Corps de l’article

Introduction

L’égalité entre les sexes, concept fondamental de la perspective de genre, fait maintenant partie intégrante des politiques nationales et internationales d’aide au développement. Les organisations non gouvernementales (ONG) qui bénéficient des fonds accordés par les agences nationales de développement et les organismes multilatéraux ou par les différentes fondations philanthropiques modernes s’inscrivent aussi dans cette mouvance, bien que l’argumentation en faveur de la prise en compte de l’approche de genre varie d’un bailleur de fonds à l’autre (Damamme, 2007, p. 236)[1]. Si les ONG de développement ont emboîté le pas, c’est qu’elles sont tributaires des conditions imposées par leurs bailleurs de fonds[2]; mais beaucoup ont aussi été amenées à définir leurs propres politiques, qu’il s’agisse de politiques de « genre et développement », d’« égalité entre les sexes » ou d’« égalité entre femmes et hommes » et à les appliquer en raison de leurs convictions de justice sociale ou parce que l’expérience leur a démontré que le succès de leurs initiatives reposait souvent sur une implication active des femmes en tant que parties prenantes du développement[3].

À la convergence d’une préoccupation grandissante pour le développement durable et du souhait pour l’autonomisation des femmes, qu’elle soit sociale, politique ou économique, on retrouve de façon grandissante la promotion des formes organisationnelles liées à l’économie solidaire, tout particulièrement les coopératives. En effet, c’est en même temps que l’économie solidaire en général et les coopératives tout particulièrement cherchent à faire leur place - certains diront avec retard et hésitation – dans la tribune du développement durable et que les coopératives émergent de plus en plus dans le discours du développement, en tant que porteur et vecteur permettant aux femmes d’élargir leurs perspectives sociales, politiques et économiques et de contribuer à la réduction des rapports inégalitaires dans les communautés qui les ont vues naître.

Si les femmes, par leur appartenance aux coopératives, peuvent accroître leur autonomie sur tous les plans, ce qui est une composante essentielle d’un développement local qui se veut durable, nous pensons aussi que les coopératives peuvent prendre en charge la réduction des inégalités entre femmes et hommes. D’une part, en facilitant l’adhésion des femmes et en maximisant les bénéfices que celles-ci peuvent en retirer et, d’autre part, en étant des agentes actives de transformation des rapports entre femmes et hommes en leur sein et dans leurs communautés. Dans cet article, nous analyserons la stratégie d’égalité entre femmes et hommes du projet COOPFORH, qui vise à ce que les coopératives forestières soutenues, à forte dominance masculine, prennent en charge la promotion de l’égalité entre femmes et hommes (ÉFH), et nous présenterons les résultats, à ce jour, de cette initiative.

Égalité entre les sexes et coopératives

Le mouvement coopératif est reconnu comme étant un acteur du processus d’émancipation des masses populaires qui a marqué le 20e siècle (Marcone, 2000, p. 4), à tout le moins dans les pays industrialisés, en contribuant à la démocratie économique, établissant un modèle entrepreneurial fondé sur le protagonisme d’acteurs sociaux auparavant considérés comme faibles. Ce n’est donc pas d’hier que l’on a remarqué que les coopératives pouvaient jouer un rôle intéressant dans l’autonomisation des femmes. Séguin (1995, p. 187) nous rappelle que, dès 1949, Georges Fauquet avait invité les femmes à considérer l’activité coopérative et associative comme un moyen susceptible de favoriser leur affranchissement, voire leur émancipation.

Si, dans la pratique, cela fait déjà un bon moment que les coopératives fournissent, partout dans le monde, des opportunités de travail et une insertion dans la société et l’économie (Marcone, 2000, p. 3) à des hommes et des femmes défavorisés, et que certains organismes de développement font la promotion de ce mode d’organisation auprès de groupements de femmes, elles ont bénéficié récemment d’une reconnaissance accrue en ce sens dans le discours du développement international. C’est par leur éthique égalitaire, leurs prises de décisions collectives, leur propriété commune et leurs objectifs dépassant un simple but lucratif que l’on considère que les coopératives sont en mesure d’élargir les perspectives économiques et sociales offertes aux femmes dans le monde entier[4] et qu’elles constitueraient par le fait même une voie à privilégier pour l’autonomisation des femmes et, en conséquence, pour la réduction des rapports inégalitaires entre les sexes.

