Alors que plusieurs villes se sont dotées de promenades urbaines (Québec, New York, Bordeaux, Montréal, Saragosse, Alger, etc.), que les artistes mobilisent la promenade comme acte de création, que les citoyens et les organismes communautaires s’intéressent aux promenades pour se réapproprier leurs quartiers et les faire connaître, la publication d’un ensemble de textes s’y intéressant de près offrent l’occasion de faire le point sur l’état d’avancement des recherches, mais aussi sur le déploiement de pratiques professionnelles recourant de plus en plus volontiers à des dispositifs de promenade. Sans vouloir trop rapidement définir ce qu’est une promenade (puisque l’ambition de ce numéro thématique est d’en dévoiler de nombreuses facettes), il est néanmoins intéressant d’en rappeler quelques-unes de ces caractéristiques : Cette évocation, tout en proposant d’utiles jalons (que les auteurs ici rassemblés reprennent, ou pourraient reprendre, à leur compte) a en outre le mérite d’offrir la pratique individuelle et sociale que constitue la promenade au regard des tensions qui l’animent – celles entre nature et culture, sujet et objet, matériel et idéel, corps et esprit, être acteur et être spectateur, regarder et être vu, etc. –, faisant d’elle un lieu et un moment de frottements et de contacts riches en expériences et en enseignements. Qu’on la nomme balade, randonnée, déambulation ou parcours, chaque promenade dit aussi spécificités du contexte culturel (au sens large) dans lequel elle prend place. Ainsi interpelle-t-elle nos conditions de vie citadine, où initiatives institutionnelles, associatives et citoyennes se multiplient pour tenter de « ralentir le temps en ville » et de ré-enchanter des espaces du quotidien que leurs habitants croient connaître. Au surplus, pratiquée individuellement ou bien en groupe et de façon guidée, cette activité comporte le plus souvent une dimension réflexive. C’est qu’elle est propice à deux dynamiques contradictoires seulement en apparence : le retour sur soi et le décentrement, la prise de distance à l’égard de ce qui entoure. De ce fait, la promenade constitue un prisme particulièrement intéressant pour aborder des questions ontologiques, éthiques, cognitives ou encore politiques en relation avec l’espace, la société et le mouvement. Forme possible donnée à la marche (qui peut être de protestation, militaire, parade festive, etc.), la promenade n’est pas réductible au fait de marcher; cependant, marcher (qui est en français un verbe de mouvement plus que de déplacement) en est la condition première. Les effets positifs de la marche sur la pensée, la santé, la mise en scène des lieux, la création, la découverte, etc., ont été depuis longtemps documentés par différentes disciplines, et ce, tout particulièrement dans le cadre d’une promenade. En effet, depuis quelques années, la recherche la scrute, tant sous l’angle historique (Beck, 2009; Dautresme, 2001; Turcot, 2007) que géographique (Lavadinho, 2011; Miaux, 2016; Miaux & Roulez, 2014; Rieucau, 2012), sociologique (Thomas, 2007) ou anthropologique (Le Breton, 2000), mais aussi littéraire (Montandon, 2000), philosophique (Chardonnet-Darmaillacq, 2016; Paquot, 2004) et artistique (Davila, 2002). Si, dès l’Antiquité, la promenade est prisée par les philosophes – notamment les péripatéticiens qui enseignent littéralement en se promenant –, d’autres grands penseurs – Rousseau, Kant, Thoreau, pour ne nommer que ceux-là – y trouveront plus tard une source d’inspiration et en feront l’éloge. Ainsi, Thoreau (1862/2017) la comparait à un art auquel très peu de ses contemporains seraient capables d’accéder : Si Thoreau affectionnait la marche hors des sentiers battus et n’hésitait pas à enjamber les (rares) clôtures de sa Nouvelle-Angleterre natale, la promenade d’aujourd’hui, même lorsqu’elle se veut aventurière, n’en épouse pas moins d’ordinaire les tracés matérialisés qui nous entourent. Ce numéro thématique est l’occasion d’aborder la promenade, porteuse d’expérience immersive tout à la fois sensible et cognitive, …
Parties annexes
Bibliographie
- Beck, R. (2009). La promenade urbaine au XIXe siècle. Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, (2), 165-190.
- Besse, J. M. (2004). Quatre notes conjointes sur l’introduction de l’hodologie dans la pensée contemporaine. Les carnets du paysage, (11), 26-33.
- Chardonnet-Darmaillacq, S. (Éd.). (2016). Le génie de la marche, poétiques, savoirs et politiques des corps mobiles. Paris : Éditions Hermann.
- Dautresme, O. (2001). La promenade, un loisir urbain universel? L’exemple du Palais-Royal à Paris à la fin du XVIIIe siècle. Histoire urbaine, (1), 83-102.
- Davila, T. (2002). Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle. Paris : Regard.
- Lavadinho, S. (2011). Le renouveau de la marche urbaine : terrains, acteurs et politiques (Thèse de doctorat inédite). École normale supérieure de Lyon, Lyon, France.
- Le Breton, D. (2000). Éloge de la marche (Vol. 3). Paris : Éditions Métailié.
- Miaux, S. (2016). Les promenades d’artistes entre création et engagement. Revue ESPACES, (331), 126-131.
- Miaux, S., & Roulez, M.-C. (2014). Une lecture du rapport ville-nature à travers les promenades d’artistes. Environnement Urbain/Urban Environment, 8, 79-96.
- Montandon, A. (2000). Sociopoétique de la promenade. Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal.
- Paquot, T. (2004). L’art de marcher dans la ville. Esprit, 201-214. Repéré à https://esprit.presse.fr/article/thierry-paquot/l-art-de-marcher-dans-la-ville-7922
- Rieucau, J. (2012). La promenade publique géosymbole de l’urbanité espagnole. La Rambla Nova de Tarragone. EchoGéo, (22). Repéré à https://journals.openedition.org/echogeo/13252
- Rosa, H. (2013). Accélération. Une critique sociale du temps. Paris : La Découverte.
- Thomas, R. (2007). La marche en ville. Une histoire de sens. L’Espace géographique, 36(1), 15-26.
- Thoreau, H. (2017). Marcher. (N. Mallet, trad.). Barcelone : Le mot et le reste. (Ouvrage original publié en 1862).
- Turcot, L. (2007). Le promeneur à Paris au XVIIIe siècle. Paris : Gallimard.