
Volume 54, numéro 2, été 2023 La guerre en Ukraine deux ans après The War in Ukraine Two Years On Sous la direction de Franck Petiteville
Sommaire (8 articles)
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Une guerre aux répercussions mondiales
Franck Petiteville
p. 185–191
RésuméFR :
L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine en février 2022 a fait ressurgir en Europe un type de guerre conventionnelle que l’on croyait disparue. Une majorité d’États dans le monde, notamment mobilisés au sein de l’Assemblée générale de l’ONU, l’ont condamnée comme une guerre d’agression. La Russie en paie le prix à travers un certain isolement et son exclusion de nombreuses organisations internationales. Pourtant, deux ans après le début de la guerre, les perspectives d’une paix négociée paraissent assez improbables.
EN :
The invasion of the Ukraine by Putin’s Russia in February 2022 has prompted the return of a kind of conventional war in Europe that we deemed disappeared. A majority of States on the international scene have condemned it as a war of aggression especially within the framework of the United Nations General Assembly. Russia is paying the price by some degree of isolation and exclusion from many international organizations. However, two years after the beginning of the war, the perspectives of a peace settlement seem rather unlikely.
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La Russie et le monde : le poids de la question ukrainienne
Anne de Tinguy
p. 193–217
RésuméFR :
L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a déclenché une guerre de haute intensité qui est l’un des conflits majeurs de l’après-guerre froide. Comment expliquer une décision aussi lourde de conséquences ? Que dit cette agression de la relation de la Russie à son ancien empire et de sa capacité à sortir d’un modèle néo-impérial ? Que dit-elle des instruments qu’elle mobilise pour façonner son environnement international ? L’objet de cet article est de tenter d’apporter des éléments de réponse à ces questionnements en explorant la place que l’Ukraine tient depuis 1991 dans son rapport au monde et en s’interrogeant sur les singularités de la question ukrainienne. Cette exploration, qui amène à mobiliser l’histoire et l’historiographie, conduit à replacer cette question dans le projet de puissance de la Russie. Elle confirme l’impact des perceptions et des représentations dans les relations internationales.
EN :
Russia’s invasion of Ukraine on February 24, 2022 launched a high intensity war that represents one of the major conflicts of the post-cold war period. How can we explain a decision so fraught with consequences? What does this aggression say about Russia’s relationship to its former empire and about its ability to waive a neo-imperial model? What does it say about the tools Russia mobilizes to shape its international environment? The purpose of this article is to attempt to answer these questions by exploring Ukraine’s place in its relation to the world, and by questioning singularities of the Ukrainian issue. By mobilizing history and historiography, such exploration means replacing the Ukrainian question in Russia’s power project. It confirms the impact of perceptions and representations in international relations.
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L’agression russe contre l’Ukraine signale-t-elle un affaiblissement du droit international ?
Anne Lagerwall
p. 219–239
RésuméFR :
Il ne fait aucun doute que l’intensification et l’élargissement des opérations militaires russes menées sur le territoire de l’Ukraine avec l’assistance du Belarus depuis le 24 février 2022 constituent une violation flagrante de la Charte des Nations Unies dont l’article 2 § 4 interdit aux États de recourir à la menace ou à l’emploi de la force dans leurs relations internationales. Il peut paraître particulièrement inquiétant de voir ainsi les principes du droit international foulés aux pieds, surtout lorsqu’il s’agit de principes aussi fondamentaux que l’interdiction pour les États de recourir à la force et son corollaire, l’interdiction d’acquérir des territoires par la force. S’il est indéniable que le droit international a été bafoué, il n’est toutefois pas si évident d’y voir le signe de son affaiblissement ou de la perte de son autorité.
EN :
There can be no doubt that the intensification and expansion of Russian military operations on Ukrainian territory, with the assistance of Belarus, since February 24, 2022, constitute a flagrant violation of the United Nations Charter, Article 2 § 4 of which prohibits States from resorting to the threat or use of force in their international relations. It may seem particularly worrying to see the principles of international law disregarded in this way, especially when such fundamental principles as the prohibition on the use of force by States and its corollary, the prohibition on the acquisition of territory by force, are involved. While it is undeniable that international law has been flouted, it is not so obvious that this is a sign of its weakening or loss of authority.
