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Dans un récent rapport, une commission internationale de l’UNESCO (2021) reconnaît l’importance du rôle des enseignantes et des enseignants pour le futur de l’être humain et de la planète : «  Les enseignants jouent, et doivent continuer de jouer, un rôle central dans la refonte du contrat social pour l’éducation en vue de nos futurs partagés.  » (p. 87-88). L’exercice de ce rôle passe par une formation adéquate, amorcée en formation initiale et se poursuivant tout au long de la carrière : «  Le développement professionnel doit s’intégrer dans un continuum, qui commence lors d’une formation initiale associée avec une expérience-terrain supervisée, puis se poursuit avec une insertion, un mentorat et un développement professionnel continu régulier.  » (p. 94). En plus de son caractère continu, il importe, selon la commission, que cette formation soit en lien avec les expériences de vie des personnes enseignantes, qu’il importe de valoriser :

Autant que ses leçons, les expériences de vie d’un professeur sont pour ses élèves un vivant enseignement. C’est pourquoi le «  répertoire existentiel  » de chaque enseignant, l’ensemble de ses connaissances et de ses expériences, est essentiel à son travail. C’est grâce à cette joie d’apprendre, à cet enrichissement culturel, qu’il est l’agent d’une éducation qui se confond avec la vie et qu’il peut contribuer à la création de nouvelles formes de convivialité et de solidarité avec les autres et avec la planète vivante. (p. 91)

Enfin, ce rôle «  ne se limite pas à l’espace professionnel, mais se prolonge dans l’espace public, dans la vie sociale et la construction du bien commun.  » (p.98). À nos yeux, cette assertion confère aux personnes enseignantes une responsabilité pour la formation à l’écocitoyenneté, au sens où l’entend Sauvé (2017, p. 56) : «  Éduquer à la citoyenneté vise l’apprentissage du vivre-ensemble dans la cité humaine. Il s’agit d’une éducation politique, au sens où « politique » fait référence à la prise en charge collective, démocratique, des affaires publiques, des « choses » qui nous concernent tous, dans les différents espaces de notre vie commune.  »

En lien avec une telle conception du rôle des personnes enseignantes, plusieurs initiatives ont été prises au Canada depuis le début du 21e siècle pour que la formation à l’enseignement fasse place à cette évolution des pratiques, particulièrement au sein du mouvement d’éducation pour l’environnement et la durabilité. Mentionnons par exemple :

  • la création en 1999 de la UNESCO Chair in Reorienting Education towards Sustainability à l’Université York  ;

  • la structuration du mouvement ESE-TE (Environmental and Sustainability Education in teacher education) depuis 2015  ;

  • la signature en 2022, d’un Accord on Education for a Sustainable Future par les membres de l’Association canadienne des doyens et des doyennes en éducation (ACDE, 2022).

En complémentarité de ces initiatives entreprises au sein du monde universitaire, les jeunes sur le terrain, membres de mouvements associatifs, ont clairement exprimé de leur côté leur désir que l’éducation relative à l’environnement fasse partie de leur expérience de formation. Depuis 2019, dans la foulée des grèves pour le climat, cela s’est traduit au Québec, par exemple, par la création de collectifs comme La Planète s’invite à l’Université, le Devoir environnemental collectif au collégial ou Pour le futur, au secondaire. Les personnes enseignant à ces divers ordres d’enseignement partagent également ces préoccupations, comme en témoigne le mouvement des Profs pour la planète. Les travaux de la Coalition Éducation, Environnement et Écocitoyenneté qui regroupe plusieurs organisations et individus «  pour stimuler l’institutionnalisation et le plein déploiement d’une éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté au sein de la société québécoise  » (2018) reflètent bien le consensus qui émerge dans les milieux éducatifs au sujet de la place à accorder aux enjeux environnementaux.

Le cours APR 666 – Éducation pour un avenir viable, que nous offrons en ligne à l’Université de Sherbrooke depuis le printemps 2019, s’appuie sur cette conception d’une personne enseignante participant activement à la transformation socio-environnementale par sa pratique professionnelle. Il s’inscrit dans une tradition pédagogique introduite au Québec par la professeure Lucie Samson-Turcotte de l’université Laval dans les années 1970, qui misait sur un apprentissage expérientiel en contact avec la nature pour favoriser l’engagement des enseignantes et des enseignants en faveur de la protection de l’environnement. En continuité avec le mouvement du Outdoor Education, qui a fleuri aux États-Unis et dans les pays scandinaves dans les années 1950-1960, ce cours a graduellement évolué d’une éducation dans et par le plein-air vers une éducation pour le plein-air, au moment même où le domaine de l’éducation à l’environnement se structurait au niveau international. Tout en maintenant un fort accent sur la relation des personnes enseignantes en formation avec le milieu naturel, d’autres dimensions favorisant leur engagement écocitoyen ont été introduites.

