Résumés
Résumé
Cet article propose un inventaire des usages de l’expression « vivre(-)ensemble » et de son correspondant allemand Zusammenleben à partir des versions modèles des deux principaux plans d’études en Suisse. Il dresse une cartographie du vivre ensemble en identifiant les parties des plans d’études dans lesquelles cette notion est mobilisée et les disciplines, objectifs et contenus auxquels elle est associée. Il propose en outre une analyse des enjeux et projets liés au vivre-ensemble d’une part pour en dégager les lignes principales et d’autre part pour en saisir des traductions locales. Enfin, l’article propose, à partir des résultats de notre recherche, une analyse de trois défis liés à l’éducation au vivre ensemble en contexte scolaire et de formation des enseignants.
Mots-clés :
- vivre-ensemble,
- Zusammenleben,
- plans d’études,
- formation,
- éthique et cultures religieuses
Abstract
This article first presents an overview of the uses of the French phrase vivre(-)ensemble (“living together”) and its German equivalent Zusammenleben in the template versions of the two main Swiss curricula. The article maps the concept of “living together” by identifying the parts of the curricula in which the concept is brought into play, and the disciplines, objectives and content with which it is associated. It also analyzes issues and projects related to “living together”, on one hand in order to identify their main features, and on the other, to elicit their local translations. Finally, based on the research findings, the article analyzes three issues relating to education in “living together” in the context of schools and teacher training.
Keywords:
- living together,
- Zusammenleben,
- curricula,
- education,
- ethics & religious cultures
Corps de l’article
Introduction
La notion composite du vivre(-)ensemble apparaît dans différents domaines, en particulier dans l’éducation (Duhamel, 2010; Duhamel et Estivalèzes, 2013; Fall, 2015; Bouchard, 2019). Utilisée comme un verbe ou sous une forme substantivée (avec ou sans trait d’union), elle n’y est presque jamais définie comme si sa signification allait de soi. Si l’on consulte les dictionnaires, on apprend d’une part que le substantif vivre-ensemble désigne le « fait de vivre harmonieusement entre concitoyens, dans l’égalité, le respect et la solidarité » et d’autre part que la forme vivre ensemble (verbe et adverbe) y est répertoriée au sens de « cohabiter » (Rey-Debove et Rey, 2013). Dans le plan d’études de la Suisse francophone, le terme y apparaît le plus souvent sans trait d’union et sans déterminant, ce qui laisse planer un doute sur sa classe grammaticale (verbe ou substantif). En allemand, dans la langue majoritaire de la Suisse, z/Zusammenleben est attesté aussi bien comme verbe que comme substantif, au sens de « cohabiter/cohabitation, vivre ensemble/vie commune » (Gottschalk et Bentot, 1979, p. 985). Dans le plan d’études de Suisse alémanique, seul le substantif est utilisé.
Si les notions de vivre(-)ensemble et de Zusammenleben peuvent effectivement désigner la cohabitation dans les plans d’études, elles ne sont pas que des catégories descriptives : elles renvoient à un projet de société qui s’exprime notamment à travers des préfixes et des compléments (par exemple « un vivre-ensemble respectueux » – ein respektvolles Zusammenleben – ou « apprendre à vivre ensemble ») qui en indiquent la portée normative et politique (Duhamel, 2010, p. 113, 114). C’est également en tant qu’enjeu et projet politique que la notion est mobilisée en Suisse en dehors du domaine de l’éducation. Ainsi, l’Office fédéral de la statistique organise annuellement une enquête nationale sur « le vivre ensemble en Suisse » dont l’objectif est de suivre les évolutions de la société dans plusieurs domaines comme le racisme, la xénophobie ou la discrimination et « de mieux orienter les politiques en matière d’intégration et de lutte contre le racisme » (Aeberli, 2019, p. 1).
Comme dans les autres pays francophones, la notion de vivre(-)ensemble est mobilisée en Suisse à la fois dans les plans d’études et dans les discours politiques sur l’école. Objet d’un colloque organisé à l’Université de Genève en 2002 (Audigier et Bottani), le vivre-ensemble y était analysé en grande partie dans une perspective internationale. Le présent article porte plus spécifiquement sur la Suisse et sur les nouveaux plans d’études harmonisés introduits depuis les années 2010.
Il examinera en particulier les questions suivantes : (1) En relation avec quels contenus et quelles disciplines le vivre-ensemble est-il mentionné dans les plans d’études des deux principales régions linguistiques du pays? (2) Comment le vivre-ensemble est-il décrit et à quels enjeux et défis répond-il à l’école et dans la société? (3) Existe-t-il des convergences entre les plans d’études étudiés? Des divergences? Est-il possible de repérer des traductions locales de cette notion? (4) À quels défis l’éducation au vivre-ensemble nous renvoie-t-elle sur les plans scolaires et en contexte de formation des enseignants?
1. Le corpus
La Suisse est un pays de petite taille qui se caractérise par une forte diversité sur les plans politique (pouvoir réparti entre la Confédération, les 26 cantons et plus de 2250 communes), linguistique (quatre langues officielles dont l’allemand et le français, parlés respectivement par 66 % et 23 % des résidents), confessionnel (cantons avec de forts héritages catholiques ou protestants) et juridique (cantons laïques et cantons régis par le principe de la neutralité religieuse). Alors que, jusqu’au début des années 2010, chaque canton développait ses propres plans d’études, l’histoire scolaire suisse a été marquée récemment par un processus d’harmonisation au sein des trois principales régions linguistiques du pays avec l’introduction du Plan d’études romand (PER) entre 2011 et 2014, l’adoption du Lehrplan 21 (LP 21) en 2014 et la mise à disposition du Piano di studio en 2015 (D-EDK, n. d.)[1].
Toutefois, malgré cet élan vers une harmonisation des programmes de la scolarité obligatoire, les logiques cantonales continuent à exercer une forte influence en Suisse. Le PER présente par exemple des ajouts cantonaux ainsi que des disciplines dont la mise en oeuvre est laissée à l’appréciation des cantons (l’éthique et cultures religieuses, le latin et l’économie familiale). Quant au LP 21, chaque canton décide s’il l’applique et comment il l’applique (D-EDK, s. d.).
Au vu de la difficulté de tenir compte de l’ensemble des déclinaisons cantonales, nous baserons notre analyse sur les plans d’études modèles produits dans les deux principales régions linguistiques de Suisse. Pour compléter cette analyse, nous examinerons également le très récent plan d’études dédié à la discipline éthique et cultures religieuses dans le canton de Vaud, qui est une adaptation cantonale du PER (CIIP/DFJC VD, 2019)[2]. À travers cette étude de cas, nous souhaitons mettre en évidence l’influence des contextes politiques et sociaux sur le processus d’élaboration des plans d’études (Crahay, Audigier et Dolz, 2008, p. 14) et souligner ainsi la dimension sociopolitique de ces derniers (Zinguinian, 2013).
2. Méthodologie et étapes de la recherche
Pour conduire notre recherche, qui repose sur une analyse de contenus (Gauthier et Bourgeois, 2016, chap. XVI), nous avons dans un premier temps relevé l’ensemble des occurrences de « vivre(-)ensemble » et de « Zusammenleben » dans les deux plans d’études modèles, en prêtant une attention particulière aux points suivants : les parties du plan d’études dans lesquelles le vivre-ensemble est mobilisé, les disciplines scolaires et les types d’apports éducatifs auxquels il est associé, ainsi que les contenus et les objectifs auxquels il est lié. À travers cet inventaire, il s’agissait dans un premier temps d’établir une cartographie du vivre-ensemble (c’est-à-dire : où le vivre-ensemble se rencontre-t-il, et en association avec quoi?).
