Dans le contexte d’une instabilité grandissante au Moyen-Orient depuis 2003, et surtout de la montée du terrorisme lié à l’islamisme radical dans les pays de l’Occident depuis 2011, de plus en plus d’auteurs – universitaires ou penseurs proches des décideurs gouvernementaux et autres think tanks stratégiques – ont investi le domaine des études de la « violence islamiste ». Ces dernières tournent autour de questions liées à la relation de l’Occident à l’islam dans les diverses « zones culturelles islamiques », pour reprendre l’expression utilisée par Mustapha Kamal Pasha (2017), et au sein des sociétés occidentales, aujourd’hui et historiquement. Plus généralement, ces études traitent du rapport de l’Occident au monde, à sa capacité à percevoir l’altérité culturelle et politique, et pas seulement comme une erreur à corriger par l’intégration à une modernité occidentale. Au-delà de la réflexion philosophique sur la perception de l’Autre musulman, ces questionnements sont souvent suscités – ouvertement ou en filigrane – par une volonté d’expliquer la nature et les motifs de la violence islamiste qui frappe les sociétés occidentales. À ce titre, une des questions clés que pose le débat sur les motivations de la violence islamiste dirigée contre l’Occident – États-Unis et Europe de l’Ouest – est celle de la responsabilité occidentale. Comme le suggère notamment Clark McCauley (2005) en forçant à peine le trait, ce débat oppose ceux qui d’un côté arguent que les attaques liées à l’islamisme radical s’expliquent par les actions occidentales – dans un passé proche et lointain – et ceux qui, au contraire, avancent que ces attaques sont avant tout dues à des motivations endogènes aux islamistes radicaux, à une idéologie fondamentaliste qui nie la modernité occidentale, sa culture, et voue une haine de principe à la globalisation à l’occidentale. Pour McCauley (2005 : 663), il y a donc ceux, comme Olivier Roy (2005) par exemple, qui pensent que les islamistes « nous détestent pour ce que nous sommes » et ceux, comme Robert Pape (2005) et Mia Bloom (2005), qui pensent qu’« ils nous détestent pour ce que nous avons fait ou faisons », qu’il y a – pour reprendre l’expression bien connue de Robert Pape – une « logique stratégique » au terrorisme islamiste (2005). Évidemment, selon la réponse à laquelle on adhère, les recommandations en matière de politique intérieure et étrangère apparaissent bien différentes. Au coeur de la question, il s’agit ici de l’une des clés de lecture du débat sur la relation de l’Occident à l’islam et aux zones culturelles islamiques. Ainsi, si l’on accepte l’idée d’une responsabilité historique occidentale, si l’on pense que, par exemple, les interventions américaines en Irak en 1991 et en 2003 ont été un catalyseur majeur de la radicalisation d’une partie des forces islamistes qui s’en sont d’autant plus prises à l’Occident par la suite, on en viendra à préconiser d’autres solutions pour « régler » le problème de la violence islamiste que celles retenues si l’on refuse cette interprétation. On développera également un rapport différent aux régions culturelles islamiques, en particulier au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord (zone dite Moan), d’où sont originaires la majeure partie des forces islamistes qui attaquent aujourd’hui les sociétés occidentales. Selon le camp dans lequel on se trouve, on portera aussi un regard différent sur ces « combattants étrangers », les combattants islamistes originaires de l’Occident, notamment, qui soit partent rejoindre des groupes armés en Irak et en Syrie, soit mènent des attaques sur le sol occidental, souvent dans les villes mêmes où ils sont nés et où ils ont grandi. Sont-ils de simples marginaux et exclus qui ont été séduits par …
Parties annexes
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