Cet article exposera dans un premier temps les fondements et les modalités du cours siglé APR 666 dans sa version actuelle. Nous poserons par la suite la problématique de l’intégration de l’éducation pour un avenir viable dans les pratiques enseignantes, telle que nous la concevons. Comme le suggère le titre de l’article, nous établissons une distinction entre l’intégration du développement de la sensibilité envers le milieu naturel (relation avec la beauté du monde) et le développement de la capacité à comprendre et agir face aux enjeux environnementaux (relation avec la complexité du monde). Puis, nous présenterons la démarche méthodologique que nous avons suivie pour mieux cerner ces enjeux d’intégration dans leur pratique par les personnes ayant participé au cours. Enfin, nous dégagerons, sur la base de ces résultats, des pistes de réflexion sur notre dispositif, en lien plus particulièrement avec l’une des questions posées par les responsables de ce numéro thématique, à savoir : Quelle est la pertinence du concept et des pratiques d'écoformation face aux crises écologiques planétaires révélées par les diagnostics scientifiques du GIEC et d’autres organismes de recherche sur le réchauffement climatique, l'effondrement de la biodiversité, la pollution des océans, etc. ?

Les fondements et les modalités du cours offert

Sans insister sur cet aspect, car nous ne croyons pas utile de poursuivre et d’alimenter un débat sémantique sur la meilleure façon de nommer le domaine éducatif dans lequel se situe notre cours, nous souhaitons quand même préciser pourquoi nous choisissons l’appellation d’Éducation pour un avenir viable (EAV). Cela nous permettra d’établir par la suite un lien plus explicite avec le concept d’écoformation, sur lequel s’appuie l’équipe qui dirige ce numéro, notamment le professeur Gaston Pineau qui l’a initialement proposé dans l’ouvrage De l’air. Essai sur l’écoformation (Pineau et coll., 2005).

Nous compléterons cette présentation du cours d’un point de vue didactico-pédagogique en identifiant les objets d’apprentissage avec lesquels nous tentons de mettre en relation les personnes enseignantes qui suivent le cours, ainsi que les principaux moyens que nous utilisons à cette fin.

Le choix d’une éducation pour un avenir viable

Le mouvement du Outdoor education, apparu dans les années 1950, après avoir initialement mis l’accent sur l’enseignement en et par le plein-air, a graduellement fait place à un enseignement pour le plein-air, c’est-à-dire pour maintenir en équilibre les habitats qui permettent la pratique du plein-air, amorçant ainsi une réflexion sur le rôle de l’être humain au regard de la protection des milieux naturels. Par la suite, la prise de conscience par l’humanité des problématiques environnementales menaçant la survie des écosystèmes a conduit aux conférences internationales (Stockholm, 1972  ; Tbilissi, 1977) qui ont fondé le domaine de l’éducation à l’environnement (EE - environmental education) au début des années 1970. Après avoir ainsi été reconnue au niveau international comme une voie éducative vers une redéfinition de la relation entre l’être humain et son environnement, l’éducation à l’environnement a évolué au fil des décennies à travers une série de débats portant sur ses orientations et ses objectifs. De nombreuses expressions ont ainsi été proposées (Gilbert, 2021, p. 87) pour souligner les choix éducatifs sous-jacents à cette évolution : éducation mésologique, éducation relative à l’environnement (ERE), éducation pour l’environnement, éducation à la Terre, éducation pour la planète, éducation soutenable, éducation au développement durable (EDD), éducation relative à l’environnement et au développement durable (EREDD), éducation à la viabilité, éducation pour un avenir viable (EAV), etc. Ce n’est pas tant le choix de l’expression pour désigner l’éducation à l’environnement que l’interprétation qu’on fait de l’objet de cette dernière qui a contribué aux divergences (Girault, Zwang et Jeziorski, 2013) de points de vue. À titre d’exemple, l’utilisation du concept de développement durable a été fortement critiquée, car elle peut sembler justifier la préséance du développement économique sur la protection de l’environnement, au point où plusieurs personnes intervenant en ERE ont refusé de reconnaître une certaine continuité entre l’EDD et l’ERE.

Parmi cet ensemble d’expressions, nous avons retenu celle d’«  éducation pour un avenir viable  » (EAV) parce que, d’une part, elle est résolument tournée vers un futur environnemental et ainsi porteuse d’espoir et de responsabilisation pour les jeunes. D’autre part, le terme viable est étroitement lié à la notion de vie en lien avec l’environnement global (Auteur 3, 2021, p. 5), ce qui induit une perspective éducative qui prend en compte la complexité (Béliveau, 2016  ; Benkirane, 2010  ; Brown, 2019  ; Morin, 2005, 2015  ; Prigogine, 1996  ; Rieckmann, 2012) ainsi que les interactions dynamiques entre les systèmes de vie (Prigogine, 1996). De plus, cette expression d’EAV laisse clairement place, par contraste avec celle d’EDD, à la possibilité que l’avenir puisse se décliner plutôt sur un mode de décroissance que de développement. Précisons enfin que nous considérons l’expression d’EAV comme inclusive des savoirs qui se sont construits et déconstruits depuis 1970 autant en éducation relative à l’environnement (ERE) qu’en éducation pour le développement durable (EDD) et qu’en conséquence, elle reflète selon nous, une forme de synthèse actualisée qui s’inscrit dans la continuité de l’évolution de ce domaine.

