Volume 53, numéro 3, 2022 La gouvernance environnementale internationale International Environmental Governance Sous la direction de Adrien Estève, Carola Klöck et Amandine Orsini
Sommaire (6 articles)
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Retour sur la gouvernance environnementale internationale dans l’agenda politique et la recherche académique
Adrien Estève, Carola Klöck et Amandine Orsini
p. 325–349
RésuméFR :
L’année 2022 est une année importante pour la gouvernance internationale environnementale, qui n’a pas perdu son dynamisme, cinquante ans après la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain de Stockholm, souvent considérée comme l’acte de naissance de la diplomatie environnementale. Mais la gouvernance internationale de l’environnement a une histoire beaucoup plus longue. Dans l’introduction au numéro spécial qui lui est dédiée, nous retraçons brièvement son historique. Dans un deuxième temps, nous revenons sur sa place dans les études internationales, avant de la préciser concernant les études internationales francophones. Ces aperçus nous permettent d’identifier un certain nombre de pistes d’approfondissement que ce numéro spécial entend combler. Nous présentons les contributions du numéro spécial, qui, dans son ensemble, propose un éclairage détaillé des processus diplomatiques en cours tout en ouvrant de nouveaux horizons pour le champ des études internationales.
EN :
2022 is an important one for international environmental governance, which has lost none of its dynamism fifty years after the United Nations Conference on the Human Environment in Stockholm, often regarded as the birthplace of environmental diplomacy. But international environmental governance has a much longer history. In the introduction to this special issue, we first briefly retrace this history. We then look back at its place in international studies, before specifying its place in French-speaking international studies. These overviews enable us to identify a number of avenues for further research, which this special issue aims to explore. Finally, we present the contributions to the special issue, which as a whole offers a detailed insight into current diplomatic processes, while opening up new horizons for the field of international studies.
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Négocier le « traité de la haute mer » (BBNJ) : la diplomatie océanique des États d’Amérique latine et Caraïbes
Kevin Parthenay
p. 351–378
RésuméFR :
L’adoption de la Convention des Nations Unies portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales (BBNJ) (dit « traité de la haute mer ») est le produit de près de vingt années de négociations internationales. Dans un contexte international où les États d’Amérique Latine et Caraïbes (ALC) sont traditionnellement présentés comme occupant une position périphérique, cet article examine l’influence des États ALC dans le processus d’élaboration normative touchant à la régulation de la haute mer. Pour ce faire, une analyse qualitative ayant recours au process-tracing est appliquée à la période 2008-2022 et nourrie par une diversité de sources (sites onusiens, entretiens semi-directifs, projets de recherche, littérature grise). Cet article se positionne ainsi au croisement de deux débats : le premier, portant sur les États ALC dans les négociations internationales environnementales et océaniques ; le second, relatif à la place de l’ALC dans l’élaboration des normes globales.
EN :
The adoption of the United Nations Convention on the Conservation and Sustainable Use of Marine Biodiversity beyond National Jurisdiction (BBNJ) (known as the “High Seas Treaty”) is the product of almost twenty years of international negotiations. In an international context where Latin American and Caribbean (LAC) states are traditionally presented as occupying a peripheral position, this article examines the influence of LAC states in the normative development process affecting the regulation of the high seas. To this end, a qualitative analysis using process-tracing is applied to the period 2008-2022, drawing on a variety of sources (UN sites, semi-structured interviews, research projects, grey literature). The article is thus positioned at the crossroads of two debates: the first, on LAC States in international environmental and oceanic negotiations ; the second, on the place of LAC in the development of global standards.
