime communiste dans son effort de survivre à sa fausseté, Babu a eu le courage d’exprimer son identité soit dans son journal, soit dans les lettres qu’il écrivait à sa fille Olga, émigrée aux États-Unis, soit encore par des gestes publics. Gheorghe Ursu notait dans son journal tout ce qui l’intéressait d’une manière ou d’une autre, tout ce qui était de nature à l’émouvoir (par exemple les concerts de Mozart), tout ce qui l’enthousiasmait (les performances sportives), tout ce qui le dégoûtait, l’attristait ou lui faisait peur. Il devenait ainsi le témoin de son temps, un témoin incommode à cause des dix-huit cahiers d’écolier contenant son journal de 1948-1957, de ses douze cahiers d’écolier contenant son journal des années 1958-1967, de ses huit cahiers de correspondance, agendas et répertoires et de son journal de 1977-1983 (139).

Dans son ouvrage célèbre et controversé qui traite de l’identité personnelle, Derek Parfit estime que le but suprême de tout individu est d’arranger sa vie le mieux possible, théorie qu’il appelle la « théorie de l’intérêt propre » (1984 : 7). Selon lui, il y aurait trois théories envisageables pour arriver à ce qui est « le mieux possible pour soi » : en termes de bonheur, de désirs accomplis, de possibilité d’éviter les mauvaises choses et de respecter les bonnes choses (4).

On peut formuler de manière différente le contenu de la théorie, en fonction des critères auxquels elle s’applique. Si, par exemple, la théorie vise les actions, alors elle prétend, dans la variante positive, que « chacun a raison de faire tout ce qui est le mieux pour lui » et, dans la variante négative, qu’il « serait irrationnel que quelqu’un fasse ce qu’il estime être le pire pour lui » (8). Dans les situations incertaines, quand les conséquences des actes ne peuvent pas être prévues, « il serait raisonnable que chacun fasse ce qui lui apporterait le plus grand bénéfice souhaité » (8).

Au premier abord, cette théorie entre en contradiction avec toute manifestation contestataire dans un régime totalitaire, manifestation qui entraîne sans aucun doute les répressions les plus pénibles (allant jusqu’à la mort), inévitables pour celui qui aurait le courage d’affronter un système beaucoup plus puissant que le seul individu. Il s’ensuivrait que les sages seraient ceux qui, évitant les situations dangereuses pour leur vie, obéissent aux règles officielles sans y adhérer nécessairement, car, n’est-ce pas, qu’est-ce qui peut être « le mieux », sinon la vie même ? Ce que Derek Parfit appelle « la disposition raisonnable primordiale », c’est-à-dire la tendance à ne pas se renier soi-même, signifie-t-il que la sauvegarde de la vie d’un sujet soit une condition essentielle à la préservation de son identité ? Dans l’affirmative, en effet, les héros, ceux qui, de façon systématique, mettent leur vie en danger, sont déraisonnables. Néanmoins, si la théorie de Parfit ne postule que la nécessité de ne pas contredire l’identité du point de vue de ses propres valeurs, alors, elle a, je crois, une meilleure chance de validité, bien qu’elle ait des limites. Dans la logique de la première variante, le courage qu’a dû déployer Gheorghe Ursu pour s’adresser au ministère de l’Intérieur afin de protester, par exemple, contre l’obligation d’être habillé en costume et cravate pour la photographie de la carte d’identité — « personne au monde, dit-il, ne peut m’obliger à m’habiller d’une façon ou d’une autre » (73) — apparaît comme un geste irrationnel, avec des conséquences très graves pour l’identité de son initiateur, allant jusqu’à mettre la vie de celui-ci en danger, car, en Roumanie au temps du communisme, contester une disposition officielle était quelque chose de très difficilement acceptable. Dans la logique de la seconde variante, Gheorghe Ursu devient un cas exemplaire de préservation de l’identité (du point de vue de la valeur !), car quelqu’un qui a adressé des lettres de protestation aux journaux du parti (au quotidien Scînteia et à l’hebdomadaire Saptamîna culturala) pour critiquer la filouterie, l’opportunisme, l’antisémitisme, la démagogie (302), ne peut devenir lui-même un gredin comme ceux qu’il accuse.

Préserver son identité physique représente, bien sûr, la condition élémentaire pour une vie meilleure, mais n’implique pas nécessairement la condition d’être quelqu’un de meilleur, condition pour laquelle, en revanche, la préservation de l’identité morale devient absolument nécessaire. Ainsi apparaissent dans la vie des individus deux buts légitimes, qui devraient se soutenir réciproquement (Nozick 1981 : 412) : avoir la meilleure vie possible, et être la meilleure personne possible. Malheureusement, ces deux buts, surtout sous le communisme, se trouvent dans une relation conflictuelle. Quand on mène une vie dominée par les privations, obtenir un avantage pour améliorer cette vie suppose, le plus souvent, une concession faite au niveau des valeurs, un compromis à l’égard des standards moraux ; réciproquement, préserver sa cohérence morale, c’est-à-dire ses propres standards, comme une garantie de la cohésion de tout son système personnel de valeurs, suppose souvent que l’on renonce à une vie meilleure matériellement. Du point de vue théorique, cette relation entre l’identité morale et le respect sans faille de tout le système de valeurs semble banale et évidente.

En réalité, le communisme a créé l’illusion que l’ensemble des valeurs n’est pas affecté par une concession, que l’on peut demeurer bon tout en faisant de temps en temps quelque chose de répréhensible pourvu que ce quelque chose passe inaperçu. Une formule très souvent répétée sous le communisme illustre bien le danger qu’il y a à vouloir détruire tout le système de valeurs d’un individu : « J’ai fait ça en sachant que moi, je ferais sûrement moins de mal que d’autres ne pourraient en faire dans la même situation ». Cette formule assume de manière très explicite l’existence du mal, « bien que petit », c’est-à-dire la négation d’une valeur, ce qui suppose automatiquement l’altération du système de valeurs dans son ensemble et, par là, de l’identité morale. On ne saurait donc renoncer à une valeur sans que tout le système en souffre. Chaque valeur représente une unité organique, ce qui fait que quelque chose a une valeur en elle-même, en conformité avec son degré d’unité organique (446). La relation étroite et indispensable entre les valeurs rend compte de l’unité de l’identité morale, une unité qui se manifeste à l’échelle du système de valeurs, mais que l’on ne saurait retrouver dans la même relation d’unité absolue à l’échelle des faits, ceux-ci « n’étant pas assez liés organiquement pour être identiques aux valeurs » (568). La différence entre les valeurs et les faits qu’elles pourraient illustrer est, selon certaines limites, naturellement acceptable. Lorsque les faits n’illustrent plus les valeurs morales et, de surcroît, sont en contradiction flagrante avec elles, l’unité de l’identité morale est mise en question.

L’effort que chacun fait pour qu’il n’y ait pas un trop grand désaccord entre les valeurs auxquelles il croit et les actions qu’il pose définit en fin de compte la qualité de son caractère. Gheorghe Ursu, tel que lui-même se présente dans ses notes, tel que ses amis et ses proches le présentent, était un homme de caractère. Il y a probablement eu beaucoup d’autres héros du temps du communisme qui, pour sauvegarder leur propre système de valeurs, ont subi la torture ou les pires humiliations. Gheorghe Ursu compte parmi les « martyrs » qui font triompher les valeurs morales. La vie de tous ces gens forme un pont soutenant les valeurs morales menacées d’être englouties par les eaux troubles d’un régime politique aberrant tel que le communisme roumain l’a été durant toute son histoire.