Une approche d’écoformation

Comme il était précisé en introduction, le cours APR 666 a historiquement misé sur une approche d’apprentissage expérientiel basée sur le contact avec la nature, car l’appréciation de sa beauté, de son indispensable contribution à la qualité de l’expérience humaine sur Terre, est considérée comme une composante essentielle et incontournable d’un engagement pour la respecter et la protéger. Le cours a également toujours pris en compte le fait que cette appréciation et cet engagement pouvaient s’enrichir et s’approfondir par l’interaction entre les personnes étudiantes, en leur offrant de nombreux moments de partage et de collaboration. En ce sens, l’approche de formation peut être qualifiée de socio-éco-formatrice puisque, comme proposé par Galvani (2017), elle tient compte de «  la relation formatrice vitale entre le sujet et son environnement physique et social.

Puisque nous considérons l’expression d’EAV comme inclusive des expressions ERE et EDD, nous pouvons reprendre ici à notre compte les propos tenus par Berryman (2002) dans sa lecture critique du numéro spécial de la Revue Éducation Permanente (2001) intitulé »  Pour une écoformation : Former à et par l'environnement  », afin de situer le cours par rapport au concept d’écoformation :

Au terme de cette lecture, risquons maintenant une hypothèse sur l'articulation entre ERE, éducation au développement durable et écoformation. Le discours dominant sur l'ERE focalise surtout sur l'environnement là-dehors qu'il tend à appréhender par ses problèmes via les sciences et dans une approche systémique. Le discours sur l'éducation au développement durable focalise quant à lui surtout sur les problèmes de développement socio-économique et d'allocations de ressources pour un tel développement qu'il tend à aborder dans une logique à la fois politique et comptable. Enfin, le discours sur l'écoformation focalise surtout sur la construction de l'être-au-monde et sur la personne humaine qu'il tend à approcher en termes de problème d'identité de l'être et du rôle de l'environnement dans la constitution et l'évolution de cette identité. Dans cette optique, l'écoformation stimule un renouvellement de l'ERE afin qu'elle se réapproprie une de ses racines bien antérieure à sa légitimation par les organisations internationales (UNESCO) dans les années 1970-1980, soit les rapports au monde et les rapports à la nature dans toute leur amplitude, relations qui ne peuvent et ne devraient pas être réduites à la seule résolution de problèmes socio-environnementaux, aussi importante que soit cette tentative de les résoudre. (p.3-4)

Le passage à une version du cours en ligne, à distance et asynchrone, a certes représenté un réel défi pour maintenir une telle orientation. En effet, puisque « Notre rapport au monde passe par les sens et le mouvement (Le Breton, 2006) » et que «  La perspective écoformative est avant tout une perspective sensible  » (Atelier Ecoformation, 2014), il a fallu proposer des modalités de formation adaptées à ce nouveau contexte, en remplacement des modalités habituelles du cours en présence, notamment les séjours en plein air. Ces modalités sont présentées dans la section 1.4.

Quant aux objets de formation, ils n’ont pas été modifiés par le changement de forme du cours. Nous les présentons brièvement dans la section 1.3 qui suit, car ils sont évidemment déterminants de l’ensemble didactico-pédagogique que nous avons mis en place pour tenter de favoriser l’intégration de l’EAV dans les pratiques des personnes enseignantes inscrites au cours.

Les objets de formation

Lorsqu’il a été constitué comme domaine éducatif par des instances internationales, en réponse aux problèmes environnementaux, le domaine de l’éducation à l’environnement a fait face à ce que Van Matre (1990) a alors nommé une definition dementia, c’est-à-dire un délire de définitions. En effet, une des premières définitions, importée du domaine du Outdoor education, définissait l’EE comme une éducation dans, au sujet de et pour l’environnement, et incluait autant les dimensions biologiques, sociales que physiques de l’environnement. À toutes fins utiles, tout objet d’apprentissage pouvait ainsi être visé par un cours en EE. C’est pourquoi nous avons porté une attention particulière à cerner ce qui était à apprendre dans le cours sous notre responsabilité, cet effort nous paraissant indispensable pour fonder une didactique du domaine.

Amorcée il y a une vingtaine d’années (Boutet, 2001), cette réflexion systématique s’est d’abord appuyée sur l’idée-maîtresse, proposée par Harvey (1976) puis réaffirmée par Sauvé (1994), que l’objet spécifique de cette éducation est la relation entre l’humain et l’environnement. À partir de là, nous avons précisé que l’objet particulier de l’éducation à l’environnement[1] c’est le développement chez la personne apprenante des connaissances, habiletés et attitudes nécessaires à l’établissement d’une relation de solidarité et de responsabilité envers le monde qui l’entoure.

Par solidarité, nous entendons la conscience des liens de nature qui lient l’être humain aux autres êtres vivants et aux systèmes qui supportent la vie, ainsi que l’appréciation de la beauté du monde. C’est seulement dans un tel esprit de solidarité avec le monde que peut se développer l’autre relation, celle de responsabilité, qui ne signifie pas que l’être humain dirige le monde, mais qu’il reconnaît son rôle particulier, celui d’enrichir la biosphère de conscience et de compassion ainsi que sa capacité à appréhender la complexité du monde (Boutet, 2001).

Nous avons par la suite, en procédant à une recension d’écrits continuellement mise à jour à la suite des travaux de Hungerford et Volk sur la citoyenneté environnementale (1990), identifié des composantes de cette double relation, qui sont devenues les cinq objectifs généraux du cours (Boutet, 2008). Ainsi, afin de former des personnes enseignantes, de même que leurs élèves, engagées pour un avenir viable, nous visons à développer :

- pour la relation de solidarité :

  • leur sensibilité envers le milieu naturel

- pour la relation de responsabilité :

  • leur sentiment de pouvoir-agir (responsabilisation)

  • leur pensée critique,

  • leur sens démocratique,

  • leur capacité à mettre en relation divers savoirs et ressources, ainsi qu’à les mobiliser pour agir.

