Volume 54, numéro 3, 2023 Fabriquer la recherche en temps de pandémie en Afrique et au Moyen-Orient : vers une redéfinition des clivages Nords-Suds ? Conducting Research in Africa and the Middle East in Pandemic Times : Towards a Redefinition of the North-South Divide ? Sous la direction de Marie Brossier, Henri Assogba et Alessandra Bonci
Sommaire (8 articles)
Section thématique
Introduction
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Fabriquer la recherche en temps de pandémie en Afrique et au Moyen-Orient : un laboratoire d’expérimentations entre Nords et Suds ?
Marie Brossier, Henri Assogba et Alessandra Bonci
p. 349–363
RésuméFR :
En nous intéressant aux effets de « disruption » plus ou moins profonds qu’a engendré la pandémie de Covid-19, nous menons dans ce dossier une réflexion sur la manière dont les chercheur.e.s travaillant sur l’Afrique et le Moyen-Orient ont modifié les pratiques de recherche aussi bien aux Nords qu’aux Suds. Ce dossier veut redonner toute sa place à la « fabrique » de la recherche en temps de pandémie.
Les contributions réunies ici questionnent les effets à court, moyen et long terme que la pandémie a engendrés mais aussi les défis et les accommodements qu’elle a produits autour de trois enjeux principaux : la reformulation des objets de recherche et des dispositifs méthodologiques ; la reconfiguration de l’accès aux terrains et aux enquêtés ; et les effets de rééquilibrages ou déséquilibres qu’a pu avoir la pandémie sur les dynamiques de recherche entre les Nords et les Suds.
EN :
This special issue examines the ‘disruptive’ effects of the COVID-19 pandemic, focusing on how researchers working on sub-Saharan Africa and the Middle East have been constrained to adapt their research practices. It delves into the ‘making’ of research during a pandemic, exploring the short-, medium-, and long-term impacts and the challenges and adjustments that have arisen. The issue addresses three main areas : the reformulation of research objects and methodological approaches, the reconfiguration of access to fieldwork and respondents, and the rebalancing effects of the pandemic on research dynamics between the Global North and South.
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Réformer la recherche en santé mondiale au Sahel : une occasion manquée en temps de COVID-19 ?
Valéry Ridde et Daniel Béland
p. 365–390
RésuméFR :
La pandémie de Covid-19 a été un choc planétaire. Dans le domaine de la santé mondiale, notamment au Sahel en Afrique, les équipes de recherche se sont rapidement mobilisées pour participer à l’effort collectif d’une meilleure compréhension de la situation afin de renforcer les réponses à la pandémie. Dans un contexte de dépendance envers l’aide internationale, la recherche en santé mondiale dans cette région se réalise à travers des partenariats internationaux souvent empreints d’enjeux de pouvoirs et de stratégies néfastes à une conduite responsable. À partir d’exemples empiriques au Sahel, cet article montre la permanence de ces pratiques que la pandémie n’a pas changées. Si la pandémie a été une opportunité pour certaines équipes (plus agiles et résilientes) de créer de nouvelles collaborations scientifiques, l’absence de changement de paradigme, malgré la puissance du choc, montre qu’il reste encore beaucoup à faire pour la décolonisation de la santé mondiale.
EN :
The Covid-19 pandemic was a global shock. In the field of global health, particularly in the Sahel region of Africa, research teams quickly mobilized to participate in the collective effort to better understand the situation to strengthen responses to the pandemic. In a context of dependence on international aid, in that region, global health research is carried out through international partnerships often marked by power issues and strategies detrimental to responsible conduct. Using empirical examples from the Sahel, this article shows the permanence of these practices, which the pandemic has not changed. Although the pandemic was an opportunity for certain (more agile and resilient) research teams to create new scientific collaborations, the absence of a paradigm shift, despite the power of the shock, shows that there is still much to be done to decolonize global health.
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Faire de la recherche dans un contexte d’incertitude : rédiger une thèse sur Ebola pendant l’épidémie de COVID-19
Rubis Le Coq
p. 391–416
RésuméFR :
En juin 2016, l’OMS déclare officiellement la fin de l’épidémie de la Maladie à virus Ebola (MVE) dans les pays du fleuve Mano. Quatre ans plus tard, alors que je rédige ma thèse de doctorat ayant pour sujet Ebola, la menace d’une épidémie de coronavirus en provenance de Wuhan est apparue, générant une forme d’incertitude scientifique. Cet article réflexif entend d’abord documenter la manière dont la survenue de l’épidémie de Covid-19 est venue affecter le déroulement d’une recherche doctorale sur Ebola, tant par l’afflux bibliographique foisonnant que par l’opportunité d’une expérience épidémique incorporée invitant à questionner de nouveau des analyses et hypothèses établies, tout en modifiant le rapport aux données de terrain et aux personnes enquêtées. Dans la seconde partie, à partir d’une ethnographie dans un centre de dépistage de la Covid-19 à Abidjan, j’identifie des similitudes et continuités dans la gestion de ces deux épidémies (MVE et Covid-19) et leur réception populaire.