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L’Afrique dans les négociations internationales sur le climat : de la défiance à l’implication croissante du continent dans le processus dialogique
Louis Narcisse Ngono et Manuela Garcia Nyangono Noa
p. 379–404
RésuméFR :
L’inscription à l’ordre du jour international de la question climatique a consacré le climat non seulement comme sujet majeur de politique internationale, mais aussi comme ressource géoéconomique à travers les avantages que les instruments de gouvernance climatique consacrent. Dans ce cadre coopératif particulier, la mobilisation africaine face au changement climatique a connu une évolution en dents de scie au gré des représentations régionales vis-à-vis du dispositif global de gouvernance et des préoccupations endogènes considérées comme vitales pour le continent. Cet article a pour objectif d’analyser les dynamiques africaines de positionnement sur la question climatique. Il défend l’idée que longtemps restée en marge de ces forums globaux, l’Afrique cherche désormais à s’affirmer au regard de sa vulnérabilité et de son niveau d’émissions relativement faible. Attachée à sa trajectoire de développement, l’Afrique confère à l’impératif de sauvegarde du climat – après une phase d’appréhension – le sens d’une capitalisation des opportunités de cette gouvernance internationale. Les arènes climatiques onusiennes sont pour elle un espace privilégié de défense de ses intérêts, donnant lieu à une dynamique singulière de positionnement.
EN :
The placing of the climate issue on the international agenda has consecrated the climate not only as a major subject of international policy, but also as a geoeconomic resource through the advantages that climate governance instruments enshrine. In this particular cooperative framework, African mobilization in the face of climate change has experienced a seesaw evolution according to regional representations vis-à-vis the global governance system and endogenous concerns considered vital for the continent. This article aims to analyze the dynamics of African positioning on the climate issue. It defends the idea that for a long time remained on the sidelines of these global forums, Africa is now seeking to assert itself with regard to its vulnerability and its relatively low level of emissions. Attached to its development trajectory, the imperative of safeguarding the climate after a phase of apprehension takes on the meaning of capitalizing on the opportunities of this international governance. The UN climate arenas are for it, a privileged space for the defense of its interests, giving rise to a singular dynamic of positioning.
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Les jeunes dans les négociations climatiques internationales entre marginalisation et contestation : le cas de la COP26
Maxime Gaborit, Amandine Orsini et Yi Hyun Kang
p. 405–432
RésuméFR :
À partir d’une enquête ethnographique autour de la 26e Conférence de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, cet article analyse les modalités de participation des jeunes dans cette arène. Nous montrons comment ces acteurs se caractérisent par des ancrages sociodémographiques particuliers et des modes d’engagement divers. Au-delà de la prétention à représenter la jeunesse mondiale, leur identité de « jeune » se construit progressivement par la commune affirmation d’une forte ambition sur les enjeux climatiques, mais aussi par la reconnaissance de leur relative inexpérience du fonctionnement des négociations, qui renforce leur marginalisation. Si des échanges existent entre jeunes activistes et jeunes institutionnalisés, leurs positions précaires produisent des tensions. Pour se faire entendre, la frange la plus institutionnalisée au sein des négociations a massivement investi les enjeux d’éducation et d’inclusion, aux dépens d’une position audible sur d’autres enjeux. La frange la plus activiste, déçue du processus, s’est quant à elle montrée prompte à une critique plus radicale du système économique et des modalités des discussions. Malgré les tensions, les jeunes, acteurs atypiques des négociations internationales, s’unissent dans un investissement conséquent des arènes internationales.
EN :
Based on an ethnographic survey of the 26th Conference of the United Nations Framework Convention on Climate Change, this article analyses the ways in which youth participate in climate negotiations. We show how youth actors are characterised by diverse modes of engagement, and particular sociodemographic anchors. Presenting themselves as the voice of youth worldwide, youth actors have gradually constructed their “youth” identity. They commonly show a strong ambition on climate issues, but at the same time, they recognize their relative inexperience in negotiations, resulting in the reinforcement of their marginalisation. While some interactions exist between young activists and institutionalised youth, their precarious positions produce tensions. To make themselves heard, the institutionalised youth invest massively in education and inclusion issues, at the expense of strong positions on other issues. Disappointed with the process, youth activists favour more radical critiques of the current economic system and the modalities of the negotiations. Despite the tensions, young people, atypical actors in international negotiations, collaborate by creating new political dynamics in international climate politics.