Ces choix reflètent une position éthique situant l’être humain comme une espèce parmi d’autres et non comme propriétaire des habitats, mettent en lumière les aspects démocratiques du rapport de l’être humain aux autres êtres vivants et non vivants qui l’entourent, insistent plus sur le rapport de participation collective de tous les êtres à l’utilisation des ressources de la planète qu’au rapport individuel de consommation par l’être humain et posent celui-ci comme un être en relation avec le milieu naturel (Boutet, 2001).

Les principales modalités de formation

Puisque le cours semble devoir être désormais offert en ligne, nous croyons important, pour bien comprendre le contexte des analyses que nous présentons dans cet article, de souligner ici brièvement les adaptations que nous avons faites pour tenter de maintenir sa dimension expérientielle/sensible et sa dimension collaborative/réflexive. Ne pouvant plus réunir nos étudiantes et nos étudiants pour une expérience de contact direct avec la nature, nous avons choisi d’illustrer, dans des enregistrements vidéo que nous avons produits, les démarches que nous proposons aux personnes participantes pour qu’elles-mêmes les expérimentent dans leur milieu  ; par la suite, elles doivent écrire un texte exprimant de diverses façons (images, dessins, poèmes, récits, etc.) leur rapport au milieu naturel. Puis, nous leur demandons, dans le deuxième module du cours, de prendre en compte les bienfaits pour leurs élèves du contact avec la nature, sur la base de résultats de recherches le démontrant, et nous leur suggérons un ensemble de stratégies et d’activités qui favorisent un tel contact. C’est ainsi que nous comptons parvenir à ce que la composante sensibilité envers le milieu naturel soit bien comprise, en tant que variable de base du développement de l’écocitoyenneté de leurs élèves.

Quant à la dimension collaborative/réflexive de leur apprentissage, nous la soutenons par le biais de deux séminaires de réflexion collective synchrone, l’un portant sur la relation des enfants contemporains avec la nature, et l’autre sur l’analyse de leur pratique d’EAV. Dans ce dernier cas, la diversité des activités planifiées et mises en œuvre dans la deuxième partie du cours permet de travailler sur les quatre autres composantes (voir section 1.3) et de mettre en lumière la complexité des enjeux d’un avenir viable, à la fois pour en saisir les multiples aspects et pour savoir-agir en vue d’y faire face. L’accompagnement continu que nous leur offrons, sous la forme de rencontres individuelles ou d’animation d’échanges sur des forums de discussion, vise également à soutenir leur réflexion et leur collaboration.

La problématique de l’intégration de l’EAV dans les pratiques enseignantes

L’intégration de l’EAV dans les pratiques enseignantes présente des défis particuliers, même si une certaine place est faite maintenant dans les programmes d’études pour des thématiques transversales aux disciplines scolaires, liées à des préoccupations sociétales. Au Québec, par exemple, cela s’est traduit par l’introduction de domaines généraux de formation (DGF) qui agissent comme « […] lieu de convergence favorisant l’intégration des apprentissages […] de points d’ancrage au développement des compétences transversales et des compétences disciplinaires, sans pour autant constituer de simples contextes d’apprentissage. » (Gouvernement du Québec, 2006, p. 42). Parmi les cinq DGF proposés dans le programme d’études québécois, deux semblent toucher plus directement le domaine de l’EAV : Environnement et Consommation, ainsi que Vivre ensemble et Citoyenneté.

Cette ouverture curriculaire ne suffit cependant pas pour que l’introduction d’éducations à (l’environnement, le développement durable, la citoyenneté, la santé, la paix, etc.) se concrétise dans les classes. Selon Lange et Victor (2006), les éducations à exigent un renouvellement des pratiques scolaires qui se heurte à différents obstacles. En effet, étant issues de différents champs disciplinaires, les éducations à ont un statut inhabituel (Bowes, 2019) par rapport aux disciplines traditionnelles, ce qui crée une confusion quant à leur importance réelle et à leur poids dans le curriculum. Ne pouvant pas se limiter à des savoirs scientifiques homologués et des savoirs académiques neutres et dissociés de tout contexte, l’intégration des éducations à exige en quelque sorte que les personnes enseignantes établissent «  une nouvelle relation aux savoirs scientifiques  » (Lange et Victor, 2006, p. 95), qui fasse place, en plus de l’appropriation par les élèves de savoirs disciplinaires, à la construction d’opinion, à l’interdisciplinarité et à l’apprentissage du débat. Pagoni et Tutiaux-Guillon (2012) ajoutent qu’une telle intégration représente un défi pour la construction de leur identité professionnelle, prenant en compte leurs valeurs éducatives et leur propre conception des enjeux sous-jacents aux questions socialement vives (Legardez, 2006), comme le développement durable ou l’avenir viable, qui font l’objet d’éducations à.