Cette conviction, affirmée par des organisations nationales et multilatérales d’envergure, n’est toutefois pas révélée par un corpus de littérature très imposant sur l’autonomisation des femmes et les changements dans les rapports sociaux de sexe se produisant à l’intérieur des coopératives ou grâce à elles, selon les valeurs et les dynamiques qui leur sont propres (Valdivieso Ide, 2007, p. 124). Les praticiens qui appuient des coopératives de base dans les pays en développement constatent souvent une absence de données sexospécifiques sur les membres et les directions de ces organisations, ce qui pourrait contribuer à expliquer qu’il ait été difficile d’y documenter la position des femmes relativement à celle des hommes, de même que son évolution.

Toutefois, quelques études montrent les bénéfices que les femmes pourraient retirer de leur appartenance aux coopératives, du point de vue tant de leurs besoins pratiques (leur condition) que de leurs intérêts stratégiques (leur position)[5]. Nous traiterons ici des bénéfices constatés et non de l’ensemble des bénéfices qui seraient souhaitables. Nous pouvons les classer en trois catégories principales, étroitement interreliées, qui permettent d’améliorer la condition des femmes et leur position.

Accès à des opportunités économiques

Dans les pays en développement, les coopératives représentent un modèle avantageux pour les femmes, qui ont souvent moins de ressources (économiques et sociales) que les hommes. La mise en commun des ressources (partage des coûts et des avantages) et l’organisation collective de la production, de la transformation et de la commercialisation répondent particulièrement bien à leur situation et les aident à obtenir un travail décent et des revenus stables, les rapprochant ainsi du système économique formel. Le fait de toucher un revenu est un élément clé dans l’obtention d’un réel statut social et l’accès à des ressources productives, à la propriété et à des services de base, tels que les soins médicaux et l’éducation pour leurs enfants. L’accès à des services d’assurances, à des services funéraires ou, encore, l’accès à la propriété ou la jouissance d’une habitation sont d’autres exemples de bénéfices économiques pour les femmes.

Les coopératives féminines en Asie du Sud, par exemple, « facilitent l’indépendance économique et améliorent le statut social des femmes en leur permettant de participer activement aux affaires, d’acquérir une expérience en matière de gestion et d’accéder à d’autres possibilités de formation » (Assemblée générale des Nations Unies, 2009, p. 9). Dans le cas de nombreuses femmes nigérianes, l’appartenance aux coopératives a permis de réduire la pauvreté de manière importante (Ogunbameru, Okelue et Idrisa, 2010, p. 103). Farah Quijano (2005, p. 78) nous donne aussi l’exemple d’une importante coopérative d’épargne et de crédit colombienne, qui permet à ses membres et leaders féminins de satisfaire leurs besoins matériels et ceux de leurs familles en ayant accès aux services d’épargne et de crédit, à de la formation et à un certain nombre d’activités qui leur sont spécifiquement destinées.

Promotion de l’éducation et de la solidarité sociale

Lorsque les principes coopératifs sont réellement appliqués, ils ouvrent la porte à l’éducation et à la formation dont les femmes membres ont besoin pour renforcer leur estime d’elles-mêmes et favoriser leur devenir de décideuses et d’entrepreneures. Lorsque les femmes comme les hommes y ont accès, les coopératives peuvent aussi instaurer une certaine solidarité entre les membres des deux sexes ainsi qu’une transformation des rapports inégalitaires, cela, en facilitant le dialogue social. Ainsi, en plus de partager les coûts et les avantages, comme nous l’avons déjà évoqué, les membres des coopératives sont amenés à communiquer leurs expériences et à transmettre leurs connaissances par différentes activités, telles les assemblées et réunions liées à la vie associative, les activités productives et de gestion et des activités de formation communes utiles.

La coopérative d’épargne et de crédit étudiée par Farah Quijano (2005, p. 70) constitue ainsi un espace de développement personnel et de relations humaines favorables et équitables pour ses membres et élus, femmes et hommes, contribuant par ailleurs à l’accroissement de la confiance en soi. Valdivieso Ide (2007, p. 140) nous donne un exemple très simple mais éloquent d’un évènement festif dans une coopérative vénézuélienne où les membres hommes et femmes étaient appelés à laver la vaisselle ensemble, rompant ainsi avec la répartition traditionnelle des tâches. Elle constate aussi, dans d’autres coopératives, que des femmes membres ont la possibilité, à travers leur participation, de discuter au sujet de leur situation commune de subordination à l’égard des hommes et d’entreprendre un processus les menant à développer une pensée critique individuelle et collective aboutissant à la mise sur pied de projets collectifs porteurs de transformation des relations entre les sexes (Valdivieso Ide, 2007, p. 140). Farah Quijano (2006, p. 210), dans son étude portant sur trois coopératives colombiennes de recyclage, constate que tout le travail éducatif et l’appui-conseil effectués par les coopératives auprès des femmes membres, jusqu’alors marginalisées, entraînent des effets positifs sur leur estime d’elles-mêmes, sur le sentiment de leur propre valeur ainsi que sur leur confiance en elles-mêmes.

