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Guillaume Devin, professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Paris, a pris sa retraite en septembre 2022. Il y enseignait les relations internationales (ri) depuis 2000, après une douzaine d’années passées à l’Université Paris X-Nanterre (1983-1991 puis 1994-2000) et un intermède à l’Université de Rennes (1991-1994), à l’issue du concours d’agrégation de science politique dont il sort major en 1991.
En 1988, Guillaume Devin avait soutenu une thèse de doctorat consacrée à l’Internationale socialiste (Devin 1993). Par son objet d’étude (un enjeu de solidarité transnationale, ici idéologique, partisan et organisationnel) et la méthode d’approche (une sociologie historique), sa thèse annonce clairement la trame de ses travaux ultérieurs.
Auparavant, Guillaume Devin avait eu une première partie de carrière en tant que juriste (avocat au Barreau de Paris de 1978 à 1984, puis assistant du groupe parlementaire socialiste du Sénat français auprès de la Commission des lois de 1981 à 1983).
La raison pour laquelle Études internationales s’ouvre à un forum relatif à l’oeuvre de Guillaume Devin réside dans la place centrale qu’elle occupe dans l’espace académique francophone des relations internationales depuis une trentaine d’années.
Par l’ampleur de ses publications d’abord. Une demi-douzaine d’ouvrages publiés en nom propre et en collaboration, parmi lesquels trois manuels régulièrement actualisés, remaniés, réédités, qui ont éveillé des générations entières d’étudiantes et étudiants à l’étude des relations internationales : Sociologie des relations internationales (1re édition en 2002, 5e édition en 2023 avec la collaboration avec Marieke Louis), Les organisations internationales (1re édition en 2011, la 3e en 2022), La construction européenne, co-écrit avec Guillaume Courty (1re édition en 2001, la 4e en 2018).
Il faut aussi mentionner huit ouvrages dirigés ou codirigés parmi lesquels un certain nombre consacrés à l’étude du multilatéralisme et des organisations internationales (L’Assemblée générale des Nations unies en 2020, Faire la Paix : la part des institutions internationales en 2009, Le multilatéralisme en 2007), mais aussi des ouvrages de méthode (Méthodes de recherche en relations internationales en 2016), ainsi que des ouvrages d’exploration transdisciplinaire (Dix concepts sociologiques en relations internationales en 2015 ; Dix concepts d’anthropologie en science politique en 2018). Il convient enfin d’y ajouter une cinquantaine d’articles et de chapitres d’ouvrages collectifs publiés entre 1980 et 2020 sur les organisations internationales, le multilatéralisme, la diplomatie, les enjeux de solidarité transnationale et d’intégration mondiale, ou encore sur Norbert Elias (grand inspirateur de sa sociologie historique des relations internationales) et David Mitrany en tant que théoricien du fonctionnalisme international.
La démarche intellectuelle de Guillaume Devin a toujours été de situer l’étude des ri au coeur des sciences sociales. Refusant d’ériger les relations internationales en discipline autosuffisante et bornée, il considère au contraire l’espace international comme relevant d’un « champ d’étude exposé au questionnement de toutes les sciences sociales » comme il l’affirme encore aujourd’hui (MagAFSP 2023 : 7). Passionné d’histoire, il n’aura eu de cesse, dans ses travaux, de solliciter également la sociologie, la science politique, le droit, l’anthropologie.
Guillaume Devin aura aussi été un universitaire de réseau, réseau d’internationalistes qu’il a lui-même contribué à structurer dans l’espace francophone et au-delà, à travers d’innombrables collaborations nouées au fil de publications, colloques, séminaires, soutenances de thèses. Cette activité d’engagement collectif a culminé ces dix dernières années avec la création d’un premier groupe d’études sur les organisations internationales à l’Institut d’Études politiques de Paris animé avec Bertrand Badie, d’un séminaire au Centre d’études et de recherches internationales (ceri) pendant des années, puis de la création, conjointement avec Frédéric Ramel, du Groupe de recherche sur l’action multilatérale (gram), aujourd’hui soutenu par dix centres de recherches français ainsi que par le Centre national de la recherche scientifique.
