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L’éducation relative à l’environnement par l’approche sensible est une éducation forte de sens. Elle nous convie « à entrer dans le vivant d’une situation » en mobilisant nos sens ainsi que notre expérience personnelle et collective pour appréhender le milieu. S’appuyant sur le vécu de l’apprenant, passé ou immédiat, cette approche procède de manière inductive en invitant « à faire le départ avec le particulier et le local pour aller vers le principe et les lois générales ». La démarche vise notamment, à l’image du « sens commun » d’Aristote, à développer une perception des liens qui nous unissent à l'environnement à travers les différentes composantes de notre sensibilité. Elle favorise ainsi une reprise de contact avec nos sens et la reconnaissance de la valeur du senti, du ressenti et du pressenti pour donner, redonner et ajouter du sens à notre action.
C'est dans ces termes imparfaits que nous pourrions tenter de résumer la très belle publication d'Édith Planche Éduquer à l'environnement par l'approche sensible : Art, ethnologie et écologie parue en 2018 aux éditions Chronique Sociale (Lyon).
L’auteure réunit dans cet ouvrage de solides assises sur lesquelles elle construit de manière compétente sa proposition pour une éducation par l'approche sensible. C’est en effet, grâce à une documentation abondante et précise que le propos parvient aisément à congédier le réductionnisme qui, à l'instar du « monde technique et scientifique, ne voit que comme ornement ou luxe esthétique la culture des humanités » (p. 51) et tend souvent à confiner à la naïveté ou à la frivolité la sensibilisation en tant qu'action éducative. Pour ce faire, Planche procède dans un premier temps à une analyse des ruptures multiples au sein de notre monde, qu'elle résume habilement par la déconnexion entre l'humain moderne, le sol et le symbole. Elle introduit dans un deuxième temps une synthèse fort inspirante pour la construction d'une pédagogie du sensible en éducation relative à l'environnement.
Les deux premiers chapitres explorent ainsi deux grands « divorces » : celui créé par une science rationaliste qui oublie suffisamment sa parenté avec les arts pour repousser, voire refouler le sensible et l'imaginaire (chap. 1) et celui qu’engendre un regard par trop rationnel qui admet la chosification du monde, réifiant du même coup la rupture entre nature et culture (chap. 2).
« ... d'une part, la rationalité nous conduit à la maîtrise du vivant, sa chosification, la distanciation de l'Homme [sic] et de la nature. [...] C'est le modèle dominant issu du socle européen, le modèle de la pensée rationnelle, adulte, objective, "masculine", offensive, qui nous conduit à nous séparer du naturel et donc à nous situer hors-sol... [...] d'autre part, le rationalisme exclut le sensible, l'émotion... le débordement, l'art, la digression, la divagation pour écarter l'illusion de rester scientifique, objectif, technique et efficace. C'est le modèle de la séparation entre la science et le sensible, clivage qui nous conduit à nous séparer de notre subjectif et donc à nous situer hors de soi... » (p.18-19)
Constituant la deuxième partie du livre, les chapitres suivants exposent un enchaînement de pistes éducatives distinctes, mais pouvant converger. Le chapitre 3 explore d'abord quelques balises pour une éducation relative à l'environnement par le sensible puis, à travers une série de stratégies pédagogiques, les derniers chapitres suggèrent de nombreux « ateliers » réunissant plus d'une centaine d'idées concrètes pour la planification d'activités et du même coup, donnant corps à trois approches spécifiques. Planche aborde ainsi en premier lieu une approche intime « Pour une éducation qui reconnecte avec soi » où le vécu du sujet et son expérience vivante servent de trame à l'éducation relative à l'environnement (chap. 4). Elle présente ensuite une approche artistique « Pour une éducation qui reconnecte avec le symbole » dans laquelle l'art peut se mettre au service de la science et la science au service de l'art, comme la nature peut être mise au service de l'art et l'art au service de la nature (chap.5). Puis, dans un sixième chapitre, Planche complète sa proposition avec une approche ethnologique « Pour une éducation qui reconnecte avec le sol », offrant le recul nécessaire pour aborder les « pensées de l'évidence » qui composent la culture et enfin plonger de manière critique dans cette culture et sa façon singulière d'habiter le « sol ».
Le livre constitue ainsi une référence importante tant pour structurer la réflexion sur la pertinence du rapport sensible au monde pour l'éducation que pour inspirer la pratique éducative à l’aide de situations d'apprentissages sensibles atterries, par-delà les approches pédagogiques cognitives. « Les pédagogies classiques invitent à penser plus qu'à sentir, dans la lignée de ce que dénonçait Claude Lévi-Strauss lorsqu'il déplorait l'idée que l'Homme [sic] avait été défini comme être pensant et non pas comme être vivant... » (p. 244)
L'ouvrage parvient ainsi à esquisser les contours d'un champ et les quelques vers déposés en marge de l'exposé accompagnent de manière significative la lecture de ce paysage. Par le fait même, Planche nous rappelle que l'art sert aussi à élargir les horizons de la perception et à regarder « ce que l’on ne peut voir lorsqu’on est formaté ». Empruntant elle-même à l'approche artistique par son écriture, l’auteure évoque que l'art et la culture ne se résument pas à un corpus d’œuvres à consommer pour mieux comprendre le monde, mais ouvre sur l’imaginaire et tout son potentiel créatif. En conséquence, selon elle, « l’accès à la culture pour tous » devrait être complété par « l’accès à la créativité pour tous ». On en retient au bilan que l’éducation par l’acte sensible participe de « la réflexion par l’art », contribue à la construction d’une vision du monde et constitue en lui-même un pouvoir-agir transformateur dont on ne saurait se passer pour imaginer d’autres mondes possibles.