L’intégration de l’EAV dans les pratiques enseignantes est donc fortement dépendante des choix que fait chaque personne enseignante. Une des stratégies que nous avons utilisées dans cette nouvelle version en ligne du cours, pour surmonter certains des obstacles identifiés, a été d’introduire dans chaque module des suggestions d’albums jeunesse : «  En accord avec d’autres chercheuses et chercheurs (Bader, Carrier et Teixeira, 2018  ; Baratz et Hazeira, 2011  ; Bhagwanji et Born, 2018), nous croyons que la littérature jeunesse peut être une entrée appréciée des personnes enseignantes et pertinente pour aborder l’EAV sans surcharger l’horaire  » (Massie et Boutet, 2023, p. 144). La lecture étant une matière scolaire toujours très valorisée au préscolaire et au primaire, et la littérature jeunesse étant de plus en plus populaire depuis une vingtaine d’années, ce choix a effectivement porté fruit, puisque, selon une étude que nous avons réalisée auprès des trois premières cohortes, «  47 personnes étudiantes sur 56 (84 %) ont mentionné vouloir tirer parti de la littérature jeunesse de diverses façons  » (Massie et Boutet, 2023, p. 149). Sans y être obligées, elles ont eu recours à des albums jeunesse pour la planification d’une activité d’EAV, soit pour l’amorcer, soit pour y repérer des connaissances pertinentes, soit pour lancer des débats ou établir des liens avec diverses disciplines scolaires (Massie et Boutet, 2023, p. 149).

La même étude a révélé que les intentions préaction[2] des personnes enseignantes en formation étaient fortement teintées d’un objectif de mettre leurs élèves en contact avec la nature. Par ailleurs, leurs intentions au regard du développement des autres composantes de leur écocitoyenneté étaient plus nuancées. C’est pourquoi nous avons voulu approfondir la démarche de recherche auprès des personnes étudiantes de la 4e cohorte, en nous rapprochant de leurs pratiques réelles, car il leur a été demandé cette fois non seulement de planifier, mais également de mettre en œuvre une activité d’EAV.

Le dispositif méthodologique

Notre objectif était de Documenter les pratiques en EAV des étudiantes et étudiants de la 4e cohorte du cours APR 666 – Éducation pour un avenir viable. Tout en maintenant une attention à la place accordée au contact avec le milieu naturel (ce que nous nommons la beauté du monde dans le titre de cet article), puisqu’il s’agit de la composante de base de l’écocitoyenneté, nous avons aussi et surtout voulu mieux saisir quelle place était faite à la composante capacité à mettre en relation divers savoirs et ressources, ainsi qu’à les mobiliser pour agir. En effet, l’analyse des activités planifiées par les trois cohortes précédentes a suscité un questionnement à ce sujet, de même que les résultats d’autres enquêtes que nous avons déjà effectuées auprès d’élèves d’âge préscolaire et primaire (Boutet, 2014). Ce questionnement est relié à la capacité d’appréhender ce que nous nommons la complexité du monde. Le terme complexité est ici utilisé dans son sens premier de ce qui n’est pas simple[3], qui s’applique de façon évidente à des enjeux comme le réchauffement climatique, la réduction de la biodiversité ou la pollution par le plastique, par exemple. De plus, il nous semble approprié de l’utiliser dans le cadre de cette réflexion sur l’écoformation des personnes enseignantes puisque le principe d’auto-éco-socio-ré-organisation systémique d’Edgar Morin (2008) est le principe fondateur de la méthode de la complexité qu’il a élaborée et que «  La théorie tripolaire de l’auto-socio-éco-formation développée par Gaston Pineau a été nourrie dès l’origine par le concept d’auto-éco-organisation systémique  » (Galvani, 2022, p. 2).

La question principale à laquelle nous avons tenté de répondre est donc la suivante : Quelle place est effectivement accordée à la complexité du monde dans les activités planifiées et mises en œuvre par les personnes étudiantes de la 4e cohorte  ? Comme notre intention en tentant d’y répondre est de développer notre cours en analysant des activités (travaux réflexifs et séminaire de discussion) qui sont proposées aux personnes qui le suivent, nous considérons que notre dispositif méthodologique s’inscrit dans une forme de recherche-développement, selon la perspective de Loiselle et Harvey (2007)

Le contexte de l’étude

Notre action de formation des personnes enseignantes à l’EAV se déroule dans un contexte de formation continue. Si l’intégration de l’EAV dans les programmes de formation initiale à l’enseignement est certes souhaitable, elle demeure marginale (Gilbert, 2021)  ; selon Dyment et Hill (2015), la priorité accordée aux domaines de la littératie et de la numératie serait un obstacle important à une telle intégration. Les programmes de formation continue, comme celui de la maîtrise professionnelle en enseignement au préscolaire et au primaire dans lequel nous intervenons, permettent une offre de formation plus diversifiée, faisant plus facilement place notamment à des préoccupations éducatives contemporaines. Dans le vaste ensemble des activités de formation continue proposées à la population des enseignantes et enseignants en exercice, certaines, comme la nôtre, sont choisies librement et volontairement. L’échantillon des 19 personnes auprès desquelles nous avons recueilli des données est donc caractérisé, au départ, par un certain intérêt pour l’EAV et un désir de se former dans ce domaine.