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L’armée russe en guerre contre l’Ukraine : enseignements systémiques et perspectives
Isabelle Facon
p. 241–266
RésuméFR :
L’ampleur des difficultés rencontrées par l’armée russe en Ukraine depuis 2022 a surpris les experts internationaux. Celles-ci traduisent son impréparation à une guerre de haute intensité ne correspondant pas aux hypothèses de conflit privilégiées par l’état-major général ainsi que l’insuffisance des restructurations menées, dans un contexte relativement instable, dans les forces comme l’industrie d’armement. Signe parmi d’autres de la corrosion apportée par cette aventure militaire mal pensée et mal calibrée : la fragmentation de la force armée entre l’armée régulière et d’autres acteurs – groupe Wagner en tête. La guerre, qui a ébranlé l’équilibre du régime Poutine, n’est pas restée sans effets sur la relation pouvoir-armée, cette dernière bénéficiant du soutien distant d’une population russe qui a été habituée à se penser agressée par « l’Occident collectif ».
EN :
The scale of the difficulties encountered by the Russian military in Ukraine since 2022 has taken international experts by surprise. They reflect its unpreparedness for a high-intensity war that had not been prioritized by the General Staff, as well as the flaws in the “new look reforms” carried out since 2008 in both the armed forces and the arms industry in a relatively unstable context. The fragmentation of the use of force on behalf of the Russian state between the regular army and other players –including the Wagner group– is just one sign of the corrosion caused by this ill-conceived and ill-calibrated military adventure. The Ukraine war, which has shaken the balance of the Putin regime, has also had an impact on the relationship between the government and the military, the latter benefiting from the distant support of a Russian population which has grown accustomed to thinking of itself as being attacked by the “collective West”.
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Quel rôle pour une alliance territoriale défensive en cas de conflit ? L’OTAN et la guerre en Ukraine (2022-)
Amélie Zima
p. 267–286
RésuméFR :
Cet article propose une nouvelle lecture du rôle de l’OTAN depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine en partant de ce qui semble être un paradoxe. Malgré son rôle limité à une posture de dissuasion, l’Alliance voit son attractivité et sa légitimité renforcées depuis le déclenchement du conflit comme en témoigne la volonté d’adhérer à l’OTAN de deux pays neutres, la Finlande et la Suède. Pour comprendre ce paradoxe, l’article montrera que l’action limitée de l’Alliance est due à l’inscription de son action dans le cadre de la Charte de l’ONU, mais aussi à sa nature d’alliance territoriale défensive. Puis l’article analysera si un changement interne récent, la promulgation d’un nouveau concept stratégique, résulte de la guerre en Ukraine. Enfin, l’article se penchera sur les raisons des demandes d’adhésion finlandaise et suédoise.
EN :
This article proposes a new reading of NATO’s role since the start of the Russian invasion of Ukraine, starting from what appears to be a paradox. Despite its role being limited to a deterrent posture, the Alliance has seen its attractiveness and legitimacy strengthened since the outbreak of the conflict, as demonstrated by the desire of two neutral countries, Finland and Sweden, to join NATO. In order to understand this paradox, the article will show that the Alliance’s limited action is due to the fact that its action falls within the framework of the UN Charter, but also to its nature as a defensive territorial alliance. The article will then analyse whether a recent internal change, the promulgation of a new strategic concept, is the result of the war in Ukraine. Finally, the article looks at the reasons behind the Finnish and Swedish applications for membership.
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Logiques des sanctions de l’Union européenne contre la Russie au sujet de l’Ukraine
Clara Portela
p. 287–310
RésuméFR :
Notre analyse s’interroge sur la logique suivie par les sanctions imposées contre la Russie en réaction à l’invasion de l’Ukraine lancée en février 2022. Elle identifie trois logiques distinctes dans les recherches portant sur les sanctions : une logique classique qui vise à déstabiliser un gouvernement en frappant son économie dans son ensemble et en galvanisant les masses ; une logique plus sélective ayant pour finalité de contraindre les élites à retirer leur appui aux dirigeants ; et une troisième logique qui conçoit les sanctions comme des outils s’adressant aux publics nationaux et aux pays tiers. Nous concluons que toutes ces logiques entrent en jeu simultanément. Cela montre une certaine déviation par rapport à la pratique précédente qui prétendait être « ciblée », représentant un saut qualitatif dans la politique des sanctions de l’Union européenne.