La méthodologie utilisée est compréhensive et interprétative (Karsenti et Savoie-Zjak, 2011). Il ne s’agit pas de considérer la fréquence statistique des occurrences (Pires, 1997, p. 64), mais d’offrir un panorama des occurrences du vivre-ensemble et, selon une approche inspirée de l’analyse inductive, de leur donner du sens au sein des contextes dans lesquels ils sont mobilisés (Blais et Martineau, 2006). N’ont pas été considérés dans cette recherche les mots qui pouvaient avoir un sens voisin, ni les parties des plans d’études qui ne mentionnent pas le vivre-ensemble, mais qui pourraient entrer en résonance avec les thématiques traitées. N’ont pas non plus été considérés d’autres prescrits faisant partie des curricula, tels les moyens d’enseignement. En revanche, la recherche a été exhaustive et systématique.
Nous avons ensuite cherché à déterminer à quels enjeux et projets ces différentes occurrences du vivre(-)ensemble étaient associées. Nous avons fondé nos analyses sur la définition du vivre-ensemble, telle qu’établie par Nancy Bouchard à partir d’un large corpus textuel étudié en collaboration avec son équipe. Selon cette définition, « [l]e vivre ensemble est :
Bouchard, 2019, p. 12
une donnée naturelle
nous vivons ensemble
nous partageons le même monde, vivons dans un monde commun (État-nation, communauté politique, humanité)
nous sommes différents
différences individuelles, linguistiques, sociales, culturelles, sexuelles, religieuses, politiques
problématique
nous observons une tension entre le monde commun et ce qui nous sépare
qui nécessite de penser le lien social
de penser les conditions de coexistence, penser l’en-commun
car il s’agit d’un enjeu et d’un projet de société
d’un idéal commun à poursuivre, notamment par l’éducation. »
Les occurrences de l’expression « vivre(-)ensemble » dans les plans d’études étant souvent très succinctes, et dans le PER principalement limitées au titre de la thématique « vivre ensemble et exercice de la démocratie », il n’a pas été possible d’établir de correspondances point par point entre ces occurrences et les cinq parties de la définition mises en évidence ici. Nous nous sommes cependant appuyée sur cette définition pour décrire, à partir des contenus mis en lien avec le vivre-ensemble et donc à partir de leurs contextes d’occurrence (Duhamel, 2010, p. 117), d’une part, ce qui relève de la description d’une donnée naturelle (que nous exprimerons dans nos tableaux par une forme verbale, par exemple « nous vivons ensemble dans une école et une société où il existe des religions et des croyances différentes ») et, d’autre part, l’idéal ou l’enjeu auquel le travail sur le vivre-ensemble est supposé répondre (que nous exprimerons dans nos tableaux par un substantif, par exemple « tolérance et ouverture à l’altérité par le biais de la connaissance »). Dans les trois premiers tableaux présentés dans cet article, ces parties – donnée naturelle et enjeu/projet – apparaîtront dans des lignes (LP 21) et des colonnes (PER) séparées et libellées comme telles.
Une fois ce travail d’interprétation réalisé, nous avons entrepris une analyse des enjeux et projets liés au vivre-ensemble, d’une part pour en dégager les lignes principales, d’autre part pour en saisir d’éventuelles traductions locales. Cette analyse doit beaucoup à la sociologie du curriculum (Forquin, 2008) selon laquelle les contenus des plans d’études – qui font partie du curriculum prescrit – ne constituent en aucune façon une culture universelle, mais sont le fruit d’un tri, d’une sélection faite à l’issue de débats et de négociations entre des groupes défendant des perspectives divergentes et qui, de ce fait, sont ancrés dans un contexte particulier. Deux points ont retenu notre attention : la question des langues en Suisse alémanique et celle de la cohésion sociale et des radicalisations dans le canton de Vaud[3], des questions qui sont débattues dans les sphères sociales et politiques en Suisse et qui, de ce fait (Blumer, 1977), peuvent être appréhendées comme des problèmes sociaux.
Nous avons également effectué un travail de comparaison entre les plans d’études à l’appui de nos cartographies et des recherches de tiers portant sur les plans d’études analysés. Pour ce faire, nous avons opté pour une comparaison axée sur les différences observables (Descola, 2006, p. 424). Les résultats repris en conclusion sont majoritairement issus de ce travail de comparaison qui, en impliquant un va-et-vient entre les prescrits, a favorisé la prise de distance et la défamiliarisation (Vigour, 2015, partie 2, chap. 3). C’est à partir de l’ensemble des résultats de la recherche qu’ont été esquissés les trois défis de formation présentés en conclusion.
3. Résultats des analyses
Les résultats sont organisés en quatre parties. La première et la deuxième présentent les résultats de nos analyses du LP 21 et du PER, la troisième discute de l’adaptation vaudoise du plan d’études d’éthique et cultures religieuses, la quatrième propose les résultats de notre approche comparée du PER et du LP 21.
Zusammenleben dans le LP 21[4]
L’expression Zusammenleben est attestée dans les diverses parties du LP 21. Elle est en effet utilisée dans les textes généraux qui présentent les missions de l’école (p. 21), dans les chapitres introductifs aux différents domaines disciplinaires (par exemple, le domaine des langues, p. 58), dans les indications didactiques (par exemple, le domaine « Économie, Monde du travail, Économie familiale », p. 258), dans les domaines de compétences et les perspectives intégrées à ces domaines (NMG.10, ERG.5, WAH.5) ainsi que dans les niveaux qui découpent les domaines (par exemple, NMG.2.1.c, p. 276). Un relevé des occurrences de Zusammenleben, dont le tableau 1a ci-dessous présente un panorama, indique que le substantif est souvent utilisé comme une catégorie descriptive : il décrit la cohabitation spatiale et relationnelle des êtres humains sur la Terre, des différentes espèces (humaine, animales et végétales) dans l’environnement, des élèves à l’école, des citoyens en Suisse, des individus au sein des familles et des sujets au sein de collectivités. De fait, on constate que le vivre-ensemble est décrit à de multiples échelles, depuis l’échelle macro de la planète jusqu’à celle micro de l’individu.
Le substantif Zusammenleben est attesté dans le LP 21 en lien avec le domaine disciplinaire « Nature, Homme, Société » en particulier à travers la compétence « co-façonner le vivre-ensemble et s’engager » (NMG.10), l’étude des modes de vie et des habitats humains (NMG.7), la description de la cohabitation des animaux et des végétaux en sciences de la nature (NMG.2); avec les diverses perspectives qui sont rattachées à ce domaine (« Espaces, Temps et Sociétés », « Économie, Monde du travail, Économie familiale », « Éthique, Religions, Communauté » qui contient la compétence « Moi et la communauté : co-façonner la vie et le vivre-ensemble »); avec le domaine des langues et celui des activités physiques et sportives. Les noms des domaines et des perspectives, tantôt disciplinaires tantôt thématiques, témoignent du caractère interdisciplinaire du LP 21[5]. Comme dans le PER, l’éducation au développement durable (EDD) y est transversale. Par son association à divers thèmes, dont « politique, démocratie et droits humains », l’EDD est travaillée non seulement en relation avec l’éducation à la citoyenneté (EC)[6], mais aussi avec le vivre-ensemble (NMG.10.1, 4 et 5, p. 304). Le LP 21 propose ainsi un tissage étroit entre l’EDD, l’EC et le vivre-ensemble (Ziegler, 2018, p. 1).
