La radicalisation, en tant qu’objet d’étude, prend de l’importance après 2001. Il y eut évidemment avant cette date des recherches portant sur l’engagement dans l’extrémisme violent, mais celles-ci ne semblent pas avoir été envisagées sous le terme de radicalisation (Ducol 2015 : 129). Qualifié de grand « buzzword » (mot à la mode) de notre époque (Neumann et Kleinmann 2013), il est également mobilisé par les acteurs politiques, les groupes activistes, les médias, etc. S’il est surtout utilisé en Europe à la suite des attentats de Madrid en 2004 et de ceux de Londres en 2005, le terme de « radicalisation » semble être arrivé à l’avant-plan de l’espace social français vers 2015 (Lebourg et Sommier 2017 : 10-11). La littérature sur la radicalisation est jeune et elle n’est pas toujours solide. Peter Neumann et Scott Kleinmann (2013) démontrent la pauvreté des recherches de type empirique dans la littérature sur la radicalisation. Les auteurs soulignent trois facteurs pouvant expliquer cette situation : 1) la recherche est largement financée par les gouvernements, sans standards rigoureux ; 2) la possibilité de trouver des répondants est très limitée ; 3) le champ de la radicalisation attire des chercheurs de tout horizon : la recherche sur la radicalisation ne s’est pas encore constituée en discipline et plusieurs chercheurs, qui travaillent sur le sujet de façon ponctuelle, ne dédient pas leur carrière entière à explorer ce concept (Neumann et Kleinmann 2013 : 378-79). Dans le but de sortir de ces critiques, cet essai étudiera les travaux de chercheurs qui proviennent de diverses disciplines (deux politologues, un journaliste et un psychanalyste) et dont les recherches ont la caractéristique d’être empiriques. Dans La Fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes français (2018), le chercheur Laurent Bonelli, maître de conférences en science politique à l’Université Paris Nanterre, et Fabien Carrié, docteur en science politique de la même université, proposent une étude sociopolitique des jeunes djihadistes français. Ces auteurs se sont intéressés au départ de centaines de jeunes vers les zones de conflits à l’extérieur de la France. Ils proposent une avenue intéressante en analysant plus de 133 dossiers judiciaires de mineurs poursuivis pour des affaires de terrorisme ou signalés pour « radicalisation ». L’objectif est de comprendre comment la radicalité est fabriquée à l’intérieur des mécanismes de l’État. Dans le Petit manuel de contre-radicalisations (2017), le psychanalyste Thomas Bouvatier cherche à comprendre comment la pensée radicale entraîne une dépendance de l’individu à l’égard d’un groupe fusionnel. S’inspirant de cas cliniques, l’objectif est de démontrer que la compréhension du fonctionnement proprement humain du radicalisé est la meilleure voie pour comprendre le processus dont la pensée radicale se nourrit (Bouvatier 2017 : 7). Enfin, le journaliste David Thomson, grand reporter au service Afrique de RFI et pour le site d’information Les Jours, est devenu un spécialiste du djihadisme français et tunisien. Thomson publie Les Revenants. Ils étaient partis faire le jihad, ils sont de retour en France (2016), ouvrage journalistique présentant des récits d’entretiens réalisés depuis 2011 avec plus d’une centaine de djihadistes français, tunisiens, belges et suisses. Thomson a suivi la plupart d’entre eux pendant cinq ans et parfois jusqu’à leur mort. L’objectif est de donner la parole aux « revenants » dont les récits permettent de mieux comprendre et d’expliquer comment la France a basculé dans une nouvelle ère du terrorisme (2016 : 15). Chacun à leur façon, les trois ouvrages mettent en perspective l’enjeu individuel, politique et social de la radicalité en France. L’expérience des chercheurs apporte une dimension plurielle et inusitée au problème de la radicalisation. Par exemple, Thomson laisse une grande place au …
Parties annexes
Bibliographie
- Bonelli Laurent et Fabien Carrié, 2018, La Fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes français, Paris, Le Seuil.
- Bouvatier Thomas, 2017, Petit manuel de contre-radicalisations, Paris, Presses universitaires de France.
- Bronner Gérald, 2009, La pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques, Paris, Éditions Denoël.
- Coolsaet Rik, 2016, « Radicalisation, entre contexte et responsabilité individuelle », La revue L’Observatoire, no 86, En ligne : https://rikcoolsaet.be/files/2016/03/radicalisation-def.pdf
- Crettiez Xavier, 2011, « “High risk activism” : Essai sur le processus de radicalisation violente (première partie) », Pôle Sud, no 34 : 45-60.
- Crettiez Xavier, 2016, « Penser la radicalisation. Une sociologie processuelle des variables de l’engagement violent », Revue française de science politique, vol. 66, no 5 : 709-727. (https://doi.org/10.3917/rfsp.665.0709).
- Crettiez Xavier, Bilel Ainine, Thomas Lindemann et Romain Sèze, 2017, Saisir les mécanismes de la radicalisation violente : pour une analyse processuelle et biographique des engagements violents, Rapport de recherche pour la Mission de recherche Droit et Justice.
- Ducol Benjamin, 2015, « La “radicalisation” comme modèle explicatif de l’engagement clandestin violent : contours et limites d’un paradigme théorique », Politeia, no 28 : 128-147.
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- Guibet Lafaye Caroline, 2016, La construction de l’ennemi : usages politiques contemporains de la notion de radicalisation, présentation au Colloque « Terrorisme en France, en Turquie, en Italie et en Allemagne dans les années 1970 », Leipzig, Université de Leipzig (Allemagne). (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01524254/document) Date de consultation 7 juin 2019.
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