EN :
This analysis explores the rationale of the sanctions imposed on Russia in response to the invasion of Ukraine launched in February 2022. Sanctions research identifies three distinct logics: a classical logic that aims to destabilise a government by harming its economy as a whole and encouraging mass mobilisation; a more selective logic aimed at encouraging the elites to withdraw their support for the rulers, while a third logic conceives of sanctions as tools aimed at domestic audiences and third countries. The analysis concludes that all these logics operate simultaneously in the case of ongoing sanctions regime against Russia. This departs from previous practice which claimed to be “targeted”, introducing a turning point in the European Union’s sanctions policy.
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La France face à la guerre en Ukraine (Entretien)
Oksana Mitrofanova et Julien Plouchart
p. 311–333
RésuméFR :
Cet entretien réalisé par Études internationales avec deux spécialistes de l’Ukraine montre que le rapport de la France au conflit ukrainien a évolué depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Bien que refusant de reconnaître l’annexion de la Crimée, la diplomatie française a d’abord misé sur la médiation du conflit via le « format Normandie », et a mis du temps à prendre ses distances avec la Russie de Poutine. La guerre ouverte déclenchée en 2022 par la Russie a néanmoins poussé Emmanuel Macron à soutenir ouvertement l’Ukraine et à condamner de plus en plus fermement l’invasion russe. La classe politique française et les médias ne sont toutefois pas toujours au diapason d’une position résolument favorable à l’Ukraine et défavorable à la Russie.
EN :
This interview realized by Études internationales with two experts of Ukraine shows that the position of France over the conflict in Ukraine has evolved since the annexation of Crimea in 2014. Although the French diplomacy has refused to acknowledge the annexation of Crimea, it has first relied on the mediation of the conflict through the “Normandy framework” and took some time to distance itself from Putin’s Russia. The all-out war declared by Russia in 2022 has prompted Emmanuel Macron to overtly support Ukraine and to firmly condemn the Russian invasion. However, the French political class and the media are not always wholly in tune with a resolute support to Ukraine and a clear condemnation of Russia.
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Le Canada face à la guerre en Ukraine (Entretien)
Justin Massie
p. 335–344
RésuméFR :
Cet entretien restitue les grandes lignes du positionnement du Canada sur la guerre en Ukraine depuis février 2022. Le consensus apparu au début du conflit entre les partis politiques canadiens sur un narratif forgé autour d’une guerre d’agression de l’Ukraine par une Russie impérialiste a tendance à s’éroder un peu deux ans plus tard. Une fraction des électeurs conservateurs reproduit des schémas que l’on observe dans le camp républicain aux États-Unis, à savoir une certaine tentation isolationniste, et l’idée que le Canada « en fait trop » dans l’aide militaire à l’Ukraine. Cette idée est pourtant en contradiction totale avec la posture réelle du Canada. Non seulement celui-ci est assez suiviste des États-Unis et des alliés européens de l’Ukraine, mais il y a un décalage entre le discours canadien de solidarité avec Kyiv et le niveau effectif de livraison d’armes du Canada à l’Ukraine. Cette posture un peu « détachée » du Canada vis-à-vis de la guerre en Ukraine, sa dépendance stratégique à l’égard des États-Unis et son niveau de dépense militaire insuffisant au sein de l’OTAN sont autant de preuves d’une autonomie stratégique limitée.
EN :
This interview explores Canada’s response to the war in Ukraine since February 2022. The consensus that emerged among Canadian political parties framing the war as an aggression of Ukraine by an imperialistic Russia seems to weaken two years later. A fraction of Conservative voters reproduces patterns that can be observed among Republican voters in the US, namely an isolationist temptation and the idea that Canada is “doing too much” to militarily support of Ukraine. However, this idea is in full contradiction with Canada’s actual commitment. Not only is Canada rather a follower of the US and of European allies of Ukraine but there is gap between Canada’s official rhetoric and its effective military support to Kyiv. This “relaxed” relation of Canada to the war in Ukraine, its strategic dependence on the US, and its insufficient level of military spending within NATO are evidence of its limited strategic autonomy.