Notre groupe était composé de huit personnes enseignantes du préscolaire, cinq du premier cycle du primaire, trois du deuxième cycle, deux du troisième cycle et d’une spécialiste en éducation physique, qui ont suivi le cours à la session d’automne 2022. La formation était structurée en quatre modules : 1 – Introduction au domaine de l’EAV et réflexion sur mon profil écocitoyen  ; 2 – La relation de solidarité avec le milieu naturel  ; 3 – La relation de responsabilité (passage à l’action)  ; 4 – Amorce d’une communauté de pratique en EAV. À la fin de chacun des modules, une forme de travail, écrit ou oral, a été demandée. Les travaux effectués ont fourni une partie des données que nous avons analysées.

Collecte et analyse des données

Le travail 1 (module 1) proposait aux personnes étudiantes de réfléchir sur leur propre écocitoyenneté à la lumière des cinq composantes qui structurent le cours. Comme le montre le Tableau 1, nous avons retenu les réponses en lien avec la composante 5 (mobilisation de connaissances et pensée systémique). Parmi l’ensemble des huit questions que comportait le travail 2 (module 2), concernant la perception qu’ont les participants et participantes au cours de la relation des enfants contemporains avec la nature, nous avons pris en compte les réponses à deux d’entre elles, l’une portant sur le rôle de l’école pour faire comprendre les enjeux environnementaux et l’autre concernant le rôle de l’école pour outiller les élèves afin de passer à l’action. Quant au travail 4 (module 4), il demandait aux personnes participant au cours de décrire la démarche qu’elles entendaient suivre dans le futur pour intégrer l’éducation pour un avenir viable dans leur pratique d’enseignement, en répondant à une série de questions  ; les réponses à deux de celles-ci ont été traitées, l’une portant sur les matières scolaires qui leur semblaient favorables à l’intégration et l’autre, sur les enjeux environnementaux qui les préoccupaient particulièrement.

Ces données recueillies dans les travaux 1,2 et 4 nous ont permis d’accéder aux conceptions de nos étudiantes et étudiants relativement à la complexité et à la façon d’y faire place dans leur enseignement en EAV. Certains propos tenus pendant le séminaire 1, en mode synchrone, à la fin des deux premiers modules nous ont aussi révélé leur point de vue à ce sujet. Par exemple : «  Je pense qu’on a parfois peur de la complexité  ; les enfants comprennent souvent plus qu’on pense et il me semble que quand on veut trop vulgariser, c’est parfois pire pour le sujet.  » (PE8. SÉ1) Ces données ont été classées sous l’un ou l’autre des six indicateurs qui constituent la première section (Conceptions des personnes en formation) de notre grille d’analyse (voir tableau 1).

Par ailleurs, nous avons pu aller plus loin que la seule expression de leur conception, et accéder à la façon dont celle-ci se traduit dans leur pratique, grâce à deux autres sources de données, soit la planification et l’analyse d’une activité d’EAV qui faisaient l’objet du travail 3 (module 3), écrit et individuel, ainsi que les propos tenus lors du séminaire 2, en mode synchrone, pendant lequel chaque personne présentait l’activité réalisée et échangeait avec le groupe sous le mode d’une analyse collective. Ces données ont alimenté la deuxième section (Activités planifiées et mises en œuvre par les personnes en formation) de la grille, laquelle a permis d’analyser deux moments plus concrets du cycle de leur pratique professionnelle, à savoir la réflexion préaction (planification d’une activité d’EAV) et la réflexion postaction (analyse de l’activité d’EAV mise en œuvre).

Tableau 1

Grille d’analyse et source des données pour chaque indicateur.

Grille d’analyse et source des données pour chaque indicateur.

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Les indicateurs 1 à 4 de la grille s’appuient sur une définition usuelle du concept de complexité (voir note de bas de page no 3), ainsi que sur la reconnaissance que la complexité des enjeux socio-environnementaux nécessite la convocation de différents savoirs pour bien les poser, savoirs associés à plus d’une matière scolaire et pouvant être de nature autre que scientifique (par exemple des savoirs traditionnels ou des savoirs pratiques). Le cadre de planification d’une activité d’EAV que nous avons proposé a aussi influencé le choix des indicateurs 5 à 9. Il s’agissait d’un cadre ouvert, basé sur le modèle éducatif sous-jacent au cours, inspiré par le personnage de Rachel Carson (Lear, 1997), à savoir que l’activité planifiée devrait viser la formation de personnes qui savent à la fois s’émerveiller de la beauté de la nature, comprendre les enjeux dans leur complexité et s’engager dans des actions remédiatrices et innovatrices. Leur planification devait en conséquence répondre aux 3 questions suivantes : Quelles actions seront posées pour faire face à l’enjeu que vous choisirez  ? Quelles connaissances seront convoquées pour permettre de comprendre l’enjeu  ? Est-il possible d’intégrer une forme de contact avec la nature dans votre activité  ? Enfin, nous avons considéré l’évaluation des apprentissages comme indicateur possible (10) de la relation des élèves avec la complexité.

Nous avons accompagné les personnes étudiantes dans leur réflexion préaction à l’occasion de rencontres individuelles et dans leur réflexion postaction à l’occasion de séminaires d’analyse collective de leur intervention. Cette façon de procéder est en cohérence avec la démarche réflexive (Korthagen, 2017  ; Korthagen et Vasalos, 2005) qui sous-tend le cours, à savoir : 1- clarification des valeurs de la personne en formation liées à l’EAV  ; 2- définition de ses propres intentions dans ce domaine  ; 3-choix des façons de l’intégrer dans sa pratique.

