FR :

Comme l’observe Olivier Roy, la sécularisation du christianisme européen se traduit par une culturalisation des références chrétiennes. Libérés de leur signification religieuse, ces symboles deviennent des marqueurs culturels patrimoniaux et peuvent faire l’objet d’une instrumentalisation politique. À ce titre, « les racines chrétiennes » sont devenues un topique des discours populistes, que ce soit en France, en Italie, en Pologne, en Hongrie, en Bavière ou ailleurs. Patrimonialisé comme matrice culturelle, le christianisme permet de concurrencer l’identification du peuple aux citoyens en construisant un « vrai » peuple identifiable à sa culture. Les musulmans ou les minorités sexuelles se trouvent symboliquement exclus du corps civique et leurs demandes disqualifiées pour être des déviances. Cette rhétorique serait un indicateur d’une tendance à l’illibéralisme à l’échelle globale. Mais le paradigme de la sécularisation a ses limites. Car comment expliquer le succès des leaders populistes dans des aires géographiques bien moins sécularisées que l’Europe comme le Brésil et les États-Unis ? Il existe en fait des affinités profondes entre la rhétorique populiste et certaines théologies politiques.

EN :

As Olivier Roy observes, the secularisation of European Christianity is reflected in a culturalization of Christian references. Freed from their religious significance, these symbols become cultural heritage markers and can be the object of political instrumentalization. As such, “Christian roots” have become a topical feature of populist discourses whether in France, Italy, Poland, Hungary, Bavaria or elsewhere. Became a heritage as a cultural matrix, Christianity makes it possible to compete with the people’s identification to the citizens by constructing a “real” people identifiable with its culture. Muslims or sexual minorities are symbolically excluded from the civic body and their demands disqualified as deviances. This rhetoric would be an indicator of a trend towards illiberalism on a global scale. But the secularisation paradigm has its limits. For how can we explain the success of populist leaders in geographical areas that are much less secularised than Europe, such as Brazil and the United States ? There are indeed deep affinities between populist rhetoric and certain political theologies.

FR :

Les populismes peuvent-ils avoir des affinités électives avec le christianisme ? On peut le penser mais les façons d’articuler populisme et religions varient probablement beaucoup selon les pays et zones géographiques. Après avoir repéré les traits fondamentaux du populisme et formulé des hypothèses sur les liens potentiels entre populisme et christianisme, l’article essaye de les opérationnaliser à l’aide de l’enquête European Values Study de 2017-2020. Plusieurs échelles d’attitudes censées mesurer les éléments centraux du populisme sont construites et leurs liens avec la religiosité étudiés. Dans les religions chrétiennes, le protestantisme semble le moins sujet au populisme, sauf dans les courants évangéliques. L’influence directe de la religiosité sur le populisme semble s’expliquer par le fréquent nationalisme des milieux religieux. Il y a aussi un effet indirect des religions lié à l’histoire longue : les religions ont formaté les valeurs nationales au fil des siècles, ce qui explique certaines différences entre cutures nationales.

EN :

Can populisms have elective affinities with religions ? One might think so, but the ways in which populism and religion are linked probably vary greatly from country to country and geographical area to geographical area. After identifying the fundamental features of populism and formulating hypotheses on the potential links between populism and religions, the article attempts to operationalize them using the 2017-2020 European Values Study. Several attitudinal scales supposed to measure the central elements of populism are constructed and their links with religiosity studied. Among Christian religions, Protestantism appears to be the least prone to populism, with the exception of evangelical currents. Orthodoxy and Islam, on the other hand, are important vectors. The direct influence of religiosity on populism seems to be explained by the frequent nationalism of religious circles. There is also an indirect effect of religion linked to long history: religions have shaped national values over the centuries, which explains certain differences between national cultures.

