Volume 50, numéro 3, automne 2019 La Russie, une puissance résurgente Sous la direction de Igor Delanoë
Sommaire (9 articles)
Section thématique / Thematic Section
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Introduction : la puissance russe en question
Igor Delanoë
p. 351–355
RésuméFR :
La revendication du statut de puissance globale et souveraine se trouve au coeur du projet géopolitique porté pour son pays par Vladimir Poutine depuis son arrivée au Kremlin en 2000. Dans la compétition qui l’oppose aujourd’hui aux puissances affirmées ou montantes, globales ou régionales, sur la scène internationale la Russie dispose d’atouts indéniables, mais elle doit aussi composer avec des faiblesses. Ce dossier se propose d’examiner sous l’angle de la résurgence de la puissance cinq champs investis par le Kremlin dans sa logique de recomposition d’influence : l’Eurasie, le déploiement d’un soft power par Moscou, le vecteur asiatique de la politique étrangère de la Russie, la posture nucléaire russe et le cyberespace. Le décryptage proposé ici doit permettre, à travers l’analyse des succès et des échecs ainsi que la formulation de perspectives pour chacun de ces thèmes, de mieux cerner les contours d’une puissance russe en redéfinition face au nouveau désordre international.
EN :
The claim to the status of a global and sovereign power is at the heart of Vladimir Putin’s geopolitical project for his country since his arrival in the Kremlin in 2000. In the competition that today opposes Russia to asserted or rising powers, global or regional, on the international stage, Russia has undeniable assets, but it must also deal with weaknesses. This dossier examines through the lens of the perspective of the resurgence of power five fields invested by the Kremlin in its logic of recomposition of influence: Eurasia, the deployment of a soft power by Moscow, the Asian vector of Russia’s foreign policy, the Russian nuclear posture and the cyberspace. Through the analysis of successes and failures as well as the formulation of perspectives for each of these themes, this dossier aims at offering a better grasp of the contours of a Russian power redefining itself in the face of the new international disorder.
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La Russie : une cyber-puissance ?
Marie-Gabrielle Bertran
p. 357–384
RésuméFR :
Depuis 2013 et les révélations d’Edward Snowden, la problématique de la souveraineté numérique est devenue un enjeu central en Russie. Selon ce nouveau paradigme, le gouvernement russe a lancé une politique de promotion du développement logiciel dans le pays, appuyée par les acteurs privés qui en bénéficient au premier chef. Une stratégie de russification des logiciels employés sur le territoire semble également avoir émergé, sous la forme de nouvelles normes visant à réglementer la conception, le fonctionnement et l’usage des outils informatiques. Ce passage de l’industrie numérique à une position majeure (à valeur stratégique) en Russie, dans le but d’assurer à la fois les intérêts de l’État et des entreprises russes sur le territoire, mais aussi en-dehors, peut ainsi amener à se demander si le pays compte désormais parmi les puissances internationales du numérique : la Russie est-elle devenue une cyber-puissance ?
EN :
Since 2013 and Edward Snowden’s revelations, the problem of cyber (or digital) sovereignty has become a fundamental concern in Russia. The Russian authorities have adopted new policies in order to ensure the security of digital infrastructures around the country. Within this frame, new promotion policies for the development of Russian software have been launched by State actors and private corporations, which primarily beneficiate from them. A strategy of russification of the software programs used in Russia seems to have emerged in the form of new norms and regulations to regulate the design, functioning and usage of informatic tools. This new central -and strategic- position of the digital industry in Russia, which is designed to safeguard the interests of the Russian corporations and the State, both inside and outside the country, allows us to wonder if the country can now be regarded as an international digital power: did Russia become a cyber power ?
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Entre attrait et répulsion : atouts et faiblesses de l’image de la Russie à l’étranger
Tatiana Kastouéva-Jean
p. 385–409
RésuméFR :
À la recherche d’une meilleure image, la Russie met en place tout un arsenal de soft power depuis le milieu des années 2000 selon un modèle occidental. Cependant, l’impact de ces outils est limité : l’image de la Russie reste ternie par l’absence d’un modèle attractif et par la priorité qu’elle continue à donner à la force militaire et à des méthodes d’influence loin d’être « douces ». Depuis l’annexion de la Crimée, ces derniers outils se sont considérablement renforcés, dégradant encore plus son image. Cependant, une partie de l’audience internationale, y compris au sein des élites et populations occidentales, est séduite par la vigueur de la nouvelle posture russe et le leadership autoritaire de Vladimir Poutine. La politique étrangère russe, adossée à un puissant dispositif informationnel, est au coeur de la nouvelle image de la Russie qui valorise son altérité, la légitimité de son action et son rôle central sur les plus grands dossiers d’actualité.
EN :
In search of a better image, Russia has created a whole arsenal of soft power since the mid-2000s according to a Western model. However, the impact of these tools was limited: the image of Russia continues to be tarnished by the absence of an attractive model and by the priority it continues to give to military force and methods of influence, far from being “soft”. Since the annexation of Crimea, these latter tools have been considerably strengthened, further degrading the image of Russia. However, part of the international audience, including among Western elites and populations, was seduced by the vigor of the new Russian posture and the assertive political leadership of Vladimir Putin. Russian foreign policy, backed by powerful information tools, is at the heart of the new image of Russia which values its otherness, the legitimacy of its action and the central role in the most important international issues.