Accès aux processus décisionnels

La structure démocratique des coopératives est conçue de manière à permettre aux membres de participer aux processus décisionnels, sans distinction de sexe et sur un pied d’égalité, tant du côté des assemblées de membres que des postes d’administration élus. Selon Prakash (2003, p. 9), 

Experiments made in different parts of the world clearly indicate that women’s participation in cooperatives and other local government bodies not only provides them an opportunity to articulate their problems but it also helps them to be an active partner in decision-making process.

Cette implication des femmes dans le processus décisionnel aux côtés des hommes, en plus de leur permettre d’influencer le développement des coopératives dans le sens de leurs intérêts autant pratiques que stratégiques, est un lieu de construction de rapports plus égalitaires entre femmes et hommes qui, dans certaines circonstances, peut aussi irradier dans les familles et les communautés entières. Dans la coopérative d’épargne et de crédit étudiée par Farah Quijano (2005, p. 78) par exemple, l’intervention des femmes en tant que leaders élues dans les coopératives leur a permis d’accroître leur participation dans la sphère publique, notamment les mairies. En plus de ce meilleur positionnement dans la sphère publique, les femmes de la coopérative ont gagné un plus grand pouvoir de décision et d’action en ce qui concerne la sphère domestique.

Le cas des coopératives mixtes

Pour les praticiens du développement, il existe toutefois une reconnaissance, tantôt explicite et tantôt implicite, que des inégalités peuvent être présentes dans ce type d’organisations, notamment que les femmes ne soient pas toujours proportionnellement représentées dans le sociétariat ou dans les instances de direction des organisations paysannes mixtes. Notons ainsi que le Bureau international du travail (BIT) a intégré dans sa recommandation 193 sur la promotion des coopératives un paragraphe spécifique visant l’accroissement de la participation des femmes à la direction et à la gestion (BIT, 2002, p. 4), reconnaissant du même coup deux choses fondamentales. La première est que les coopératives sont des vecteurs potentiels d’égalité. La seconde est que l’égalité n’est cependant pas encore une réalité dans les coopératives mixtes, les coopératives féminines ayant à relever d’autres types de défis sur lesquels nous ne nous attardons pas dans cet article.

L’égalité entre femmes et hommes dans les coopératives mixtes ne se réalise donc pas forcément plus à l’intérieur qu’en dehors de celles-ci. Cela tient probablement en partie au fait que, comme le souligne Saint-Martin (1995), « le concept de coopérative renvoie à des stratégies singulières, même si celles-ci répondent à des principes et des valeurs reconnus internationalement » (1995, p. 121). En d’autres termes, les coopératives, nées du besoin de se regrouper de leurs membres pour répondre à un besoin commun auquel leurs ressources individuelles étaient incapables d’apporter une réponse satisfaisante, sont profondément construites par leur milieu et enracinées dans celui-ci, avec tout ce que cela peut entraîner en termes d’interdits et d’autres normes socioculturelles.

L’étude internationale de 1987 réalisée par Mavrogiannis pour le BIT constitue à notre avis un document qui est toujours d’actualité, plus de vingt ans après sa publication, pour comprendre la situation des femmes dans les coopératives de producteurs et productrices des pays les moins développés et même dans les coopératives d’autres types. Mavrogiannis constate ainsi que dans les coopératives de cultures vivrières comme de rentes, dans le maraîchage comme dans le petit et le gros élevage, les femmes participent amplement aux travaux liés aux activités des coopératives, tout spécialement en milieu rural, mais qu’elles n’ont pas accès au sociétariat des coopératives, donc encore moins à leurs instances de direction. Il résume ensuite la situation en ces termes :

Cet état de choses, dans la majorité des cas, ne relève pas de discriminations juridiques formelles, ou rigoureuses, mais provient de la prédominance du rôle économique de l’homme et de la dominance masculine au foyer comme à l’extérieur, question très étroitement liée aux obstacles socio-économiques et socio-culturels et aux rôles limités et stéréotypés des femmes

Mavrogiannis, 1987, p. 18

Cet avis est aussi formulé, bien qu’en d’autres termes, par Idrisa et al. (cité dans Ogunbameru, Okelue et Idrisa, 2007, p. 97). C’est dire que les mouvements coopératifs dans plusieurs pays se sont constitués sur la base des discriminations structurelles entre les femmes et les hommes, en accommodant la philosophie de type égalitaire inscrite dans les fondements mêmes de la pensée coopérative à une réalité inégalitaire. Un exemple commun est le cas des coopératives qui prônent, d’une part, le premier principe coopératif, c’est-à-dire l’adhésion volontaire et ouverte à tous, donc sans discrimination fondée sur le sexe, tout en n’admettant, d’autre part, comme membres que les « chefs de famille », fonction officiellement assignée aux hommes, ou encore en restreignant l’adhésion aux propriétaires terriens (Prakash, 2003, p. 9), un bénéfice trop peu couramment accessible aux femmes.