L’interprétation de nos données à l’appui de la définition de Nancy Bouchard permet de mettre en évidence à la fois des éléments qui ressortent d’une donnée naturelle qui est plus ou moins explicitement problématisée et les enjeux et projets de société qui leur sont liés (tableau 1b). Il s’agit de connaître notre environnement, de travailler à l’entente entre les peuples, de développer le respect et la tolérance entre les Suisses, de permettre à l’élève de trouver son identité et de déterminer ses valeurs tout en contribuant à la tolérance au sein d’une société individualiste, pluraliste et démocratique, de participer de manière positive à la société et de favoriser la cohésion au sein de l’école.
Les enjeux et projets ne manquent pas et on remarquera qu’ils répondent en partie à des problématiques sociales et politiques qui sont débattues au Québec à propos du vivre-ensemble, telles que le pluralisme culturel et religieux, les dérives de l’individualisme et la crise du lien social (Duhamel, 2010, p. 117). Le fait que le contexte cité soit québécois n’est pas un obstacle. Cela montre au contraire que les programmes intègrent une série de préoccupations communes et des discours, voire des doxas scolaires[7] qui se déploient au-delà des frontières nationales. S’il y a indéniablement des aspects communs dans les problématiques sociales et politiques que les différents systèmes scolaires se proposent de traiter à travers l’éducation – les déficits de lien social font précisément partie des domaines dans lesquels l’école se reconnaît comme légitime dans une prise en charge (Zinguinian, 2013, p. 57) –, l’analyse et la comparaison des plans d’études permettent également de reconnaître dans ces derniers des inflexions plus locales. Il est frappant, par exemple, de voir le LP 21 mettre l’accent sur l’apprentissage des langues nationales pour la cohésion des Suisses, alors que cet apprentissage fait précisément l’objet de vives querelles politiques en Suisse alémanique, comme en témoignent les initiatives visant à supprimer l’apprentissage du français à l’école primaire au profit de l’anglais déposées dans plusieurs cantons (Zimmermann et Lambelet, 2014). En soulignant l’importance de l’apprentissage des langues nationales pour une tolérance réciproque (D-EDK, 2016, p. 58), le LP 21 prend de facto parti dans la querelle des langues dont les débuts peuvent être retracés jusqu’au début du 20e siècle (Giudici et Grizelj, 2016). Cet exemple nous rappelle que même si les plans d’études récents se conforment à des standards nationaux et internationaux et utilisent un langage standardisé (HarmoS, 2007)[8], ils sont également le produit de débats politiques régionaux qui transparaissent ici dans les arguments déployés autour du vivre-ensemble. Cette insistance sur le plurilinguisme de la Suisse et sur son caractère identitaire (identitätstiftend) n’apparaît d’ailleurs pas dans le PER, où l’apprentissage de l’allemand, langue de la population majoritaire, n’a pas à ce jour fait l’objet d’initiatives populaires[9].
3.1 Vivre ensemble et exercice de la démocratie dans le PER
Le PER est structuré en trois grandes parties : les domaines disciplinaires, les capacités transversales et la formation générale (FG). C’est dans cette dernière partie que figure la thématique transversale « Vivre ensemble et exercice de la démocratie », dont la majorité des apprentissages qui lui sont liés « ne revêtent pas un caractère aussi contraignant que ceux des domaines disciplinaires » (CIIP, 2010b, p. 14). Comme cela ressort de l’intitulé de la thématique transversale, l’expression « vivre ensemble » est inséparable dans le PER de l’exercice de la démocratie. Ainsi, dans les contenus qui sont mis en lien avec cette thématique, il n’est pas possible de distinguer ce qui relèverait de l’un ou de l’autre. Les deux sont rapportés à l’EC et en particulier à son pôle « pratique citoyenne à l’école » (CIIP, 2010b, p. 21). Ce pôle vise à « permettre à l’élève de s’impliquer de manière citoyenne dans l’école, notamment à travers des structures participatives (conseil de classe, conseil d’école) ainsi qu’à travers l’organisation et la participation à différentes actions citoyennes (travaux d’intérêt public, …) » (CIIP, 2010b, p. 21). De ces lignes se dégage l’idée que l’école est une institution dont la bonne marche dépend de la participation de ses membres, en particulier de celle des élèves, selon le modèle d’une démocratie active et participative. Les élèves ont des droits (par exemple, le droit à la différence) et des devoirs (par exemple, le respect des règles scolaires), et développent des savoir-faire et savoir-être dont on pense qu’ils sont utiles à la vie collective (principalement scolaire) et au travail d’équipe (CIIP, 2010b, p. 54-55).
Comme la pratique citoyenne, la thématique « vivre ensemble et exercice de la démocratie » est transversale dans le PER. Les tableaux 2a, 2b et 2c listent les objectifs de cette thématique (du cycle 1 au cycle 3) et les disciplines et contenus auxquels ils sont associés. À l’instar du tableau dédié au LP 21, les deux dernières colonnes affichent le résultat de nos analyses à l’appui de la définition de Nancy Bouchard (2019).
Au cycle 1, le « vivre ensemble » est lié à la construction de règles et à leur application. Les disciplines qui y contribuent sont le français, à travers la compréhension et la rédaction de « textes qui règlent des comportements », mais aussi à travers la confrontation des opinions dans le cadre de débats ou à travers la négociation. La géographie permet de prêter attention aux différents espaces et d’envisager ainsi des règlementations différenciées selon les lieux, tandis que le programme d’éthique et cultures religieuses fait référence aux comportements des élèves en lien avec des valeurs éthiques. Ces éléments renvoient à la promotion du « respect des règles de vie en communauté » qui fait partie des missions de l’école publique (CIIP, 2003, repris dans CIIP, 2010a, p. 13) et qui constitue la part essentielle de l’éducation à la citoyenneté au cycle 1 (Marc, 2017, p. 16).
Alors que le programme d’éthique et cultures religieuses comporte, au cycle 1, l’indication « privilégier le respect des différences pour vivre ensemble », la reconnaissance de l’altérité et le développement d’un respect mutuel sont plus particulièrement exercés au cycle 2 (tableau 2b). On aurait pu s’attendre à ce que l’objectif de reconnaissance de l’altérité porte principalement sur la diversité culturelle et religieuse, mais ce n’est pas le cas. C’est une posture qui relève à la fois d’un savoir-faire et d’un savoir-être qui est visée ici et que je qualifierais volontiers de méthodologique : il s’agit en géographie de situer son positionnement parmi ceux de différents acteurs et de privilégier une approche systémique des situations étudiées et en histoire d’accepter et de développer une pluralité d’interprétation, de distinguer mythe et réalité afin d’amener « un peu de recul sur les questions identitaires » (CIIP, 2010k, p. 48). Il se dessine ici en creux l’idée selon laquelle une approche systémique, analytique et distanciée des mondes sociaux, alliée à une réflexion sur son propre positionnement ou son identité, favorise le vivre-ensemble et l’exercice de la démocratie.