Enfin, Guillaume Devin a dirigé une trentaine de thèses depuis la fin des années 1990. Un grand nombre de ses anciens doctorants ont à leur tour embrassé la carrière scientifique, venant étoffer un peu plus le réseau des chercheurs acquis à la « cause sociologique » des ri.
Après l’hommage rendu à Bertrand Badie par Études internationales en 2019, la revue accorde, par ce nouveau forum, toute sa place à une réflexion collective sur l’apport de Guillaume Devin à l’étude des ri.
Les quatre articles qui composent ce dossier abordent chacun une facette de sa démarche scientifique. À l’image des travaux qu’il a menés, les deux articles qui ouvrent ce numéro sont écrits à plusieurs mains. Le premier revient sur la singularité et la fécondité de la sociologie historique, relationnelle, et empirique des ri pratiquée par Guillaume Devin. Le deuxième texte se penche sur sa contribution à l’étude des organisations internationales et du multilatéralisme, phénomènes qu’il a toujours considérés comme incarnant une « forme majeure de l’action internationale » (Badie et Devin 2007 : 9). La solidarité, la coopération et le changement y apparaissent comme des variables clés de sa lecture du système international. Dans un troisième article, Bertrand Badie interroge les ancrages disciplinaires, les filiations théoriques et les perspectives que dessine la sociologie des ri de Guillaume Devin, notamment la centralité des dynamiques d’interdépendance et une interrogation plus large sur le statut du politique dans la « configuration mondiale ». Le dossier se clôt par le regard croisé de plusieurs collègues internationalistes francophones sur la réception, au-delà de la France, des travaux de Guillaume Devin. Au détour des échanges, la figure du passeur entre disciplines se combine avec celle de l’intellectuel lucide, toujours ouvert aux altérités, bien au-delà de l’Occident.
Parties annexes
Notes biographiques
Delphine Allès est professeure de science politique à l’INALCO.
Gilles Bertrand est maître de conférences en science politique à Sciences Po Bordeaux.
Auriane Guilbaud est maîtresse de conférences en science politique à l’Université Paris 8.
Franck Petiteville est professeur de science politique à Sciences Po Grenoble.
Frédéric Ramel est professeur de science politique à Sciences Po Paris.
Simon Tordjman est maître de conférences en science politique à Sciences Po Toulouse.
Références
- Badie Bertrand et Guillaume Devin (dir.), 2007, Le multilatéralisme. Nouvelles formes de l’action internationale, Paris, La Découverte.
- Devin Guillaume, 1993, L’Internationale socialiste. Histoire et sociologie du socialisme international, Paris, Presses de Sciences Po.
- Devin Guillaume (dir.), 2009, Faire la Paix : la part des institutions internationales, Paris, Presses de Sciences Po.
- Devin Guillaume (dir.), 2015, Dix concepts sociologiques en relations internationales, Paris, cnrs éditions.
- Devin Guillaume (dir.), 2016, Méthodes de recherche en relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po.
- Devin Guillaume, 2022, Les organisations internationales, 3e édition, Paris, Armand Colin.
- Devin Guillaume et Guillaume Courty, 2018, La construction européenne, Paris, La Découverte, 4e édition.
- Devin Guillaume et Michel Hastings (dir.), 2018, Dix concepts d’anthropologie en science politique, cnrs éditions.
- Devin Guillaume et Marieke Louis, 2023, Sociologie des relations internationales, 5e édition, Paris, La Découverte.
- Devin Guillaume, Franck Petiteville et Simon Tordjman (dir.), 2020, L’Assemblée Générale des Nations unies, Paris, Presses de Sciences Po.
- Magafsp, 2023, Entretien avec Guillaume Devin : « C’est une petite musique différente que fait entendre l’approche francophone des relations internationales », n° 4, juin : 7. Consulté sur Internet (https://www.calameo.com/read/0060474225cdb7616740f?page=3), juin 2023.