EN :
In June 2016, the WHO officially declares the end of the Ebola Virus Disease (EVD) epidemic in the Mano River countries. Four years later, while writing my doctoral dissertation on Ebola, the threat of a coronavirus outbreak from Wuhan emerged, generating a form of scientific uncertainty. This reflexive article first documents how the occurrence of the Covid-19 epidemic impacted the progress of a doctoral research project on Ebola, both through the abundant bibliographic data and through the opportunity of an incorporated epidemic experience that invited me to question established analyses and hypotheses while modifying my relationship with field data and respondents. In the second part, based on an ethnography in a Covid-19 screening center in Abidjan, I identify similarities and continuities in the management of these two epidemics (MVE and Covid-19) and their popular reception.
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L’enseignement du terrain de recherche en Afrique en temps de pandémie : défi ou opportunité pédagogique ?
Nathalie Mondain
p. 417–441
RésuméFR :
L’enseignement et l’apprentissage du terrain de recherche in situ constitue une valeur ajoutée dans le parcours des apprentis chercheurs en sciences sociales. Dans les sociétés africaines, marquées par l’histoire coloniale, la présence des apprenant.e.s et des enseignant.e.s-chercheur.e.s permet de mieux prendre conscience des rapports sociaux inégaux se manifestant sur le terrain. Avec la pandémie de Covid-19, l’enseignement du terrain de recherche s’est déroulé à distance, engendrant plusieurs défis pédagogiques relativement au rôle des intermédiaires locaux, aux modalités de mise en oeuvre des grands principes éthiques et aux relations de communication établies entre apprenti.e.s chercheur.e.s et participant.e.s. Les inégalités dans les rapports sociaux sur le terrain de recherche apparaissent d’autant plus clairement que les apprenant.e.s en ont une vision abstraite. Ces différents points seront abordés à partir de l’expérience d’un cours recherche de terrain durant la crise sanitaire 2020-2021 se déroulant au Sénégal avec des étudiants d’une université canadienne.
EN :
The teaching and the learning of research fieldwork constitute an added value for novice researchers in social sciences. In African societies marked by colonial history, the presence of learners and researchers makes it possible for them to become more aware of the unequal social relationships appearing during field research. With the Covid-19 pandemic, the teaching of field research took place remotely, generating several educational challenges among which the role of local facilitators, the implementation of the main ethical principles and the relationships between apprentice researchers and participants when conducting the research. Inequalities in social relationships while doing fieldwork appear more clearly since learners have an abstract understanding of it. These different issues will be addressed based on the experience of a field research course taking place in Senegal during the 2020-2021 health crisis with students from a Canadian university.
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Pandémie 2020 en Tunisie : le terrain possible
Alessandra Bonci
p. 443–467
RésuméFR :
Comme ce numéro spécial propose un regard sur la façon dont la pandémie a modifié les pratiques de terrain, cet article examine comment « l’effet Covid-19 » a été intégré dans une recherche ethnographique en Tunisie. Cet article aborde les défis liés à la pandémie à Tunis afin de reconstruire le contexte qui a favorisé la mise en place de certaines stratégies de recherche. Ensuite, cette étude présente des interactions à distance, par téléphone, avec six pieuses musulmanes recrutées par la méthode « boule de neige » : il s’agissait d’une femme pieuse de l’association coranique Imam Malik, contactée à travers Facebook, deux qa’idhat du parti non électoral Hizb ut-Tahrir, et de trois wa’idhat, fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses. Enfin, cet article réfléchit à la possibilité de mener une ethnographie en temps de pandémie, et se concentre sur les opportunités de conduire des entrevues à distance.
EN :
As this special issue looks at how the pandemic has changed research practice in the fieldwork, this article looks at how the “Covid-19 effect” integrated ethnographic research in Tunisia. This article addresses the challenges related to the pandemic in Tunisia, to reconstruct the context that favored the implementation of certain research strategies. In this frame, this study presents six virtual interactions with six pious Muslim women recruited through the “snowball” method. There were a pious woman from the Imam Malik Quranic Association contacted via Facebook, two qa’idhat from the non-electoral party Hizb ut-Tahrir and three wa’idhat, officials from the Ministry of Religious Affairs, interviewed by telephone. Finally, this article reflects on the possibility of conducting ethnography in times of pandemic, and focuses on the opportunities of conducting virtual interviews.
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Retours méthodologiques sur la recherche à distance entre Covid-19 et conflits nationaux au Moyen-Orient et en Afrique du Nord
Pietro Marzo
p. 469–490
RésuméFR :
Effectuer des recherches de terrain dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord a toujours posé certains défis majeurs aux chercheurs en sciences sociales. La pandémie de Covid-19 a exacerbé le problème d’accès au terrain et aux données, limitant les mouvements des personnes et restreignant encore davantage les possibilités d’interactions avec les individus à l’échelle locale. Cet article aborde la méthodologie utilisée lors de deux projets de recherche en sciences sociales qui se sont déroulés à distance lors de la pandémie. La première recherche a été menée dans sept municipalités de Libye, dans un contexte déjà plombé par un conflit national qui impose de sévères limites aux chercheurs étrangers. La deuxième recherche visait à évaluer les besoins des jeunes et de la société civile dans treize pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MOAN). L’article offre des réflexions sur le potentiel d’une collaboration étroite entre chercheurs étrangers et chercheurs locaux dans toutes les phases d’un projet de recherche. Les stratégies méthodologiques adoptées pour mener à bien ces deux projets apportent des suggestions pour repenser la coopération entre chercheurs du Nord et du Sud dans une perspective d’avancement des connaissances.