Attestée pour les disciplines des sciences humaines et sociales, l’idée se retrouve également dans le programme des sciences de la nature des cycles 2 et 3 en lien avec la démarche scientifique, cette dernière étant envisagée comme apte à fournir une base rationnelle d’un monde partagé où chacun est capable d’écouter l’autre et de remettre en question ses propres idées. Enfin, on trouve, au cycle 3 (tableau 2c), des apprentissages liés à la diversité culturelle, tels que la comparaison des sociétés humaines en histoire ou encore la découverte d’aspects ethnoculturels de l’alimentation en éducation nutritionnelle. Quant au plan d’études d’éthique et cultures religieuses du cycle 3, qui est mis en lien de manière globale avec l’objectif du vivre-ensemble, on y trouve l’écho de différentes missions attribuées à l’école publique de Suisse romande, en particulier celle de « rendre accessible la connaissance […] des cultures religieuses, afin de permettre à l’élève de comprendre sa propre origine et celle des autres, de saisir et d’apprécier la signification des traditions et le sens des valeurs diverses cohabitant dans la société dans laquelle il vit » (CIIP, 2003, repris dans CIIP, 2010a, p. 15).
Comme cela ressort de notre tableau 1a et des déclarations du PER concernant la pratique citoyenne et les apprentissages fondamentaux à l’école (FG14-15 et CIIP, 2010j, p. 24), les jeunes élèves doivent avant toute chose être sensibilisés « aux règles de la classe et de l’établissement essentielles au « vivre ensemble », ainsi qu’à la responsabilité inhérente à la répartition des tâches de chacun ». Si la socialisation des élèves fait partie des missions courantes de l’école – l’école socialise, éduque et instruit – on sera frappé, d’une part, par l’insistance avec laquelle les textes analysés soulignent le respect des règles (dans le cadre de la discipline du français, le respect des règles de vie est mentionné comme indication pédagogique), mais aussi par le fait que le respect des règles soit exclusivement envisagé par rapport à la classe et à l’établissement scolaire et non dans une perspective plus large et plus prospective (par exemple former les élèves à devenir les citoyens d’un monde futur). Cela soulève, à notre avis, deux interrogations : d’une part, celle du type de citoyenneté dont l’enfant devrait faire l’apprentissage et, d’autre part, la pédagogie proposée pour y parvenir (Miaille, 2008; Heimberg, 2011). Si l’on raisonne à partir de deux modèles qui s’opposent, la question pourrait être formulée ainsi : s’agit-il de développer une citoyenneté d’appartenance, voire d’obéissance par le respect de règles communes ou d’une citoyenneté d’émancipation à travers des dispositifs de délibération qui visent à « oser penser par soi-même, oser se prendre en charge » (Fabre, 2011, p. 181, qui se réfère ici à Kant)? Les attentes qui s’expriment dans le PER sont ambiguës : pacification des relations scolaires et maintien de l’ordre scolaire d’un côté, formation critique et construction d’une personne autonome de l’autre (Audigier, 2001, p. 264). À cette ambiguïté, qui est attestée dans d’autres programmes scolaires, s’ajoute, dans le PER, un phénomène de rabattement de la citoyenneté sur la socialisation au cycle 1 : tout se passe comme si, en matière de vivre-ensemble à l’école, le jeune élève devait passer d’abord par une phase intense de socialisation focalisée sur le respect des règles, avant d’être invité à développer d’autres compétences comme celle du débat au cycle 2 (FG25) ou de s’ouvrir à la complexité du monde au cycle 3. Le plan d’études d’éthique et cultures religieuses du cycle 1 semble aller dans le même sens. En préconisant de sensibiliser les élèves à un certain nombre de valeurs, il invite davantage à la pratique d’une éthique prescriptive qu’à une éthique réflexive ou délibérative, puisqu’il s’agit de rendre les élèves réceptifs à ces valeurs (les sensibiliser à) sans indiquer un cadre de dialogue ou de discussion. Au cycle 2, l’appui sur l’éthique chrétienne (le décalogue) et sur des modèles religieux pour la reconnaissance d’une expérience sociale ordinaire – la nécessité de règles et de valeurs – ajoute un problème supplémentaire si l’on entend proposer un enseignement qui se veut détaché du religieux (Heinzen, 2015, p. 78).
Les échelles macros sont bien sûr aussi présentes dans le PER, mais elles sont liées à d’autres thématiques de la Formation générale que celle du vivre-ensemble, en particulier à la thématique « Interdépendances (sociales, économiques, environnementales) (CIIP, 2010b, p. 23-24). En ce qui concerne la thématique « vivre ensemble et exercice de la démocratie », il faut attendre le cycle 3 pour la voir associée à des finalités et des contenus qui concernent plus largement la société et l’environnement, comme à travers la visée « prendre conscience de la complexité et des interdépendances et développer une attitude responsable et active en vue d’un développement durable » (CIIP, 2010b, p. 13). Cependant, là encore, si l’on retourne à l’objectif de la formation générale (FG35), on s’aperçoit que les indications pédagogiques sont presque toutes en lien avec la vie scolaire et qu’elles ont trait en priorité à l’ordre scolaire (par exemple « veiller à établir clairement les règles de fonctionnement inhérentes à une démocratie active dans le cadre scolaire », CIIP, 2010b, p. 55).
3.2 Vivre ensemble dans l’adaptation vaudoise du plan d’études d’éthique et cultures religieuses
Durant les années 2017-2019, le plan d’études d’éthique et cultures religieuses a fait l’objet d’une refonte partielle dans le canton de Vaud (CIIP/DFJC VD, 2019). Cette dernière a eu lieu dans un contexte particulièrement délicat pour la discipline. Après avoir été associée à l’histoire en 2013 et, de fait, avoir perdu une grande part de son autonomie, l’éthique et cultures religieuses est à nouveau affaiblie en 2017 : elle ne sera plus évaluée et sera enseignée sous forme d’activités ponctuelles. Une législature plus tard, les débats reprennent, avec pour objectif de « forger un consensus pour mettre en oeuvre le nouvel enseignement » et pour « concrétiser le programme de législature du Conseil d’État, qui promeut la cohésion de la société et la prévention de la radicalisation » (État de Vaud, juin 2018b, dia 4). Pour y parvenir, un groupe de travail est créé. Le résultat est une réduction radicale du plan d’études et la fixation d’une nouvelle dotation horaire de beaucoup inférieure à celle dont la discipline jouissait avant d’être réduite à des activités ponctuelles. Une comparaison du nouveau plan d’études (CIIP/DFJC VD, 2019) avec l’ancien (CIIP, 2010c, d, e) montre également que c’est l’axe « cultures religieuses » qui perd le plus grand nombre de contenus. Ont été supprimés en particulier une partie des contenus en lien avec l’histoire biblique (personnages et récits bibliques), l’étude de la place et du rôle des religions dans les sociétés, les témoignages de personnalités humanistes ou religieuses marquantes et les perceptions religieuses et laïques face à la question de la mort et de l’au-delà. En revanche, une sensibilisation à la notion de croyance/non-croyance a été ajoutée et surtout l’axe « éthique » fait l’objet d’une plus grande visibilité[14].
À la différence du PER, l’adaptation vaudoise du plan d’études n’indique pas de liens vers la formation générale. L’expression « vivre ensemble » y est cependant utilisée à plusieurs reprises (en gras dans les tableaux 3a et 3b), notamment dans les intentions de la discipline qui associent explicitement éthique et vivre-ensemble.
Comme cela ressort des contenus liés à l’éthique, le travail sur les valeurs y est très présent, ainsi que l’accent sur la règle qui est le premier contenu mentionné. Par rapport au PER, la dimension de respect (de la règle, de l’autorité) y est même accentuée. Si les formulations choisies ont l’avantage d’être plus précises que celles du PER – par exemple, il ne s’agit plus de sensibiliser aux valeurs, mais à l’importance du respect de ces valeurs, elles pourraient être d’autant plus sujettes à critique pour qui définit l’éthique comme une pratique de la délibération qui a pour visée principale le développement de l’autonomie du sujet (Bourgeault, 2019).
