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À l’heure où la Chine manifeste un appétit apparemment insatiable pour les matières premières, l’extraction minière demeure une activité économiquement et politiquement importante pour nombre de sociétés dans le monde. Économiquement, parce que le secteur minier est encore vu comme un élément majeur du processus de développement ; politiquement, parce que les ressources sont liées au territoire, et à son contrôle, mais aussi parce que la Chine n’est pas seule à désirer les minerais et les hydrocarbures. Dès lors, il serait simplificateur de considérer une tendance mondiale uniforme dans l’exploitation des ressources minières, de croire que les différents États la suivent sans se poser de questions et que les codes miniers se suivent et se ressemblent. L’ouvrage Géopolitique des ressources minières en Asie du Sud-Est s’inscrit dans cette reconnaissance de la pluralité des modes d’exploitation de ces ressources en fonction de différentes variables géopolitiques.
Les auteurs, Éric Mottet, du Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal, Frédéric Lasserre, du Département de géographie de l’Université Laval, et Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques, se donnent pour objectif de comprendre les dynamiques de la mise en exploitation croissante des ressources minières en Asie du Sud-Est. Il s’agit de voir comment ces territoires nouvellement mis à contribution s’imbriquent dans une régionalisation et une mondialisation accélérées. Ce livre s’intéresse à la question des retombées économiques mais aussi sanitaires, politiques et environnementales de ce nouvel état de fait.
Ce faisant, ils inscrivent leur démarche dans une optique géopolitique. En effet, l’inégalité géographique dans la répartition des ressources minières pourrait mener, en raison de l’avidité qu’elles suscitent, à des conflits tant internes qu’externes, entraînant des conséquences politiques majeures. De plus, la ressource minière, a contrario du mouvement vers la déterritorialisation de l’économie, est ancrée dans un territoire, ce qui requiert une analyse géopolitique plutôt que strictement politique ou économique. Tout au long de l’ouvrage, les chercheurs font ressortir la façon dont les États voient la ressource minière comme un moyen d’accès à la puissance internationale, par la croissance économique et le levier politique qu’elle procure, et au contrôle de leur propre territoire, surtout des zones périphériques et marginales.
Plutôt que de tenter de couvrir l’ensemble disparate des pays d’Asie du Sud-Est, le pari de l’ouvrage est d’explorer de manière approfondie trois États qui représentent des dynamiques territoriales propres : l’Indonésie, archipel minier, le Laos, petit État enclavé, et le Viêt Nam, État côtier avec un arrière-pays montagneux. Cependant, ils présentent trois caractéristiques communes : un territoire richement doté en ressources minières, une exploitation minière par des acteurs internes ainsi que des investisseurs étrangers et la présence de tensions sociales autour de l’exploitation minière. L’objectif avoué, dans les mots des auteurs, est de « réduire le biais intrinsèque à la singularité empirique et de donner une portée générale à une interprétation croisée » (page 3).
Le chapitre sur l’Indonésie s’impose par son ampleur et la richesse de ses données. En effet, les dynamiques géopolitiques indonésiennes y sont traitées à travers l’exploration de projets et de zones minières très diversifiés, et l’on y scrute des dynamiques très différentes : la gigantesque mine de Grasberg en Papouasie, l’exploitation chaotique du charbon par de multiples acteurs à Kalimantan, ainsi que le projet de Weda Bay dans les Moluques. Cet exposé très varié fait ressortir la façon dont le gouvernement indonésien entend utiliser l’industrie minière pour favoriser son développement économique global. Il explique son utilité pour désenclaver des régions périphériques, les développer et surtout, mieux les contrôler. Les auteurs explicitent clairement l’influence de la politique de transmigrasi (migration interne des Indonésiens des îles très peuplées, comme Java, vers les marges moins densément peuplées mais aussi ethniquement différentes du « centre » javanais) sur la dynamique d’acceptation sociale des projets miniers. D’autre part, l’ambiguïté des pratiques minières indonésiennes, malgré un code minier récemment réformé qui tente de forcer la transformation locale des minerais, y est fort efficacement abordée.
En comparaison, les chapitres sur le Laos et le Viêt Nam paraissent moins étoffés. Il s’agit probablement d’une conséquence directe du niveau d’opacité dans les affaires minières, assez élevé en général en Asie du Sud-Est et encore plus important dans ces régimes communistes autoritaires. Cela dit, le Laos est fort bien présenté comme petit État qui doit compter sur les investissements étrangers pour son développement mais qui tente de faire jouer les puissants les uns contre les autres pour se créer une marge de manoeuvre géopolitique. De plus, on expose subtilement la dynamique d’intégration nationale des minorités ethniques et des territoires marginaux, que l’élite laotienne tente de forcer notamment grâce au levier que représente l’industrie minière. Par ailleurs, les exemples du Viêt Nam et du Laos illustrent à merveille l’idée que même sous un régime communiste autoritaire, l’acceptation sociale des projets miniers n’est pas automatique ; d’importantes tensions peuvent y surgir. La dynamique au Viêt Nam présente d’intéressantes similitudes avec l’Indonésie dans la mesure où le régime cherche aussi des moyens de garder une plus grande part de la valeur ajoutée par l’industrie minière tout en utilisant cette industrie comme outil de restructuration sociale et territoriale.
Étant donné l’angle résolument géopolitique de l’analyse de ces cas, la structure des marchés des différents minerais étudiés est moins élaborée. En effet, le nombre d’agents économiques – producteurs, raffineurs, acheteurs finaux – impliqués dans l’exploitation et la commercialisation, la structure typique des contrats associés à chacun, le type et la diversité des technologies extractives, les tendances à la demande à moyen et long terme, la volatilité des prix, etc., varient énormément selon la ressource minière étudiée. Autrement dit, le marché du charbon diffère de celui du cuivre et le marché de l’or n’est pas celui du pétrole. Peu prises en compte par les auteurs, ces différences peuvent très certainement avoir une portée géopolitique.
Le court chapitre sur la géoéconomie du secteur minier en Asie du Sud-Est ne suffit pas à la tâche. Plutôt que d’être une faiblesse viscérale, il s’agit plutôt d’une avenue de recherche que les chercheurs, ou d’autres chercheurs inscrits dans une perspective d’économie politique, pourraient emprunter pour compléter le travail géopolitique déjà effectué.
En somme, il s’agit d’un ouvrage campé dans la veine des études de cas s’appuyant sur des données de terrain assez bien étoffées. On y illustre bien la pluralité des trajectoires géopolitiques en ce qui a trait aux ressources minières. Le travail de terrain et une recherche importante exposée de manière efficace comblent un vide au sein des connaissances empiriques du secteur minier en Asie du Sud-Est. À ce stade, on laisse à d’autres le soin de prolonger le travail de réflexion, pour inscrire les données recueillies dans une analyse comparative plus large. Il ne s’agit donc pas d’un travail de synthèse qui cherche à tester ou à faire évoluer les cadres théoriques en géopolitique des ressources. Néanmoins, l’ouvrage sera particulièrement utile aux chercheurs qui tentent d’ajouter des cas bien documentés à une réflexion plus large sur la géopolitique minière ainsi qu’aux passionnés d’études régionales qui s’intéressent à l’Asie du Sud-Est sous ses diverses facettes.