Ainsi, malgré les convictions affichées dans les instances nationales et internationales en ce qui a trait à l’ÉFH et malgré la mise en évidence d’un moyen – les coopératives – contribuant à favoriser l’autonomisation des femmes, les praticiens du développement sont confrontés dans leurs pays d’intervention à des organisations coopératives où les femmes sont parfois sous-représentées à tous les échelons et qui intègrent généralement très peu l’ÉFH à leur agenda.

Devant ce type de réalité, les praticiens du développement ont pu dire que les structures entrepreneuriales collectives mixtes représentaient un modèle impensable en raison des prescriptions culturelles et politico-économiques régissant la place sociale des femmes (Saint-Martin, 1996, p. 122). D’ailleurs, dans ces contextes, on observe que les coopératives de femmes prolifèrent (Prakash, 2003, p. 9). Dans ces cas, le principe d’adhésion volontaire et ouverte à tous et toutes sans discrimination fondée sur le sexe a été officieusement « élargi » pour en venir à signifier dans les faits que les femmes comme les hommes pouvaient avoir accès au sociétariat d’une coopérative, mais pas de n’importe laquelle. De fait, pour les praticiens du développement, le soutien à la création de coopératives essentiellement féminines peut être la voie à privilégier dans des contextes socioculturels et économiques particuliers. C’est ce que certains auteurs ont fait valoir, à tout le moins comme forme transitoire de regroupement des femmes et afin d’habiliter celles-ci à prendre leur place subséquemment dans les organisations mixtes[6].

Mais nous pensons aussi, à l’instar de Prakash, que les coopératives et leurs fédérations peuvent d’elles-mêmes prendre l’initiative d’instaurer des mesures pour accroître la participation des femmes en leur sein (Prakash, 2003, p. 12) et que, considérant la domination masculine dans les coopératives, le renforcement des compétences en termes de gouvernance et d’inclusion est essentiel[7] (DFID/UK-AID, 2010, p. 18). Nous avons selon nous des conditions qui peuvent justifier une tentative d’intégration plus grande des femmes à des coopératives là où des coopératives préexistantes constituent le moteur central d’un développement économique local auquel les femmes n’ont pas accès, lorsque l’intégration des femmes à ces coopératives bien établies socialement et économiquement pourrait être un levier important au développement de leurs propres activités économiques, en plus d’être un lieu de transformation sociale par l’interaction entre femmes et hommes sur une base égalitaire qu’elles peuvent entraîner, et, enfin, lorsqu’une transformation des mentalités des acteurs et actrices semble possible dans un laps de temps raisonnable. Ces conditions étaient réunies dans les coopératives forestières honduriennes appuyées par le projet COOPFORH.

Le projet COOPFORH et sa stratégie de réduction des inégalités entre femmes et hommes

Le projet COOPFORH a débuté en mars 2009 et il vise, dans son ensemble, l’amélioration des conditions de vie des familles bénéficiaires grâce à l’utilisation rationnelle et durable des ressources forestières. Ces familles appartiennent à 27 organisations, dont 15 coopératives de producteurs de résine de pin et 12 organisations de producteurs de bois de la forêt feuillue. Ces dernières, qui étaient des sociétés collectives en début de projet, sont devenues des coopératives avec l’appui du projet. Dans les communautés où sont implantées les coopératives visées par le projet, il est important de mentionner que ces entreprises sont les seuls ou du moins l’un des seuls lieux d’exercice d’une activité économique. C’est aussi l’un des trois seuls lieux de pouvoir et d’influence, avec le patronato[8] et l’Église, les femmes y exerçant relativement peu de pouvoir.