EN :
Doing research in Middle Eastern and Nord Africa countries has always posed major challenges for social scientists. In these regions the Covid-19 pandemic has exacerbated the problem of access to fieldwork and to data, limiting the movement of people and further restricting the possibilities of interactions with individuals at the local level. This article discusses the methodology employed in two research projects conducted remotely during the pandemic. The first research was carried out in seven municipalities in Libya, in a context where the national conflict imposes severe limits on foreign researchers. The second research aimed to assess the needs of youth and civil society in thirteen countries of the MENA region. The article offers some thoughts on the potential of a close collaboration between foreign and local researchers in all phases of a research project. The methodological strategies used provide reflections for rethinking the partnership between researchers from the North and the South to produce more accurate and qualitative academic knowledge.
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Leçons apprises d’une recherche partenariale sur les politiques sociales transformatrices et genrées en Afrique post Covid-19
Marie Fall, Almamy Sylla, Ndèye Faty Sarr, Adama Sadio, Ousmane Wagué et Jessica Rivest
p. 491–516
RésuméFR :
La recherche partenariale internationale a subi de profondes mutations au cours de la pandémie de Covid-19 qui a imposé aux équipes de recherche internationales des choix méthodologiques et stratégiques adaptés pour assurer la continuité des projets. Dans le cadre d’un projet de recherche sur les politiques sociales transformatrices et genrées en Afrique post Covid-19, une équipe formée de deux chercheuses du Canada et de la France et de trois chercheurs du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal a réalisé une recherche partenariale durant la pandémie de Covid-19. La présence effective des chercheurs dans les trois pays ouest africains ciblés par le projet a permis de finaliser la recherche malgré les contraintes liées à la mobilité. Au final, les leçons apprises de cette collaboration Nord-Sud se focalisent sur les interactions entre les membres de l’équipe, démontrant ainsi la nécessité de reconnaître et valoriser les compétences mutuelles des parties prenantes des projets de développement international.
EN :
International partnership research has undergone profound changes during the Covid-19 pandemic, which has forced international research teams to make methodological and strategic choices to ensure the continuity of projects. As part of a research project on transformative and gendered social policies in post-Covid-19 Africa, a team of two researchers from Canada and France and three researchers from Mali, Mauritania and Senegal conducted a research in partnership during the Covid-19 pandemic. The effective presence of researchers in the three West African countries targeted by the project allowed the achievement of research results despite the constraints related to mobility. In the end, the lessons learned from this North-South collaboration focus on interactions between team members, thus demonstrating the need to recognize and value the mutual skills of stakeholders in international development projects.
Section non thématique
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Pourquoi la France est-elle attaquée ? Une analyse comparée des attentats internationaux au nom de l’État islamique (2013-2019)
Simon Varaine, Raul Magni-Berton et Clara Egger
p. 517–547
RésuméFR :
Un épineux débat persiste quant aux causes des attentats ayant touché la France depuis 2015. Une première thèse stipule que la France est attaquée en raison des valeurs libérales qu’elle incarne. D’après une seconde thèse, la France est attaquée en réponse à sa politique étrangère interventionniste. Notre contribution propose de répondre à ce débat au moyen d’une approche comportementale, statistique et comparative des attentats au nom de l’État islamique dans le monde de 2013 à 2019. Nos analyses révèlent que les pays présentant des valeurs libérales (droit au blasphème, tradition de caricature de la presse et tolérance à l’égard de l’homosexualité) ne font en moyenne pas l’objet d’un nombre accru d’attentats. À l’inverse, les pays impliqués dans des frappes aériennes en Irak ou en Syrie sont significativement plus touchés. Une analyse temporelle confirme l’effet causal des frappes militaires sur les attentats, et non l’effet inverse.
EN :
A thorny debate persists as to the causes of the attacks that affected France since 2015. One view is that France is being attacked because of the secular and liberal values it embodies. According to a second thesis, France is attacked in response to its interventionist foreign policy. Our contribution proposes to respond to this debate via a behavioral, statistical and comparative analysis of attacks in the name of the Islamic State around the world from 2013 to 2019. Our analyses reveal that countries with liberal values (right to blasphemy, tradition of press caricature, and tolerance of homosexuality) are on average not subject to an increased number of attacks. Conversely, countries involved in air strikes in Iraq or Syria are significantly more affected. A temporal analysis confirms the causal effect of military strikes on attacks, and not the opposite effect.