Au cycle 3, la formulation est moins prescriptive (il s’agit de réfléchir sur des situations éthiques et non de respecter des valeurs), mais la dimension moralisatrice y est fortement présente, puisqu’il s’agit de sensibiliser les adolescents aux implications éthiques de leurs attitudes et comportements (responsabilité) en lien avec le harcèlement, la discrimination, la dépendance et la radicalisation. Outre la focale mise sur des manifestations sociales exclusivement négatives, on notera que la formulation choisie pourrait aussi conduire l’école à imputer aux élèves la responsabilité de problématiques sociales complexes, comme si ces dernières ne dépendaient que d’eux. Le risque encouru est d’instrumentaliser le concept de responsabilité dans le sens d’un désengagement de l’État au profit d’une sur-responsabilisation individuelle (Gendron et Bouchard, 2015).
Rapportées à nos réflexions sur la possibilité de cerner une traduction locale du vivre ensemble dans les prescrits, ces modifications par rapport au PER sont du plus grand intérêt. Elles peuvent en effet être mises en lien avec le contexte politique et social qui les a vues naître – un contexte marqué par les attentats de Paris – et avec les objectifs politiques du moment : le travail sur les cultures religieuses et le traitement des questions de radicalisation qui s’accomplissent en classe participent à des luttes identifiées comme prioritaires par l’État, à savoir celle d’éviter le repli des individus et les tendances communautaristes et celle de lutter contre les radicalisations et les extrémismes violents (Conseil d’État du canton de Vaud, 2017, p. 11). Quant à l’objectif du respect de valeurs communes pour favoriser le vivre-ensemble, il peut être mis en lien aussi bien avec l’objectif de cohésion sociale (nous partageons tous les mêmes valeurs) que celui de prévention de la radicalisation (les valeurs éthiques et civiques comme antidote). Par rapport au PER où l’école représentait, on l’a vu, l’échelle principale, l’échelle est ici davantage sociétale et liée au contexte du moment, ce que la cheffe de Département exprime de la façon suivante : « L’enseignement en “Éthique et cultures religieuses” […] éveillera au vivre-ensemble dans une société multiculturelle, conformément au Programme de législature du Conseil d’État qui s’est fixé comme buts la garantie de la cohésion sociale et la prévention des radicalisations » (État de Vaud, juin 2018a, p. 2). Avec cette entrée de la prévention des radicalisations dans le plan d’études vaudois, on assiste à une pédagogisation d’un problème social comparable à l’entrée de l’EDD dans les curricula de Suisse romande, processus analysé par Méliné Zinguinan (2013) et défini par elle comme « le renvoi à l’institution scolaire de la prise en charge de domaines qui en étaient écartés, c’est-à-dire un élargissement des responsabilités de l’école » (p. 57).
Si l’on examine à présent les logiques qui ont conduit au redimensionnement du plan d’études, il apparaît que ce dernier a été guidé par plusieurs intentions : celle de réduire la dotation horaire allouée à la discipline, celle de supprimer une partie des éléments relevant de l’ancienne histoire biblique[15], celle de favoriser l’interdisciplinarité (au détriment cependant de l’intégrité et de l’autonomie de la discipline) et celle d’une visibilisation de l’enseignement de l’éthique (État de Vaud, juin 2018, p. 2). Il est intéressant de constater que le canton de Vaud suit une voie tout à fait contraire à celle du canton laïque de Genève : alors que dans le canton de Vaud des voix se font entendre pour se défaire ou pour réduire l’enseignement sur les religions, le canton de Genève, en inscrivant l’enseignement du fait religieux dans sa nouvelle loi sur la laïcité de l’État (LLE, 2018, art. 11), le renforce. Dans le premier cas, on se trouve en présence d’une discipline qui se sécularise, au risque de disparaître, et dans le second cas, cet enseignement sort de la zone taboue où, pour des raisons de soi-disant incompatibilité avec la laïcité, il était confiné pendant des décennies.
3.3 Analyses comparées du PER et du LP 21
Dans cette section, nous présentons les résultats de deux analyses comparées entre les trois plans d’études. Les résultats de la première ont été rassemblés dans un tableau qui recense les particularités du PER et du PER vaudois dans la première colonne et du LP 21 dans la seconde (tableau 4). S’agissant d’une comparaison basée principalement sur les différences, nous n’avons pas tenu compte ici des convergences (par exemple la connaissance de la diversité culturelle et religieuse pour favoriser la tolérance et l’ouverture à l’autre, le « travailler ensemble » comme moyen de façonner le vivre-ensemble). La deuxième comparaison propose une approche plus macroscopique puisqu’elle se base sur les orientations générales des deux plans d’études (multidisciplinarité et interdisciplinarité, approche par compétences).
Il ressort de ce tableau qu’au-delà des spécificités de chaque plan d’études, il existe des options didactiques communes, tel le recours à des personnalités dont on dresse le portrait ou dont on étudie les témoignages et qui fonctionnent comme des points de repère. Cependant, alors que le PER prescrit la découverte de témoignages de personnalités humanistes et religieuses pour travailler sur les valeurs (Gandhi, Mère Teresa, le dalaï-lama, Martin Luther King, Aung San Suu Kyi, etc.) (CIIP, 2010e, p. 106-107), dans le LP 21, c’est le critère national qui prévaut. On remarquera que le problème principal qui pourrait surgir à l’école publique n’est pas l’étude de ces personnalités religieuses en soi – dans la liste des Suisses étudiés dans le LP 21 figurent aussi des personnalités religieuses, telles que Nicolas de Flue ou Ulrich Zwingli –, mais l’usage qu’on en fait et les fins visées. Cela pose plus fondamentalement la question des cadrages didactiques des objets liés aux mondes religieux, et dans ce cas particulier, le cadrage qui consiste à inviter l’élève à créer un lien personnel avec l’objet étudié (Frank et Bleisch, 2017, p. 73-74). Ce cadrage nous semble peu adapté dans un enseignement sur les religions dispensé à l’école obligatoire, qu’il soit mis en oeuvre au sein d’un cours d’éthique et cultures religieuses ou d’un cours d’histoire. Nous estimons que la distinction opérée par le LP 21 entre les compétences concernant la religion (NMG 12; ERG 4 et 5) et les compétences concernant l’éthique (NMG 10 et 11; ERG 1, 2 et 3) est une option plus appropriée que celle choisie dans le PER et le PER vaudois qui mêle cultures religieuses et valeurs.
Une autre différence qui est apparue à la lumière de nos comparaisons est la place accordée par le LP 21 au Zusammenleben comme objet d’apprentissage (l’élève est conduit à étudier la cohabitation des êtres à toutes les échelles). Le mot y apparaît moins comme un concept ou comme un projet (viser un vivre-ensemble harmonieux) que dans son sens courant (celui des dictionnaires) et donc doté d’une portée descriptive (Smith, 2014, p. 130). Cette différence doit-elle être imputée à un usage germanophone de l’expression qui se distinguerait d’un vivre-ensemble francophone plus conceptuel? Afin de cerner plus finement les différences linguistiques, il est indéniable qu’une étude sur les sens donnés à l’expression Zusammenleben au sein de l’espace social et politique de la Suisse alémanique serait d’une très grande utilité, mais un tel projet dépasse clairement les limites de cette contribution.