La stratégie d’égalité entre femmes et hommes qui fonde le projet vise à accroître la participation des femmes en tant que membres et élues au sein des entreprises coopératives forestières soutenues, ce qui ne peut se réaliser dans ce cas-ci que par la mise sur pied ou le renforcement d’activités génératrices de revenus pour les femmes ou, à tout le moins, susceptibles d’intégrer un grand nombre d’entre elles. On espère ainsi contribuer à l’accès direct et au contrôle par les femmes des ressources et des bénéfices dont elles ont besoin pour leur développement. On compte aussi, à terme, contribuer à l’autonomisation des femmes et à la réduction des rapports inégalitaires entre hommes et femmes dans les coopératives et, par extension, dans les communautés touchées.

La stratégie choisie pour le projet consiste principalement à favoriser la prise en charge de la promotion de l’égalité entre femmes et hommes par les coopératives elles-mêmes, à travers un processus de sensibilisation et de formation participatif menant à l’élaboration de plans de réduction des inégalités et à l’intégration de ceux-ci dans des plans de développement des organisations. Les agents locaux du projet doivent appuyer la mise en oeuvre de ces plans en veillant à leur appropriation locale, dans l’optique d’une autonomisation des partenaires, respectant en cela la stratégie de désengagement du projet basée sur la pérennisation des connaissances et des compétences à l’intérieur des organisations. L’opérationnalisation de cette stratégie se base donc en grande partie sur le développement de la conscience et des compétences des acteurs des coopératives en vue de générer une véritable appropriation de la motivation et des processus qui, espère-t-on, permettra d’assurer une pérennité de la gestion du dossier de l’ÉFH au sein des coopératives visées, qui sont souvent le principal moteur de développement économique et même social de leur région.

Les femmes dans le secteur forestier et agroforestier de rente au Honduras

Dans les régions rurales visées par le projet, les femmes sont surtout impliquées dans la production de subsistance, telle que la culture de maïs et de haricots. Ce travail, malgré son importance pour la survie de la famille, est peu reconnu socialement en plus de n’être pas comptabilisé financièrement (FAO, 2008, p. 87). Il existe très peu d’écrits portant spécifiquement sur l’accès aux ressources forestières par les femmes, sur le contrôle qu’elles peuvent exercer sur ces ressources, sur les rôles des femmes et leurs responsabilités dans ce secteur, ainsi que sur leurs intérêts, leurs besoins et sur les contraintes qui les affectent. Les quelques études qui existent, de même que l’expérience de SOCODEVI au Honduras, démontrent toutefois que la forêt, dans ce pays, est principalement gérée par les hommes, chefs de famille et généralement propriétaires de la terre. De plus, les activités traditionnellement liées à l’exploitation forestière et à l’exploitation agroforestière sont considérées par les populations comme étant typiquement masculines, tout particulièrement le gemmage et la coupe de bois, activités principales des membres des coopératives appuyées par le projet. Or, ces activités demandent une force physique importante ou un éloignement pendant des périodes relativement longues du domicile familial et dans des conditions difficiles (logement dans des campements sommaires, par exemple). Une forte résistance au travail des femmes dans les activités forestières de coupe et de gemmage persiste donc. Cette résistance est liée aux capacités physiques requises pour accomplir le travail (transport de résine et coupe en forêts de pins), aux conditions de travail dans les camps et à la difficulté d’adapter les camps pour qu’ils répondent aux besoins des deux sexes (dans les forêts feuillues, par exemple). Cette dernière difficulté est considérable, car elle impliquerait une augmentation substantielle des coûts du travail en forêt et diminuerait d’autant la compétitivité des coopératives. En bref, on constate une marginalisation des femmes dans l’exploitation forestière et agroforestière de rente en raison de conditions culturelles et sociales qui conditionnent leur rôle dans les communautés et leur accès aux ressources, suivant une répartition traditionnelle des rôles et responsabilités dans les familles. La résistance à la participation des femmes aux activités forestières n’est pas attribuable qu’aux hommes. En effet, les femmes elles-mêmes se montrent peu intéressées par le travail forestier, qui exige un éloignement de leur famille et une force physique importante.

De plus, les stéréotypes de genre présents dans la société hondurienne se reproduisent dans l’assistance technique accordée aux producteurs, de même qu’au sein des autres mesures incitatives dans le secteur forestier. Ainsi, une consultation nationale des femmes dans le secteur forestier a montré entre autres que la formation reçue par les femmes se limitait aux aspects sociaux liés au rôle reproductif, alors que la formation technique était réservée aux hommes (Flores, 1995, p. 3).

Situation des femmes dans les coopératives forestières et agroforestières appuyées par le projet

L’accès au sociétariat et, par conséquent, l’accès à la formation, à l’information, de même que la participation dans toute la structure décisionnelle, sont d’abord l’apanage des producteurs forestiers, en large majorité des hommes. Ainsi, en début de projet, les femmes ne constituaient que 9 % du sociétariat total des coopératives appuyées en forêt de pins et en forêt feuillue. En ce qui concerne leur participation dans la structure décisionnelle, elle était aussi très faible, mais cohérente avec leur faible participation au sociétariat, à la hauteur de 7 % de femmes élues.

