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Cet ouvrage collectif propose des pistes de réflexion sur la transition technologique des différentes forces armées. Les auteurs, autant civils que militaires, prennent soin de s’appuyer sur des études de cas afin de soutenir leurs argumentations. Selon eux, les forces armées s’adaptent lentement au changement tandis que, ces dernières années, la technologie a évolué rapidement, posant de grands défis à ces organisations.
De façon générale, l’ouvrage aborde trois thématiques. Les trois premiers chapitres étudient le rôle que la technologie peut jouer dans la formation des militaires. Les sept chapitres suivants traitent de la relation que les organisations devraient avoir avec la technologie. Les deux derniers chapitres abordent l’intégration des médias sociaux dans les forces armées.
Dans la thématique de l’apprentissage, les auteurs discutent des nouvelles méthodes technologiques que les organisations peuvent adopter (vidéoconférences, examens variables générés par algorithmes, appareils portables ayant accès à Internet, etc.). Ils observent également de quelle façon les organisations militaires peuvent utiliser la technologie afin de recueillir de grandes quantités de données : le « big data ». Ces données seraient ensuite traitées par un ordinateur capable d’apprendre automatiquement (machine learning). L’ordinateur calculerait les chances de succès des étudiants tôt dans leur parcours, permettant ainsi aux professeurs d’intervenir avant que les élèves soient en difficulté. Reimer, Charlton et Lindsay traitent ensuite du rôle que la technologie aura dans l’évaluation des chefs militaires. Les auteurs notent qu’une évaluation d’un officier faite par un humain est souvent biaisée et incomplète. La technologie permettrait de recueillir un grand nombre de données, de les traiter et de les modéliser rapidement afin de produire une analyse objective des dirigeants. Des officiers néo-zélandais, Gerling et Brewer, présentent ensuite leur méthode pour préparer des équipes au déploiement sur une courte période. Ils utilisent plusieurs modèles de recherche afin de maximiser l’entraînement. Les équipes s’entraînent habituellement en petits groupes où tous les membres sont appelés à participer activement. Les rétroactions de deux équipes ayant été déployées en Syrie et en Irak portent à conclure qu’en l’espace de deux jours, les équipes obtiennent les mêmes résultats qu’en huit jours de formation traditionnelle.
Pour ce qui est de la relation entre la technologie et l’organisation militaire, les auteurs abordent plusieurs thématiques intéressantes, notamment la perception que les personnes (alliés et ennemis) ont d’un robot en fonction de ses caractéristiques physiques, et leur obéissance à celui-ci. Dans un autre registre, Antonio Rosinha, un officier portugais, observe l’émergence d’un leader dans l’environnement technologique, dans la réflexion la plus pointue de l’ouvrage. Il étudie un nouveau style de gestion, appelé edge leadership. Il s’agit d’un « processus d’influence sociale, ayant comme vecteur la technologie, visant à modifier les attitudes, sentiments, pensées, comportements et performances d’un groupe d’individus ». Ce type de gestion est optimal dans les conflits complexes et instables d’aujourd’hui. Dans le chapitre suivant, Wong Siok Fun et Eileen Ang explorent la modification des interactions et l’efficacité des équipes de travail sous l’influence de la technologie. Selon eux, on assiste à une nouvelle révolution dans les affaires militaires (revolution in military affairs, rma) : la rapidité des moyens de communication numériques provoquera un changement drastique dans l’organisation militaire. Ces transitions doivent être organisées adroitement afin d’assurer leur succès. Le cas du corps des Marines aux États-Unis illustre le succès de l’implantation d’une rma. Cette branche a su mieux intégrer les nouvelles technologies, stratégies et doctrines que les autres branches. Les auteurs discutent de la façon dont les chefs militaires utilisent la technologie pour accroître les compétences de leurs subordonnés et augmenter l’efficacité organisationnelle. Demont-Biaggi et Jager abordent également de la place de la technologie dans la prise de décision afin de l’intégrer à ce processus. Plusieurs paramètres, dont la fiabilité et les limites des décisions, sont étudiés. Le chapitre suivant étudie l’utilisation optimale de la technologie dans le traitement de l’information, en particulier à trois niveaux essentiels : quelle information recueillir, comment l’obtenir et comment l’analyser ?
Dans la dernière partie, beaucoup plus succincte, les auteurs étudient les répercussions des médias sociaux sur les organisations militaires. Ils dressent la liste des aspects négatifs (augmentation de la transparence des décisions, collecte de données par l’ennemi et présence de civils dans les zones dangereuses) et positifs (engagement de la population civile dans les opérations, communication avec les proches et intégration des nouvelles générations) causés par l’utilisation des technologies de l’information. La transparence, vue négativement, impose un stress supplémentaire au chef militaire. Celui-ci a peur de prendre une décision, puisqu’il y a de plus grandes répercussions qu’autrefois. D’autre part, grâce aux médias sociaux, les leaders peuvent interagir, comprendre et influencer les membres de la génération « Y » qui composeront bientôt la majorité des organisations. Sans les médias sociaux, il serait difficile d’intégrer cette génération. La recommandation finale des auteurs est de ne pas accepter totalement ces changements, mais plutôt de réguler leur utilisation afin d’en minimiser les contrecoups potentiels.
Cet ouvrage apporte de bonnes idées pour quiconque s’intéresse à la gestion des structures gouvernementales, et de bonnes pistes de réflexion sur la manière d’effectuer le virage technologique dont ces organisations ont besoin. Il montre bien les limites de la technologie, en particulier dans un environnement à haut risque tel que les forces armées. Cet ouvrage élude cependant un point capital qui est la nature changeante des conflits. En effet, force est de constater que les militaires, en particulier les hauts gradés, sont de moins en moins présents sur le champ de bataille, et qu’il en découle donc un changement considérable de leur fonction. Or ce changement n’est traité que marginalement dans un seul article et l’ouvrage aurait eu fort à gagner à exploiter davantage ce thème.