En ce qui concerne notre comparaison à une échelle plus macroscopique, nous avons retenu pour l’analyse le caractère interdisciplinaire ou multidisciplinaire des deux plans d’études et l’approche par compétence qui nous paraît plus fortement assumée dans le LP 21 que dans le PER. L’entrée par les différences a pour but, nous l’avons dit, d’organiser les différences observables (Descola, 2006, p. 424). Elle n’implique pas l’absence de ressemblances ou de points communs. Ainsi, le concordat HarmoS, qui a servi de cadre à l’harmonisation des plans d’études, a fixé une liste de domaines de formation que l’on retrouve aussi bien dans le PER que dans le LP 21. Cependant, dans ce dernier, le domaine nommé « sciences humaines et sociales » (Sozial- und Geisteswissenschaften) apparaît sous le nom de « Nature, Homme, Société » (Natur, Mensch, Gesellschaft). Cette différence n’est pas anodine : alors que dans le PER les disciplines scolaires sont structurées en fonction de leurs relations aux disciplines académiques de référence, le LP 21 prend en considération « le monde tel qu’il se donne à voir aux enfants, c’est-à-dire de manière non disciplinaire » (Fink et Gautschi, 2017, p. 78; D-EDK, 2016, p. 250). Les deux logiques mises à l’oeuvre – l’une épistémologique, l’autre pédagogique – peuvent être mises en relation avec la manière dont sont structurés les domaines disciplinaires. Dans le LP 21, l’interdisciplinarité est privilégiée aussi bien au niveau des processus d’apprentissage que des objets traités, alors que dans le PER, les disciplines gardent leur autonomie et leur structure de savoir selon une logique de multidisciplinarité (Fink et Gautschi, 2017, p. 79; Klein, 2011, p. 18). Cette différence explique les divergences que nous avons pu constater dans la façon d’intégrer le vivre-ensemble dans chacun des plans d’études : alors que le PER propose une organisation dans laquelle ce sont les disciplines qui prennent en charge le thème transversal du vivre-ensemble, le LP 21 propose de travailler le vivre-ensemble principalement à partir de la compétence 10 du domaine « Nature, Homme, Société », laquelle « relie différentes perspectives » et « traite de questions fondamentales qui nous concernent en tant qu’êtres humains ou qui concernent notre environnement social, culturel et naturel » (D-EDK, 2016, p. 264). Ainsi, l’ouverture du LP 21 dès le cycle 1 à un vivre-ensemble planétaire peut être mise en lien avec la logique pédagogique adoptée par le LP 21 qui consiste, on l’a vu, à prendre « le monde tel qu’il se donne à voir aux enfants ». On peut se demander si un lien du même type pourrait être établi entre le maintien des disciplines scolaires dans le PER et le fait que l’horizon de travail y soit l’école. En tous les cas, le domaine des sciences humaines et sociales dans le LP 21 est envisagé de manière plus étendue que dans le PER (par exemple, inclusion au cycle 3 de la perspective « Économie, Monde du travail, Économie familiale »), ce qui explique sans doute pourquoi le vivre-ensemble est aussi envisagé dans le LP 21 sous l’angle de la sphère familiale et de la vie quotidienne.
Le fait que le LP 21 soit résolument orienté sur les compétences (D-EDK, 2016) a, à notre avis, également un impact sur les apprentissages proposés[16]. Nous avons noté que le LP 21 propose une compétence nommée « Communauté et société : façonner le vivre-ensemble et s’engager » (NMG.10). Dans les niveaux de compétence décrits au cycle 1, les élèves sont invités à décrire des expériences de vivre-ensemble à l’école, de formuler des opportunités pour un vivre-ensemble réussi (par exemple en prenant des égards, en célébrant ensemble) (NMG10.1.a), d’identifier leurs besoins et ceux des autres en cas de conflits et de proposer des solutions de résolution équitables (NMG10.1.b et c, D-EDK, 2016, p. 304). L’utilisation de verbes comme « décrire » (beschreiben) ou « formuler des opportunités » (Möglichkeiten formulieren) renvoient à des activités cognitives qui, dès le début de la scolarité, créent une mise à distance par rapport à l’objet vivre-ensemble. Une autre particularité des compétences du LP 21 en lien avec le vivre-ensemble est de permettre, outre le respect des règles scolaires, une prise en compte d’un vivre-ensemble plus large que celui de l’école : les élèves sont en effet invités à prendre connaissance, à décrire et à classer des caractéristiques de différents modes de vie d’enfants provenant de contrées éloignées qui incluent l’habitat, le travail et le vivre-ensemble (Wohnen, Arbeiten, Zusammenleben) (D-EDK, 2016, p. 292). L’utilisation du substantif « Zusammenleben » est ici largement descriptive et paraît peu en rapport avec un enjeu ou un projet social ou politique. Cependant, le travail proposé conduit l’élève à considérer d’autres manières de vivre ensemble que la sienne et permet, outre la mise à distance induite par l’activité cognitive elle-même, un décentrement par rapport au contexte dans lequel il vit. Comme on l’a vu, à cet intérêt pour le vivre-ensemble à l’échelle humaine vient encore s’ajouter la prise en compte des animaux et des végétaux (NMG2, 1.c; D-EDK, 2016, p. 276).
C’est en décrivant avec précision les opérations cognitives attendues des élèves et en déclinant les compétences tout au long de la scolarité obligatoire que le LP 21 se distingue à mon avis le plus du PER dans sa façon de présenter et d’appréhender la question du vivre-ensemble. Dès le cycle 1, le vivre-ensemble est en effet une question qui dépasse les limites de la classe et qui permet un décentrement de l’élève. Cet intérêt précoce pour un vivre-ensemble au-delà des murs de la classe témoigne-t-il aussi d’une recherche de pacification des relations sociales plus générale que la pacification des relations scolaires dès les premières classes? L’attention portée à une éducation à la paix et à la résolution de conflits dans les deux premiers cycles vient ici à l’appui d’une telle hypothèse (D-EDK, 2016, p. 304).
Conclusion
Nous allons revenir en conclusion sur les principales convergences et divergences constatées entre les plans d’études sur la question du vivre-ensemble (question 3 de notre introduction) et sur les enjeux de formation que nous avons pu identifier à partir de notre investigation (question 4 de notre introduction).
Le vivre-ensemble est traité dans les plans d’études tantôt comme un objet d’étude (principalement dans le LP 21); tantôt comme une fin que l’on vise à travers la mise en oeuvre de démarches scientifiques (la rationalité, le multiperspectivisme, la pensée systémique au service du vivre-ensemble dans le PER), à travers l’éthique et l’étude de la diversité culturelle et religieuse (PER et LP 21) et à travers la prévention contre ce qui peut cliver (LP 21, PER et PER VD); tantôt comme un savoir-faire comportemental, en particulier le respect des règles (dans le LP 21, le PER et le PER VD au cycle 1); tantôt comme un « travailler ensemble » (négociations, débats, répartition des tâches, projets communs dans le PER et le LP 21). En Suisse alémanique, comme en Suisse romande, le vivre-ensemble est travaillé par un bouquet de disciplines : les sciences humaines et sociales en première ligne, mais aussi les sciences de la nature et l’éducation physique et sportive, auxquelles s’ajoutent le français et l’éducation nutritionnelle pour le PER, les langues et l’économie familiale pour le LP 21 (voir notre tableau 4). La prise en compte d’un vivre-ensemble familial et quotidien dans le LP 21 a été mis en lien avec la conception étendue et interdisciplinaire du domaine « Nature, Homme, Société » (Gautschi, 2017, p. 45-46). De manière générale, nous avons constaté que le LP 21 adoptait une approche plus globale du vivre-ensemble que le PER.