Les femmes membres des coopératives sont généralement bénéficiaires de l’usufruit de parcelles de forêt qu’elles auront reçues en héritage et, par ce biais, deviennent membres des coopératives. Il est toutefois commun de voir que les femmes bénéficiaires de forêts engagent des hommes pour se charger de leur exploitation.

Si l’on exclut le fait que l’on doive être producteur forestier pour avoir accès au sociétariat, il y a actuellement peu d’espace pour favoriser l’implication des femmes dans les coopératives. D’une part, l’apport des femmes et des filles dans l’exploitation des ressources forestières ligneuses et de la résine est actuellement très limité, pour les raisons mentionnées plus haut. On ne peut donc faire valoir l’apport des femmes à la production pour leur ouvrir les portes des coopératives. D’autre part, les possibilités productives sont limitées par le fait que les coopératives n’intègrent pas d’activités de production ou de transformation qui pourraient accorder une place aux femmes.

Bien que certaines aient réussi à occuper des charges de direction, les femmes membres d’organisations n’ont pas réalisé d’actions visant à créer des opportunités pour d’autres femmes, probablement en raison de toutes les contraintes déjà identifiées et aussi du fait que les hommes comme les femmes ont été peu ou pas sensibilisés aux questions d’égalité entre femmes et hommes et à la possibilité d’intégrer des femmes dans les coopératives. De prime abord, les membres n’en voient pas la nécessité ni l’utilité, puisque l’on considère que la place des femmes est au foyer, dans l’attention et les soins à leur famille.

L’expérience de SOCODEVI dans l’appui à des organisations forestières au Honduras et dans d’autres pays d’Amérique latine (Uruguay, Argentine et Guatemala) a cependant montré que les collectivités sont généralement ouvertes à la participation des femmes ou qu’elles peuvent le devenir à condition d’avoir accès à des activités de sensibilisation adaptées à leur réalité et dans la mesure où un secteur d’activité économique répondant aux besoins des femmes peut être identifié. Le projet a donc adopté comme hypothèse de travail qu’une prise de conscience était possible chez les hommes et les femmes de ce secteur et qu’elle pourrait être développée et mise à profit de façon à apporter graduellement des changements au sein des coopératives et, par extension, au sein des communautés.

Processus de sensibilisation et d’habilitation à la prise en charge de la promotion de l’égalité entre femmes et hommes par les coopératives

La première étape à franchir afin que les coopératives puissent développer leur potentiel d’agents de changement en vue de la transformation des rapports inégalitaires entre femmes et hommes consistait à sensibiliser les membres des coopératives, dans ce cas-ci une grande majorité d’hommes, mais aussi les femmes des communautés. Cette première sensibilisation visait à éveiller les participants à l’existence des inégalités ainsi qu’aux bénéfices qu’ils pourraient retirer d’une participation plus égalitaire des femmes et des hommes. Il est à noter que, malgré leur très faible implication dans le sociétariat à ce moment-là, 29 % des personnes participant à la journée de sensibilisation étaient des femmes, autant des membres que des non-membres. À cette étape, les commentaires reçus étaient éloquents de la part de ces femmes qui disaient avoir enfin la possibilité et l’opportunité de participer à une organisation à laquelle seuls leurs maris avaient participé jusque-là. Du côté des hommes, on a dans la plupart des cas noté une belle ouverture, mais aussi un certain scepticisme chez ceux qui, plus pragmatiques, se demandaient dans quelle activité les femmes pourraient se faire une place, étant donné qu’elles ne possèdent pas de forêt. Seuls quelques hommes se sont montrés ouvertement hostiles à l’intégration des femmes dans la coopérative.

La seconde étape a consisté à animer, dans chacune des organisations, un atelier de collecte de données portant sur les dimensions principales des coopératives et du travail productif associé à celles-ci. Encore une fois, la participation à 27 % des femmes a largement excédé leur part dans le sociétariat. Les résultats de cette étape de collecte de données apparaissent de manière tangible du fait que des données détaillées ont été recueillies et sont maintenant disponibles, donnant le portrait de départ grâce auquel les coopératives pourront mesurer l’évolution de la situation. On espère que la collecte de données par les acteurs et actrices mêmes du processus contribue aussi, et peut-être même surtout, à une prise de conscience par rapport à la situation, de même qu’à son appropriation, dans une optique d’autonomisation des organisations au regard de l’égalité entre les sexes.