FR :

En France, l’écologie semble doucement faire sa place dans le discours populiste de droite. Contre une écologie de gauche, supposée élitaire et « bobo », les « nationaux-populistes » défendent une écologie enracinée. Dans cet article, nous nous intéresserons à la généalogie de ce motif. L’écologie conservatrice est-elle un concept unitaire ? De plus, si elle est mobilisée par plusieurs acteurs religieux, peut-on considérer qu’elle est l’expression d’un imaginaire chrétien ? Nous souhaitons mener une réflexion en trois temps : 1) étudier la mobilisation de l’écologie dans le discours populiste de droite, 2) comprendre les racines intellectuelles de cette appropriation, et enfin, 3) déterminer si cette tradition relève de l’imaginaire chrétien.

EN :

French right-wing populists tend to include more and more ecology in their discourses. Against a left-wing ecology, supposedly elitist and “bobo”, national populists defend a rooted ecology. In this paper, I will focus on the genealogy of this motif. Is conservative ecology a unitary concept ? Moreover, since it is used by religious actors, can we consider it as an expression of a Christian imaginary ? I wish to develop a threefold reasoning : study the uses of ecology in French national populist discourses (I), understand the intellectual ground for this appropriation (II) and finally determine if this tradition relies on a Christian imaginary (III).

FR :

Longtemps soumise à l’athéisme d’État, la religion orthodoxe a retrouvé progressivement dans l’espace post-soviétique sa centralité politico-culturelle. Si l’exemple de la Russie poutinienne illustre cette tendance à vouloir confondre religion et politique à des fins illibérales ou nationalistes, l’Ukraine n’est pas en reste. Outre l’affirmation par Petro Poroshenko d’un discours religieux traditionnaliste et populiste, des courants (ultra)nationalistes chrétiens ont émergé ces dernières années. Aussi semblables qu’ils puissent être par rapport aux autres mouvements (ultra)nationalistes qui militent pour la renaissance d’un État ukrainien émancipé du joug russe, ces fondamentalistes se démarquent néanmoins par leur révisionnisme identitaire de l’orthodoxie. Bâti autour d’une mythologie nationale dont le Tomos de 2019 serait l’aboutissement providentiel, leur discours entend proposer à l’aide du religieux une nouvelle ontologie de « l’ukrainité ». À cet égard, l’espace géographique dans lequel est censée s’affirmer cette ukrainité a toute son importance. Celui-ci relève d’un imaginaire spécifique que nous nous proposons d’analyser.

EN :

Orthodoxy has gradually regained its political and cultural centrality in the post-Soviet space. If the example of Putin‘s Russia illustrates this tendency to confuse religion and politics for illiberal or nationalist purposes, Ukraine is not to be outdone. In addition to Petro Poroshenko‘s affirmation of a traditionalist and populist religious discourse, recent years have seen the emergence of Christian (ultra)nationalist currents. As similar as they may be to other ultranationalist movements that militate for the rebirth of a Ukraine emancipated from the Russian yoke, these fundamentalists are nevertheless distinguished by their revisionist Orthodoxy. Built around a national mythology of which the Tomos of 2019 would be the providential outcome, their discourse proposes with religion a new ontology of “Ukrainianness”. In this respect, the geographical space in which this Ukrainianness is supposed to be asserted is very important. This space is part of a specific imaginary that we propose to analyse.

FR :

Il paraît surprenant à première vue de se référer à un concept aussi ancien que l’Antemurale Christianitatis (le rempart du christianisme) pour analyser la politique étrangère contemporaine d’un État européen. Pourtant, en Pologne, comme dans les autres pays qui se sont vu attribuer ce titre, l’idée de jouer le rôle de « rempart du christianisme » en Europe s’est enracinée dans les mentalités et continue d’apparaître ici et là, dans les discours politiques, les débats publics et les éditoriaux journalistiques. Partant du principe que le symbole d’une Pologne « rempart du christianisme » constituait, au-delà de son caractère religieux, l’expression de la position géostratégique du pays dans l’Europe du XV^e siècle, et considérant la longévité de cette image dans le récit national polonais, cet article propose d’évaluer la pertinence du concept d’Antemurale Christianitatis ou Przedmurze chrześcijaństwa en polonais dans l’analyse de la place et du rôle de la Pologne contemporaine en Europe.