Résultats

Les résultats obtenus par l’analyse des réponses aux questions posées dans les travaux réflexifs ainsi que dans les rencontres individuelles et les séminaires de réflexion collective seront d’abord présentés  ; ils reflètent les conceptions des étudiantes et des étudiants qui ont marqué leur réflexion préaction et leur réflexion postaction. Puis, seront présentés les résultats obtenus par l’analyse des activités d’EAV  ; ces résultats nous rapprochent de ce qui guide leurs actions réelles.

Résultats de l’analyse des réponses

D’abord, il ressort que les personnes étudiantes reconnaissent la complexité des enjeux socio-environnementaux (indicateur 1) et en même temps, elles déplorent leur manque de connaissances pour appréhender cette complexité  ; elles se trouvent insuffisamment formées en ce sens : «  (…) je suis encore perplexe devant la complexité des enjeux socio-environnementaux (…) J’ai des connaissances, mais je dois continuer de m’informer et de m’éduquer afin de fournir un enseignement de qualité à mes élèves. (PE4 T.1 Q5.1)

Toutes reconnaissent que plusieurs matières scolaires sont utiles pour comprendre et agir face aux enjeux environnementaux et que l’établissement de liens entre plusieurs matières scolaires est possible et pertinent, dans le contexte de l’EAV (indicateurs 2 et 3) : « (…) je considère que l’environnement est un sujet interdisciplinaire. Un même sujet pourrait être travaillé dans plusieurs matières » (PE3 T.1 Q5.3). Au primaire, les matières scolaires les plus souvent nommées sont les suivantes : Sciences – Éthique – Français (littérature jeunesse) – Géographie. Au préscolaire, ce sont les compétences Vivre des relations harmonieuses avec les autres et Découvrir le monde qui l’entoure qui reviennent le plus souvent comme portes d’entrée curriculaires pour l’EAV.

Par ailleurs, la réflexion des personnes étudiantes s’est limitée aux savoirs et compétences faisant partie du Programme de formation de l’école québécoise (2001). Aucune ne s’est exprimée sur la possibilité de convoquer d’autres savoirs que des savoirs scientifiques ou non scolaires dans le contexte de l’EAV (indicateur 4), même si la question (T.1 Q5.4) leur était directement posée.

Le rôle de l’école pour favoriser la compréhension des enjeux d’un avenir viable et outiller les élèves pour passer à l’action (indicateurs 5 et 6) est reconnu et précisé ainsi dans les réponses :

  • permettre l’apprentissage expérientiel  ;

  • alimenter le désir de protéger en valorisant le contact avec le milieu  ;

  • rendre les enjeux plus familiers en partant du questionnement et des observations des élèves  ;

  • fournir des explications en lien avec leur questionnement  ;

  • leur laisser la liberté d’agir sur la base de solutions trouvées par eux-mêmes  ;

  • permettre de poser des gestes à leur mesure pour éviter de créer de l’écoanxiété  ;

  • favoriser la discussion.

Deux nuances importantes sont apportées au regard de l’exercice de ce rôle par l’école. D’abord, une collaboration avec la famille leur semble indispensable pour l’adoption par les élèves de comportements quotidiens écoresponsables : «  L’école doit agir en complémentarité voire en compensation de l’action des parents  » (PE4 T.2 Q6.2 et 6.3). De plus, pour faire place aux enjeux complexes comme celui du changement climatique, il leur semble nécessaire que les personnes enseignantes soient encadrées (PE1T.2 Q6.3).

Résultats de l’analyse des activités

Une analyse globale du corpus des dix-neuf (19) activités d’EAV planifiées mène aux constats suivants :

  • elles prévoient toutes une étape de passage à l’action par les élèves  ;

  • dix-sept (17) se déroulent en partie à l’extérieur, trois (3) utilisant la nature simplement comme cadre d’apprentissage et quatorze (14) misant sur un contact direct avec des éléments naturels  ;

  • quinze (15) font place à la littérature jeunesse à un moment ou un autre de l’activité.

Plus spécifiquement, il ressort que les thématiques liées directement à un élément naturel (par exemple : les arbres, l’eau ou les oiseaux) sont davantage exploitées que celles liées à une problématique environnementale (par exemple : la surconsommation ou la diminution des déchets). En conséquence, plus de connaissances en sciences de la nature sont mobilisées que de connaissances en problématisation/résolution d’enjeux socio-environnementaux. Quant aux actions envisagées, ce sont, par ordre d’importance :

  • des gestes concrets à poser (comme une plantation d’arbres ou la collecte d’eau de pluie.)

  • des productions artistiques à partager (land art ou affiches, par exemple)

  • des activités de diffusion auprès d’autres classes (comme une présentation au sujet de la réduction des déchets alimentaires)

Il était également demandé de prévoir une forme d’évaluation des apprentissages des élèves. C’est essentiellement par observation pendant les activités que des données au sujet de leur impact ont été recueillies. Ces données ont permis aux personnes étudiantes d’apprécier l’intérêt suscité par leur activité, la sensibilisation de leurs élèves à une problématique et leur désir d’agir. De plus, l’analyse permet de constater que beaucoup de savoirs essentiels de plusieurs domaines d’apprentissage ont été intégrés explicitement aux activités, au sens où les personnes étudiantes reconnaissaient que ces savoirs pouvaient «  circuler  » pendant l’activité et être mobilisés (ou non) par les élèves. Cependant, l’appropriation de ces savoirs n’a pas fait l’objet d’une évaluation formelle.