Dans un troisième temps, la réalisation de diagnostics et l’élaboration de plans d’action participatifs, réalisés pour l’instant dans les 15 coopératives de la forêt de pins avec une participation de 25 % de femmes, avaient pour objectif l’appropriation, par les coopératives, d’un processus d’analyse de la situation femmes/hommes dans leur communauté et leur coopérative, d’identification d’inégalités et de formulation de plans d’action pour y remédier. L’analyse de la situation femmes/hommes s’est effectuée dans un premier temps du point de vue des ressources et des bénéfices ainsi que des tâches et des responsabilités des femmes et des hommes dans la communauté, cela, afin qu’ils soient en mesure de comprendre les contraintes et les opportunités principales qui en découlent, puis de faire le lien avec les principales différences entre femmes et hommes dans leur coopérative. Les participants ont ensuite été amenés à explorer différentes hypothèses visant à expliquer les inégalités entre femmes et hommes dans l’organisation. Ils se sont également entendus sur les changements qu’ils désiraient voir se produire dans leur coopérative en matière d’égalité entre hommes et femmes. Une étape importante de la démarche a ensuite consisté à les sensibiliser à l’importance que les actions planifiées à l’intérieur du plan d’action – pour qu’elles aient un impact réel en termes de transformation des rapports inégalitaires – favorisent l’autonomisation des femmes et l’implication pleine et entière des personnes visées par les changements.

Les plans d’action élaborés en conclusion du processus de formation ont montré qu’une prise de conscience des inégalités entre femmes et hommes a déjà débuté, du moins auprès d’un bon nombre de membres des coopératives, hommes et femmes, et auprès de femmes des communautés visées. Ce qui retient aussi l’intérêt est le fait que, d’une part, les membres des conseils d’administration se sont montrés désireux de déterminer les conditions permettant d’accroître le sociétariat, notamment de femmes, au sein de leur coopérative, ce qui représente pour leur organisation des bénéfices, notamment économiques. D’autre part, les femmes non membres convoquées aux formations ont participé de manière très active et avec beaucoup de motivation, parce que c’était la première fois qu’elles étaient invitées à participer aux activités de la coopérative et qu’on leur montrait des possibilités d’en devenir membres, même si la question des montants d’achat des parts sociales a dû être soulevée. Cependant, plusieurs se sont interrogées sur les conditions de réalisation des projets économiques permettant d’accroître le sociétariat féminin.

Principalement, les participants ont défini les quatre objectifs suivants, mais avec des cibles et des moyens adaptés à leur coopérative :

  • promouvoir la création d’activités économiques pour les femmes à l’intérieur de la coopérative;

  • accroître le sociétariat féminin;

  • assurer une meilleure représentation des femmes chez les élus;

  • renforcer les capacités des femmes afin qu’elles participent de manière active et effective à tous les niveaux.

Résultats à ce jour

Bien que les diagnostics et les plans d’action n’aient pas été établis dans les 12 organisations de la forêt feuillue, on peut déjà observer une très forte augmentation du nombre de femmes membres des coopératives. Il faut souligner que cette appartenance des femmes au sociétariat constitue évidemment une condition à leur participation aux projets économiques projetés par les coopératives.

Pour l’ensemble des coopératives, le sociétariat féminin est passé de 9 % à 27 %, et la plus forte augmentation a été notée du côté des organisations de la forêt feuillue, celles-là mêmes qui n’ont pas encore élaboré leur plan d’action. Cela est attribuable à l’effort particulier de sensibilisation qui a été fait par le personnel du projet au moment de la transformation en coopératives de ces 12 sociétés collectives de la forêt feuillue. Le processus de transformation nécessitait en effet un accroissement du sociétariat et les nouvelles coopératives ont profité des circonstances pour recruter des femmes membres. Dans la forêt de pins, on observe une progression qui dénote la sensibilité et l’intérêt des femmes et des hommes à l’égard de l’intégration des femmes aux coopératives, mais on pense qu’un accroissement du nombre de membres féminins sera possible lorsque les projets économiques auxquels des femmes pourront participer prendront forme. Les femmes ont aussi vu leur participation au sein des instances élues augmenter considérablement, passant de 7 à 29 %, ce qui leur donne la possibilité d’avoir, dans les décisions, un poids proportionnel à leur présence dans le sociétariat des organisations.