EN :

It may be surprising at first sight to refer to such an old concept, the Antemurale Christianitatis, to analyse the contemporary politics of a European state. Yet, in Poland, as in other countries that have been attributed this label, the idea of being the defensive wall of Christianity has taken root in their national consciousness and continues to appear here and there, in political speeches, public debates, and journalistic editorials. Based on the idea that the term “Poland, bulwark of Christianity” was, beyond its religious aspect, the expression of Poland’s geostrategic position in 15^th century Europe, and considering its longevity in the Polish national narrative, this paper aims to assess the relevance of the Antemurale Christianitatis or Przedmurze chrześcijaństwa in Polish in the analysis of the place and role of contemporary Poland on the European continent.

FR :

Faisant preuve d’une capacité d’articulation politique qui s’est consolidée au fur et à mesure de leur expansion, notamment depuis les années 1980, les évangéliques se sont retrouvés en position de force au sein du gouvernement de Jair Bolsonaro (2019-2022). Pourtant, leur conversion au bolsonarisme semble loin d’être acquise. La présente étude cherche ainsi à mettre en lumière les liens entre évangéliques et bolsonaristes, en explorant la manière dont l’imaginaire du combat spirituel, consubstantiel à l’entrée en force des premiers sur la scène politique brésilienne, s’amalgame à la rhétorique de la guerre culturelle qui caractérise le bolsonarisme. Nous analysons en particulier la construction et la mise en oeuvre de cet imaginaire sous le prisme de la théologie du dominion, l’une de ses formes les plus abouties, fondée sur le « mandat des Sept Montagnes ». L’objectif est de comprendre dans quelle mesure le gouvernement de Bolsonaro reflète cette vision et favorise les efforts de transformation qu’elle entend promouvoir dans la société brésilienne.

EN :

Displaying an evolving capacity for political articulation, notably since the 1980s, evangelicals have found themselves in a position of strength within Jair Bolsonaro’s government (2019-2022). Nevertheless, their conversion to Bolsonarism seems far from assured. This study seeks to shed light on the links between evangelicals and Bolsonarists, by exploring how the imaginary of spiritual warfare, inherent to the rise of evangelicals in the Brazilian political scene, amalgamates with the rhetoric of cultural warfare that characterizes Bolsonarism. We analyze, in particular, the construction and deployment of this imaginary through the lens of Dominion theology, one of its most developed forms, based on the “Seven Mountains mandate”. The objective is to understand to what extent the Bolsonaro government reflects this vision and promotes the transformation efforts it intends to generate within Brazilian society.

FR :

Après les premières expériences des années 1980 et 1990, où le politique s’était emparé du religieux, des Églises évangéliques ont décidé d’investir le champ politique en empruntant une autre voie de politisation. C’est par le judiciaire qu’elles ont choisi de participer au champ politique, dans une volonté de conquête des Cours de justice, lesquelles ont été ainsi politisées selon une nouvelle modalité. Cependant, au-delà des discours se trouvent des groupes de pression et des intérêts de classe issus des grandes familles de l’oligarchie. C’est une forme de populisme chrétien qui se manifeste, en particulier au travers du soutien évangélique à un projet de loi s’inscrivant dans la lignée des mouvements conservateurs, opposés à la « théorie du genre », contribuant à un « nationalisme chrétien ».

EN :

After the first experiences of the 1980s and 1990s, when politicians made use of religion, some evangelical Churches are poised to re-enter the political field. It is through the judiciary branch that these Churches look to participate in politics, aiming at conquering the higher courts, which have become more politicized. But beyond the speeches, there are pressure groups, and behind them, class interests that take the figure of some great families of the evangelical oligarchy and others. It is thus a form of Christian populism that is operating, which does manifest itself in its support to a law initiative illustrating the conservative moves against “gender theory” rights, claiming to build a “Christian nation”.

