Éthique en éducation et en formation
Les Dossiers du GREE
Numéro 14, été 2023 L’éthique de l’élève : approche épistémologique, empirique et méthodologique Sous la direction de André Pachod et Jean-Luc Denny
Sommaire (7 articles)
Présentation
Articles
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Éduquer l’élève à une éthique de l’altérité
Frédérique Marie Prot
p. 10–25
RésuméFR :
Cet article propose une réflexion sur une possible éducation à l’altérité de l’élève dans le cadre scolaire. S’il appartient à l’école de transmettre des savoirs, il lui appartient également de transmettre des valeurs. Ainsi, cet enseignement relève de la morale en tant que formation de dispositions relationnelles chez l’élève. C’est ce que nous tenterons de faire valoir lors des trois moments qui composent cet écrit. Un premier temps propose de revenir sur l’importance d’une éducation humaniste à l’école et de ce que l’on pourrait entendre par éducation à l’altérité. Le deuxième temps se place dans une perspective didactique et présente, dans sa forme générique, la réunion de coopérative en tant qu’institution didactique à l’École Freinet (à Vence, département des Alpes-Maritimes). Enfin, un dernier moment analyse un épisode particulier d’une réunion de coopérative pour tenter de montrer en quoi ce dispositif s’apparente à ce que Freinet appelait une « cure morale », soit le fait de prendre-soin de la question morale fondamentale des conditions de la rencontre entre des sujets.
EN :
This article explores the possibility of educating to student’s otherness in the school setting. While schools are responsible for passing on knowledge, they are also responsible for passing on values. In this respect, teaching is a matter of morality, as a means of shaping the pupil's relational dispositions. This is what we intend to emphasize in the three parts of this paper. The first section looks at the importance of humanistic education in schools, and what we mean by education to otherness. The second part takes a didactic perspective and presents, in its generic form, the cooperative meeting as a didactic institution at the Freinet School (in Vence, Alpes-Maritimes department). The final section analyzes a specific episode of a cooperative meeting, in an attempt to show how this device is similar to what Freinet called a "moral cure", that is, taking care of the fundamental moral question of the conditions of encounter between subjects.
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Le concept d’élève peut-il échapper au maximalisme moral ?
Camille Roelens
p. 26–45
RésuméFR :
Cet article procède de la philosophie politique et de l’éthique interdisciplinaire de l’éducation et de la formation. Il questionne ce qu’il peut s’agir au juste d’« élever » chez l’enfant quand on le qualifie, dans sa scolarisation, d’élève, et la part qu’y tient l’idée de perfectionnement moral. Nous montrons d’abord que l’oeuvre durkheimienne renferme des ressorts compréhensifs précieux pour comprendre une conception maximaliste de l’éthique de l’élève - elle-même inscrite dans une perspective perfectionniste – aux sources de l’école républicaine en France, et qui conserve une influence aussi durable que désormais problématique (1). Nous dégageons ensuite les linéaments d’une éthique minimaliste de l’élève à même d’en prendre le contrepoint, et tâchons de montrer qu’elle est plutôt en congruence avec le cadre axiologique des démocraties libérales avancées (2). Une ouverture conclusive nous permet enfin d’esquisser quatre sauf-conduits possibles pour nous aider à échapper, sur ces bases, à l’héritage paternaliste du concept d’élève.
EN :
This article stems from political philosophy and the interdisciplinary ethics of education and training. It examines what exactly it is to "elevate" a child when he or she is referred to as a pupil, and what part is played by the idea of moral perfection. First, we demonstrate that Durkheim's work contains valuable insights for understanding a maximalist conception of pupil ethic - which itself is embedded in a perfectionist perspective - at the root of republican schooling in France, and which remains as influential as it is problematic today (1). We then outline a minimalist pupil ethic capable of acting as a counterpoint, and suggest that it is congruent with the axiological framework of advanced liberal democracies (2). Finally, we outline four possible safe-conducts to help us escape the paternalistic legacy of the concept of the pupil.
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L’éthique de l’élève se construit au quotidien
André Pachod
p. 46–62
RésuméFR :
Si la recherche documentaire confirme largement l’éthique de l’enseignant, elle ne mentionne pas de titres, ni d’ouvrages, ni d’articles spécifiques sur l’éthique de l’élève. Celle-ci serait-elle absente des préoccupations des sciences de l’éducation, de la formation initiale et continue des enseignants, de l’exercice quotidien en classe et à l’école? Supposée, elle demande à être explicitée, en contraste avec deux termes voisins de sens et souvent confondus : la morale et la déontologie. En référence à Paul Ricoeur, l’éthique sera approchée comme la visée de la vie bonne de l’élève, dans la classe et à l’école. Pour que l’éthique de l’élève puisse se construire au quotidien, diverses conditions et postures sont à activer par l’enseignant pédagogue et éducateur et par l’élève sujet et acteur.
EN :
If teacher ethics is definitely an important area of research, student ethics remains largely unexplored. It seems absent from the concerns of educational researchers, of teacher training, and of the daily exercise of teaching in the classroom and at school. This notion needs to be clarified, in contrast with two closely related and often mixed-up terms: morality and ethics. In reference to Paul Ricoeur, ethics will be approached as the aim of the good life of the student in the classroom and in the school. For the student's ethics to be built daily, various conditions and postures must be activated by the teacher-pedagogue and educator, and by the student as a subject and actor.
