Les contrôles aux frontières sont généralement décrits comme le dernier bastion de la souveraineté (Dauvergne 2004). Les frontières marquent les limites géographiques et politiques d’une communauté, définissant ainsi implicitement son identité. La nouvelle gestion intégrée des frontières européennes remet en question cette relation linéaire entre frontières et identités. L’espace européen de libre circulation est le paradigme d’un espace où les différences entre l’intérieur et l’extérieur sont souvent imbriquées. En outre, les progrès technologiques contribuent à modifier la pratique traditionnelle des contrôles aux frontières, impliquant la participation de différentes entités, étatiques ou non étatiques, dans une dynamique complexe de sécurisation. La gestion intégrée des frontières européennes se caractérise par sa logique technocratique et dépolitisée. La mutation postnationale des pratiques de contrôle des frontières est mise en exergue par le développement de Frontex, l’agence coordinatrice des nombreux acteurs impliqués dans la gestion des frontières extérieures européennes. Cette évolution n’invite pas seulement à reconsidérer la relation entre territoire, pouvoir et contrôle politique, mais sollicite également une conception différente de la responsabilité internationale, interprétée à la lumière d’une réalité complexe. Comment les frontières du pouvoir politique, celles des États et d’autres entités supranationales, comme l’Union européenne (ue), opèrent-elles et se manifestent-elles dans le champ de la gestion de l’immigration ? Quelles sont les garanties des droits humains des migrants traversant ces frontières ? Comment déterminer le responsable d’éventuelles violations de ces droits dans un cadre d’intégration croissante des contrôles migratoires opérés par plusieurs entités ? Telles sont les questions auxquelles cet essai tentera de répondre en s’appuyant sur la plus récente doctrine juridique et sur trois ouvrages traitant du développement du système européen de gestion intégrée des frontières et de ses répercussions sur les droits humains des migrants qui lui sont assujettis. Les trois ouvrages, fruits des recherches doctorales de leurs auteures, reposent sur des analyses de l’évolution des contrôles aux frontières externes de l’ue. Moreno-Lax propose une vaste réflexion sur le concept de gestion intégrée des frontières et son impact sur les droits des personnes forcées de traverser les frontières externes de l’ue. Les ouvrages de Fink et Mungianu concernent, pour leur part, un aspect plus circonscrit du phénomène : le développement de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) et sa responsabilité quant aux violations des droits humains. Les deux chercheuses abordent le problème de la dilution des responsabilités entre les différents acteurs qui interviennent pendant les opérations conjointes coordonnées par Frontex. Mungianu offre la première contribution doctrinale de cette thématique longtemps négligée par la doctrine internationaliste en analysant les violations potentielles du principe de non-refoulement qui pourraient être commises dans des opérations coordonnées par Frontex. Le travail de Fink se caractérise par une approche intégrant le droit international et le droit de l’ue, afin de considérer les différentes implications des activités de Frontex et de clarifier les rôles et les responsabilités respectives de chaque entité engagée dans ces activités. Au cours des dernières décennies, on a assisté à une fermeture progressive des frontières des États européens, qui se font de plus en plus impénétrables pour ceux qui ne résident pas sur le territoire de l’un d’eux (Dauvergne 2004 ; Juss 2004), à la suite d’une série d’évolutions historiques telles que la décolonisation, le premier choc pétrolier, la fin de la guerre froide et la menace du terrorisme international (Moreno-Lax 2017). À la fin du 19e siècle, les voyageurs avaient besoin d’une carte de visite plutôt que d’un passeport. Avant la Première Guerre mondiale, le continent européen ne connaissait pas de contrôles frontaliers systématiques (Groenendijk et al. 2003). Au lendemain de la …
Parties annexes
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