Discussion des résultats

Les résultats de l’analyse des activités révèlent que l’écoformation offerte aux enseignantes et aux enseignants participant à ce cours nourrit leur appréciation du milieu naturel et les convainc de faire place à un contact direct avec la nature comme entrée pour l’intégration de l’EAV dans leur pratique. Nos résultats confirment donc que la relation avec la beauté du monde peut être une assise importante d’une formation des personnes enseignantes à l’EAV. La valorisation de l’enseignement en plein air, qui revient à la mode actuellement, notamment à la suite de la pandémie, peut avoir influencé les choix des personnes enseignantes à ce sujet. L’information fournie à l’intérieur du cours au sujet des bienfaits scientifiquement reconnus du contact avec le milieu naturel pour l’apprentissage et pour la santé mentale des élèves peut également avoir été un facteur d’intégration d’un contact avec la nature dans leurs activités. Cependant, ces effets positifs du contact avec la nature ne sont pas nécessairement garants d’un passage à l’action pour la protéger.

Quant à la relation avec la complexité, les résultats montrent une réelle ouverture de ce groupe de personnes étudiantes à la multidisciplinarité pour intervenir en EAV, au sens où elles considèrent que cette dernière ne peut être enfermée dans les limites d’une seule matière scolaire et fournit des occasions de mettre en relation les savoirs de divers domaines d’apprentissage pour leur donner sens. Il s’agit là d’une attitude qui conduit vers une représentation différente des actions de médiation qu’une personne enseignante doit exercer entre ses élèves et des objets d’apprentissage non disciplinaires et liés à la vie réelle, comme ceux qui constituent le domaine de l’EAV. Même si une telle mise en relation peut sembler davantage possible pour des personnes enseignant au primaire et au préscolaire, car elles sont plutôt généralistes que spécialistes d’une discipline comme au secondaire, il n’en demeure pas moins que leur formation est plutôt construite à partir de didactiques disciplinaires, de même que les curriculums scolaires, de sorte que les démarches multidisciplinaires ne leur sont pas familières (Hasni, Lebrun et Lenoir, 2016).

En somme, si les personnes participant au cours ont clairement exprimé leur besoin de formation pour appréhender la complexité des enjeux socio-environnementaux, il nous semble pertinent d’ajouter à cela le besoin d’une formation à la multidisciplinarité et à l’interdisciplinarité, de même qu’au rôle des savoirs autres que scientifiques, car elles semblent méconnaître l’importance de savoirs comme ceux du traditional ecological knowledge (TEK) ou ceux issus des savoirs pratiques.

Il est intéressant de noter également que des rôles non traditionnels de l’école sont mis de l’avant dans la réflexion des personnes participant au cours sur l’intégration de l’EAV dans leur pratique : permettre l’apprentissage expérientiel, valoriser le contact avec le milieu, partir du questionnement et des observations des élèves, leur laisser la liberté d’agir sur la base de solutions trouvées par eux-mêmes, leur permettre de poser des gestes à leur mesure, donner de l’importance à la collaboration communauté-école-famille. Leur formation ne les préparant pas nécessairement à exercer ces rôles, il faut certainement ajouter ces objectifs à un programme d’écoformation des personnes enseignantes.

Conclusion

Quels repères pour la formation des personnes enseignantes en EAV peuvent être identifiés, à la suite de ces travaux  ? D’abord, il faut retenir le choix de miser sur le développement de leur relation avec leur environnement naturel comme fondement de leur engagement écocitoyen. Leur intérêt à cet égard est manifeste et se traduit volontiers dans leurs choix professionnels  ; pour des personnes qui suivraient une telle formation de façon obligatoire, il serait probablement plus long de développer cette relation que ce ne le fut pour les personnes ayant choisi volontairement notre cours. Il faut également souligner l’apport de la littérature jeunesse comme outil pédagogique pour susciter l’émerveillement ou faire comprendre les enjeux. Ce moyen est populaire chez les personnes enseignantes et facile d’accès.

L’insistance sur le passage à l’action comme but de l’EAV est un autre repère important. La responsabilité d’une partie de l’humanité à la fois pour avoir causé tant de problèmes affectant les systèmes de vie sur Terre, et pour s’appliquer à les résoudre collectivement, ne peut être pleinement assumée que par des actions concrètes, soutenues par un désir de protéger la beauté du monde et prenant en compte sa complexité. Ce sont les résultats de ces actions qui permettent d’évaluer l’impact de l’intégration de l’EAV dans les pratiques enseignantes.

La question de l’évaluation des apprentissages est d’ailleurs toujours au cœur de l’évolution des systèmes éducatifs. La réussite des efforts pour intégrer l’EAV à l’école passe par une reconnaissance de sa pertinence au regard de l’évolution de l’interaction êtres humains-environnement. Il s’agit là d’une entreprise exigeante pour laquelle les enseignantes et les enseignants auront besoin non seulement d`être formés mais également accompagnés dans leurs actions/réflexions professionnelles, afin de construire collectivement un projet éducatif qui sera à la mesure de la nécessaire transition écologique (Hopkins. 2011) à laquelle l’humanité fait face.