Il ne se passe pas de jour sans que les médias et l’opinion rapportent des scandales mettant en cause l’industrie minière qui, à l’étranger comme au pays, dans sa quête effrénée du profit, cause souvent des dommages à l’environnement et à des populations. Dans Colonial Extractions, Paula Butler, professeure du département d’études canadiennes de l’Université de Trent en Ontario, s’intéresse de près à l’attitude du Canada face à ses compagnies minières dans les pays africains. Cette auteure, qui a choisi son terrain de recherche, l’Afrique noire, en raison de son vécu personnel sur ce continent, ne livre pas moins dans cet ouvrage un réquisitoire magistral qui a le mérite de mettre le doigt sur la responsabilité souvent esquivée des États à l’égard des faits illégaux et immoraux de leurs sociétés multinationales. L’approche théorique choisie éclaire d’une manière convaincante les enjeux du débat. L’auteure mobilise son expertise sur la race, le néolibéralisme et le postcolonialisme pour décrire la trajectoire du Canada sur l’échiquier mondial de l’industrie extractive. Le livre doit être situé à l’intersection de la monographie et de l’essai. Long de huit chapitres, l’ouvrage est d’abord une investigation détaillée de l’ensemble des débats que soulèvent les activités de l’industrie minière. On reprochera cependant à l’auteure, quant à l’aspect monographique, de n’avoir pas donné une considération importante à la recherche de terrain. Elle s’en justifie (p. 17) en expliquant qu’elle a préféré se concentrer sur les entretiens avec les professionnels de l’industrie minière dans leurs bureaux ou à l’occasion de conférences et de rassemblements. Pour refléter les préoccupations des populations africaines, elle s’appuie cependant sur les écrits de leurs porte-voix que sont les chercheurs et activistes en analyse critique du néocolonialisme. Il en résulte donc qu’un caractère d’essai domine l’ouvrage, dont l’auteure puise dans des écrits de diverses sources pour livrer une pensée profonde sur un problème complexe. De ce fait, la critique qu’on pourrait faire à Butler d’adopter souvent sans nuances les thèses contre le néolibéralisme et le postcolonialisme ne peut autrement se comprendre que par l’approche théorique épousée. Colonial Extractions brille en effet par la perspective choisie par l’auteure. Tout en intégrant les approches juridiques et économiques, Paula Butler ancre sa pensée dans l’analyse socioculturelle. Le résultat est une thèse qui détonne. La démonstration qui l’accompagne est tout aussi maîtrisée. L’approche socioculturelle permet de se détacher du traitement médiatique, lié à la multiplication des procès mettant en cause l’industrie minière et les chutes à répétition des marchés boursiers, pour s’attarder à l’analyse froide d’une problématique dont les fondements sont à rechercher au-delà du droit et de l’économie. Paula Butler soulève un problème que les juristes et les économistes n’osent se poser. Elle se demande quel pays de droits de l’homme est le Canada, qui tire 18 % de sa production minière de pays africains sous-développés et mal gouvernés pour assurer la performance de son économie. Elle s’interroge donc à savoir si le Canada n’est pas lui-même engagé dans un processus colonialiste d’appropriation des ressources naturelles. La pertinence et l’à-propos du sujet sont indéniables, car, plus qu’une question juridique ou économique, la réponse à cette préoccupation est susceptible de changer, dans l’opinion, l’image que les Canadiens se font d’eux-mêmes. Les enjeux de la réponse à la question sont cruciaux, puisque le Canada ne pourrait concilier sa réputation de pays des droits de l’homme et du maintien de la paix avec les dommages environnementaux et sociétaux engendrés par l’extraction minière sauvage pratiquée par ses entreprises à travers le monde. En soulevant un tel débat, Butler entend rendre compte d’une domination économique raciste qu’impose l’industrie minière (p. 5). En s’appuyant sur …
Colonial Extractions. Race and Canadian Mining in Contemporary Africa, Paula Butler, 2015, Toronto, University of Toronto Press, 384 p.[Notice]
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Alain-Guy T. Sipowo
Chercheur, Centre sur les droits de la personne et le pluralisme juridique, Université McGill, Montréal, Canada