À côté des enjeux communs du vivre-ensemble qui ressortent de nos tableaux 1, 2 et 3 (par exemple l’ouverture à l’autre dans une logique de réciprocité) et des manières communes de répondre à ces enjeux (par exemple, l’initiation à la diversité des systèmes culturels et religieux, le travail sur les valeurs), la comparaison curriculaire a aussi été l’occasion de mettre en évidence le caractère local et contextuel de certaines réponses apportées aux enjeux du vivre-ensemble, tels l’apprentissage des langues nationales en Suisse alémanique et la prévention des radicalisations en Suisse romande. Les liens qui ont pu être établis entre ces particularités et des problématiques débattues dans les arènes publiques et politiques locales documentent l’influence des débats sociopolitiques sur le processus d’élaboration des plans d’études. Ils témoignent de traductions locales du vivre-ensemble à une époque où l’élaboration des curricula répond à des logiques d’harmonisation, voire d’uniformisation (Lenoir, 2014, p. 9).
À une échelle plus micro et toujours sur la base d’une analyse comparée, notre recherche a également permis de mettre en évidence des différences dans les stratégies proposées par les plans d’études suisses alémaniques et romands pour travailler le vivre-ensemble au cycle 1, le PER portant la focale sur le vivre-ensemble à l’école avec un souci prononcé pour le respect des règles, le LP 21 invitant les élèves, dès les premières classes, à s’intéresser à des formes de vivre-ensemble attestées dans des contrées éloignées. Certes, en liant, aux cycles 2 et 3, la démarche scientifique à la thématique « vivre ensemble et exercice de la démocratie », le PER invite lui aussi les élèves à un décentrement, mais cette étape intervient après une phase centrée sur le respect des règles et son horizon reste principalement l’école. L’ouverture, dès les premières classes, à un vivre-ensemble planétaire qui comprendra au cycle 2 également les plantes et les animaux est une spécificité du LP 21. Nous l’avons mise en lien avec la logique pédagogique adoptée par le LP 21 qui consiste à considérer « le monde tel qu’il se donne à voir aux enfants » (Fink et Gautschi, 2017, p. 79; D-EDK, 2016, p. 250).
À partir des résultats de notre investigation, nous souhaiterions pointer trois enjeux liés à la formation au vivre-ensemble que nous avons en partie déjà esquissés et dont nous souhaiterions reprendre la critique ici. Le premier enjeu touche à l’organisation du temps scolaire, le deuxième interroge la nature des apprentissages programmés et le troisième s’intéresse aux processus d’apprentissage des élèves. Ces trois enjeux, qui articulent éthique, justice sociale et régulation des activités d’enseignement-apprentissage, seront envisagés en lien avec le contexte scolaire, mais également en lien avec la formation professionnelle des enseignants.
Un contenu d’enseignement qui est partout et nulle part. Le vivre-ensemble dépassant le cadre d’une discipline et ne possédant ni créneau horaire ni heure d’enseignement spécifique, son enseignement risque fort de dépendre de la volonté de l’enseignant. Ce risque est particulièrement élevé dans le PER, où le vivre-ensemble fait partie de la formation générale dont les apprentissages sont peu contraignants (CIIP, 2010a, p. 149). La formation au vivre-ensemble risque d’autant plus d’être délaissée que l’éthique et cultures religieuses, qui propose de nombreux contenus en lien avec le vivre-ensemble, est en Suisse romande une spécificité cantonale, ce qui signifie que les cantons décident s’ils souhaitent l’intégrer dans la grille horaire et selon quelle intensité. Dans le canton de Vaud, par exemple, la dotation horaire oscille entre 15 et 8 périodes par année selon l’âge des élèves (État de Vaud, 2018b, diapo 10). La transversalité de la thématique est aussi une difficulté en formation des enseignants, en particulier là où les didactiques se présentent sous la forme de didactiques des disciplines (scolaires). Des réflexions analogues concernant la mise en oeuvre ont été développées à propos de l’enseignement de l’EDD (Zinguignan, 2013, p. 52) et de l’EC (Ziegler et Schneider, 2011, p. 109).
Une formation qui se réduit à une conformité aux codes de bonne conduite et à une moralisation. Comme on l’a vu, l’expression « vivre(-)ensemble » peut relever d’un constat – l’école comme un lieu de cohabitation – mais elle représente aussi un « état de fait social à construire » (Duhamel, 2010, p. 118) : pour vivre ensemble et participer activement à la vie démocratique, les élèves doivent être entraînés au débat, à la discussion et à la négociation. Ils doivent être capables de donner leur opinion et de respecter celles de leurs camarades. Ce faisant, deux tensions doivent à mon avis être l’objet d’une attention particulière sur le plan didactique : d’une part, la tension entre cohésion sociale et prise en compte de la diversité (Bourgeault, 2019), et, d’autre part, la tension qui existe entre une prescription moralisatrice (notamment à travers le travail sur les valeurs) et le développement d’une pensée critique (Heimberg, 2011; De Cock, 2015). La première tension invite les acteurs à réfléchir aux moyens qu’ils se donnent pour s’ouvrir à l’autre, l’autre qui n’est pas comme eux, qui est source de conflits potentiels et qui, donc, résiste à une visée d’uniformisation à moins de le réduire à ce qu’il n’est pas, à faire de lui et malgré lui « le même que nous », ce qui du même coup met en échec toute tentative de prise en compte de la diversité. La deuxième tension, qui peut être formulée à l’échelle de l’élève comme une tension existant entre une conformité aux codes de bonne conduite et de bien-pensance et l’exercice d’une réflexion autonome, peut être mise en lien avec le travail en éthique et en citoyenneté. La question qui se pose dans ce contexte est la suivante : s’agit-il d’amener les élèves à adopter des valeurs et des normes dans une visée d’obéissance et de conformité aux normes scolaires et sociales ou de leur permettre de développer une réflexion sur ces valeurs et ces normes dans une visée émancipatrice? On rejoint ainsi des critiques déjà exprimées à propos du vivre-ensemble, notamment le fait que le vivre-ensemble « réduirait la citoyenneté à la socialisation » et que le vivre « n’est pas un moyen pour une autre fin, mais la sienne propre » (Duhamel, 2010, p. 119-122). Le travail de prévention qui fait partie de l’éducation au vivre-ensemble (par exemple, la prévention contre la violence dans le LP 21, contre le harcèlement ou contre les radicalisations dans le PER VD) est aussi susceptible d’entraîner un rabattement sur des approches normatives ou des stratégies d’évitement. En effet, les enseignants spécialistes formés aux sciences humaines et sociales, qui sont les principales disciplines concernées par le vivre-ensemble, n’ont souvent pas acquis, durant leurs études universitaires, de compétences particulières en matière de prévention. Le risque est de voir ces acteurs se rabattre sur une moralisation stigmatisante et peu efficace ou d’éviter purement et simplement ces contenus d’enseignement. La mise sur pied de formations incluant des éléments d’éthique et de prévention psychosociale pourraient s’avérer utiles pour aborder ces objets en contexte de formation des enseignants, pour autant bien sûr que l’on juge cette prévention légitime et surtout réalisable dans le cadre de la dotation horaire allouée aux disciplines des sciences humaines et sociales.