FR :

La mobilisation de la référence religieuse par le parti national- conservateur polonais Droit et Justice (PiS) au pouvoir entre 2015 et 2023 est devenue omniprésente. Cet article analyse ces usages croisés – et controversés – du registre religieux. Premièrement, il montre comment le référent religieux a été mis au service du gouvernement PiS, dans le domaine des droits reproductifs ou de l’enseignement supérieur et de la recherche. Deuxièmement, les usages de la référence religieuse dans l’action collective sont analysés à travers deux types de mobilisations distinctes mais interreliées : d’une part, les mobilisations conservatrices, appuyées par les think tanks réactionnaires, d’autre part, les mouvements sociaux critiques du gouvernement. Détournée, la référence religieuse n’en demeure pas moins incontournable.

EN :

Mobilization of religious references by the Polish national- conservative Law and Justice party (PiS) in power between 2015 and 2023 has become ubiquitous. This article analyses these intersecting – and controversial – uses of the religious register. First, it shows how the religious referent has been used by the PiS government in the areas of reproductive rights and higher education and research. Second, the use of religious reference in collective action is analyzed through two distinct but interrelated types of mobilization : conservative mobilizations supported by reactionary think tanks, and social movements critical of the government. Even though it has been hijacked, the religious reference remains inescapable.

FR :

Cet article analyse le rôle des deux Églises principales en Hongrie (catholique et réformée) dans le soutien à Viktor Orban et sa démocratie illibérale (ou chrétienne). Ayant décrit le cadre précédant et suivant sa première (1998-2002) et deuxième (2010-2014) réélection au poste de Premier ministre, la transformation du Fidesz en parti personnel et l’importance croissante du christianisme culturel dans son discours, on examinera les fondements intellectuels et idéologiques de « l’orbanisme » et leur déclinaison pratique. Les deux derniers paragraphes esquissent l’histoire récente des Églises hongroises et leurs relations avec le Fidesz afin de comprendre s’il existe des continuités ou des ruptures favorisant ou empêchant des compromis avec le régime, et si cela suscite des critiques.

EN :

This article aims at analyzing the role of the two main Churches in Hungary (i.e., Roman Catholic, and Reformed) in supporting Viktor Orban and his illiberal (or Christian) democracy. After having described the political frame preceding and following his first (1998-2002) and second (2010-2014) elections as prime minister, the transformation of Fidesz in his personal party and the growing importance of cultural Christianity in his discourse, the work will focus on his intellectual and ideological (if any) grounding, on how it is spelled. The last two paragraphs sketch Hungary’s recent Church(es) history and their relations with Fidesz to understand whether there are continuities or ruptures favoring or impeding compromises with the regime and whether religious dissent exists.

FR :

Cet article jette un regard critique sur les lisières de la mondialisation et de la gouvernance mondiale, là où les avancées d’hier ouvrent aujourd’hui la voie à des remises en question, des reflux et des contestations de toutes parts. L’ébauche d’un « livre gris de la mondialisation » permet de mieux saisir les différentes nuances de gris qui caractérisent le monde d’aujourd’hui. Nous nous penchons sur les tensions et les contradictions de la gouvernance mondiale à travers quatre focales. Premièrement, dans une démarche historiciste, nous retraçons les héritages coloniaux qui sous-tendent la persistance du clivage Nord-Sud à ce jour. Deuxièmement, nous mettons en lumière les limites inhérentes de la diplomatie et de l’action multilatérale, à l’ONU comme dans les organisations régionales. Troisièmement, nous évaluons les transformations découlant des changements technologiques qui se trouvent au coeur de la mondialisation. Finalement, nous interrogeons l’évolution des droits humains dans un contexte de fragilisation généralisée.

EN :

This article takes a critical look at the edges of globalization and global governance, where yesterday’s advances are now being challenged, reversed and contested from all sides. The outline of a “grey book of globalization” provides a better understanding of the different shades of grey that characterize today’s world. We examine the tensions and contradictions of global governance from four angles. Firstly, using a historicist approach, we trace the colonial legacies that underlie the persistence of the North-South divide to this day. Secondly, we highlight the inherent limits of diplomacy and multilateral action, both at the UN and in regional organizations. Thirdly, we assess the transformations arising from the technological changes at the heart of globalization. Finally, we examine the evolution of human rights in a context of generalized fragility.