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Le mythe persistant de la boîte noire chinoise continue de hanter les experts de l’empire du Milieu, désireux de résoudre le puzzle posé par cette superpuissance en (re)devenir en termes non seulement stratégiques, mais également culturels et sociétaux. Se situant au croisement des études culturelles et des relations internationales, The Logic of Chinese Politics s’inscrit dans cette tradition de la sinologie, puisant dans l’histoire chinoise pour éclairer les récents développements politiques. Sabrina Ching Yeun Luk et Peter W. Preston décrivent leur approche comme étant à la fois institutionnaliste historique et culturelle critique, et leur but est d’expliquer l’évolution dans le temps, et jusqu’à nos jours, du système politique. À cette fin, l’objectif affiché est de mettre au jour les logiques politiques internes qui ont mené au changement institutionnel et la manière dont ces machineries administratives ont interagi et se sont développées conjointement avec des facteurs idéationnels. La démarche se veut donc interprétative critique et réflexive, notamment afin de mieux saisir les particularités locales.
Passant en revue les transformations économiques, politiques et culturelles vécues par le pays à partir de la moitié du xixe siècle, le livre tisse une trame narrative quelque peu traditionnelle des différentes périodes clés : guerres de l’opium (1839-1842 et 1856-1860), « échec » de la tentative républicaine (1912-1928), conflit sino-japonais (1936-1945), guerre civile et victoire du Parti communiste chinois (pcc) (1945-1949)… Bien qu’intégrant certaines des nouvelles avancées historiographiques, la fresque temporelle présentée reste assez classique et conforme à la présentation officielle de l’arrivée des communistes au pouvoir. Les principaux apports reposent plutôt sur la présentation de l’appareil institutionnel comme une hiérarchie descendante et ascendante structurée autour de centres, les villes, et de périphéries. Également, la double structure bureaucratique, parti et État, est régulièrement mise en avant, les auteurs avançant l’argument d’un pcc au centre du système. Ce dernier est qualifié d’« empereur organisationnel » afin non seulement de le distinguer de ses équivalents occidentaux, mais aussi d’établir une continuité historique avec l’empire Qing et le Guo Ming Dang (kmt – parti nationaliste de Tchang Kaï-Chek).
Tout au long de l’analyse, le rôle des différentes élites (techniques, politiques) est mis en exergue, notamment dans la transformation des institutions et des luttes de pouvoir sous-jacentes. On peut toutefois regretter que les rivalités internes ne soient pas mieux explorées : elles sont même écartées pour la partie contemporaine, les auteurs tenant étrangement pour acquis que la politique anticorruption de Xi Jinping a pu mettre un frein aux conflits entre factions. Néanmoins, l’analyse historique et systématique des politiques sociales, économiques, de logement, de santé et d’éducation apporte sans conteste des informations intéressantes, notamment sur les récentes réformes entreprises et leurs toutes dernières évolutions. De nombreux détails sur chaque politique mise en place, à propos des thèmes susmentionnés, sont fournis et peuvent offrir un aperçu utile pour de futures recherches. La période couverte à partir de Deng Xiaoping offre ainsi une rétrospective intéressante, en mettant en perspective la progressive montée des élites techniques au sein de l’appareil administratif.
Sur la politique étrangère, la perspective de la Chine est adroitement mise en relation avec ses dynamiques internes. En effet, selon les auteurs, le comportement de celle-ci sur la scène internationale trouve son origine dans les différentes phases de développement traversées par le pays, de quasi-colonie au milieu du xixe siècle pour finalement réintégrer le « monde moderne » à partir de la politique de la porte ouverte en 1978. La question du rôle de l’État dans le développement économique des pays en voie de développement est également abordée, avec un accent mis sur les régions du Nord et du Sud-Est asiatique visant à souligner le rôle que la consolidation des structures administratives a joué dans cette région du monde, et plus précisément en Chine. Les dernières sections demeurent celles qui méritent sans doute le plus d’attention, car elles présentent une revue complète des différents courants actuels de recherches sinologiques, tout en mettant en parallèle le changement de doctrine du gouvernement chinois dans sa politique extérieure et ses initiatives les plus récentes (la Chine comme cyber- puissance).
Le livre offre un point de vue intéressant sur la politique chinoise et introduit des perspectives théoriques prometteuses. Néanmoins, le fait que celles-ci ne soient pas explorées plus en profondeur et qu’elles n’occupent pas une place plus centrale dans l’analyse est une lacune dommageable. Les relations centre-périphérie, élites-masse et parti-État ne sont ainsi mentionnées que de façon épisodique au lieu de former un cadre analytique systématique, qui aurait pu apporter des informations supplémentaires dans notre compréhension de l’évolution historique du pouvoir chinois. L’aspect culturel critique est in fine un parent pauvre de l’étude. Nombre de concepts cités, issus soit de la tradition historiographique, soit de la rhétorique officielle, ne sont tout simplement pas discutés mais sont pris tels quels, interrogeant quelque peu la scientificité de certains commentaires et passages. Citons, comme exemple, l’opposition entre les travaux sinologiques antérieurs que font les auteurs, distinguant entre les travaux nationaux qui « s’inquiètent de la Chine », et ceux, « étrangers », qui adoptent une image négative de l’État-parti, reproduisant ainsi une « mentalité de guerre froide ». Il est difficile de comprendre la nécessité pour Sabrina Ching Yeun Luk et Peter W. Preston de rejeter aussi catégoriquement la tradition sinologique occidentale sur laquelle une partie importante de leur analyse se base. Les voies subconscientes de la recherche semblent parfois impénétrables.