Un manque d’attention par rapport aux processus de décentrement et de secondarisation. Le vivre-ensemble et la pratique citoyenne dans le PER sont fortement orientés sur la vie scolaire avec une focale sur le respect des règles au cycle 1. Cet ancrage dans l’ici et le maintenant associé au maintien de l’ordre scolaire soulève au moins deux questions : d’une part, celle des conditions favorisant une prise de distance par l’élève de son univers quotidien et donc des moyens mis en oeuvre pour encourager des processus de décentrement (passer par le lointain ou l’imaginaire pour créer une distance et une réflexivité) (Meylan, 2015, p. 92) et de secondarisation (passer d’un genre de discours premier à un genre de discours second) (Bakhtine, 1978). Comme l’ont montré différentes études sociologiques, les processus de décentrement et de secondarisation sont importants pour la réussite scolaire (Bautier et Goigoux, 2004) et sont plus fréquemment mis en oeuvre par des élèves de catégories sociales favorisées en raison d’habitudes sociales et éducatives qu’ils entraînent à l’extérieur de l’école (par exemple la critique des normes sociales et la négociation au quotidien) (Barrère et Martucelli, 1998, p. 665). Ainsi, si la fin visée d’une éducation au vivre-ensemble rejoint celle d’une forme d’égalité sociale entre les élèves, la question se pose de savoir comment mettre en place (ou, pour les didacticiens, d’aider à mettre en place) des situations d’enseignement-apprentissage qui permettent aux élèves en difficulté (le plus souvent ceux de milieux populaires, mais non exclusivement) à quitter le « je-ici-maintenant » du quotidien pour « construire des objets du monde comme objets de savoir » (Richard-Princippali et Crinon, 2019, p. 163). Nous faisons l’hypothèse que la proposition que fait le LP 21 d’interroger le vivre-ensemble en tant qu’objet (et non comme une fin) et à des échelles plus larges que l’école favorise ces processus de décentrement et de secondarisation. Ce lien entre éducation au vivre-ensemble et (in)égalités scolaires est un point que nous souhaiterions reprendre et approfondir dans une recherche ultérieure, tout comme celui entre le vivre-ensemble et l’attention portée à l’environnement.
Parties annexes
Notes
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[1]
Le plan d’études de langue italienne n’a pas été pris en compte dans cette étude. Il fera l’objet d’une analyse dans une phase postérieure de notre recherche.
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[2]
Le canton de Vaud fait partie de la Suisse romande et a donc adopté le PER. En tant que spécificité cantonale, la discipline éthique et cultures religieuses a fait l’objet d’une adaptation vaudoise entre 2017 et 2019, débouchant sur un plan d’études spécifique que nous analyserons dans le cadre de cet article.
-
[3]
D’autres éléments pourraient être investigués, comme l’association faite dans le LP 21 et le PER entre vivre(-)ensemble et activités physiques en commun : s’agit-il d’un héritage de l’armée de milice souvent présentée comme un instrument de cohésion nationale en Suisse (par exemple, RSA, 2019, chap. 2)? On rappellera qu’en Suisse, notamment, la gymnastique a été introduite à l’école pour contribuer à l’éducation militaire de la jeunesse (Girardin, 2018).
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[4]
Les numéros de page renvoient systématiquement à la version papier du LP 21 (D-EDK, 2016). Les traductions de l’allemand en langue française sont de l’auteure (il n’existe pas de traduction officielle du LP 21 en français).
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[5]
Par exemple, le domaine « Espaces, Temps et Sociétés » comprend, au secondaire 1, l’histoire, la géographie et l’éducation à la citoyenneté (Fink et Gautschi, 2017, p. 74-75).
-
[6]
La désignation en allemand est politische Bildung, littéralement formation politique, parfois associée à Menschenrechtsbildung, formation aux droits humains. Pour un historique et une discussion sur l’articulation entre EDD et EC dans le LP 21, voir Ziegler (2011).
-
[7]
Ce terme est utilisé ici dans le sens d’une « réponse de sens commun qui prétend s’imposer comme une évidence alors qu’elle est d’abord une expression de la pensée dominante » (Heimberg, 2012). Selon Heimberg, une doxa n’est pas seulement une manifestation d’opinion du seul espace public, elle peut aussi provenir des milieux académiques.
-
[8]
En Suisse, le concordat HarmoS (accord intercantonal du 14 juin 2007 sur l’harmonisation à l’école obligatoire), entré en vigueur en 2009, à la suite d’une acceptation par le peuple suisse de nouveaux articles constitutionnels sur la formation, a servi de cadre à l’élaboration des deux plans d’études. Si le LP 21 suit le concordat sur l’apprentissage d’une deuxième langue nationale à l’école primaire, l’argumentation qu’il déploie en faveur du vivre-ensemble révèle, elle, la dimension sociale et politique de cette question.
-
[9]
On remarquera que cet apprentissage fait également l’objet d’un commentaire très ancré dans le contexte régional lorsqu’il est dit que la langue allemande « est souvent sujette à des attitudes négatives » (CIIP, 2010c, p. 19).
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[10]
Explication du code. FG = Formation générale. 14-15 : le chiffre notant la dizaine (p. ex. 14) indique le degré auquel l’objectif est travaillé, ici le cycle 1.
-
[11]
Selon la typologie d’Heinich (2017), le « souci de ne pas faire du mal » qui transparaît dans des valeurs comme le respect ou le pardon relèvent du registre éthique alors qu’une valeur comme la justice, qui est moins individuelle et plus collective, fait partie du registre civique. Si l’on suit la typologie de Schwartz (1992), on reconnaît des valeurs qui relèvent du registre universel (la paix, l’égalité, la justice) et d’autres qui relèvent du registre de la sollicitude (le pardon).
-
[12]
Heinich (2017, p. 251) classe le sport dans le registre ludique des valeurs, « en tant qu’il relève de l’agon, de la compétition ».
-
[13]
J’ai ajouté ici cette composante de l’objectif FG35, sans laquelle il serait difficile de faire le lien entre l’objectif de la formation générale et certains apprentissages visés.
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[14]
Les objets à travailler en éthique ne sont pas plus nombreux qu’auparavant (les valeurs citées sont même moins nombreuses), mais le plan d’études est plus explicite sur les savoir-faire et attitudes à travailler en lien avec la formation générale au cycle 1 (par exemple, respecter des règles, donner son avis et respecter l’avis de l’autre ainsi que les aspects en lien avec la santé, comme respecter ses besoins). On remarquera aussi qu’à travers la réduction des contenus de cultures religieuses, l’axe éthique ressort avec davantage de force, d’où cette idée d’une plus grande visibilité.
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[15]
Les éléments « la vie de Jésus » et « Abraham » ont été maintenus, ce dernier cependant en tant que figure de référence des trois monothéismes. De même, le plan d’études prévoit d’étudier les valeurs humanistes et religieuses portées par Jésus, Moïse, Bouddha et Mohammed, selon une approche qui privilégie la prise en compte d’une pluralité de religions.
-
[16]
Il n’est pas le lieu ici de discuter dans quelle mesure les objectifs d’apprentissage du PER (CIIP, 2010h, p. 28-29) correspondent à des compétences ou non. Le fait que le PER procède à des découpages très fins de ces objectifs d’apprentissage (découpage en composantes) et possiblement liés à des contenus précis, comme en éthique et cultures religieuses, me conduit ici à considérer le PER comme étant moins orienté sur les compétences que le LP 21.
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