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L’éducation relative à l’environnement (ERE) a plus de cinquante ans. En effet, le champ s’est institutionnellement et internationalement consolidé en 1977[1], à l’occasion d’une Conférence de l’UNESCO et du Programme des Nations unies pour l’environnement à Tbilissi: « Le but ultime de l’éducation relative à l’environnement est de permettre aux individus de percevoir le caractère complexe de l’environnement et le fait que les nations doivent adapter leurs activités et s’employer à se développer par des moyens en harmonie avec l’environnement » (extrait de la Conférence, cité par Cottereau, p.15). Depuis, est-elle devenue l’affaire de tous ? comme interroge frontalement le titre de ce livre, petit en volume, mais dense en contenu et en intérêt.
En 126 pages et 6 chapitres, Dominique Cottereau réussit le tour de force de présenter de façon claire et inspirante, un historique depuis l’éducation dans la nature jusqu’à l’éducation au développement durable (chap. 1). Elle fait ensuite un survol de l’éducation à l’environnement à partir des deux champs croisés de l’éducation et de l’environnement (De quoi parle-t-on aujourd’hui ?, chap. 2), des moyens utilisés (Des dispositifs et des partenariats, chap. 3), des groupes d’âge concernés (De la petite enfance à l’adolescence, une éducation adaptée, chap.4), en s’attardant à l’enjeu d’Intervenir auprès des adultes (chap. 5) et enfin, en évoquant des pédagogies engageantes (chap. 6).
Ce livre est le fruit d’une longue collaboration entre l’auteure, Dominique Cottereau, pionnière des premières années (À l’école des éléments, 1994) et une éco-entreprise appelée Éco-emballage, qui, lors de sa création en 1992, « a fait face à un enjeu de taille : comment faire évoluer les comportements de milliers de personnes - à terme de millions de personnes ?... Aujourd’hui, 87% de Français trient » (p. 51).
Une construction diversifiée, aérée et inspirante
De courts encarts d’informations socio-historiques ponctuent l’ouvrage et relient chaque chapitre à une littérature déjà ample sur le sujet. À titre d’exemples: La vie en pleine nature d’après Henri-David Thoreau ; Éducation au développement durable, deux points de vue ; Éco-École, un dispositif de territoire ; Le label Citoyenneté-Environnement-Développement (CED) de la Ligue de l’enseignement ; Changements d’habitudes : plus avancés pour les déchets que pour l’eau ; De la diversité des approches pédagogiques.
Et chaque chapitre se termine par trois questions posées à deux acteurs/auteurs de cette éducation en marche multiforme, générant des sigles multiples, porteurs de courants variés: ERE (Éducation Relative à l’Environnement) ; EE (Éducation à l’Environnement), EEDD (Éducation à l’environnement et au Développement Durable) ou EDD (Éducation au Développement Durable). Dominique Cottereau n’esquive pas ces différences, mais, au contraire, dans une dynamique de pédagogie de discernement (p. 111), elle les explicite pour favoriser les synergies possibles.
Apprendre le partenariat pour faire de l’EE une affaire de tous
Malgré les urgences, l’EE comme pilier de la transition écologique (p. 4) n’est malheureusement pas encore l’affaire de tous, surtout dans les institutions économiques et même éducatives, entre autres, celles des sciences de l’éducation. Or dans cette période d’émergence, la complexité des réalités contemporaines est telle qu’on ne peut agir seul. Le partenariat s’impose pour apprendre à relier les dimensions physiques et sociales de l’environnement, de même que le local et le global. Cela ouvre sur tout un champ d’apprentissage à l’alternance des regards et des actions : voir et relier le proche mais aussi le lointain, relier le visible et même l’invisible, vivre l’instant mais aussi le temps long.
Le chapitre 3 sur les dispositifs partenariaux comme ingrédients de la réussite (p. 43) outille méthodologiquement la perspective holistique de l’ERE identifiée dès 1977 (p. 15). La notion de partenariat « apprenant » est centrale. Elle est héritée de Yannick Bruxelle, pionnière (récemment décédée) d’un des rares organismes français de formation et de recherche en EE, fondé en 1996: l’Institut de Formation et de Recherche en Éducation à l’Environnement (IFRÉE) (p. 49-50). « Dans un partenariat apprenant, on enrichit ses propres savoirs des savoirs de l’autre. Les collectivités locales sont expertes en politique publique et en territoires. Les enseignants possèdent la pédagogie et les connaissances sur l’enfant. Les associations de protection de la nature connaissent celle-ci sur le bout des doigts » (p. 45). Ce partenariat apprenant est au cœur de la gouvernance, tout comme il enrichit des recherches qui se veulent participatives (p. 51 et 114).
Un livre, produit d’une histoire écoformative remarquable
Cet ouvrage explicite et concentre les acquis d’une très féconde alternance écoformative de l’auteure, entre formation expérientielle de terrain et formation conceptuelle universitaire. En effet, l’histoire écoformative de Dominique Cottereau commence sur les bords bretons de l’Atlantique et se conceptualise en 1995 par une thèse en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Tours : Éducation à l’Environnement et classes de mer. Instauration du dialogue éco-logique par une pédagogie de l’écoformation. Elle se poursuit ensuite par la fondation d’Échos d’Images, une association de recherche-formation-action en EE, par des enseignements aux Universités de Paris 8 et de Tours (où a été créée une licence professionnelle en Médiation scientifique et éducation à l’environnement) et par la co-fondation et direction avec Pascal Galvani d’une collection « Écologie et formation » aux Éditions L’Harmattan. Au fil de son expérience et de ses recherches, l’auteure a produit des ouvrages qui contribuent à conceptualiser de façon intégratrice cette vie professionnelle écoformatrice entre recherches, actions et formation : Alterner pour apprendre (1997, en coll.) ; Formation entre terre et mer. Alternance écoformatrice (2001) ; Habiter la terre. Écoformation terrestre pour une conscience planétaire (2005, en coll.) ; Dehors. Ces milieux qui nous transforment. Récits éco-biographiques nés d’ateliers d’écriture (2017). En 2017, par une belle boucle auto-socio-écoformatrice vitale, l’auteure devient également coordinatrice du Réseau d’Éducation à l’Environnement en Bretagne.
Un ouvrage qui appelle l’attention
Cette histoire et ce livre respirent un engagement, une audace et une créativité écoformatrices singulières. Mais aussi, pour reprendre un des termes que l’actrice/auteure emprunte à François de Singly (2003, p. 46), une politesse du cœur : « Celle qui surmonte l’identité statutaire afin de respecter le membre de la communauté humaine… Elle demande un apprentissage de la décentration : se mettre à la place de l’autre pour savoir comment il doit être respecté. Le respect mutuel ne présuppose ni une relation égale de statuts, ni confusion des identités. Il requiert surtout des marqueurs d’attention ». L’ouvrage de Dominique Cottereau atteste de beaucoup d’attention aux choses, aux autres et à soi-même. Au contraire des prophètes de malheurs qui culpabilisent et démobilisent, l’auteure fournit de précieux appuis pour apprendre ensemble à faire de l’éducation à l’environnement, l’affaire de toutes et tous.
Parties annexes
Note
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[1]
À Belgrade, en 1975, a été lancé le Programme international d’éducation relative à l’environnement de l’Unesco.