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Les travaux publiés sur l’aide au développement mettent généralement l’accent sur les conditionnalités asymétriques, les constats d’inefficacité, de non-durabilité et d’échec qui caractérisent les coopérations Nord/Sud. Il est très rare de voir des recherches s’attarder sur les causes profondes de ces résultats connus d’avance.
Négocier l’aide étrangère, c’est comme danser le tango. Pour le faire, il faut être deux, un meneur (donateurs) et un mené (bénéficiaire) : il faut un dialogue d’invitation à danser (dialogue diplomatique, technique et de politiques publiques), une piste (niveau institutionnel), une mélodie entraînante (Plan stratégique de développement national), et le meneur mène la danse à sa convenance.
C’est en fonction de cette rhétorique qu’Haley J. Swedlund se propose de décrire et d’analyser la crédibilité des engagements pris par les parties prenantes dans les négociations relatives à la distribution de l’aide au développement. Son travail vise à démontrer que les échanges préalables à l’aide étrangère ne peuvent générer que des engagements mutuels non crédibles, lesquels sont responsables de l’inefficacité, de l’inconsistance et du caractère labile de ladite aide. D’où son souci de comprendre comment se passent ces négociations. En quoi affectent-elles les choix relatifs à l’octroi de l’aide ? Et qu’est-ce qui peut déterminer la durabilité des mécanismes de donation ?
L’auteure définit le mécanisme de donation comme étant le moyen par lequel une quantité donnée d’aide étrangère est livrée par un donateur à un pays bénéficiaire, à la suite d’un processus de négociation incessant. Elle présente aussi une typologie des donateurs (officiels ou privés), car la crédibilité des compromis négociés peut reposer sur celle-ci.
L’image de la danse qu’elle met de l’avant pour appuyer son argumentation se justifie tant par les approches théoriques qu’elle développe que par le cadre expérimental choisi.
Swedlund démontre que l’aide étrangère est volatile, fongible et labile. C’est pour cela qu’elle vante les vertus des règles institutionnelles comme seuls garde-fous capables de contraindre les parties prenantes à respecter leurs engagements. En l’absence de telles règles, il est presque impossible pour les deux parties engagées dans une relation d’aide de tenir des engagements crédibles et durables tant l’échiquier politique et le cadre socioéconomique sont changeants et imprévisibles. Pour tester son hypothèse, Swedlund a privilégié une base de comparaison complexe (le traçage des processus) en organisant une enquête transnationale, de 2009 à 2015, dans quatre pays d’Afrique subsaharienne qui sont en décollage économique.
Les résultats des analyses documentaires et des entrevues montrent que l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda et le Ghana ont réussi leur décollage, non pas grâce à l’aide fondée sur des engagements non crédibles, mais grâce à une exploitation autonome de leurs ressources naturelles intérieures et à un virage vers une nouvelle philosophie de coopération. L’enquête de Swedlund révèle que plus de 16 milliards de dollars promis dans le cadre de l’aide internationale à l’échelle mondiale n’ont pas été décaissés. De 1995 à 2005, un écart de 2 % est constaté entre les promesses d’aide et les montants réellement décaissés en Afrique.
Forte de ce constat, Swedlund présente dans les derniers chapitres des pistes alternatives en termes de mécanismes modernes pour une meilleure gestion de l’aide internationale.
En effet, en raison des motifs d’insatisfaction générés par la gestion de l’aide dans le cadre de projets gérés exclusivement par des ONG d’une part, et à travers des programmes coordonnés par les gouvernements d’autre part, les parties prenantes se sont entendues pour coopérer sur les nouvelles bases que sont l’appui budgétaire et l’aide basée sur les résultats. D’un côté, l’appui budgétaire, en tant que mécanisme de financement intégré des programmes publics du gouvernement par les donateurs à travers le budget national, accordait l’autonomie financière aux pays bénéficiaires et permettait aux pays donateurs d’avoir une plus grande marge d’influence sur les décisions internes des gouvernements engagés. De l’autre, l’aide basée sur les résultats, du fait qu’elle consistait pour les bailleurs à décaisser les financements par tranches, et ceci en fonction des résultats obtenus, leur a permis de mesurer et de rendre exécutoires les engagements pris par les gouvernements bénéficiaires.
Cependant, les crises financières internationales, les problèmes liés à la corruption et le maintien au pouvoir, et les difficultés des gouvernements bénéficiaires à mesurer et formaliser les promesses des donateurs ont fait resurgir les problèmes d’engagements. C’est la raison pour laquelle l’auteure se tourne dès lors vers le modèle chinois en Afrique, qui est réputé rapide, direct, consistant, prévisible et fondé sur des engagements crédibles : « ce que la Banque mondiale met de longues années à construire, la Chine le fait en un temps record » (p. 128). Ainsi, l’avenir d’un mécanisme d’aide efficace et durable est certainement lié au succès du modèle chinois.
Par ailleurs, on pourra regretter qu’Haïti n’ait pas été choisi parmi les pays d’expérimentation. Cela aurait permis une diversification du champ de l’enquête, car Haïti est le seul pays non africain de l’échantillon étudié où l’aide étrangère a échoué sur toute la ligne, et qui, malgré tout, a choisi de rester fidèle aux donateurs traditionnels en déclin. De plus, l’auteure aurait pu trouver dans l’accord PetroCaribe (une alliance pour l’achat de pétrole à des conditions préférentielles entre les pays des Caraïbes et le Venezuela) des données probantes sur le fait que l’aide étrangère est toujours une source de compromission pour les deux parties. Sur ce, vu d’Haïti, Swedlund a raison de dire que l’aide au développement est vraiment une danse dont les corrompus ont le secret.