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Diffusion de leadership d’un régime international à l’autre : l’Union européenne, leadership environnemental et forêts
Pauline Pirlot
p. 433–459
RésuméFR :
L’article explore le leadership de l’Union européenne (UE) à la zone de confluence de régimes internationaux qui se chevauchent. L’UE était un leader dans le régime international environnemental. Les forêts étant couvertes par ce régime, il est question de savoir si le leadership environnemental de l’UE se diffuse du régime environnemental vers le régime des forêts. L’article conduit une analyse diachronique du leadership de l’UE dans trois institutions multilatérales environnementales (la Convention-cadre des Nations Unies contre les changements climatiques, la Convention sur la lutte contre la désertification, et la Convention sur la diversité biologique) entre 1992 et 2019, afin de tester son leadership, dont les indicateurs sont son ambition et son isolement. Seule une UE comparativement ambitieuse dans ses positions et capable de générer du soutien pour celles-ci de la part des conégociateurs de manière simultanée peut être considérée comme ayant du leadership. L’article démontre que l’UE ne bénéficie pas du statut de leader forestier dans le régime international environnemental, ce qui indique l’imperméabilité du leadership d’un régime à l’autre.
EN :
The article explores EU’s leadership across overlapping regimes. The EU was a leader in the international environmental regime. Forests being at the overlap of the environmental and other regimes, it is worth studying whether EU’s environmental leadership spreads to these overlapping zones. The article carries out a diachronic study of EU’s leadership about the forest component of three multilateral environmental institutions (the United Nations Framework Convention on Climate Change, the Convention to Combat Desertification, and the Convention on Biological Diversity), from 1992 to 2019. The two conditions tested, indicating EU leadership, are EU ambition and isolation. The EU is considered a leader when it simultaneously has highly ambitious positions on forests (comparatively to its negotiation partners) and is able to build coalitions of actors around these positions. The study demonstrates that the EU cannot be qualified a forest leader in environmental institutions, indicating a lack of permeability between actors’ status across overlapping international regimes.
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« L’esprit d’Aarhus » éprouvé par la diplomatie de l’Union européenne
Nathalie Berny
p. 461–488
RésuméFR :
La Convention d’Aarhus fixe des obligations aux États Parties en termes de participation du public au processus décisionnel, ainsi que d’accès à l’information et à la justice, en matière environnementale. Ses principes se retrouvent dans le fonctionnement de la convention, délégués et ONG évoquant un « esprit d’Aarhus » pour en décrire les règles et pratiques de décision collective. À deux reprises, en 2017 et 2021, la délégation de l’Union européenne (UE) a remis en cause la pratique d’adoption par consensus des décisions de la Réunion des Parties au sujet d’une décision de non-conformité la concernant. En abordant les effets des normes sur le comportement des acteurs, il s’agit d’évaluer la portée de ces deux précédents à la fois pour l’UE et pour la convention. Une lecture pragmatiste des échanges entre acteurs combinée à une démarche d’ethnographie institutionnelle montre comment les pressions normatives exercées par les défenseurs de la convention ont finalement prévalu.
EN :
The Aarhus convention establishes a number of obligations on Parties in terms of public participation in environmental decision-making, of right-to-know legislation and of access to justice. Based on formal rules of decision-making as well as practices, the functioning of the convention implements its core principles, described by delegates and NGOs as the “Aarhus spirit”. In 2017 and 2021, the European Union delegation challenged the practice of adopting the decisions of the Meeting of the Parties by consensus. This article aims at grasping the significance of these two precedents both for the European Union and the convention. The analysis combines pragmatist postulates on social action with basics of institutional ethnography in order to show how the normative pressures of other Parties have finally prevailed.