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La dissuasion nucléaire russe dans le désordre international et le contexte post-2014
Igor Delanoë
p. 411–434
RésuméFR :
Alors que les relations entre la Russie et les États-Unis se sont considérablement dégradées depuis la crise ukrainienne, le dialogue stratégique entre Moscou et Washington sur le contrôle des armements connaît une panne sans précédent. Tandis que la Russie multipliait les « signaux nucléaires », le président russe a fait étalage de nouveaux armements hypersoniques en mars 2018, faisant redouter un abaissement du seuil d’emploi du feu nucléaire. En s’appuyant sur les documents officiels russes, en analysant les récentes améliorations constatées au sein des forces conventionnelles russes et en tenant compte des derniers éléments du débat stratégique portant sur la dissuasion nucléaire de la Russie, cet article vient nuancer l’idée répandue selon laquelle Moscou serait plus encline aujourd’hui à utiliser ses armes atomiques. En outre, le Kremlin reste fondamentalement intéressé par le maintien d’un cadre légal international portant sur le contrôle des armements auquel contribue le traité russo-américain New Start.
EN :
Whereas the relations between Russia and the us have critically deteriorated since the Ukrainian crisis, the Moscow-Washington strategic dialogue on arms control has been stalling as never seen before. Multiplying “nuclear signaling”, Russia has furthermore raised the stakes when President Vladimir Putin displayed highly sophisticated and hypersonic weapons in his March 2018 speech, rising the fear that Russia’s nuclear threshold has been lowered. Through the examination of Russian official documents, by analyzing the recent critical progress achieved by Russian conventional forces and by taking into consideration the latest outcomes of the strategic debate regarding Russia’s nuclear deterrence, this paper aims at mitigating the widely spread idea that Moscow is today more ready than ever to use its nuclear capabilities. Moreover, the Kremlin remains fundamentally interested in maintaining an international legal framework for arms control to which the Russian-American New Start treaty contributes.
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L’Eurasie, champ d’expression de la puissance russe
David Teurtrie
p. 435–458
RésuméFR :
Cet article est consacré à la dimension eurasiatique de la politique extérieure russe. L’intégration eurasiatique, qui n’avait pas la faveur des élites russes dans les années 1990, s’est progressivement imposée dans les années 2000 du fait de l’échec des projets d’union incluant l’Ukraine, comme des tentatives de rapprochement avec l’Europe occidentale. Désormais, Moscou s’appuie sur l’Union économique eurasiatique (uee) et sur l’Organisation du Traité de sécurité collective (otsc) pour tenter de réaffirmer son leadership en Eurasie postsoviétique et établir des partenariats internationaux à l’échelle continentale afin de structurer le projet de Grande Eurasie. Si cette politique a connu certains succès, notamment dans la coopération avec la Chine pour la mise en place des Nouvelles routes terrestres de la soie, elle continue de se heurter à l’incompréhension des puissances occidentales qui refusent toute forme de partenariat entre les structures euro-atlantiques et les organisations eurasiatiques.
EN :
This article is devoted to the Eurasian dimension of Russian foreign policy. Eurasian integration, which was popular among Russian elites in the 1990s, gradually imposed itself in the 2000s due to the failure of union projects including Ukraine and of attempts to rapprochement with Western Europe. Moscow now relies on the Eurasian Economic Union (eaeu) and the Collective Security Treaty Organization (csto) to try to reaffirm its leadership in post-Soviet Eurasia and establish international partnerships on a continental scale in order to structure the Great Eurasia project. If this policy has known certain successes, in particular in the cooperation with China for the establishment of the New Land Silk Roads, it continues to come up against the incomprehension of the Western powers which refuse any form of partnership between the Euro-Atlantic structures and Eurasian organizations.
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Le vecteur asiatique : leurre ou atout de la puissance russe ?
Isabelle Facon
p. 459–481
RésuméFR :
D’une manière générale, l’intention affichée depuis plusieurs années par Moscou de rééquilibrer sa diplomatie et ses relations économiques extérieures au profit du « vecteur asiatique » suscite le scepticisme. Dans les pays occidentaux, ce rééquilibrage est fréquemment considéré comme étant essentiellement le produit de la crise des rapports stratégiques entre la Russie et la communauté euro-atlantique après l’annexion de la Crimée en 2014. Experts et chercheurs russes, quant à eux, semblent également perplexes. Cependant, et pour difficile qu’il soit, le « pivot asiatique » de la Russie mérite attention, car il correspond pour ce pays à des enjeux ayant trait à la fois à sa sécurité et à son statut revendiqué de grande puissance. La question est de savoir si la Russie joue au mieux les possibilités ouvertes par un contexte asiatique qui lui est apparemment un peu plus favorable.
EN :
In general, Moscow’s stated intention over the past several years to rebalance its diplomacy and foreign economic relations in favor of the “Asian vector” is met with skepticism. In Western countries, this rebalancing is frequently considered to be mainly the product of the crisis in strategic relations between Russia and the Euro-Atlantic community after the annexation of Crimea in 2014. Russian experts and scholars, meanwhile, also seem perplexed. However, as difficult as it may be, Russia’s “Asian pivot” deserves attention, as for this country it corresponds to stakes and challenges that relate to both its security and its claimed great power status. The question is whether Russia is making the best use of the possibilities opened up by the Asian context, which has appeared a little more favourable to its interests in the recent past.
Comptes rendus / Reviews
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Dictionnaire d’économie politique. Capitalisme, institutions, pouvoir, Colin Hay et Andy Smith (dir.), 2018, Paris, Les Presses de Sciences Po, 472 pages.
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L’histoire du monde se fait en Asie. Une autre vision du 20e siècle, Pierre Grosser, 2017, Paris, Odile Jacob, 655 pages.
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Dark Pasts: Changing the State’s Story in Turkey and Japan, Jennifer M. Dixon, 2018, Ithaca, Cornell University Press, xii+258 pages.