L’objectif central des plans d’action des coopératives consiste à susciter la mise en place d’activités économiques significatives et rentables pour les femmes et la participation des femmes au sein d’activités économiques mixtes. La participation des femmes dans le sociétariat prendra alors son sens et c’est à partir de ce moment que la participation effective des femmes pourra réellement se refléter dans tous les aspects. Une importance toute particulière est donc accordée à la recherche et à la mise en oeuvre d’activités économiques porteuses. Sans exclure d’emblée certaines activités, le projet vise à favoriser les activités liées à l’agroforesterie ou à la mise en valeur durable des ressources forestières, afin de contribuer à la rentabilité et à la pleine et entière intégration de ces activités aux coopératives forestières, donc aussi à leur pérennité, en plus de contribuer à réduire l’exclusion traditionnelle des femmes du secteur forestier. La consultation auprès des femmes sur le sujet a toutefois mis en évidence que celles-ci envisagent principalement des activités liées à leur quotidien ou qui sont traditionnellement féminines, telles que la boulangerie ou l’élevage de volailles.

Il est donc primordial que le projet permette aux membres des coopératives de trouver de nouvelles activités économiquement rentables et de valoriser l’implication des femmes dans ces entreprises dans tous les secteurs, y compris dans leur gestion. En ce sens, des activités telles que la production et la transformation du coeur de palmier et la reforestation des pépinières sont actuellement à l’étude afin de connaître leur potentiel économique et leur adéquation avec la réalité, les intérêts et les besoins des femmes. Un autre projet, celui-là en cours, vise activement l’implication des femmes, aux côtés des hommes, dans un projet d’ébénisterie.

Conclusion

Nous estimons que les coopératives, partout dans le monde, bénéficient ou peuvent bénéficier aux femmes. Mais nous pensons aussi, à l’instar de Marcone (2000, p. 13), qu’il est temps pour le mouvement coopératif d’exercer un leadership accru dans la production d’un changement qui permette d’éliminer les obstacles et les barrières qui se dressent encore sur la route de l’autonomie des femmes. En somme, si les coopératives tirent leur force d’un ancrage solide dans la connaissance fine de la réalité de leurs membres et de leur environnement, elles peuvent et elles doivent également être des moteurs de changement rayonnant sur les communautés où elles sont enracinées, et ce, afin d’assurer un développement local durable pour les femmes et les hommes.

La stratégie d’égalité entre femmes et hommes du projet COOPFORH vise à ce que les coopératives forestières et agroforestières appuyées deviennent, consciemment et proactivement, des agentes de réduction des rapports inégalitaires dans leur milieu et cela, malgré le fait que ces coopératives et leurs secteurs d’activité soient traditionnellement dominés par les hommes. Les résultats obtenus jusqu’à présent, soit une augmentation significative des membres féminins (passant de 9 à 27 %) qui s’est reflétée proportionnellement dans les instances élues (passant de 7 à 29 %), montrent que cette stratégie semble favoriser jusqu’à présent le développement de la conscience et des compétences des acteurs, conditions essentielles si l’on veut générer une véritable appropriation de la motivation et des processus dans l’optique d’une réelle prise en charge des problématiques d’égalité entre femmes et hommes.

Le projet consacre actuellement des ressources importantes à la concrétisation des activités économiques projetées, de façon à profiter de la nouvelle sensibilité à l’inclusion des femmes, qui est pour beaucoup justifiée par leur souhait d’accroître les ressources économiques, tant des familles que des coopératives, dans un des pays les plus pauvres d’Amérique latine. Par ailleurs, pour que les femmes tirent tous les bénéfices possibles de leur nouvelle appartenance aux coopératives, tels que nous les avons décrits, cette appartenance devra s’accompagner d’un suivi et si nécessaire de mesures concrètes visant à ce que les femmes présentes dans les instances de direction soient outillées afin d’influencer de manière significative le développement des coopératives dans le sens de leurs aspirations et de leurs intérêts. Il faudra aussi s’assurer que les activités accomplies par les femmes bénéficient d’une valorisation sociale et économique équitable et que les milieux de travail permettent, lorsque cela est possible, de dépasser les stéréotypes sexistes assignant certaines tâches aux hommes et d’autres aux femmes. On devra finalement voir à ce que la participation des femmes aux activités économiques puisse engendrer une redistribution des tâches domestiques au sein des foyers, afin de ne pas entraîner un surcroît de travail insoutenable pour celles-ci.

À terme, la stratégie de désengagement du projet devra permettre que les coopératives soient pleinement habilitées et motivées à assumer elles-mêmes une analyse de genre continue en leur sein, de même qu’à entreprendre et mettre en oeuvre des mesures de correction des inégalités qu’elles rencontreront sur leur parcours.