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Au risque des valeurs : accompagner le devenir du sujet éthique en classe
Barthélemy Durrive
p. 63–76
RésuméFR :
Que change concrètement, dans la manière de mener le cours de philosophie sur l’éthique, la volonté de traiter les élèves comme des sujets éthiques en devenir? Si l’on assume la dimension éducative d’un tel cours, c’est-à-dire si l’on s’y donne comme objectif pédagogique de transmettre des valeurs (et non pas seulement de les exposer), quelle place y faire à l’éthique des élèves, c’est-à-dire aux jugements de valeurs qui les traversent individuellement et qu’ils ou elles expriment? Pour travailler cette double question, le présent article propose de partir d’une modélisation de l’activité des élèves empruntée à l’univers de l’analyse des pratiques et, plus précisément, à la démarche ergologique (Schwartz, 2000). Ainsi modélisée comme débat de normes, l’activité des élèves se révèle comme traversée de jugements de valeurs qui ont vocation à prendre une portée éthicopolitique et qui font déjà débat, bien qu’implicitement, dans la pratique de chacune d’elles et de chacun d’eux. L’article cherche à montrer l’intérêt qu’il y a, dans le cadre et dans la visée du cours, à conscientiser les élèves à l’existence et aux implications de ces débats.
EN :
Would philosophy teachers teach any differently, during a lecture on ethics, if they tried to consider students as ethical subjects in the making? Should these students’ ethical beliefs, that is, their individual statements of value, come into account when the lecture is aiming not only to describe ethical values but also to raise awareness and make people mindful? In this paper, students’ activity is considered through an ergonomics and human factors model called the ergological approach (Schwartz, 2000). Considering students’ activity as a continuing norms debate, the model describes how ethical and political statements of value play a decisive role in their learning and social practices. Thus, this paper argues that a philosophy lecture on ethics should definitely address these statements of values in order to discuss them in class as genuine teaching material.
Varia
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Les dimensions philosophiques et politiques de la laïcité : une mise en perspective France-Belgique
Clémentine Vivarelli et José-Luis Wolfs
p. 78–95
RésuméFR :
La notion de laïcité comporte deux dimensions : politique et philosophique-éthique. Classiquement, la conception française renvoie principalement à la première et la conception belge à la seconde. Or, les évolutions récentes montrent des débats vifs en France – sur le plan philosophique et éthique – entre laïcité « républicaine » et laïcité « libérale » et, en Belgique, des initiatives du monde laïque sur le plan politique : souhait de création d’un cours de philosophie et citoyenneté commun à tous, débats autour de l’inscription possible du principe de laïcité dans la Constitution. L’article met en perspective les évolutions récentes de la laïcité dans les deux pays.
EN :
The notion of secularism has two dimensions: political and philosophical-ethical. Classically, the French conception refers mainly to the first (separation of church and state) and the Belgian conception to the second. However, recent developments show heated debates in France - on the philosophical and ethical levels - between "republican" and "liberal" secularism and, in Belgium, initiatives from the secular world at the political level: the wish to create a philosophy and citizenship course common to all, debates around the possible inclusion of the principle of secularism in the Constitution. The article puts into perspective the recent evolutions of secularism in the two countries.
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Remettre « l’école » au coeur de nos établissements d’enseignement. Se réapproprier l’école comme forme pédagogique
Jan Masschelein et Maarten Simons
p. 96–112
RésuméFR :
Aujourd’hui, la question du « changement éducatif » est largement débattue. Un tel changement, comme nous pouvons l’entendre, est nécessaire pour plusieurs raisons : l’hétérogénéité linguistique croissante, la diversité culturelle, les avancées technologiques, et la corrélation persistante entre le milieu social et la réussite scolaire. Dans ce contexte, le terme « éducatif » semble faire référence à la pratique institutionnelle de l’école. Mais qu’entend-on par école? Dans notre contribution, nous proposons quelques éléments de ce que nous appelons une perspective pédagogique interne sur l’école et sur l’apprentissage scolaire laquelle clarifie son potentiel émancipateur en tant que forme pédagogique. Ceci nous permettra ainsi d’aborder la question du changement éducatif d’un angle différent et d’étayer un plaidoyer visant à rescolariser l’école. Nous (1) faisons d’abord la distinction entre une perspective interne et les diverses perspectives externes relatives à l’école. Nous (2) détaillons ensuite les hypothèses de base, les opérations et les expériences de l’école comme forme pédagogique en soulignant (3) que l’école est techniquement, pédagogiquement et pratiquement composée, et en (4) révélant très brièvement la façon dont l’école a été domestiquée et l’est encore aujourd’hui. Enfin, (5) nous suggérons quelques enjeux à relever afin de créer ou de réinventer l’école d’aujourd’hui, en faisant sommairement le lien avec la formation des enseignants.
EN :
Today the issue of ‘educational change’ is widely discussed. Such change, so we can hear, is needed because of increasing linguistic heterogeneity and cultural diversity, because of technological developments and because of the persisting correlation between social background and educational success. In this context ‘educational’ seems to refer to the institutional practice of the school. But what do we mean by school? In our contribution, we offer some elements of what we call an internal pedagogical perspective on school and on scholastic learning which clarifies its emancipatory potential as pedagogic form. This will allow us to address the issue of educational change differently and to substantiate a plea for bringing more ‘school’ into our educational institutions. We (1) distinguish between an internal perspective and various external perspectives on the school. We, than, (2) sketch the basic assumptions, operations and experiences of the school as pedagogic form emphasizing (3) that school is technically, pedagogically and practically composed and (4) indicating very briefly how school has and is been tamed. Finally (5) we suggest some challenges for making or reinventing school today, relating it briefly to the issue of teacher education.